Panique sur les marchés : Quel impact sur l’emploi?

La dégringolade des principaux indices boursiers qui a commencé début janvier s’est aggravée lundi 8 février. Les valeurs boursières européennes sont tombées à leurs plus bas niveaux en 16 mois. Ces chutes brutales préoccupent car leurs conséquences sur l’emploi et l’investissement peuvent être désastreuses.

 

A Pakistani broker talks on the phone during trading at The Karachi Stock Exchange (KSE) in Karachi on January 8, 2016. Pakistan's benchmark Karachi Stock Exchange (KSE) will become the Pakistan Stock Exchange next week after merging with two other major bourses to become the single share trading entity in the country, officials said January 8. The merger of the Karachi, Lahore and Islamabad Stock Exchanges into the PSX could pave the way for selling the bourse to foreign investors, observers said. AFP PHOTO/ ASIF HASSAN / AFP / ASIF HASSAN
(Crédit Photo: AFP)

« Le pire début d’année jamais enregistré sur les marchés » : c’est en ces termes que Tidjane Thiam, le directeur général du Crédit Suisse, décrivait à Davos la situation sur les marchés financiers mondiaux. Partout, les cours boursiers dégringolent. Aucune place boursière n’est épargnée. Une situation préoccupante qui s’explique selon les analystes par une conjonction de facteurs : ralentissement chinois, baisse du prix du pétrole et une reprise américaine poussive.

Pour Christophe Chorro, économiste à l’Université Paris-Sorbonne et interrogé par le Celsalab : “ En deçà de 60 dollars le baril, le pétrole à des effets récessifs.” Aujourd’hui sous la barre des 30 dollars le baril, le prix du pétrole n’en finit plus de préoccuper. Quant au ralentissement de l’économie chinoise dont le taux de croissance est au plus bas depuis 25 ans, il serait dû à un modèle à bout de souffle : « la Chine doit repenser, réinventer son modèle économique basé sur la consommation extérieure. La Chine n’est plus l’atelier du monde, c’est un fait” constate l’économiste. Du côté de l’économie américaine, là encore, elle est source d’inquiétude : “L’économie n’a crû que de 2,4% en 2014 et les créations d’emplois ont été décevantes” conclut-il.

A ce cocktail explosif s’ajoute une inquiétude sur la croissance mondiale. Durant le forum de Davos, la patronne du FMI, Christine Lagarde, a exprimé ses doutes quant à une reprise  de l’activité en 2016. Un “déraillement de la croissance” se profilerait cette année. En cause notamment le ralentissement des pays émergents (BRICS). Si l’Inde et la Chine maintiendront un taux de croissance proche des 7,5%, la Russie, elle, table sur un taux de croissance de 0,2% et le Brésil ne prévoit un retour à la croissance qu’en 2017 !

 

L’emploi et les investissements menacés

La dégringolade des cours peut avoir des conséquences désastreuses sur l’économie réelle : « le décrochage des marchés boursiers recèle de vraies inquiétudes et pas seulement des fantasmes d’investisseurs. Pour certains Etats, un risque de défaut de paiement se profile », craint Christopher Dembick, économiste à Saxo Bank, dans un entretien à l’AFP. Les banques sont elles aussi particulièrement touchées. En Europe, elles ont presque perdu un quart de leur valeur en 2016.

Par ailleurs, des fermetures d’entreprises sont également à prévoir. Dans l’industrie parapétrolière, les annonces de suppression de postes accompagnant la chute des cours ne se sont pas fait attendre. Le Britannique BP a annoncé vouloir supprimer 4 000 emplois. Le français Total de son côté ne prévoit pas de suppression de postes mais va sabrer dans ses investissements: ces derniers vont passer de 28 à 18 milliards en 2016. Le sous-traitant Vallourec a annoncé lui aussi la suppression de 3 000 emplois dont 1 300 en France.

Selon Christopher Dembick,  “ le plongeon accéléré des prix de l’or noir pourrait conduire à la déstabilisation du secteur bancaire américain qui a financé à coup de milliards de dollars le boom du secteur pétrolier aux Etats-Unis. » De quoi rappeler de mauvais souvenirs aux marchés financiers.

 

Alexandra del Peral

Le procès UberPop aura (enfin) lieu

Thibaud Simphal, General Director of Uber France, a transportation network company, poses on Mai 19, 2015 at Uber French headquarters in Paris. AFP PHOTO / MIGUEL MEDINA / AFP / MIGUEL MEDINA
Thibaud Simphal, directeur général d’Uber France, le 19 mai 2015 à Paris. AFP PHOTO / MIGUEL MEDINA / AFP / MIGUEL MEDINA

Après avoir été renvoyé en septembre dernier, le procès UberPop s’ouvrira jeudi. Les deux accusés, responsables de l’application de VTC en France et en Europe de l’Ouest, se présenteront devant la justice alors que les tensions entre taxis et VTC sont à leur comble depuis quelques semaines.

Uber France de nouveau sur le banc des accusés. Jeudi 11 et vendredi 12 février, le directeur général Thibaud Simphal et le directeur d’Uber pour l’Europe de l’Ouest Pierre-Dimitri Gore-Coty doivent comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris pour l’application UberPoP, suspendue depuis juillet.

Les deux hommes d’affaire sont poursuivis pour cinq chefs d’accusation, notamment complicité d’exercice illégal de la profession de taxi, traitement et conservation illégaux de données informatiques et organisation illégale d’un système de mise en relation de clients avec des personnes qui se livrent au transport routier de personnes à titre onéreux. Ils risquent jusqu’à cinq ans de prison, 300 000 euros pour les deux dirigeants et 1,5 millions d’euros d’amende pour la société.

Cette nouvelle convocation est le dernier épisode d’un feuilleton judiciaire et social qui dure depuis des mois. Le 30 septembre, déjà, les deux responsables de l’application se présentaient devant la justice avant que le procès ne soit renvoyé à aujourd’hui, pour laisser le temps à la justice d’organiser deux expertises sur les disques durs et les ordinateurs saisis au siège d’Uber France.

Cette comparution intervient alors que le conflit qui oppose les taxis aux VTC bat son plein. Le mardi 26 janvier, 2 100 taxis ont manifesté contre la concurrence jugée déloyale des VTC, amenant Manuel Valls à annoncer, entre autres mesures, un renforcement des contrôles de VTC. Une déclaration qui a attisé la colère des chauffeurs concernés, mobilisés aujourd’hui pour la cinquième journée consécutive. L’application Uber annonçait ce matin qu’elle serait suspendue entre 11 heures et 15 heures, en signe de soutien aux chauffeurs.

B.P. (avec AFP)

« On demande aux chômeurs de se passer de nous »

Trois questions à… Véronique Bleuse, conseillère pôle emploi en Picardie et déléguée CGT. L’agence dans laquelle elle travaille applique depuis octobre 2015 les réformes lancées par la direction. Ce lundi, elle est venue manifester son mécontentement devant la Direction générale de Pôle emploi, à Paris.

La direction de Pôle emploi souhaite fermer les agences, l’après-midi, aux demandeurs d’emploi sans rendez-vous. Quels ont été les conséquences d’une telle mesure dans votre agence ?

Ça a été catastrophique. Depuis que l’agence ferme à 12h30, on a assisté à un flux incessant de personnes qui cherchent à prendre rendez-vous l’après-midi. Nous, on ne peut plus les accueillir, alors tout le monde essaye de venir le matin, la queue est interminable, les conseillers sont débordés. On a dû mettre en place un système D pour répondre à toutes ces demandes. Des conseillers « jokers », c’est-à-dire des conseillers supplémentaires pas prévus au planning, viennent nous épauler le matin pour gérer le flux. Nos conditions de travail et l’accueil des demandeurs d’emploi ne s’est pas amélioré avec cette mesure.

N’avez-vous pas, grâce à cette réforme, plus de temps l’après-midi pour mieux traiter les demandes ?

L’après-midi, nos boîtes mails explosent parce que ceux qui n’ont pas obtenus de rendez-vous le matin tentent de nous contacter par e-mail. Sachant que certains conseillers ont jusqu’à 900 demandeurs d’emploi à suivre, ça nous prend énormément de temps de répondre à toutes ces nouvelles demandes de rendez-vous. Beaucoup de gens s’énervent, ils essayent de communiquer avec l’interphone de l’agence. On en arrive à une situation où les demandeurs d’emplois sont obligés d’envoyer un mail à leur conseiller qui se trouve de l’autre côté de la porte. En quelque sorte, on est en train de demander aux chômeurs de se passer de nous.

Qu’en est-il du passage au « tout internet » concernant l’inscription et les demandes d’allocations ?

Ça a eu pour conséquence une dépendance des demandeurs d’emploi à internet. Les échanges de mails entre conseillers et demandeurs ont explosé. Seulement, il ne faut pas oublier que 20% des chômeurs n’ont pas d’accès à internet. Ces personnes là se retrouvent discriminées. Ce sont ces mêmes personnes que nous sommes obligés d’aider en agence. Mais la procédure est longue, ça prend au moins 50 minutes pour rentrer toutes les informations dans le logiciel. Internet, ça a peut-être permis à certains de gagner du temps, mais nous, on en a encore perdu.

Léo Pierrard

De quoi l’ubérisation est-elle le nom ?

Le député PS de l’Ardèche, Pascal Terrasse, a remis aujourd’hui au Premier ministre Manuel Valls son rapport sur l’économie collaborative. Souvent qualifiée d' »ubérisée », en référence à l’application de VTC Uber, pour désigner le fait qu’une start-up numérique menace un modèle économique classique, l’économie collaborative est-elle forcément synonyme de ce phénomène ?

Non-licensed private hire cab drivers park their cars as they stage a protest against the government's decision about their sector, on the Place de la Republique square in Paris on February 4, 2016, a week after angry French taxi drivers blocked key roads to protest against competition they judge unfair. The French Transportation ministry has sent formal notices last week to twenty of the transport network platforms (Uber, SnapCar, Driver-Private..) to remind them that the Loti (public transport on demand) licenses that regulate transportation, easier to get than the VTC (private hire cars) driving cards, applies only to collective transport, cars that carry at least two passengers. AFP PHOTO / THOMAS SAMSON / AFP / THOMAS SAMSON
Des chauffeurs de VTC manifestent à Paris. Photo AFP / Thomas Samson

« L’économie collaborative, c’est tout sauf l’ubérisation », ce sont par ces mots que commence le rapport sur l’économie collaborative de Pascal Terrasse. Ce rapport propose 19 mesures afin d’apporter un cadre juridique et fiscal à l’économie collaborative. Cette économie repose sur des échanges de biens et de services se faisant via des plateformes numériques, sites ou applications. Cette économie sert notamment à donner de la valeur et à amortir des biens de particuliers. Uber, Blablacar, Le Bon Coin, Airbnb… Elles sont de plus en plus nombreuses à provoquer la colère des acteurs « classiques » de l’économie comme les hôteliers ou les taxis, pour qui ces plateformes ne sont ni plus ni moins que de la concurrence déloyale. C’est là qu’intervient le terme d' »ubérisation » de l’économie.

Souvent utilisé par les médias et dans le discours public, il est devenu « une vraie tarte à la crème » pour Grégoire Leclercq, président de la Fédération des auto-entrepreneurs (FEDAE) et co-fondateur de l’observatoire de l’ubérisation, interrogé par le Celsa Lab : « D’où cet observatoire pour « expliquer, vulgariser, analyser et proposer » autour de ce phénomène inexorable ». Dans son utilisation courante, « Ubérisation» est surtout teinté de négatif : pas de sécurité de l’emploi, pas d’assurance, absence de professionnels… Pour Grégoire Leclercq, « ce mot définit tout d’abord un phénomène de société. La plupart des acteurs voient dans ce phénomène des menaces fiscales telles que le manque de protection sociale ou la déréglementation à outrance. Et aussi des opportunités, avec un service de qualité, disponible sur le web, une facilité d’utilisation et une modernisation des métiers ». Ce phénomène résulte de « la convergence de trois leviers : l’accès au digital et à la numérisation pour tous, l’émergence d’une très nombreuse population d’indépendants et la révolution de la consommation, plus impatiente et plus sélective », précise-t-il.

Economie collaborative ou « ubérisée » ?

Pour le président de la FEDAE : « Il ne faut pas confondre économie ubérisée et économie collaborative, d’ou l’importance de bien définir cette dernière ». Le point commun principal de ces deux concepts est la présence du numérique. L’économie collaborative est basée sur la confiance que s’accordent les utilisateurs au sein de ces communautés digitales. Elle est d’ailleurs quantifiée par le « scoring », la notation des utilisateurs. Elle vise à mettre en commun services, biens et avis. Selon Grégoire Leclercq, la crise serait l’une des origines de ce phénomène. Mettre en commun sur une plateforme numérique revient à faciliter les échanges et à réduire les coûts en supprimant les intermédiaires. Ce qui, pour lui, différencie les deux concepts est qu’à la base, cette économie n’est pas lucrative, elle vise seulement à amortir les coûts. Comme Blablacar qui permet d’amortir son trajet en voiture.

L' »ubérisation », mère de tous les maux

Cependant, cette pratique est devenue pour certains une source de revenus, d’ou les problèmes de fiscalité et l’arrivée du concept d' »ubérisation » (en référence à Uber Pop) : entre « économie collaborative, innovation numérique et travail indépendant (freelance) ». Une solution pour pallier le chômage. L' »ubérisation » est toujours lucrative et se passe entre trois acteurs : le prestataire qui veut gagner sa vie en rendant service au consommateur qui veut le payer en passant par une plateforme qui se paie en commissions contre la garantie d’une expérience de qualité. Notamment grâce à la notation du prestataire et à la réception du paiement. La seule façon de sortir le terme « ubérisation » du péjoratif et d’apaiser les tensions est d’encadrer cette forme d’économie, la plaçant ainsi sur un plan plus égalitaire avec l’économie classique, bien que toujours différent. Pour Grégoire Leclercq, « s’il y a un point négatif dans ce phénomène, c’est bien son nom ! Il aurait fallu utiliser un nom plus neutre mais les médias et les commentateurs se sont emparés de celui-ci ».

Anne-Charlotte Dancourt