De la Guerre des Sables à la fermeture des frontières aériennes : 60 ans de conflit entre Maroc et Algérie

Depuis mercredi 22 septembre, plus aucun avion marocain n’est autorisé à voler dans l’espace aérien algérien. Afin de comprendre les enjeux d’une telle décision, revenons sur l’évolution du conflit entre Maroc-Algérie, en cinq dates clés.

 

 

Mercredi 22 septembre, l’Algérie porte un coup supplémentaire à la diplomatie du Maghreb. En joute, son rival frontalier depuis 60 ans, le Maroc, désormais privé de faire voler de son accès à l’espace aérien algérien. Cette lourde décision fait suite à une série d’incidents diplomatiques, particulièrement rapprochés depuis la mi-juillet : découverte de l’utilisation par le Maroc d’un logiciel israélien pour espionner les dirigeants algériens, soutien officiel du Maroc aux mouvements indépendantistes kabyles, lui-même en réponse au soutien que l’Algérie apporte aux indépendantistes sahraouis, privant le Maroc d’un territoire convoité. Par des jeux de ricochet, les deux plus grandes puissances du Maghreb se disputent le pouvoir. Afin de comprendre les enjeux de ces tensions, retraçons en cinq dates clés 60 ans de conflit entre Maroc et Algérie.

 

  • 1963, la Guerre des Sables : « On passe de l’alliance à la guerre« 

1962, l’Algérie gagne son indépendance. Parmi les modalités négociées avec la France, les colonisateurs cèdent aux colonisés un territoire de 2 millions de km² dans le Sahara. Territoire historiquement lié au Maroc, et ainsi convoité par ce dernier, qui réclame également sa part de désert.

En 1963, un conflit armé éclate, appelé la Guerre des Sables. 850 morts sont à déplorer dans les rangs algériens – selon leurs estimations – bien que leurs frontières demeurent inchangées in fine. Mais pour l’historien Pierre Vermeren, il s’agit là du « crime originel, d’où tout découle ensuite« . L’Algérie « se vengera » dès 1975 de ce qui est vécu comme une « trahison« , une « humiliation » énonce Pierre Vermeren.

Les bases du conflit Maroc-Algérie sont posées : conquête du Sahara, rivalités territoriales et « volonté hégémonique« , ajoute l’historien.

  • 1976, première rupture diplomatique entre Maroc et Algérie

En 1975, un territoire clef fait son apparition sur l’échiquier diplomatique : le Sahara Occidental. Jusqu’alors colonisée par les Espagnols, cette vaste terre désertique se retrouve aux mains du Maroc – qui contrôlait déjà 80% de la zone. L’occasion pour Alger de rendre enfin la pareille, après la tentative marocaine de conquérir leur part du désert en 1963.

Et c’est par un jeu de soutien indirect qu’elle y parvient. L’acteur clef ? Le Front Polisario, parti revendiquant l’indépendance du Sahara Occidental, et, par définition, opposé à l’occupation marocaine.

L’Algérie soutient donc le Front Polisario, encourage la proclamation en 1976 de la République arabe Sahraouie démocratique, soutient sa crédibilité auprès des instances internationales.
Non contente de faire face à un adversaire supplémentaire dans sa bataille pour le Sahara Occidental, Rabat accuse l’Algérie d’être « partie prenante réelle du conflit » et ne tarde pas à riposter : en 1976, c’est la première rupture diplomatique entre Maroc et Algérie.

  • 1994, fermeture définitive des frontières

Après une accalmie dans les années 1980, les années 1990 sont marquées par une des ruptures majeures du conflit Maroc-Algérie : la fermeture de leurs frontières communes, toujours en cours aujourd’hui.

En effet, l’Algérie s’est mise à représenter un danger pour le Maroc : révolution et montée en puissance des islamistes en 1988, puis début de la guerre civile en 1992. « Les Marocains ont eu peur d’être contaminés« , explique Pierre Vermeren. Ils utiliseront donc l’attentat de l’Hôtel Asni à Marrakech, perpétré par deux algériens, comme « prétexte » pour durcir l’entrée des algériens au Maroc : un visa est désormais nécessaire.

Une mesure perçue comme une « trahison » par les Algériens selon l’historien : « au lieu de se sentir aidés par leur voisin ils se sont sentis enfermés« .
La réponse algérienne est radicale et, jusqu’alors, toujours de mise : les frontières terrestres avec le Maroc sont fermées.

  • 2017, le Maroc réintègre l’Union Africaine

A partir des années 1990, l’Algérie perd en portée diplomatique à mesure que le Maroc en gagne. D’un côté, une puissance affaiblie par une guerre civile en 1992, et dont la figure diplomatique forte, le président Abdelaziz Bouteflika, se retire de la vie politique après un accident cardiaque en 1993; de l’autre, un pays en position d’outsider mais qui travaille en profondeur ses relations internationales… et en récolte les fruits ! Après 30 ans d’absence, le Maroc réintègre l’Union Africaine en 2017.

« Le Maroc a occupé cette place vide laissée par l’Algérie en marquant des points auprès de l’Union Africaine, des Occidentaux, et récemment auprès d’Israël« , analyse Pierre Vermeren. En effet, en décembre 2020, le Maroc accepte de normaliser ses relations avec Jérusalem.

La monnaie d’échange ? Le Sahara Occidental, une fois de plus. Les États-Unis ont donc ensuite reconnu la souveraineté du Maroc sur le territoire désertique, court-circuitant ainsi le Front Polisario, et l’Algérie qui le soutient.

  • 2021, l’Algérie ferme son espace aérien au Maroc

Depuis la mi-juillet, les incidents diplomatiques du Maroc à l’encontre de l’Algérie se sont faits plus nombreux et plus rapprochés.
D’abord, l’ambassadeur du Maroc à l’ONU, Omar Hilale, a clairement exprimé la volonté de son pays d’être aux kabyles ce que l’Algérie est au sahraouis lorsqu’il écrit « le vaillant peuple kabyle mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination ».

De plus, une enquête publiée par un consortium de médias, dont Le Monde, accuse le Maroc d’avoir utilisé un logiciel d’espionnage israélien à l’encontre de l’Algérie.

Alors, dans un élan que Pierre Vermeren qualifie de « politique du pire » et « d’aveu de faiblesse« , l’Algérie a finalement fermé son espace aérien au Maroc, après avoir rappelé son ambassadeur et officiellement rompu ses relations diplomatiques avec Rabat un mois plus tôt.

La prochaine étape ? « Ils ne leur reste qu’à asphyxier économiquement le Maroc » énonce Pierre Vermeren. En effet, l’Algérie aurait la possibilité de bloquer l’oléoduc produisant 25% de l’électricité au Maroc. Une hypothèse néanmoins peu probable selon l’historien.

 

Eléana Bonnasse

 

Tunisie : la tentative d’une « dérive autoritaire » de la présidence

Près de deux mois après s’être arrogé les pleins pouvoirs en instaurant un régime d’exception, le président tunisien Kaïs Saïed a pris, mercredi, des dispositions exceptionnelles qui écartent le gouvernement et le Parlement et renforcent la présidence.

Les Tunisiens attendaient depuis mi-juillet la feuille de route de leur président. Une partie leur a été donné mercredi soir. Le président Kaïs Saïed a promulgué des dispositions renforçant ses pouvoirs avec lesquelles il s’attribue le droit de légiférer par décrets. Aucun changement pour le parlement tunisien, gelé depuis huit semaines mais désormais les députés perdent aussi leur immunité et leur salaire.

Ces dispositions ont fait l’objet d’un décret publié dans le Journal officiel. Leur durée n’a pas été précisée. On peut lire dans l’un des des articles : « Les textes à caractère législatif seront promulgués sous forme de décrets signé par le président de la République ». Aude Annabelle Canesse, experte des politiques de développement en Tunisie, a expliqué au CelsaLab que ces dernières mesures montrent « une centralisation du pouvoir. Cela ne correspond plus à une reprise en main politique du pays ».

Une série de mesures d’exceptions

Le 25 juillet dernier, le président avait limogé le gouvernement et suspendu le Parlement. Il avait prolongé ces mesures le 24 août « jusqu’à nouvel ordre ». Dans un premier temps, ces annonces avaient été bien accueillies par les Tunisiens. Selon Aude Annabelle Canesse : « Les mesures du 25 juillet s’inscrivaient dans un bras de fer qui dure depuis un an avec le parti Islamiste. Il y avait une exaspération des Tunisiens. Le parti est accusé d’avoir mis le pays à terre, d’avoir détruit l’économie. Ces mesures répondaient à une réelle attente, surtout après la crise du covid qui a été extrêmement mal gérée ».

Mais la publication de ce dernier décret a provoqué la colère de l’opposition. Le parti islamiste modéré Ennahda, première formation politique du Parlement, acteur clé des gouvernements tunisiens successifs, s’oppose depuis juillet aux trajectoires prises par le chef de l’Etat. D’un autre côté, même de plus petits partis politiques, qui avaient exprimé leur soutien aux décisions de Kaïs Saïed du 25 juillet, ont aussi dénoncé les mesures annoncées mercredi soir. De son côté, le secrétaire générale de l’UGTT, l’Union générale tunisienne du travail, a réitéré son appel à la formation d’un nouveau gouvernement. Ce syndicat, qui compte plus d’un million de membres, est l’une des forces politiques les plus puissantes du pays.

« Une dérive autoritaire »

Depuis juillet, Kaïs Saïed tente de reprendre les rennes du pays mais Aude Annabelle Canesse l’assure  » les dernières mesures ont laissé les gens sous le choc, il y a le risque d’une dérive autoritaire ». Le décret publié mercredi soir a suscité beaucoup de réactions, notamment au sein de la société civile. Aude Annabelle Canesse précise toutefois que « La Tunisie est un pays bien organisé, avec beaucoup de ressources, et qui peut facilement s’opposer à ce qui se passe ». Selon elle « ce qui va être intéressant désormais c’est de voir comment vont s’organiser les contre-pouvoirs et la centrale syndicale ».

La Constitution tunisienne en danger 

Ce décret fait office de véritable Constitution. Le président tunisien avait d’ailleurs évoqué le 12 septembre dernier une réforme de la Constitution de 2014. Il avait déclaré à ce sujet : «le peuple tunisien a rejeté la Constitution» et «les Constitutions ne sont pas éternelles». Théoricien du droit et enseignant, Kaïs Saïed se présente depuis son élection surprise fin 2019 comme l’interprète ultime de ces textes juridiques. C’est eux qui font de la Tunisie un régime semi-présidentiel, régime qui place  l’essentiel du pouvoir exécutif dans les mains du gouvernement et non de la présidence. Mais avec ces dernières mesures, Kaïs Saïed concentre le pouvoir entre ses mains et semble inverser la tendance.

 

Julia Courtois