Ces bénévoles qui aident les migrants

Alors que la France tente de décourager l’arrivée de migrants, des Français choisissent au contraire de les aider et s’engagent en leur faveur, quitte à se mettre dans l’illégalité. Qui sont ces bénévoles ? Leurs motivations sont diverses. Mais une cause les rassemble : pallier l’absence de politiques d’accueil. Portraits croisés de cinq volontaires qui ont choisi de s’engager et entendent bien changer la donne.

Rien ne les destinait à travailler ensemble. Un jour, leur vie a croisé celle de migrants et ils ont choisi de s’engager. Depuis, ils consacrent une bonne partie de leurs journées, parfois même de leurs nuits à aider les migrants. Ils font de l’aide juridique, donnent des cours de Français, hébergent des migrants. À cause de cela, certains peuvent être poursuivis pour aide à l’émigration illégale. Mais cela ne les arrête pas.

Car ils croient à la nécessité d’aider les migrants et condamnent la politique du gouvernement français qui tente plutôt de décourager leur venue. Depuis plusieurs mois, des collectifs, des comités de soutiens et des associations ont vu le jour, indignés par les conditions de vie dans les camps d’exilés. Si leurs profils sont variés, tous partagent la même conviction : la solidarité avant tout. Alors que la plupart des Français ferment les yeux sur les situations des migrants, eux préfèrent les garder grand ouverts. Et pour longtemps encore.

Laura Beraud, 25 ans


« Pendant un an et demi, j’avais plus de vie sociale » commente Laura Beraud, lorsqu’elle songe à son engagement auprès des exilés. La jeune femme, en formation pour être éducatrice spécialisée, raconte ensuite ses premières expériences de terrain, sur les camps de Stalingrad et de la Chapelle. « Je discutais bien avec certains. Ils ont commencé à me demander de l’aide pour des papiers administratifs. Et je le faisais, sans rien y connaître du tout » détaille-t-elle. Elle raconte aussi les « veillées » passées dans une voiture, afin de filmer les interventions nocturnes des forces de l’ordre. Avec d’autres, qui viennent apporter nourriture et vêtements aux exilés, ils fondent le Collectif Parisien de Soutien aux Exilés.

Dedans, Laura s’investit au pôle santé, sans aucune formation médicale. Elle sillonne les campements et signale les maladies, comme la tuberculose. La jeune femme fait également de l’accompagnement à l’hôpital. « C’est très long six mois, seul, avec un personnel qui ne parle pas leur langue » explique-t-elle. Au fil des nouveaux camps sitôt évacués, les mêmes problématiques perdurent. « Il y a toujours des gens qui se retrouvent à la rue, ou hébergés dans des lieux miteux et isolés. Les exilés préfèrent revenir vers Paris, proches des instances juridiques et de leurs réseaux » confie-t-elle. Puis, les camps se font moins nombreux et le Collectif décide de constituer l’association Paris d’Exil. « On a décidé de faire des combats plus politiques et d’agir, pour que là-haut, ils percutent » espère-t-elle. Le but : continuer à faire de l’humanitaire, mais surtout, communiquer sur la situation des exilés.

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Laura ne veut pas s’arrêter. Elle s’investit ensuite dans le pôle social et dénonce l’absence de politique globale d’accueil des exilés. « Je fais des permanences sociales chez moi. Ce n’est pas à nous de le faire » reconnaît-elle. En cause, le manque d’informations sur les procédures et de formation des partenaires, qui font de la demande d’asile, « un parcours du combattant » commente-t-elle. Laura, qui a tout appris sur le terrain, s’emporte contre l’hypocrisie de l’État. « Une prise en charge hôtelière lui coûte entre 40 à 60 euros, c’est énorme quand tu vois l’état des chambres et l’impossibilité de cuisiner » explique-t-elle, quand « la prise en charge en Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA), avec chambre individuelle, cuisine, suivi personnel et cours de français, lui coûte environ 30 euros. » Une absurdité pour Laura, qui constate les bienfaits d’un CADA, en stage à celui d’Étampes (Essonne). Le pire pour cette bénévole, c’est l’hypocrisie entretenue par certaines associations, comme Emmaüs ou France Terre d’Asile, qui « ferment les yeux sur la situation des exilés. »

Blaise Paquier, 25 ans

Quand il s’agit d’aider les migrants, Blaise Paquier aussi est à plein temps. « C’est de la fatigue physique et émotionnelle. Dans la tête j’y suis toujours un peu », raconte ce jeune de 25 ans, qui alterne entre son service civique au Secours Catholique et son implication au BAAM (Bureau d’Accueil et d’Aide aux Migrants). Blaise entraîne une équipe de foot de migrants et organise des séances de sensibilisation à la question migratoire, dans le cadre de son service civique. Chaque lundi, il assure les permanences sociales du BAAM. Blaise reçoit les exilés, les écoute, « des sacrées histoires », lâche-t-il. En parallèle, Blaise termine sa formation pour devenir assistant social. Dans tout ce qu’il entreprend, il y a cette dimension humaine, cet intérêt pour les autres.

Pour comprendre sa motivation, il faut remonter deux ans en arrière. En Juin 2015, Blaise habite Paris. Il découvre sur internet les images de l’expulsion d’un campement de migrants près du métro La Chapelle. « C’était particulièrement violent. J’ai vu passer un appel à manifestation sur Facebook et j’y suis allé. » Blaise rencontre sur le terrain d’autres personnes mobilisées. « Je ne suis plus jamais partis », se souvient-il. « Un comité de quelques Parisiens s’est formé en soutien aux migrants évacués. Au fil du temps, plusieurs groupes ont été créés avec des divergences de vues, mais tous se retrouvent dans un même message. Il y a une cause commune. » Le BAAM voit le jour autour d’une dizaine de membres. Des cours de français sont dispensés tous les soirs à la rotonde de Stalingrad. Le BAAM propose également des permanences hébergement, juridiques, recherches d’emploi ou axées sur la culture. « Nous avons créé un pôle LGBT tout récemment », ajoute Blaise.

« Avec les beaux jours, de plus en plus de personnes vont arriver sur Paris. »

L’élection d’Emmanuel Macron et la nomination du nouveau gouvernement le laisse sceptique. « Le programme de Macron sur le droit d’asile est vraiment inquiétant. Gérard Colomb –ministre de l’Intérieur–  a fait des sales trucs avec les Roms à Lyon… » Blaise est conscient de pallier l’inaction des instances de l’Etat en matière de droit d’asile. « Nous faisons très attention à cela. Nous n’organisons aucun cours de français dans des centres gérés par des associations subventionnées par l’Etat. » Qu’à cela ne tienne, les services sociaux continuent de diriger les migrants vers les permanences du BAAM. « L’OFI et le Samu Social nous envoie des personnes lors de nos permanences hébergement. Or c’est à nous de diriger les gens vers le service public et non l’inverse. Ce que pourrait faire Macron serait d’envoyer quelqu’un discuter avec les collectifs. Cela n’a jamais été fait », détaille Blaise.

Laëtitia Quesnel

« Ce sont les sentiments d’impuissance, d’incompréhension, de révolte qui ont été le terreau parfait pour entendre l’appel à l’engagement » explique Laëtitia Quesnel, alors qu’elle vient s’installer sur Paris, en octobre 2016. Cette psychologue du travail ergonome y découvre la réalité des campements, qu’elle avait toujours vus à la télévision. Laëtitia tombe sur un appel au bénévolat diffusé sur Facebook par l’association Bureau d’Accueil et d’Accompagnement des Migrants (BAAM). « Un véritable cri du coeur militant » se souvient-elle, émue. Deux semaines plus tard, Laëtitia se porte volontaire pour la coordination d’un cours de français qui ouvre près de chez elle, à Ourcq, dans le nord de Paris.

Le premier objectif des 150 professeurs de français du BAAM : faire acquérir aux apprenants, migrants pour la plupart, « un français d’urgence, qui est le vocabulaire de base pour parler aux gens et pouvoir acheter des choses » détaille Laëtitia. Mais l’enseignement doit aussi s’adapter à ceux qui détiennent un niveau de langue plus élevé et « qui viennent avec l’objectif de réintégrer l’université » ajoute-t-elle. D’où la nécessité de constituer des groupes de niveau parmi la dizaine d’élèves, pour répondre aux besoins de chacun avec des exercices adaptés. La professeure évoque aussi l’importance de la langue face à l’administration. « Quand ils sont convoqués et qu’ils ne sont pas capables de donner le nom et le prénom, c’est un problème » puisque en cas d’erreur, « ce n’est plus la même personne » conclut-elle. 

« Pendant les cours de français, on insiste aussi beaucoup sur la culture » détaille Laëtitia, et se souvient du cours sur Noël, où « la plupart des Soudanais n’avaient aucune idée de qui était ce bonhomme rouge qu’on voit partout avec sa grosse barbe » rit-elle.

« Rencontrer des réfugiés de différents pays, c’est fascinant »

Laëtitia évoque aussi Farat, un migrant pakistanais, son « tandem » depuis cinq mois qu’elle a également hébergé plusieurs fois avec sa colocataire russe. Si le tandem a pour but de discuter régulièrement autour d’un verre, d’un plat ou d’un film, l’hébergement est une « manière de s’immerger totalement dans la culture, à la fois par la nourriture, la façon de vivre et les horaires. C’est une posture différente des cours, où ils nous appellent professeurs. Là, c’est plus informel et amical. »

Une opportunité unique pour cette passionnée des cultures du monde, professeur de danse indienne et apprenant désormais l’hindi-ourdou avec Farat. Plus qu’un engagement, c’est selon elle, une manière de vivre, car « rencontrer des réfugiés de différents pays, c’est fascinant. C’est tellement riche que l’on peut plus s’en passer parce qu’on découvre tout un tas de trucs qu’on aurait jamais découvert autrement. »

Fadi Tabbab, 37 ans

 « Arriver dans un pays étranger demande une compréhension de sa culture, de ses codes », avance Fadi Tabbab, réfugié syrien de 37 ans. Une adaptation réussie pour cet ancien professeur de français à l’Université de Damas. Parce qu’il connait mieux que personne la difficulté de s’intégrer, Fadi souhaite aujourd’hui aider ceux qui se trouvent dans la même situation. Son diplôme de littérature française n’étant pas reconnu en France, Fadi continue d’enseigner le français à des exilés, et propose des cours d’arabe sur Paris. C’est avec des poèmes comme ceux du célèbre Nizar Qabbani qu’il enseigne sa langue natale.

Sa maîtrise du Français lui permet de régler ses problèmes administratifs sans trop de difficultés, contrairement à d’autres personnes exilées. Et les cours donnés par les associations de solidarité envers les migrants ne sont pas sans failles selon lui. « Les réfugiés ne sont que des passagers dans leur vie. Les associations n’arrivent pas à mettre en place des activités permanentes », regrette Fadi. Une situation à laquelle il souhaite remédier, en créant sa propre association. OMNI CASA est un projet en cours d’élaboration, un lieu d’échange. « Pendant plusieurs mois j’ai mené des recherches en linguistique. J’ai réalisé l’importance de la dimension interculturelle. L’échange qui permet de comprendre l’autre, c’est l’essence de mon projet. »

« La langue, c’est le miroir d’un pays »

La culture n’est jamais loin quand Fadi se met à parler du langage. « J’ai compris qu’à Paris, apprendre une langue n’est pas suffisant. Le problème, c’est le manque de communication entre les gens. Même pour les personnes qui savent parler Français, ils n’ont pas toujours la chance d’avoir un échange avec l’autre », détaille le professeur polyglotte. Et cela prend du temps. « Comment comprendre la culture d’un pays ? Même pour moi qui parle, écrit et lit le Français, ce n’était pas facile. Pour certaines personnes, cela prend des années. » Fadi se sent bien à Paris, il souhaite que d’autres exilés trouve eux aussi leur place. « Pour l’instant, la France est mon pays. Dans quelques temps j’aurai la nationalité. Je dois quelque chose à ce pays qui m’a accueilli », lâche Fadi dans une bouffée de cigarette.

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Pauline Rapilly-Fergnot, 21 ans

Partager avec d’autres ce que l’on a reçu, c’est aussi l’ambition de Pauline Rapilly-Fergnot, étudiante en Master de Science politique à Paris 8. « J’ai toujours pensé que l’on vivait dans un monde hyper injuste, avec des privilégiés et d’autres qui ne le sont pas. Quand on est privilégié, on a un devoir moral de donner un peu. Ce n’est pas par esprit humaniste que je m’engage, je me sens obligée », explique l’étudiante de 21 ans.

L’année dernière, une professeure d’Histoire de l’Université a rassemblé plusieurs de ses élèves autour d’un collectif pour aider les étudiants migrants dans les dédales de la fac. L’antenne de Réseau Université Sans Frontière (RUSF) jusque-là en sommeil, est à nouveau activée. Cours de français, permanences, sorties culturelles : Pauline rejoint le petit groupe. En parallèle, elle manifeste contre la Loi Travail, participe aux Assemblées Générales. Pauline continue aujourd’hui de dispenser les permanences pour RUSF, à raison de 4 heures par semaine. 

Sans compter les appels tard le soir, les mails, et tous les problèmes qu’il faut régler entre temps. « Deux étudiants exilés ont rejoint le collectif et viennent en aide aux autres », se réjouit Pauline. Hussein, étudiant Irakien, s’invite parfois aux permanences de RUSF pour traduire les discussions en arabe, en cas de besoin.

Pallier l’absence de politiques publiques 

« Donner des cours de Français reste le minimum que l’on puisse faire pour se rendre utile. Permettre aux étudiants exilés de se réinscrire à la fac, c’est encore plus intéressant. » Pauline raconte le cas de Oumar, un étudiant contraint de quitter Paris après un passage à l’Office Français de l’Immigration (OFI). Son inscription à Paris 8 lui a permis de rester sur place. « Le problème des CADA, c’est qu’il y en a partout en France mais pas forcément là où les gens cherchent des logements », détaille Pauline. A RUSF, ils sont une dizaine à se relayer pour les permanences, non sans découragement. Faut-il rester sans rien faire pour que l’Université prenne en charge la situation ? « Non, pas le choix », réplique Pauline.

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« Pallier l’inaction des politiques publiques pour la reprise d’étude ne nous empêche pas de mettre la pression. » Au gré des rassemblements Place de la République, Pauline fait des rencontres. D’autres Universités mettent en place des programmes d’apprentissage du français. L’association Résome rassemble ces différents collectifs étudiants, leur donne du poids et des contacts avec le ministère de l’enseignement supérieur. Est-elle optimiste ? Pas vraiment. « C’est la société qui n’intègre pas les exilés, et non l’inverse. Après les frontières physiques, les personnes qui arrivent en France font face à un tas d’autres difficultés : celles des papiers, de la langue… La frontière ne disparait jamais vraiment, elle se recompose », avance Pauline.

À chacune de ces frontières qui sont autant de barrières à l’intégration des exilés, les bénévoles s’activent. Sous les ponts du métro, dans les universités, pendant les permanences : à Paris, ces lieux sont investis par un tissu associatif solide, où chacun apporte sa pierre à l’édifice. Les bénévoles rencontrés ne sont pas optimistes. Mais ils resteront tant qu’il le faudra, tant qu’il restera des frontières à traverser.

Léa Duperrin, Julien Percheron

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