La mise en place du confinement pour lutter contre le coronavirus oblige les Français à observer des mesures de distanciation sociale et à rester chez eux. Pour pallier le manque d’interaction, les jeux vidéo et leur fonctionnalité permettant de jouer en ligne à plusieurs et à distance rencontrent un large succès.
Les adeptes des jeux vidéo sont habitués à pouvoir jouer en ligne avec leurs amis sans quitter leur salon. Mais pour les personnes non-initiées, jouer en ligne est une nouvelle manière de communiquer avec d’autres, qu’ils soient des proches ou pas, pendant la période de confinement. Les jeunes, qui constituent la majorité des joueurs, sont ceux qui ont le plus recours à cette pratique.
S’ils ne remplacent pas les services de messagerie bien connus du grand public, les jeux vidéo permettent de s’amuser tout en discutant en simultané avec des personnes de son entourage. « Pour moi les jeux vidéo ne sont pas un substitut mais un complément. Je me connecte d’abord pour jouer et si j’ai envie de jouer avec d’autres personnes, ça vient dans un second temps », commente Soufiane, un joueur régulier. Hilan, joueur depuis l’adolescence, ajoute : « Les jeux vidéo ne sont pas un substitut au téléphone portable ou réseaux sociaux car ils n’en n’ont pas la vocation. La fonction première des jeux vidéo et des consoles est de divertir, la communication n’est qu’une fonction annexe. »
Les jeux vidéo offrent aux joueurs une nouvelle possibilité de converser mais cela ne les empêche pas de se parler en dehors de l’univers vidéoludique. « Je communique régulièrement avec mes amis lorsque je joue mais je n’utilise pas les jeux vidéo pour échanger avec eux comme un service de messagerie instantanée », détaille Imran, étudiant en Master.
Jouer et discuter en même temps
Les jeux vidéo restent dans l’esprit des joueurs un moyen de divertissement avant tout et l’opportunité d’échanger avec des amis est secondaire. Mais, lorsque l’occasion se présente elle permet d’une certaine façon de lier l’utile à l’agréable. L’avantage des jeux vidéo est de permettre aux joueurs de jouer et de discuter en direct et à plusieurs. « On parle à des gens en simultané et il n’y a pas de délai de réponse comme par message. Puis le fait de pouvoir jouer ensemble à un jeu, tout en se parlant via la même plateforme, je trouve ça très bien », note Soufiane.
La fonctionnalité permettant de jouer est ligne n’est pas une nouveauté mais avec le confinement elle prend de l’importance. Les joueurs ont davantage de temps libre à accorder aux jeux vidéo. Les établissements scolaires du primaire au secondaire sont fermés ainsi que les magasins. Les étudiants qui travaillent pour arrondir leurs fins de mois sont au chômage. L’essentiel des joueurs est désormais confiné et les parties de jeu deviennent plus régulières. « Bien sûr avec le confinement nous jouons beaucoup plus. Nous n’avons plus cours et on ne travaille plus donc nous disposons de beaucoup de temps à tuer. Si on peut s’occuper en faisant une activité avec des amis qu’on n’a pas vus depuis longtemps c’est encore mieux », explique Hilan.
Certains jeux permettent à des joueurs qui ne possèdent pas la même console de jouer ensemble grâce à une fonctionnalité baptisée cross play. C’est le cas dudernier Call of Duty, édité par Activision, et de son mode de jeu Warzone.
Les Français ne sont pas les seuls à trouver du réconfort dans les jeux vidéo. A travers le monde, on recense plusieurs centaines de millions de joueurs, répartis sur différents supports. Tous ces joueurs ont la possibilité d’entrer en contact instantanément les uns avec les autres. Avec le confinement, les jeux vidéo font figure de lien dans le tissu social. Ils octroient aux joueurs la faculté de rompre l’ennui et la solitude.
En France, ils sont près de 5 millions a avoir déjà regardé des retransmissions de parties de jeux-vidéos. Avec des revenus et des investissements qui ne cessent d’augmenter, les compétitions ont déserté les garages pour s’installer dans les stades. Pourtant, le milieu recherche encore stabilité et professionnalisme. Par Valentin Berg et Edouard Lebigre
Montreuil, en Seine Saint Denis. Dans un des bâtiments gris de la zone industrielle se cache une école un peu particulière : la Paris Gaming School (PGS) dont il serait difficile de deviner l’existence. Pourtant, en passant la porte du troisième étage, on devine rapidement un espace uniquement dédié à l’e-sport, la pratique du jeu vidéo de manière compétitive. Dans une salle sur la gauche, le générique de Super Smash Bros Ultimate retentit, le jeu de combat phare de Nintendo. Au centre du local, un grand octogone en bois a récemment été construit pour accueillir, fin avril, un tournoi de Apex Legends, dernier jeu à la mode. Un mois après sa sortie en février dernier, il réunissait pas moins de 50 millions de joueurs dans le monde.
Devant les écrans, casque sur les oreilles, des joueurs faisant partie de la promotion de 33 étudiants. Tous titulaires du Bac, ils ont du débourser près de 10 000 euros pour suivre 9 mois de formation à la PGS, avec le rêve, un jour, de travailler dans l’e- sport. « On a reçu 2500 pré-inscriptions cette année. Le secteur est évidemment très attractif ces derniers temps mais beaucoup connaissent mal la réalité de l’e-sport. Ils ne regardent que les grandes sommes d’argent gagnées par les stars des compétitions », raconte Michael Annequin. Lui a fait partie de la première promotion de l’école avant de rejoindre l’équipe permanente de la PGS. « Il n’y a pas que des joueurs dans notre formation. L’avènement de l’e-sport a créé beaucoup de métiers. On compte aujourd’hui des coachs e-sport, des managers, des monteurs de contenu vidéo…».
En continuant la visite de la PGS avec Michaël, on découvre plusieurs salles dédiées à différents jeux. Ici, on répète ses gammes : communication avec les coéquipiers, agilité avec le clavier et la souris, connaissance de la carte du jeu… Si les joueurs disposent du matériel idéal, les fils qui traînent et les consoles en cours d’installation témoignent du chemin encore à parcourir pour faire de la PGS l’école du futur.
L’e-sport, un secteur encore jeune
Avec pas moins de 200 jeux pratiqués de manière compétitive et des LAN (compétitions sur réseau local) organisées chaque semaine en France, le secteur de l’e-sport est en pleine expansion. Si l’arrivée de la compétition a rapidement suivi le développement des premiers jeux dans les années 70, c’est l’avènement d’Internet et des connexions personnelles qui a démocratisé la pratique. Dès la création des premières ligues professionnelles en 1997, le phénomène s’est rapidement amplifié.
La pratique compétitive du jeu vidéo reste néanmoins une pratique de niche entre 1997 et 2008, réservée principalement aux initiés. « Le tournant majeur, celui qui a tout changé, c’est l’apparition des plateformes de diffusion et de streaming comme Twitch et Youtube vers 2010. Tout à coup, n’importe qui pouvait avoir accès à du contenu e-sportif chez lui. Avant, c’était presque impossible », explique Nicolas Besombes, docteur en e-sport et vice-président de l’association France Esports.
Depuis, l’e-sport n’a cessé de se développer jusqu’à devenir un phénomène mondial pesant lourd sur le plan économique avec un chiffre annoncé de 300 millions de spectateurs en 2020. « On observe aujourd’hui des investissements massifs de la part d’acteurs extérieurs, comme des marques automobiles, de fast-food, de boissons, de cosmétiques… Cela a permis d’apporter des budgets plus conséquents à l’industrie, d’organiser des shows plus spectaculaires et d’améliorer sa visibilité ». En France, la Société Générale est devenue en 2018 le partenaire majeur de GamersOrigin, une des trois équipes majeures de l’e-sport en France.
La professionnalisation grandissante de l’e-sport au cours des dernières années a motivé de plus en plus de jeunes à s’y consacrer à plein temps. Que ce soit en tant que joueur professionnel ou dans les métiers autour, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir tenter leur chance dans le milieu. D’où, un nombre croissant de formations qui apparaissent en France pour préparer l’entrée dans ce secteur. À Paris, l’Isefac Bachelor a été l’une des premières écoles à lancer une formation entièrement consacrée à l’e-sport et au gaming.
« C’est un secteur très concurrentiel, les étudiants doivent en avoir conscience. Ils sont nombreux à vouloir y travailler car c’est un milieu qui fait rêver, que ce soit ceux qui passent par des formations ou les autodidactes. Mais dans l’e-sport, l’expérience compte beaucoup plus que la formation : on ne te laissera pas ta chance si tu arrives seulement avec un diplôme », explique Samuel Benitah, directeur de la branche eSport chez Prism Paris et intervenant dans le Bachelor sur la partie Management, recrutement et coaching eSport. « On forme les étudiants au management et au marketing axé sur l’e-sport, à des métiers comme chef de projet, community manager, chef des partenariats… Et quand il s’agit de devenir joueur professionnel, il y a très peu de formations. La plus prestigieuse, l’Asus ROG School, située dans la région parisienne, vient elle-même chercher les joueurs, à la manière d’un centre de formation ».
Cette popularité au cours de la dernière décennie a permis au milieu de s’ouvrir considérablement au grand public. « Aujourd’hui, grâce à des jeux comme League of Legends ou Fortnite, on assiste à l’émergence de véritables spectacles de masse. La pratique en elle-même s’est mondialisée, et touche de plus en plus de personnes extérieures au phénomène. En cela, le milieu est plus ouvert qu’avant, explique Nicolas Besombes. Mais paradoxalement, on a aussi observé une augmentation des compétences attendues chez les personnes qui intègrent cet écosystème. Cela veut dire qu’aujourd’hui, espérer travailler dans l’e-sport par pure passion n’est plus une raison suffisante. Il y a plus d’exigence, on attend d’eux des compétences spécifiques acquises en amont ».
Parmi elles, on retrouve des capacités physiques similaires au sport traditionnel : coordination et dextérité des mains comme au basket ou au handball, capacité à réaliser des tâches manuelles fines comme au tir à l’arc ou à l’escrime… S’ajoute à cela des compétences cognitives comme l’anticipation, le traitement des informations, l’orientation et la visualisation spatiales, ainsi que des compétences sociales à l’image du travail d’équipe, de la collaboration ou encore du leadership, sans oublier le contrôle des émotions. « L’ensemble des dimensions physique, psychologique et sociale sont mobilisées dans l’e-sport », résume-t-il. Mais l’exigence n’est pas la seule chose ayant augmenté autour des joueurs.
Une discipline stricte pour les joueurs
La taille des équipes s’est aussi élargie, afin d’encadrer leur santé et d’optimiser leurs performances. Préparateurs physiques et mentaux, ostéopathes, kinésithérapeutes et analystes sont autant de personnes sollicitées pour amener les joueurs au sommet de leurs capacités. Achille, 20 ans, n’a pas cédé aux dernières modes et a continué à se consacrer à Counter Strike, premier grand jeu de compétition en ligne dans les années 2000. « Pour se démarquer, il faut surtout en vouloir. Il y a beaucoup de bons joueurs dans le milieu, donc je joue 2h par jour en moyenne pour garder un bon niveau. Le reste de ma préparation quotidienne passe dans le visionnage de parties d’autres joueurs, pour les analyser ». Pour jouer dans de bonnes conditions, Achille possède une installation lui assurant un grand confort de jeu et un nombre suffisant d’images par seconde sur son écran. Prix : 2000 euros. Il a décidé de faire confiance à la Paris Gaming School pour se former.
« La plus grande difficulté pour un joueur qui souhaite devenir professionnel et en vivre, c’est qu’il n’y a pas réellement de parcours-type. Dans le sport traditionnel, le joueur peut s’appuyer sur un club de quartier, puis sur un club régional, les centres de formation et les pôles France… Ces structures n’existent pas à l’heure actuelle dans l’e-sport », souligne Nicolas Besombes. Autre difficulté majeure : se démarquer parmi les millions de joueurs qui peuvent potentiellement prétendre au statut professionnel.
Comme dans le milieu du football, des observateurs ou scouts scrutent les classements pour repérer les étoiles montantes de chaque jeu. « Pour être recruté à ce niveau-là, il y a notamment les ladder in-gamce, les classements compétitifs propres à chaque jeu sur lesquels les joueurs s’entraînent chaque jour. Sur League of Legends par exemple, les premiers joueurs du classement sont généralement contactés à chaque intersaison pour faire des tests et être ensuite potentiellement recrutés dans une équipe, explique Samuel Benitah. Le streaming (diffusion sur Internet) amène aussi beaucoup de visibilité sur la personnalité du joueur et sur son niveau de jeu. L’avènement de la fibre et de la connexion haut débit a permis de faire émerger de nouveaux joueurs ». Pour ceux qui parviennent à en vivre, soit moins de 200 joueurs sous contrat aujourd’hui en France, les salaires varient également beaucoup en fonction des jeux, allant d’un SMIC pour un joueur FIFA jusqu’à 30000 euros par mois pour un professionnel de Counter Strike ou League of Legends.
Secteur en plein essor, l’e-sport, représentait en 2018 un marché de plus de 2 millions de pratiquants dans l’hexagone, pour environ 5 millions de spectateurs. Au niveau mondial, on comptait près de 17 400 joueurs professionnels actifs en 2017, contre 8000 en 2014.
Le baromètre France Esports estime que l’e-sport représente 1.2 % des revenus générés au total par l’industrie du jeu vidéo. Un pourcentage suffisant pour affoler les compteurs depuis bientôt une dizaine d’année, avec des investissements croissants et des gains de plus en plus importants lors des compétitions internationales.
« Vers 3,5 milliards d’euros de revenus en 2022 »
Le dynamisme du secteur s’explique par des investissements massifs de la part de marques extérieures. L’année 2017 a marqué un nouveau record avec 1,8 milliards de dollars investis dans le milieu. Les dotations distribuées aux compétiteurs s’élevaient quant à elles à 113 millions de dollars au total, soit plus de 10 fois la somme distribuée en 2011. Les prévisions estiment que d’ici 2022, les revenus du secteur pourraient dépasser les 3,5 milliards d’euros.
Pour assurer la croissance de ces revenus, les éditeurs conçoivent leurs jeux pour qu’ils puissent être pratiqués sur la scène e-sport et évoluer régulièrement afin de rallonger leur cycle de vie de plusieurs années. Overwatch, jeu développé par Activision Blizzard, compte ainsi 12 franchises créées sur le modèle du sport américain. Chaque franchise a coûté près de 20 millions de dollars à ses propriétaires. De son côté, Epic Games, le développeur de Fortnite, a annoncé vouloir injecter environ 100 millions de dollars dans les récompenses destinées aux joueurs. « Les investissements ne sont pas les mêmes sur chaque jeu et en fonction des marques. Certaines souhaitent vraiment développer leur activité dans l’e-sport. Sur FIFA par exemple, l’éditeur met peu de moyens pour cela. La décision finale repose uniquement sur l’éditeur du jeu », résume Samuel Benitah, directeur de la branche e-sport chez Prism Paris, une agence de marketing.
Créée en 2013, l’équipe d’e-sport française Vitality est devenue le numéro 1 sur le territoire au cours des dernières années. Elle abrite deux des grands noms du gaming en France, Fabien “Neo” Devide, coach, et Corentin “Gotaga” Houssein streamer et français le plus titré sur console.
Au départ spécialisée dans la licence Call of Duty où ils ont remporté le championnat de France en 2013, ses joueurs ont su évoluer vers les terrains numériques de FIFA ou l’arène de Fortnite. Plusieurs tournois et championnats ont été remportés avec un groupe de joueurs différents pour chaque jeu différent.
Un nom qui vaut plusieurs millions d’euros
La réussite de l’équipe française a vite attiré les sponsors. En février 2018, Vitality annonce une levée de fonds de 2,5 millions d’euros, puis, en novembre, un financement de 20 millions d’euros par le milliardaire indien Tej Kohli. Il s’agit alors du plus gros investissement e-sportif en Europe. Enfin, l’entreprise française Renault annonce vouloir sponsoriser l’équipe pour Rocket League, un jeu de football où les voitures remplacent les joueurs. Le budget de Vitality est aujourd’hui évalué à 5 millions d’euros par an, soit le niveau d’un club de milieu de tableau de ligue 2 française.
Après avoir recruté des joueurs étrangers pour renforcer ses rangs, Vitality a récemment annoncé l’ouverture d’un centre d’entraînement dans le 3ème arrondissement parisien ainsi que des boutiques spécialisées. Du digital au physique…