« Le CDI, c’est tellement pas fun ! »

 Julien Gault, 28 ans, est un touche-à-tout. Depuis la fin de ses études, il jongle avec les boulots. Pour lui, impossible de s’enfermer dans un CDI. Slasher est synonyme de liberté.

Il est intermittent du spectacle, youtubeur et avant tout, slasheur. Il alterne entre job alimentaire et « passion ». Le chemin de Julien Gault vers l’audiovisuel n’était pourtant pas tout tracé. En revanche, l’envie de ne pas « s’enfermer dans un CDI », elle, a toujours été présente. Un besoin constant de changer d’air pour « casser la routine du travail ». Etre « slasheur » est un terme que Julien Gault connaît depuis longtemps, c’est devenu son mantra.

« Tous les petits boulots que j’ai faits m’ont aidé à avancer »

Le jeune homme de 28 ans se fait même l’ambassadeur des pluriactifs. « Julien Gault – “Le slasheur“ », c’est ainsi qu’il se qualifie sur sa page Facebook. « On m’a souvent dit “on ne peut pas faire plusieurs choses à la fois“ », raille-t-il d’une voix douce. Il a l’impression que la société cherche à faire entrer ses jeunes travailleurs dans un moule. « On nous apprend à rester 40 ans dans une même boite. Ce n’est pas pour moi. Les choses ont évolué. Tous les petits boulots que j’ai faits m’ont aidé à avancer. Il faut voir le slashing comme une porte vers de nouveaux horizons », théorise-t-il.

« Avoir un CDI ne correspond pas à mes attentes »

Des métiers, Julien Gault en a enchaînés. A 21 ans, après un parcours scolaire qu’il qualifie de « lambda », le jeune homme aux yeux noisette ne sait pas quelle direction prendre. Il retourne dans son ancien lycée de Charente-Maritime pour être assistant d’éducation. Quelques mois plus tard, changement de ville et de métier. Il devient vendeur chez Apple. « C’était mon rêve. Je suis un gros geek, j’adore tout ce qui touche aux nouvelles technologies », confie-t-il, des étoiles plein les yeux. Il passe deux ans dans la boutique de Montpellier mais l’ennui le rattrape. « A l’Apple store, mes tâches étaient diverses mais répétitives, ça allait de la vente à l’animation d’ateliers d’apprentissage. Avoir un CDI et faire carrière dans une seule branche, ça ne correspond pas à mes attentes professionnelles ».

Alors le jeune homme file aux Etats-Unis, où il est garçon au pair pendant un an et demi. C’est à San Francisco qu’il a l’idée de lancer sa chaîne Youtube. « J’y fais de l’animation. A mon retour en France, j’ai eu envie d’essayer de travailler pour la télé », explique ce touche-à-tout. Depuis, il gère en même temps son métier de casteur et sa chaîne Youtube. Il a créé une émission : Crazy Interviews, « le but est de casser le modèle classique et ennuyant des interviews, et de les faire dans des lieux insolites comme une salle de sport, ou un manège », explique-t-il.

Et si une envie de stabilité lui prenait un jour, abandonnerait-il le slash ? « C’est compliqué d’acheter un appartement quand on est slasheur, par exemple. Mais … le CDI, c’est tellement pas fun ! » s’amuse-t-il.

 

Ambre Lepoivre

A lire aussi :

Portrait d’Isabel Béguin Correa, slasheuse

Slasheurs : ils cumulent les emplois par contrainte ou par passion

« Mon CDI m’empêchait de prendre le risque de faire ce que j’aime »

 

Isabel Beguin Correa, 33 ans, a toujours été slasheuse. Le seul moyen pour elle d’avoir assez d’argent pour payer son loyer à Paris et vivre correctement.

« Mon CV fait trois pages » résume Isabel Beguin Correa. A 33 ans, la jeune femme aux traits fins a déjà été vendeuse, agent d’accueil, journaliste, traductrice, surveillante au collège et éducatrice. Elle cumule les emplois depuis une dizaine d’années. Parfois jusqu’à trois d’un coup. « C’était dur au niveau de l’organisation. Mais je ne suis pas une grosse dormeuse, ça aide » explique-t-elle en riant.

Aujourd’hui, elle est éducatrice à temps plein dans une association pour les jeunes du 19ème arrondissement de Paris. C’est un contrat aidé, stable pour le moment. Mais Isabel Beguin Correa reste sur ses gardes. « Il faut être réaliste. Je sais que les employeurs se méfient encore quand ils voient des trous dans un CV ou un trop plein d’expériences différentes. Pour eux, c’est signe d’instabilité », regrette-t-elle.

Il y a deux ans, elle consacre six mois de sa vie à la réalisation d’un reportage… sur les slasheurs. « Moi-même slasheuse, on m’a demandé si ce n’était pas trop compliqué de connaître la précarité, se rappelle-t-elle en agitant les mains. J’ai répondu : ‘quelle précarité ?’ J’ai toujours connu ça, pour moi c’est normal. En fait, j’ai vu le décalage. La génération de mes parents trouve que cumuler des emplois, c’est inhumain. » Pas pour la brune aux yeux marron, qui travaille depuis l’âge de 14 ans.

DSC_0114

Son seul CDI : la vente

Fin 2010, Isabel Beguin Correa travaille dans une boîte de production sur le net puis redevient vendeuse. Au bout de neuf mois, elle arrête et se lance dans l’auto-entreprenariat. « Mon CDI m’empêchait de prendre le risque de faire ce que j’aime », c’est-à-dire l’enquête, l’écriture, la réalisation et la traduction. La slasheuse cherche, postule, trouve certaines missions, enquête pour l’émission Échappées Belles et pour une ONG. Elle se retrouve ensuite au chômage pendant deux ans. Mais pour elle, cette période ne rime pas avec inactivité. Entre ses voyage à l’étranger, la jeune femme écrit des nouvelles.

« Ma mère elle, aurait rêvé que je trouve un boulot stable »

Après une formation de droit puis un master de coopération internationale, Isabel Beguin Correa travaille pour Reporters sans frontières puis change de voie. Pour pouvoir payer son loyer à Paris, la franco-colombienne est vendeuse. « Le seul CDI que j’ai eu, raconte-t-elle. Ma mère s’est demandé pourquoi j’ai arrêté la vente. » Difficile pour ses parents de comprendre le parcours professionnel de leur fille, qui a quitté le nid familial à 21 ans. « Mon père est resté 25 ans dans la même boîte. Moi, ça ne m’aurait pas plu. Ma mère elle, aurait rêvé que je trouve un boulot stable » confie la slasheuse en se recoiffant.

La jeune éducatrice garde son projet d’écriture en tête. En attendant, elle dépose sa candidature un peu partout, toujours en prenant soin de réduire à une page son CV. “Un vrai casse-tête !”

 

Lou Portelli

A lire aussi :

« Le risque pour les NEET : basculer dans la pauvreté et l’exclusion » (3/4)

Thierry Berthet est directeur de recherche au CNRS sur des thèmes d’économie et sociologie du travail. Il a participé à de nombreux travaux sur les NEET, ainsi que le décrochage scolaire.

Thierry Berthet lors d'une conférence au Centre Emile Durkheim. Crédits Centre Emile Durkheim.
Thierry Berthet lors d’une conférence au Centre Emile Durkheim. Crédits Centre Emile Durkheim.

Pourquoi avoir créé la catégorie statistique des NEET ?

C’est plus qu’une catégorie statistique, c’est une catégorie d’action publique qui sert à structurer des programmes d’intervention gouvernementaux. Depuis à peu près vingt ans, les dépenses de l’Etat sont réorientées vers la mise en activité des jeunes, on parle alors d’activation. Vous avez probablement entendu tout le discours sur l’assistanat, consistant à dire que c’est scandaleux de payer des gens à ne rien faire, et qu’il faut amener les gens vers le travail, qui est le moyen d’être intégré socialement. C’est une transformation de la conception que l’on avait de l’Etat providence. On s’intéresse donc aux jeunes non pas par rapport à leur conditions de vie, de santé, de logement, mais par rapport à leur situation face au marché du travail.

Qui sont ces NEET ?

Ce sont des jeunes pour lesquels on considère qu’il y a un risque, qui les définit principalement : le risque de basculer dans la pauvreté et l’exclusion. Les NEET sont la population ciblée par un certain nombre de dispositifs, notamment la garantie jeune, qui est le premier transfert social versé directement au jeune et non pas à ses parents ou ses représentants. Cela passe par les missions locales, créées dans les années 1980 par Bertrand Schwartz et qui regroupent tous les services dont les jeunes ont besoin, pour pas qu’ils aient à cavaler d’un service à l’autre.

Quel avenir voyez-vous pour les NEET ?

Il faut distinguer les NEET qui sont diplômés et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui n’ont pas le bac ou un diplôme équivalent sont très mal placés sur le marché du travail car les emplois qui ne demandent pas de qualifications sont majoritairement occupés par les jeunes diplômés qui n’ont pas trouvé d’autre travail. La place des non-diplômés est donc extrêmement réduite. Le cœur du problème des NEET, ce sont les jeunes sans diplôme, c’est vers eux qu’il faut travailler. Le problème est que la garantie jeune n’est pas faite pour leur apporter un diplôme. Il faut, en plus de l’emploi, un parcours de qualification. Il existe des solutions comme les écoles de la deuxième chance, mais il faudrait développer cette offre, notamment dans les territoires ruraux, et savoir comment orienter au mieux les jeunes vers le dispositif qui leur convient le mieux.

Et comment développer cet accompagnement, notamment pour ceux qui ne ressentent pas le besoin d’utiliser ces dispositifs ?

Il faut penser des politiques très globales. Pour empêcher le basculement des jeunes dans l’économie informelle par exemple, il faut mettre en place un ensemble d’actions qui vont toucher à la politique de la ville, comme des travailleurs sociaux qui vont intervenir dans la rue ou une police de proximité. Il faut aussi un marché du travail ouvert au jeunes et qui ne fasse pas de la discrimination ethnique parce que c’est très clairement ce qui se passe aujourd’hui, et certains de ces jeunes se tournent ensuite vers la vente de substances illicites. Il n’y a pas de solution miracle mais il y a une solution sociétale. Il faut mobiliser, sensibiliser les gens comme ca peut se faire au Québec par exemple. Il faut que les différents niveaux de gouvernement, le niveau national, le niveau régional, municipal, travaillent ensemble pour lutter contre la pauvreté de ces jeunes et l’exclusion.

L’ensemble du dossier à retrouver ici :

Les NEET, une catégorie sociale qui inquiètent les pouvoirs publics (1/4)

À Bagneux, donner une seconde chance aux NEET (2/4)

Alexis, le sport et le deal (4/4)

Propos recueillis par Aline BOTTIN

Dans les coulisses des aéroports, les agents de sûreté désespèrent

La menace terroriste a rarement été aussi forte. Dans le prisme du 11 septembre et des attentats de Bruxelles, les aéroports concentrent inquiétudes et angoisses. En première ligne, les agents de sûreté travaillent dans des conditions parfois très difficiles. Ces petites mains qui fouillent nos bagages et nos poches sont donc d’autant plus inquiets qu’ils ne sont pas aussi vigilants qu’ils aimeraient l’être.

Continuer la lecture de « Dans les coulisses des aéroports, les agents de sûreté désespèrent »