« Justice pour le vivant » : l’État français devant le tribunal pour l’effondrement de la biodiversité

Cinq associations accusent l’État français de permettre l’effondrement de la biodiversité. Lancée en 2021, la procédure « Justice pour le vivant » pointe une défaillance dans l’encadrement des pesticides. Cinq questions pour comprendre l’audience qui débute ce jeudi 1er juin.

Selon des études citées par les ONG, les populations d’insectes volants ont diminué de 75% ces 30 dernières années en Europe. © Titouan Allain / Celsa

  • Qui poursuit l’État ?

Le recours est porté par cinq ONG de défense de l’environnement : Pollinis, Notre Affaire à tous, l’Association nationale de protection des eaux et rivières, Biodiversité sous nos pieds, et l’Association pour la protection des animaux sauvages.

  • Qu’est-il reproché à l’État ?

Les cinq ONG remettent en cause une utilisation «immodérée» de pesticides dans l’agriculture. Elles soulignent une défaillance de l’État «dans la mise en place de procédures d’évaluation des risques et d’autorisations de mise sur le marché des pesticides». Elles attaquent également le manque de suivi des effets des produits autorisés, le manquement de l’État à ses obligations en matière de protection des eaux, et le non-respect des objectifs de réduction des pesticides dans les plans Ecophyto. Mis en œuvre après le Grenelle de l’environnement de 2007 qui avait fixé un objectif de réduction de 50% de l’usage des pesticides de synthèse en 10 ans, les plans Ecophytos 1 et 2 ont successivement été des échecs.

Pour appuyer leur recours, les ONG citent des études montrant la diminution de 75% des populations d’insectes volants ces 30 dernières années en Europe et la chute de 30% en France des populations d’oiseaux des champs. «Les pesticides sont aujourd’hui autorisés à l’issue d’un processus d’évaluation lacunaire, qui ne permet ni d’identifier, ni d’interdire les produits responsables du déclin des insectes, des oiseaux et de toute la biodiversité ordinaire», accusent les associations.

  • Que demandent les requérants au tribunal administratif ?

Les ONG portent trois requêtes devant le tribunal administratif. Tout d’abord, elles souhaitent faire reconnaître la responsabilité de l’État français et sa carence dans la protection de la biodiversité. Elles demandent ensuite que ce dernier mette tout en œuvre pour réparer le préjudice causé par son inaction. Enfin, les associations demandent la révision du processus de mise sur le marché des «pesticides responsables de la destruction de la biodiversité».

  • Que répond l’État pour se défendre ?

Dans son mémoire en défense, l’État, représenté par le ministère de l’Agriculture, affirme ne pas avoir suffisamment de marge de manœuvre au regard du droit européen. La procédure d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques est entièrement harmonisée par le droit de l’UE qui «prend en compte la défense de l’environnement», met en avant le document, consulté par l’AFP.

S’agissant du non-respect des plans Ecophyto, l’État affirme que les objectifs fixés par ces derniers ont «une valeur programmatique et ne sauraient avoir une portée contraignante» estimant ainsi ne pas pouvoir être tenu juridiquement responsable.

Phyteis, syndicat professionnel qui regroupe les géants des pesticides comme BASF, Bayer ou Syngenta, s’est aussi mêlé à la bataille en déposant il y a quelques semaines un mémoire en soutien de l’État auprès du tribunal administratif. Dans un communiqué, le lobby souligne que la réglementation européenne est «l’une des plus strictes au monde». Il avance un «caractère multifactoriel» dans l’effondrement de la biodiversité et pose «les bénéfices et l’efficacité de l’usage raisonné des produits phytopharmaceutiques en termes d’approvisionnement des filières agricoles, de souveraineté et de sécurité alimentaire». Le syndicat met enfin en doute la compétence du tribunal administratif.

  • Est-ce la première fois que l’État se retrouve devant la justice pour des questions environnementales ?

Non. En octobre 2021, l’État français a déjà été condamné par le tribunal administratif de Paris à réparer les conséquences de son inaction climatique. Dans une autre affaire en 2022, le Conseil d’État a condamné l’État pour ne pas avoir agi assez rapidement contre la pollution de l’air.

Elisabeth Crépin-Leblond (avec AFP)

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