En France, les jeunes athlètes de haut niveau doivent suivre des études tout en pratiquant leur sport de façon intensive. Des conditions délicates pour trouver un futur emploi. La loi Braillard en 2015 a tenté d’apporter des solutions pour régler ce problème, mais certains doutent de son efficacité.
Près de la moitié. C’est la part de sportifs professionnels ou sportifs de haut niveau (SHN) qui gagnent moins de 500€ par mois. Bien loin de l’image des sportifs aux salaires mirobolants et aux contrats d’image démesurés, la réalité du sport de haut niveau en France est beaucoup moins mirifique.
Le symbole : en août, le journaliste Patrick Montel révèle en direct sur France 2 la situation précaire de Mamadou Kassé Hann. Le meilleur spécialiste français du 400m haies est sans emploi, en plein transfert du footballeur Neymar au PSG, contre 222 millions d’euros et un salaire de 36 millions d’euros par an. Un exemple qui fait écho à d’autres, comme celui de sportifs obligés de recourir à un appel aux dons pour financer leur participation aux JO de 2016, faute de travail ou de rémunération suffisante.
Un « double projet » souvent négligé
Des études menées par des syndicats ou des fédérations sportifs confirment cette impression. Selon le rapport Karaquillo sur le sport de haut niveau en 2015, 75% des anciens basketteurs n’ont pu utiliser leurs droits à la formation professionnelle, afin de financer leur insertion sur le marché du travail après leur carrière. De même, 57 % des coureurs cyclistes professionnels français en activité affirmaient en 2012 ne pas avoir de projet professionnel.
En cause : les jeunes sportifs, qui rêvent d’accéder aux sommets, se focalisent sur leur discipline en négligeant les études. La pratique d’une activité physique intense et chronophage ne permet pas non plus à des jeunes d’étudier dans les mêmes conditions que les autres. Alors même que « le nombre de sportifs en formation qui parviennent à accéder au haut niveau demeure infime », comme l’affirme Jean-Pierre Karaquillo dans le rapport.
Une grande majorité de jeunes athlètes, n’ayant pas réussi à percer dans le sport, se retrouve ainsi sans qualifications pour trouver un emploi. Une situation étonnante au vu de la législation du sport français, qui oblige les jeunes SHN à poursuivre un « double projet ». En clair : à pratiquer leur sport intensivement tout en suivant des études. L’Insep (Institut national du sport et de la performance) et les CREPS (centres d’entraînement nationaux), notamment, disposent ainsi de conventions avec des universités pour y intégrer leurs sportifs dans des cursus. 60% des sportifs professionnels ou de haut niveau en France sont ainsi en formation.
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Sportifs absentéistes recherchent travail
Mais même en ayant achevé son cursus universitaire, le jeune sportif professionnel (salarié par un club pour exercer son activité sportive) ou de haut niveau (pas nécessairement rémunéré) n’est pas non plus un « employable » classique. La pratique intense de son sport l’empêche d’avoir des horaires réguliers pour travailler. Il doit aussi souvent s’absenter lors des périodes de compétition. Enfin, le risque d’indisponibilité lié à des blessures est beaucoup plus fréquent. Autant de caractéristiques susceptibles d’effrayer un employeur.
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En 2014, le Premier ministre de l’époque, Manuel Valls, annonce vouloir se saisir du problème. « À l’exception de quelques sportifs bénéficiant d’une forte exposition médiatique, les futurs membres des équipes de France ne perçoivent pas de revenus suffisants pour subvenir à leurs besoins », déclarait-il. Le secrétaire d’Etat aux sports, Thierry Braillard, commande alors un rapport pour tenter d’apporter des solutions.
Une loi ambitieuse
Le rapport Karaquillo, qui se fonde sur une étude approfondie de la situation financière des sportifs de haut niveau, présente différentes pistes pour améliorer les formations des SHN, allouer des ressources financières, sécuriser leur situation professionnelle … Les préconisations en direction des jeunes sportifs insistaient sur la nécessité de mieux préparer leur avenir professionnel et de faciliter leur futur accès à l’emploi. La plupart ont été adoptées en 2015 dans la loi Braillard sur le sport de haut niveau.
Au niveau des études, tout d’abord, pas question d’abandonner le fameux « double projet » à la française. Il s’agit plutôt d’améliorer le dispositif. Les fédérations et clubs professionnels doivent maintenant assurer le suivi d’orientation de leurs athlètes, en créant par exemple des postes de référent professionnel. Parmi les autres mesures : davantage de conventions avec des formations universitaires proposant des aménagements, via la reconnaissance pour les jeunes SHN d’un statut similaire aux étudiants salariés. Enfin, il y aura plus de dérogations aux conditions d’accès à certaines formations, ou des exemptions de concours.
Une fois les études terminées, il convenait aussi de faire tomber les difficultés auxquelles les athlètes font face pour trouver un emploi. La mesure phare : la généralisation des CIP (Conventions d’insertion professionnelle), ces contrats de travail qui permettent aux athlètes de travailler à temps partiel tout en étant rémunérés à temps plein. Du côté des clubs professionnels, le CDD « sport » remplace le CDD « d’usage », supposément moins précaire : la durée du contrat ne peut pas être inférieure à la durée d’une saison sportive, et les clubs doivent assurer le suivi professionnel de leurs sportifs.
La loi #StatutduSportif définitivement adoptée: des sportifs mieux protégés & reconnus. #Merci #Fierté pic.twitter.com/mGFeaFJZpR
— Thierry Braillard (@Th_Braillard) 17 novembre 2015
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Les sportifs mis de côté
Ces mesures ont suscité beaucoup d’espoir chez les athlètes de haut niveau. S’il est encore trop tôt pour juger de leur efficacité, certains spécialistes regrettent que la loi ne serve pas l’intérêt des sportifs. Sur le site Theconversation.fr, Sébastien Fleuriet, professeur de sociologie à l’Université Lille 1, affirme que le rapport Karaquillo aurait en fait été commandé pour satisfaire les clubs professionnels, réticents à voir le CDI gagner du terrain face au « CDD d’usage ».
« Un article [de la loi] vient consacrer la naissance d’un nouveau type de contrat, le contrat à durée déterminée … « spécifique », (…) imitant en tout point le CDD d’usage et venant le remplacer de manière parfaitement légale. cette loi n’a donc guère pour vocation effective d’améliorer le sort des sportifs de haut niveau. Il s’agit plutôt de conforter les employeurs du monde sportif dans leur stratégie du tout CDD. »
Même son de cloche chez l’avocate spécialisée dans le sport Tatiana Vassine, qui regrette aussi des avancées limitées à un petit nombre. « La loi a permis à environ 150 athlètes de bénéficier du Pacte de performance (dispositif mis en place par l’Etat en 2014 pour inciter certaines entreprises à embaucher des athlètes, ndlr). Certes, ce n’est pas rien, mais par rapport au nombre des sportifs, cela ne règle pas le problème. »
De surcroît, la loi n’aurait pas réglé le problème de la disponibilité variable des athlètes. « Seules les entreprises entrant dans le cadre du Pacte de performance sont concernées par cette problématique. Les aides d’Etat peuvent se montrer incitatives pour embaucher. Mais la réalité, c’est que la plupart de mes clients non professionnels sont toujours confortés à une précarité importante, et ont de grandes difficultés à mêler vie sportive et professionnelle. »
Douglas De Graaf