Au rayon jeunesse, Martine s’éloigne lentement de sa cuisine

Quels clichés transmet-on aux enfants par la lecture ? / crédit : Louise Boutard
Quels clichés transmet-on aux enfants par la lecture ? / crédit : Louise Boutard

Dans les albums jeunesse, les rôles de l’homme et de la femme sont souvent répartis de façon traditionnelle. De même, les qualités que garçons et filles sont encouragés à développer développent les clichés de chaque genre. Pourtant, quelques maisons d’édition s’attaquent à ces clichés.

Une jeune princesse dans sa jolie robe blanche. Emue, dans son château, à l’idée d’épouser bientôt son prince charmant. Mais un jour, un dragon apparaît. Il attrape le beau prince charmant par la peau des fesses et d’un jet de flammes, il brûle la jolie robe. La belle, désormais en guenilles, part alors à la recherche de son dulciné afin de botter le derrière du vilain dragon.

La Princesse et le dragon, est l’un des contes peu ordinaires que l’on peut lire aux éditions Talents Hauts. La maison d’édition est spécialisée depuis sa création (entre autre) dans le militantisme féministe. Son catalogue comprend désormais 44 albums jeunesse, mais également des ouvrages pour les adolescents.

Son combat s’étend désormais à d’autres discriminations, afin de diversifier le contenu et de garder un lectorat. « Talents Hauts propose des albums et des romans antisexistes qui sont tout aussi beaux, drôles, poétiques, etc. que les autres livres, mais qui ne laissent pas de place au sexisme, explique Justine Haré. Nous recevons plus de 1.500 manuscrits par an et chaque semaine, des illustrateurs proposent leurs books… Cette littérature parle à beaucoup de monde. » raconte Justine Haré, éditrice chez Talents Hauts. Mais la petite maison d’édition indépendante, n’est pas la seule à résister encore et toujours.

Un mouvement « lent et silencieux »

Les albums « anticlichés » ont vu le jour dans les années 1960. Ils initient un mouvement lent et discret vers une déconstruction des clichés. En France, Adela Turin est l’une des figures militantes de ce mouvement. Son album le plus connu, paru en 1975, est iconique. Rose bonbon raconte l’histoire d’une jeune éléphante différente : elle est grise comme les mâles, et non rose comme les autres jeunes femelles. De plus, elle refuse de porter des collerettes et de vivre dans un enclos. Bientôt, les autres éléphantes l’imitent et viennent s’amuser librement. « Les éditeurs et les auteurs  indépendants et militants ont été les premiers à proposer des modèles différents », raconte Doriane Montmasson, chercheuse en sociologie, spécialiste de la réception de la littérature jeunesse.

Désormais, il semblerait que les tabous soient de moins en moins présents, notamment dans la représentation des parents. Quelques collections mettent en lumière cette évolution. C’est le cas de « T’choupi » qui existe depuis 1997. En 2012, son père s’est mis à la cuisine, et l’on voit sa mère revenir de l’extérieur. Des détails hautement symboliques.

Les livres jeunesse féministes sont arrivés... et les garçons ?/crédit : Louise Boutard
Les livres jeunesse féministes sont arrivés… mais pour quel succès ?/crédit : Louise Boutard

Les clichés ont la peau dure

L’offre jeunesse est l’une des plus prolifiques. Les publications sont nombreuses et variées. Pourtant, il suffit d’entrer dans n’importe quel rayon jeunesse pour constater que les ouvrages reproduisant les stéréotypes de genre sont les plus nombreux. Certaines collections divisent même leur public avec une partie destinée aux garçons et l’autre aux filles.

C’est le cas de la collection « Petit Ange parfait » et « Petite Princesse parfaite ». « Ces doubles collections auraient pu être une bonne idée, estime la sociologue Doriane Montmasson, on a une histoire semblable dans laquelle chacun peut s’identifier au héros/à l’héroïne. Sauf qu’on ne renvoie pas les mêmes normes. La petite fille est culpabilisée, on lui apprend à ne pas trop manger. En revanche le garçon a le droit d’être gourmand car il part se dépenser en jouant dehors. »

Ce type d’album se vend très bien. Il est le reflet d’une autre forme de militantisme, inverse à la volonté de Talent Hauts. Un courant prônant le retour aux valeurs genrées traditionnelles. Les maison d’édition telles que Talent Hauts en subissent des conséquences en magasin, mais aussi dans leur quotidien.

« Nos livres sont régulièrement la cible d’associations type Salon beige (blog catholique d’actualité NDLR) ou « Manif pour tous »… raconte Justine Haré, de Talents Hauts. Nous avons reçu notre lot de mails haineux ou de courriers mal intentionnés, mais globalement, ils ne vont pas au-delà. » Malgré ces clivages, les différents acteurs du milieux affirment que les albums visant la parité sont de plus en plus nombreux.

Une question de point de vente

Pour les éditeurs, il existe une réelle rupture en fonction des lieux où sont achetés les livres. Les librairies indépendantes promeuvent régulièrement les ouvrages luttant contre les stéréotypes.

Dans les grandes surfaces, les livres sont moins chers. Pour les éditeurs, la « chasse aux clichés » prend du temps en discussion du moindre détail à la fois avec l’auteur et l’illustrateur. Les éditeurs de masse prennent rarement de telles précautions. Ce clivage entre ventes de masse et indépendants, montre que selon leur milieu social, les enfants ne lisent pas les mêmes livres.

« C’est un reflet du clivage social, constate Isabelle Péhourticq, éditrice chez Actes Sud Junior. Certains parents n’osent pas entrer dans une librairie. Mais heureusement, les bibliothèques et l’école sont là pour montrer des ouvrages différents à tous les enfants. Leur rôle est très important. »

Le banal comme idéal

La variété des représentations de genre dans la littérature jeunesse est d’autant plus importante qu’elle s’adresse aux citoyens de demain. Au cours de son étude, Doriane Montmasson a comparé la réception de différents ouvrages auprès d’enfants : « Les 4-5 ans comprennent les livres au regard de ce qui se passe chez eux. Vers 7-8 ans en revanche, les enfants sont prêts à accepter des modèles différents. »

Les albums luttant contre les stéréotypes ne sont donc pas uniquement ceux dont l’histoire est centrée sur la déconstruction des clichés. D’autres montrent simplement des situations où ces clichés ne sont pas présents. Sans pointer du doigt cette absence.

Cette « banalisation » de la parité est tout aussi importante. C’est la ligne choisie par Actes Sud Junior. « Nous ne voulons pas raconter uniquement des histoires sur ce sujet, déclare Isabelle Péhourticq, mais nous refusons toutes les propositions de livres trop stéréotypés. C’est aussi du politiquement correct, il faut rester en accord avec nos principes. »

Les princes et les chevaliers d’abord !

Dans les albums, « les héros masculins sont toujours deux fois plus nombreux. Les personnages secondaires en revanche, sont majoritairement féminins », affirme la chercheuse Doriane Montmasson. L’une des explications serait que le personnage créé pour être « neutre », devient le plus souvent un homme.

« Il est vrai que nos collections ont des héros masculins, admet Isabelle Péhourticq. Nous faisons des livres « neutres », mais si l’héroïne est une princesse -féministe ou pas-, on sait qu’il sera surtout lu par des filles. » Le blocage viendrait en grande partie des parents, acceptant difficilement que leur fils lise un livre dont le héros est une héroïne.

La lutte contre les stéréotypes a commencé avec un mouvement féministe. Les femmes souhaitaient être mieux représentées dans la littérature. Mais les garçons souffrent également des clichés actuels. Et bien souvent, les efforts des auteurs et éditeurs pour que les héros portent du rose et ne prônent pas la virilité comme seule vertu sont encore moins bien acceptés que les réclamations féministes. Un argument expliquant que l’on parle de livres anti-clichés plutôt que d’ouvrages féministes.

Les albums jeunesse sont avant tout un moyen de partage. À la fois arme et miroir de la société, ils aident à faire évoluer les mentalités et à transmettre des valeurs. Mais ils ne peuvent rien faire sans un mouvement plus général. Il faudra donc continuer de surveiller Martine et T’choupi, mais aussi leurs parents.

Louise Boutard

Travailleurs handicapés : “la distinction ne se fait pas entre les âges mais entre les capacités”

couture

Gérard Zribi est président de l’Association nationale des directeurs et cadres d’ESAT (Etablissement ou service d’aide par le travail), l’Andicat, et auteur de plusieurs ouvrages sur le handicap dont “L’avenir du travail protégé, les ESAT dans le dispositif d’emploi des personnes handicapées”. Pour lui, ces structures sont essentielles car elles offrent un cadre de travail protégé à des personnes qui ne pourraient pas s’épanouir dans le monde de l’entreprise ordinaire.

Quelles solutions peuvent permettre aux jeunes en situation de handicap mental de s’intégrer sur le marché du travail ?

Il n’y a pas réellement de distinction entre les âges en ce qui concerne l’accès au travail des personnes atteints de déficiences mentales, la différence se fait plutôt au niveau des capacités. J’ai toujours défendu le droit au travail pour tous ceux qui sont en capacité de travailler et en ont la motivation. L’une des modalités d’intégration est l’ESAT ou établissement et service d’aide par le travail. C’est un organisme à l’articulation sociale et économique qui reçoit à peu près 93% de handicapés mentaux et psychiques et donc peu de handicapés moteurs ou sensoriels. Ces centres proposent des activités professionnelles très variées, couplées d’une formation professionnelle et d’un accompagnement. Les travailleurs sont rémunérés. Les ESAT adaptent les compétences professionnelles à la prise en charge de travailleurs aux pathologies de plus en plus complexes. Elles font un très gros travail d’adaptation.

Il existe également des « entreprises adaptées », financées pour répondre à un but social et destinées à des personnes qui ont eu un emploi dans le milieu ordinaire, des personnes plus autonomes et qui ont des compétences professionnelles. Et enfin, il y a quelques emplois en milieu ordinaire. La France a un beau dispositif social au niveau de l’emploi des handicapés. On entend un discours négatif au niveau national mais on a l’un des dispositifs les meilleurs d’Europe.

Quels domaines de travail sont à privilégier et pour quelles raisons ?

Il faut privilégier des activités qui sont de vrais métiers mais qui ne nécessitent pas de formation poussée : le conditionnement, la couture, le jardinage, la blanchisserie industrielle, l’hôtellerie, le tourisme etc. Et ce sont des domaines qui peuvent être découpés en tâches plus simples ou plus complexes.

Il faut tout de même faire un gros travail de formation à la base du métier et apporter un accompagnement aux travailleurs. Environ 20 à 30% de l’activité de ces ESAT est de la sous-traitance industrielle pour des entreprises qui s’en servent pour respecter les quotas d’embauche de travailleurs handicapés et le reste sont des contrats, notamment pour des collectivités locales

Quelles formations les jeunes peuvent-ils suivre pour accéder à ces ESAT ?

Avant d’intégrer un ESAT, les jeunes sont souvent dans des centres d’apprentissage pratique ou des externats médico-professionnels. Il existe plusieurs filières de formation qui sont en train de s’accentuer et c’est une bonne chose.

 

Propos recueillis par Clara Charles


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Jeunes handicapés: un chômage à 30%

pôle emploiEn France, seule une personne handicapée sur trois travaille et ce malgré la loi obligeant chaque entreprise de vingt salariés ou plus d’engager au moins 6% de personnes en situation de handicap. L’insertion professionnelle des handicapés se fait difficilement, en particulier pour les jeunes. Tour d’horizon.

Source: Insee, enquête Emploi 2015

Alors que la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées s’est achevée il y a quelques jours à Paris, leur situation sur le marché du travail reste préoccupante. Selon les données de l’Insee de 2015 concernant les handicapés bénéficiant d’une reconnaissance administrative*, en France, seulement 43% de ces personnes sont actives : en emploi ou au chômage. Ces chiffres sont en décalage avec les réalités de l’ensemble de la population, dont 72% est active et dont le taux de chômage s’élève à 10%. C’est presque deux fois moins que pour les personnes handicapées.


Source: Insee, enquête Emploi 2015

L’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap se fait tard, 46% réussissent à rentrer dans le monde du travail ayant 50 ans ou plus, contre 23% pour l’ensemble de la population. La situation des jeunes handicapées est particulièrement difficile. Seulement 25% des personnes en situation de handicap âgées entre 15 et 24 ans sont actives, tout en faisant des études plus courtes que l’ensemble de la population française. Leur taux de chômage avoisine les 30% et seulement 17% ont un emploi. Parmi toutes les personnes handicapées qui travaillent, 3% à peine ont moins de 25 ans.


Source: Insee, enquête Emploi 2015

Pour aider les personnes handicapées à s’insérer dans l’emploi, la loi du 11 février 2005 oblige toutes les entreprises de plus de vingt salariés à employer au moins 6% de personnes handicapées. Les sociétés ne respectant pas cette obligation doivent verser une contribution à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph). En 2014, l’action de l’association a permis d’insérer 74 795 personnes handicapées dans l’emploi. Un chiffre en légère hausse par rapport à l’année précédente, mais loin d’être suffisant.


* Reconnaissance administrative de l’handicap : elle ouvre potentiellement droit au bénéfice de l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés. C’est sur cette catégorie de la population que se font les études statistiques concernant le handicap. Elle englobe les personnes atteintes de handicaps physiques et mentaux.

Malgo Nieziolek

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