Environnement: les crédits carbone ne sont « pas des outils adaptés » selon une étude

Dans un rapport publié ce vendredi, une douzaine de chercheurs, principalement issus de l’Université de Berkeley en Californie, accablent les crédits carbone censés compenser les émissions de gaz à effet de serre des entreprises.
Photo: Mariya Todorova

Depuis des mois, chercheurs et médias braquent les projecteurs sur le secteur des crédits carbone, critiqué pour ses méthodes douteuses qui augmentent les risques de greenwashing par les entreprises souhaitant ainsi afficher leur « neutralité carbone ».

Pour la douzaine de chercheurs ayant contribué à l’étude, les projets de protection des forêts contre la déforestation ne sont « pas des outils adaptés » pour générer des crédits carbone censés permettre aux entreprises de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Ils se sont notamment attaqués aux quatre méthodologies sur lesquelles Verra, le plus grand organisme mondial de certification de crédits carbone, se base pour en émettre.

La conclusion de cette étude, financée par l’ONG Carbon Market Watch, est sans appel: « les projets REDD+ [Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement, NDLR] ne sont pas adaptés pour générer des crédits carbone ». Un crédit représente une tonne de CO2, soit retirée de l’atmosphère grâce à la croissance des arbres, soit empêchée d’y pénétrer grâce à la déforestation évitée. « La configuration actuelle du marché des crédits carbone n’est pas efficace pour réduire la déforestation et protéger les populations » locales, ajoutent-ils.

Des critères difficiles à évaluer

Pour en arriver à cette conclusion, les chercheurs ont appliqué les quatre méthodologies de Verra à plusieurs projets de protection des forêts en faisant varier plusieurs critères. Cependant, malgré les exigences fixées pour obtenir une certification, la « flexibilité allouée par Verra aux personnes développant ces projets » leur permet de choisir les hypothèses les plus avantageuses de manière à exagérer le nombre de crédits carbone associés.

Ainsi, ces méthodologies se basent sur des critères difficiles à évaluer: la déforestation qui aurait eu lieu si le projet n’avait pas été mis en place, la capacité réelle d’absorption des arbres ou encore les risques encourus par la forêt (possibles incendies, sécheresse liée au réchauffement climatique). Les chercheurs ont alors observé des écarts significatifs dans le nombre de crédits alloués en fonction de la méthodologie utilisée et des hypothèses ensuite retenues.

Pire encore, les « auditeurs » censés contrôler la conformité des projets aux critères de Verra « pensent que leur rôle consiste à s’assurer que la méthode de calcul des émissions » respecte le cadre imposé par Verra mais pas à vérifier si le résultat « est exact » ou si les estimations sont assez « prudentes ». Les auteurs reconnaissent que Verra a mis à jour ses méthodologies en août avec « des améliorations importantes » qui ne sont pas prises en compte dans leur étude mais affirment que des « changements additionnels substantiels sont encore nécessaires pour éviter l’exagération dans l’émission de crédits carbone ».

A la suite d’une enquête accablante pour Verra publiée en janvier par le quotidien britannique The Guardian, son directeur général David Antonioli avait démissionné en mai.

Elena GILLET avec AFP

L’arrivée des fourmis de feu en Europe alarme les scientifiques

Lundi 11 septembre, une étude révélait que des fourmis de feu s’étaient installées près de Syracuse, en Sicile. Cette espèce invasive est un danger pour l’environnement mais aussi la santé. 

Son nom est dû à ses piqûres douloureuses. La fourmi de feu arrive en Europe, d’après une étude publiée lundi 11 septembre dans la revue scientifique Current Biology. L’équipe du chercheur Mattia Menchetti révèle que cette espèce invasive, originaire d’Amérique du Sud, s’est établie près de Syracuse, en Sicile. C’est la première fois qu’une étude atteste de la présence de fourmis de feu en Europe, qui ont pour nom scientifique Solenopsis invicta : « À ma connaissance, c’est la première fois que l’établissement de cette espèce est matériellement avéré » estime Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS qui rappelle cependant qu’un laps de temps existe entre l’implantation des fourmis et la découverte d’une colonie : « Souvent, on se rend compte qu’elles existent quand elles posent problème de manière locale, détaille-t-il, c’est une espèce discrète donc elle se répand facilement. »

Les fourmis de feu constituent une menace pour la biodiversité puisqu’elle fait fuir les vertébrés dans les milieux où elle se trouve. Les scientifiques s’inquiètent donc de l’expansion de cette espèce dans le reste de l’Europe qui pourrait impacter l’environnement. L’exemple le plus frappant vient de l’Amérique du Nord : « Dans toute la partie sud, les fourmis de feu ont formé des colonies et se sont implanté de manière exceptionnelle » illustre Philippe Grandcolas à propos de cette espèce qui représente un danger pour l’agriculture : « C’est le principal problème. Elle a la capacité d’être dans des milieux cultivés ». Les fourmis de feu sont aussi une menace pour la santé dont le dard provoque des piqûres très douloureuses pour l’être humain. Dans certains cas, elles peuvent même provoquer des chocs anaphylactiques (une réaction allergique exacerbée), expliquait l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).

Une espèce résistante

Les échanges commerciaux permettent à ces petits insectes de s’implanter dans des régions dont ils ne sont pas natifs : « On trouve les fourmis de feu dans la terre, les plantes ou la végétation. Leur déplacement est dû à des activités commerciales et peut être accidentel, continue l’entomologiste, le plus souvent, on les retrouve dans le bois en petites quantités. » Sauf qu’après avoir été transportés dans une autre région, ces petits insectes qui mesurent deux à six millimètres de long se multiplient puis se dispersent sur de vastes territoires : « C’est très difficile de procéder à son éradication lorsqu’une colonie est installée, confirme Madeleine Freudenreich, chargée de mission « Espèces exotiques envahissantes » au sein du comité français de l’UICN qui souligne le rôle de la mondialisation pour expliquer ce phénomène.

Alors comment résoudre le problème ? C’est la question qui travaille les scientifiques : « Le mieux, c’est d’intervenir dans les premiers stades d’implantation, explique Philippe Grandcolas, si les colonies sont installées sur de vastes territoires, on peut élaborer des stratégies de lutte intégrée en implantant des ennemis naturels mais il faut faire attention parce qu’il ne faut pas être à l’origine d’une autre invasion.» En France, la fourmi de feu n’est pas présente sur le territoire métropolitain mais est déjà introduite en Guadeloupe, à Saint-Barthélémy et à Saint-Martin. Madeleine Freudenreich explique que la France métropolitaine pourrait devenir un territoire favorable à son expansion à cause du réchauffement climatique : « Pour l’instant, c’est surtout le sud mais d’ici 2050, l’étude de Mattia Manchetti montre que le nord de la France pourrait aussi être concerné. » Une prévision confirmée par le chercheur Philippe Grandcolas : « Cette espèce ne vient pas du nord donc effectivement, le changement climatique ne va pas lui nuire, c’est plutôt le contraire. »

Julie Zulian

La limite planétaire du cycle de l’eau bleue dépassée alors que l’humanité en consomme de plus en plus

La limite planétaire du cycle de l’eau bleue est dépassée. Cela concerne les lacs, les nappes phréatiques et les cours d’eau. C’est la sixième limite planétaire sur les neuf à être dépassée. Ce dépassement intervient alors que nous consommons de plus en plus d’eau.

Une Terre « en dehors de l’espace de fonctionnement sûr pour l’humanité ». C’est le bilan des chercheurs du Stockholm Résilience Center dans son étude publié ce mercredi 13 septembre dans la revue Sciences advance.

La limite planétaire du cycle de l’eau se distingue en deux types : le cycle de l’eau bleue et le cycle de l’eau verte. Le cycle de l’eau bleue concerne les lacs, les nappes phréatiques ainsi que les cours d’eau et il est perturbé au-delà du soutenable. De son côté, le cycle de l’eau verte concerne l’eau absorbée par les sols et les plantes, son dépassement a déjà commencé. « La situation est critique« , s’inquiète de Hervé le Treut, climatologue et membre de l’Académie des sciences.

La notion de limites planétaires a été développée en 2009 par le Stockholm Résilient Center. Cela consiste en de grands processus dont le dérèglement climatique provoqué par l’homme met en danger la planète. Pour cela, les scientifiques ont représenté la Terre en la divisant en pixels de 50 km de côté. Pour chaque pixel situé sur les continents, les chercheurs ont calculé les variations dans les flux d’eau bleue. Le bilan est sans appel et « indique une rupture par rapport à ce qui existait avant« , pointe Hervé le Treut. La terre subit en effet des perturbations humides et sèches dans 18% des pixels pour l’eau bleue et 16% pour l’eau verte.

La consommation d’eau douce de l’humanité au-delà de la limite soutenable.

Le dépassement de cette limite intervient dans un contexte où la consommation d’eau douce est plus élevée qu’elle ne le devrait. En 2015, les chercheurs Georgia Destouni et Fernando Jaramillo de l’Université de Stockholm ont relevé que la consommation annuelle d’eau douce de l’humanité s’élevait à 4.485 km3 alors que la limite soutenable est de 4.000km3 par an.

De l’autre côté, deux à trois milliards de personnes sont concernées par les pénuries d’eau. Un chiffre qui pourrait dépasser les cinq milliards en 2050 selon l’ONU.

Fridays for future France, un mouvement pour le climat qui irrite

Vendredi 23 septembre 2022, le mouvement Fridays for future France a organisé une nouvelle grève pour le climat à Paris. Accusé trop proche des partis politiques ou pas assez démocratique, le mouvement divise au sein des militants écologistes.

La grève historique pour le climat du 15 mars 2019 qui avait regroupé 35 000 jeunes semble loin. Ce vendredi 23 septembre 2022, une centaine de personnes se sont rassemblées place Baudoyer à Paris à l’appel du collectif Fridays for future France. La petite foule est essentiellement constituée de journalistes, de représentants de syndicats étudiants ou de groupes de jeunes affiliés à un parti politique. Les jeunes moins politisés, venus sécher les cours pour la cause climatique, sont très minoritaires.

La faute à un problème de communication? « On est allés devant le Panthéon avant de voir que c’était ici », explique une étudiante. Sur Facebook, un autre événement annonçait la tenue du rassemblement devant le Panthéon. Arrivée là-bas, l’étudiante n’a trouvé personne. « C’est à cause d’une sorte de scission, ils ont essayé de saboter le rendez-vous », glisse une élue à son voisin qui ne trouvait pas l’adresse. “Ils” ne sont pas nommés, mais désignent le mouvement local de Youth for climate France. Car les deux groupes, qui se réclament tous deux du mouvement international Fridays for future se disputent son héritage. Ces grèves mondiales des vendredis pour le climat ont été initiées par la jeune militante Greta Thunberg le 20 août 2018 devant le parlement Suédois. L’objectif : interpeller les politiques sur le réchauffement climatique. 

La grève de vendredi était organisée par le groupe Fridays for future France. L’antenne française du mouvement international Fridays for future? Oui et non. D’ailleurs c’est plutôt flou dans l’esprit de Grégoire, étudiant en première année d’économie. « Ils ont tous un peu repris le mouvement de Greta Thunberg, de faire des grèves pour le climat, non? » A l’origine les mouvements francophones (France et Belgique) issus des Fridays for future international se nomment Youth for climate. Actif depuis 2019, le mouvement réunit une soixantaine de groupes locaux dans toute la France.

des membres dissidents de youth for climate France

Alors qu’est ce que le mouvement Fridays for future France (FFF France) ? Le groupe a été créé à la veille de la manifestation internationale pour le climat du 25 mars 2022, « par deux personnes du mouvement de Youth for climate qui n’étaient pas d’accord avec la stratégie », pointe Martin, militant à Youth for Climate (YfC) Ile de France. Des questions de stratégie qui concerneraient la répartition du pouvoir, « horizontale » chez YfC.

Pour Pablo, l’un des membres fondateurs de FFF France, l’objectif était « de se concentrer sur les grèves pour le climat du vendredi », face à une organisation qui engloberait d’autres luttes, en lien avec la question sociale et anticapitaliste. « Il y a d’autres pays où plusieurs groupes sont issus de Fridays for future, il n’y a pas de barrières et il faut encourager les jeunes à intégrer ce mouvement ». Une vision qui ne passe pas auprès de Youth for Climate qui se réclame seul héritier du mouvement international : « le groupe joue sur l’ambiguïté du nom, et veut récupérer quatre ans de lutte ».

 « Il faut se concentrer sur les grèves pour le climat »

– Pablo, cofondateur de Fridays for future France

L’organisation verticale du nouveau collectif est aussi vivement critiquée. « Il y a seulement deux porte-paroles alors que la jeunesse est plurielle et diverse », reproche Martin. Fridays for future France regrouperait « plus d’un millier de personnes en France », garantit Pablo. Un chiffre, qui prend sa source sur le nombre de personnes assistant aux événements français inscrits sur le site international du mouvement. Or, ces personnes, qui ont pu réaliser des actions ne sont pas adhérents à Fridays for future France. Le collectif regroupe en réalité, 9 membres fondateurs et une vingtaine de personnes qui coordonnent les actions. « Enfin, après le 23, on se structurera localement », s’empresse d’ajouter Pablo.

Ces évènements locaux, sans militants sur place pour les organiser, sont l’un des points de crispation pour Youth for Climate envers le jeune mouvement. « Localement, aucun militant de Fridays for future France n’est présent, ils jouent sur le fait que nous, nous sommes là pour gérer », fustige Martin.

Une organisation apartisane ?

« On est un mouvement apartisan et eux sont reliés aux jeunes écologistes. FFF France, c’est un cheval de Troie pour permettre à des organisations politiques de nous récupérer », ajoute le porte-parole de YfC., « Un comité inter-organisationnel réunit FFF France, l’UNEF, le syndicat Alternative et les Jeunes écologistes », précise pendant l’événement Annah, membre des jeunes écologistes. « FFF France est résolument apartisan », assure Pablo en indiquant la présence, aussi, de jeunes insoumis à la tribune, « mais les organisations de jeunesse politiques sont les bienvenues » ajoute-t-il.

Preuve du malaise, des membres de Youth for Climate sont présents, en anonyme. « Ils ne voulaient pas forcément prendre la parole », glisse Annah. Les Jeunes écologistes auraient proposé aux deux organisations de collaborer, sans « vouloir prendre parti dans leurs histoires internes ».

« Il y a seulement deux porte-paroles alors que la jeunesse est plurielle et diverse »

– Martin, porte-parole de Youth for Climate

C’est aussi l’avis de Mathis, membre des FFF France. « YfC ne faisait plus régulièrement de grève pour le climat en séchant les cours en semaine, donc il y a eu l’idée de faire un autre mouvement, mais on n’a rien contre eux », explique celui qui a rejoint FFF France à ses débuts. A 12 ans, c’est sa quatrième grève pour le climat.

Le groupe international Fridays for future ne s’est pas encore prononcé sur la reconnaissance du groupe national du même nom. De leur côté, le groupe Youth for Climate préfèrent organiser une manifestation dans les rues de Paris le dimanche 25 septembre, contre la publicité en particulier, « moteur de la consommation ». Le but : empêcher la municipalité de Paris de renouveler un contrat avec Clearchannel, une entreprise de panneaux d’affichages publicitaires numériques. Délaisser les grèves du vendredi, pour privilégier des luttes locales, un changement de cap dans la stratégie d’action du mouvement, assumé par son porte-parole : « il faut agir concrètement maintenant, on veut de réelles victoires », martèle Martin.

Johanne Mâlin