Tunisie : la tentative d’une « dérive autoritaire » de la présidence

Près de deux mois après s’être arrogé les pleins pouvoirs en instaurant un régime d’exception, le président tunisien Kaïs Saïed a pris, mercredi, des dispositions exceptionnelles qui écartent le gouvernement et le Parlement et renforcent la présidence.

Les Tunisiens attendaient depuis mi-juillet la feuille de route de leur président. Une partie leur a été donné mercredi soir. Le président Kaïs Saïed a promulgué des dispositions renforçant ses pouvoirs avec lesquelles il s’attribue le droit de légiférer par décrets. Aucun changement pour le parlement tunisien, gelé depuis huit semaines mais désormais les députés perdent aussi leur immunité et leur salaire.

Ces dispositions ont fait l’objet d’un décret publié dans le Journal officiel. Leur durée n’a pas été précisée. On peut lire dans l’un des des articles : « Les textes à caractère législatif seront promulgués sous forme de décrets signé par le président de la République ». Aude Annabelle Canesse, experte des politiques de développement en Tunisie, a expliqué au CelsaLab que ces dernières mesures montrent « une centralisation du pouvoir. Cela ne correspond plus à une reprise en main politique du pays ».

Une série de mesures d’exceptions

Le 25 juillet dernier, le président avait limogé le gouvernement et suspendu le Parlement. Il avait prolongé ces mesures le 24 août « jusqu’à nouvel ordre ». Dans un premier temps, ces annonces avaient été bien accueillies par les Tunisiens. Selon Aude Annabelle Canesse : « Les mesures du 25 juillet s’inscrivaient dans un bras de fer qui dure depuis un an avec le parti Islamiste. Il y avait une exaspération des Tunisiens. Le parti est accusé d’avoir mis le pays à terre, d’avoir détruit l’économie. Ces mesures répondaient à une réelle attente, surtout après la crise du covid qui a été extrêmement mal gérée ».

Mais la publication de ce dernier décret a provoqué la colère de l’opposition. Le parti islamiste modéré Ennahda, première formation politique du Parlement, acteur clé des gouvernements tunisiens successifs, s’oppose depuis juillet aux trajectoires prises par le chef de l’Etat. D’un autre côté, même de plus petits partis politiques, qui avaient exprimé leur soutien aux décisions de Kaïs Saïed du 25 juillet, ont aussi dénoncé les mesures annoncées mercredi soir. De son côté, le secrétaire générale de l’UGTT, l’Union générale tunisienne du travail, a réitéré son appel à la formation d’un nouveau gouvernement. Ce syndicat, qui compte plus d’un million de membres, est l’une des forces politiques les plus puissantes du pays.

« Une dérive autoritaire »

Depuis juillet, Kaïs Saïed tente de reprendre les rennes du pays mais Aude Annabelle Canesse l’assure  » les dernières mesures ont laissé les gens sous le choc, il y a le risque d’une dérive autoritaire ». Le décret publié mercredi soir a suscité beaucoup de réactions, notamment au sein de la société civile. Aude Annabelle Canesse précise toutefois que « La Tunisie est un pays bien organisé, avec beaucoup de ressources, et qui peut facilement s’opposer à ce qui se passe ». Selon elle « ce qui va être intéressant désormais c’est de voir comment vont s’organiser les contre-pouvoirs et la centrale syndicale ».

La Constitution tunisienne en danger 

Ce décret fait office de véritable Constitution. Le président tunisien avait d’ailleurs évoqué le 12 septembre dernier une réforme de la Constitution de 2014. Il avait déclaré à ce sujet : «le peuple tunisien a rejeté la Constitution» et «les Constitutions ne sont pas éternelles». Théoricien du droit et enseignant, Kaïs Saïed se présente depuis son élection surprise fin 2019 comme l’interprète ultime de ces textes juridiques. C’est eux qui font de la Tunisie un régime semi-présidentiel, régime qui place  l’essentiel du pouvoir exécutif dans les mains du gouvernement et non de la présidence. Mais avec ces dernières mesures, Kaïs Saïed concentre le pouvoir entre ses mains et semble inverser la tendance.

 

Julia Courtois

 

 

 

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