Sofiane Hadji ne fait pas de quartiers (4/4)

Né à Saint-Denis, le jeune homme milite dans une association pour insérer les jeunes issus d’un milieu populaire dans le monde de l’emploi. Il lutte contre le déterminisme social.

Sofiane Hadji
Sofiane Hadji

Chapeau Fédora vissé sur la tête, son allure bon chic bon genre lui donne un air de gendre idéal. Sofiane Hadji arrive le sourire aux lèvres. La veille, un des étudiants qu’il suit avec l’association des étudiants et professionnels de Bobigny (93) a signé une alternance dans une entreprise. « Je lui ai filé un contact, donné des conseils, il est allé à l’entretien et voilà le résultat », se réjouit-il. A 22 ans, il est le secrétaire général de l’association, fondée il y a un an. Elle accompagne des jeunes de Seine-Saint-Denis, issus pour la plupart de milieux défavorisés, et leur inculque les codes pour se dépêtrer dans le monde complexe qu’est celui du marché du travail. « Lorsqu’ils vont à un entretien d’embauche, ils se comportent comme s’ils étaient au café du commerce ! A l’association, on leur apprend les codes sociaux », souligne Sofiane. L’expression n’est pas taboue : « il faut savoir se vendre », répète-t-il maintes fois.

D’origine algérienne, le jeune homme sait de quoi il parle. Après un master 1 en affaires publiques à l’université Paris-Dauphine, il est actuellement en stage chez Publicis, comme consultant en affaires publiques. Le monde du travail, il y est entré en forçant les portes. Né d’un père agent de propreté et d’une mère chef de caisse dans un supermarché, il grandit dans l’une des tours de la cité du Colonel Fabien, à Saint-Denis. C’est dans cette même ville qu’il entre à l’université Paris-VIII, en bi-licence histoire-sciences politiques. Pourtant, le dépaysement est total. « Je suis arrivé le premier jour avec un maillot du PSG sur le dos et j’étais perdu, se souvient-il. Dans ma promotion, j’étais un des rares à être un vrai banlieusard des quartiers. Je me suis demandé ce que je foutais là ». Plongé dans les derniers relents utopistes d’une fac héritière de mai 68, il constate que « le système est plus fort que toi. Soit tu l’intègres, soit tu es mort ».

C’est aussi pour cela qu’il s’implique dans son association, « pour sortir quelques uns ». de leur destin tout tracé. Car lorsqu’on vient des quartiers populaires, la vie ne déroule pas souvent le tapis rouge à l’ambition. « Tu peux avoir le capital culturel, si tu n’as pas le capital social, c’est foutu », assure Sofiane. Pas question de compter sur Pôle emploi, « un modèle archaïque », ou sur les centaines de mails envoyés, restés lettre morte. Son premier stage, il l’obtient… sur le marché, en interpellant un maire-adjoint de sa ville. Il savoure encore le souvenir de cette première victoire tout en regrettant que les mairies « n’ouvrent pas davantage leurs portes » à leurs habitants. La faute au manque d’ancrage local des élus. « Ils ne connaissent pas le terrain et personne ne les connaît », soupire-t-il. La politique, il y reste à distance, même s’il considère que « la gauche a trahi les quartiers ». « J’ai commencé à gauche, je suis en train de virer à droite », ironise-t-il. Pragmatique avant tout, il juge le discours de Macron intéressant, mais il attend désormais « des actes ».

Tel un héro balzacien, il continue de tisser sa « toile d’araignée », c’est-à-dire son réseau, et en fait profiter les autres. Il encourage ses protégés à affûter « leurs armes » : la manière de parler, la culture… « On a réussi 13 embauches en un an, qui fait ça dans le 93 ? », met-il en avant pour prouver la réussite de ce « Linkedln du réel ». Parmi elles, des chauffeurs uber mais aussi une alternance chez TF1. Certes, il y a des entreprises méfiantes devant un candidat à l’embauche au profil « jeune de banlieue ». Mais Sofiane l’assure, « tu peux être arabe ou noir, tu as certes moins de chance, si tu es souriant sur ta photo de CV, tu peux avoir ton entretien ».

Il habite désormais dans le centre de Paris. Sofiane sourit : « Je suis sorti du territoire dyonisien ! T’as vu le virage ?! ».

 

Anaïs Robert

« On est toujours rattrapé par son milieu social » (2/4)

Louis Maurin est directeur de l’Observatoire des inégalités et journaliste au magazine Alternatives Économiques. Il a notamment co-dirigé L’état des inégalités 2009 (éd. Belin) avec Patrick Savidan.

 

Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités (c) Léa Duperrin
Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités (c) Léa Duperrin

 

Habiter dans un quartier populaire est-il stigmatisant dans la recherche d’un emploi ?  

Contrairement à ce que l’on dit souvent, l’ « effet quartier » est très marginal dans l’insertion professionnelle des jeunes. C’est davantage un prétexte à la stigmatisation. La plupart des employeurs ne connaissent même pas le nom des rues de ces quartiers ! Par contre, il est vrai que l’on trouve une part plus importante des minorités visibles dans ces territoires. La discrimination à l’emploi de la part des employeurs existe certes, mais elle reste marginale. L’interdiction faite aux jeunes issus de pays hors de l’Union Européenne d’exercer un emploi public a davantage d’impact dans leur vie et donc dans les quartiers. C’est un phénomène plus fort que le racisme des employeurs qui s’attarde plus sur le niveau du diplôme que la couleur de la peau.

Mais les jeunes issus de quartiers populaires restent moins employés que d’autres, à diplôme équivalent…

Il existe d’autres phénomènes liés au milieu social. A diplôme équivalent, deux licences vont avoir des valeurs très différentes en fonction de l’université, de l’école… De plus, une personne issue d’un milieu social favorisé va avoir des contacts pour des stages. On est toujours rattrapé par son milieu social ! Il faut relativiser l’« effet quartier » car on a tendance à utiliser la variable territoire pour éluder la variable sociale. Néanmoins, l’effet territoire joue. Par exemple, c’est en mélangeant des personnes de niveau différent qu’on améliore le niveau scolaire. Sur le long terme, le développement des habitats pavillonnaires  où la classe moyenne est partie s’établir, a retiré une partie de la population de ces quartiers.

Sources : Observatoire des inégalités, Observatoire des zones urbaines sensibles

Comment expliquer que le diplôme ne protège plus du chômage ?

Il faut avant tout noter qu’on assiste à un processus de déclassement global. Dans toute la société, le niveau de qualification des jeunes a augmenté plus vite que la structure de l’embauche. Et surtout, il ne faut pas oublier que la plus grande partie des jeunes des quartiers n’obtiennent pas de diplôme du tout.

Les politiques de la ville se révèlent-elles inefficaces ?

Si les politiques de la ville n’ont pas réglé le problème, c’est qu’elles n’en n’ont jamais eu le moyen ! Elles ne peuvent qu’amortir le choc et servir à donner bonne conscience mais c’est toujours ça de pris. L’État ne consacre qu’un milliard d’euros de son budget à la politique de la ville. En comparaison, la récente réforme de l’impôt sur la fortune représente 5 milliards d’euros ! Il y a une grande hypocrisie par rapport aux quartiers entre le discours et la volonté politique depuis longtemps. Pourtant, la France a montré qu’elle a su mener une vraie politique publique de rénovation urbaine sous Jean-Louis Borloo lorsqu’il était ministre délégué à la Ville de 2002 à 2004.

Les initiatives, à l’instar de l’opération “Nos quartiers ont du talent”, font-elles parties de la solution ?

Oui et non, disons que cela évite juste que les choses empirent. C’est aussi la démonstration que dans ce pays, énormément de gens luttent contre les discriminations, à contre-courant du discours individualiste.

Comment voyez-vous la situation évoluer ?

Cela dépend beaucoup de la situation de l’emploi. Si cette dernière s’améliore, il y aura un changement positif. Mais il ne faut pas être misérabiliste. Il est important de sortir de la vision paternaliste et/ou méprisante que l’on peut porter sur les quartiers, comme quand on les appelle des “zones de non droit” car on ne veut pas dire que des Noirs et des Arabes y vivent !. Les quartiers sont la France populaire moyenne d’aujourd’hui.

 

Anaïs Robert

Travailleurs handicapés : “la distinction ne se fait pas entre les âges mais entre les capacités”

couture

Gérard Zribi est président de l’Association nationale des directeurs et cadres d’ESAT (Etablissement ou service d’aide par le travail), l’Andicat, et auteur de plusieurs ouvrages sur le handicap dont “L’avenir du travail protégé, les ESAT dans le dispositif d’emploi des personnes handicapées”. Pour lui, ces structures sont essentielles car elles offrent un cadre de travail protégé à des personnes qui ne pourraient pas s’épanouir dans le monde de l’entreprise ordinaire.

Quelles solutions peuvent permettre aux jeunes en situation de handicap mental de s’intégrer sur le marché du travail ?

Il n’y a pas réellement de distinction entre les âges en ce qui concerne l’accès au travail des personnes atteints de déficiences mentales, la différence se fait plutôt au niveau des capacités. J’ai toujours défendu le droit au travail pour tous ceux qui sont en capacité de travailler et en ont la motivation. L’une des modalités d’intégration est l’ESAT ou établissement et service d’aide par le travail. C’est un organisme à l’articulation sociale et économique qui reçoit à peu près 93% de handicapés mentaux et psychiques et donc peu de handicapés moteurs ou sensoriels. Ces centres proposent des activités professionnelles très variées, couplées d’une formation professionnelle et d’un accompagnement. Les travailleurs sont rémunérés. Les ESAT adaptent les compétences professionnelles à la prise en charge de travailleurs aux pathologies de plus en plus complexes. Elles font un très gros travail d’adaptation.

Il existe également des « entreprises adaptées », financées pour répondre à un but social et destinées à des personnes qui ont eu un emploi dans le milieu ordinaire, des personnes plus autonomes et qui ont des compétences professionnelles. Et enfin, il y a quelques emplois en milieu ordinaire. La France a un beau dispositif social au niveau de l’emploi des handicapés. On entend un discours négatif au niveau national mais on a l’un des dispositifs les meilleurs d’Europe.

Quels domaines de travail sont à privilégier et pour quelles raisons ?

Il faut privilégier des activités qui sont de vrais métiers mais qui ne nécessitent pas de formation poussée : le conditionnement, la couture, le jardinage, la blanchisserie industrielle, l’hôtellerie, le tourisme etc. Et ce sont des domaines qui peuvent être découpés en tâches plus simples ou plus complexes.

Il faut tout de même faire un gros travail de formation à la base du métier et apporter un accompagnement aux travailleurs. Environ 20 à 30% de l’activité de ces ESAT est de la sous-traitance industrielle pour des entreprises qui s’en servent pour respecter les quotas d’embauche de travailleurs handicapés et le reste sont des contrats, notamment pour des collectivités locales

Quelles formations les jeunes peuvent-ils suivre pour accéder à ces ESAT ?

Avant d’intégrer un ESAT, les jeunes sont souvent dans des centres d’apprentissage pratique ou des externats médico-professionnels. Il existe plusieurs filières de formation qui sont en train de s’accentuer et c’est une bonne chose.

 

Propos recueillis par Clara Charles


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Jeunes handicapés: un chômage à 30%

pôle emploiEn France, seule une personne handicapée sur trois travaille et ce malgré la loi obligeant chaque entreprise de vingt salariés ou plus d’engager au moins 6% de personnes en situation de handicap. L’insertion professionnelle des handicapés se fait difficilement, en particulier pour les jeunes. Tour d’horizon.

Source: Insee, enquête Emploi 2015

Alors que la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées s’est achevée il y a quelques jours à Paris, leur situation sur le marché du travail reste préoccupante. Selon les données de l’Insee de 2015 concernant les handicapés bénéficiant d’une reconnaissance administrative*, en France, seulement 43% de ces personnes sont actives : en emploi ou au chômage. Ces chiffres sont en décalage avec les réalités de l’ensemble de la population, dont 72% est active et dont le taux de chômage s’élève à 10%. C’est presque deux fois moins que pour les personnes handicapées.


Source: Insee, enquête Emploi 2015

L’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap se fait tard, 46% réussissent à rentrer dans le monde du travail ayant 50 ans ou plus, contre 23% pour l’ensemble de la population. La situation des jeunes handicapées est particulièrement difficile. Seulement 25% des personnes en situation de handicap âgées entre 15 et 24 ans sont actives, tout en faisant des études plus courtes que l’ensemble de la population française. Leur taux de chômage avoisine les 30% et seulement 17% ont un emploi. Parmi toutes les personnes handicapées qui travaillent, 3% à peine ont moins de 25 ans.


Source: Insee, enquête Emploi 2015

Pour aider les personnes handicapées à s’insérer dans l’emploi, la loi du 11 février 2005 oblige toutes les entreprises de plus de vingt salariés à employer au moins 6% de personnes handicapées. Les sociétés ne respectant pas cette obligation doivent verser une contribution à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph). En 2014, l’action de l’association a permis d’insérer 74 795 personnes handicapées dans l’emploi. Un chiffre en légère hausse par rapport à l’année précédente, mais loin d’être suffisant.


* Reconnaissance administrative de l’handicap : elle ouvre potentiellement droit au bénéfice de l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés. C’est sur cette catégorie de la population que se font les études statistiques concernant le handicap. Elle englobe les personnes atteintes de handicaps physiques et mentaux.

Malgo Nieziolek

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