12 ans « sous la menace terroriste » : Vigipirate, une opération de communication ?

Ébauché en 1978, le plan Vigipirate entre officiellement en action en 1991 lors du déclenchement de la guerre du Golfe. Pensé comme un outil face à une menace terroriste ponctuelle et avérée, il sera activé sans discontinuer ou presque depuis cette date. Soit un quart de siècle. Et, depuis 12 ans jour pour jour, le niveau d’alerte est constamment un cran en dessous du plus élevé, au moins. Érigeant en exemple les deux séries d’attentats de 2015, certains contestent son utilité.

Il y a douze ans jour pour jour que le plan Vigipirate passait au niveau “rouge” sur tout le territoire français. Ce niveau d’alerte censé prévenir “une menace hautement probable” d’attentat n’a jamais été revu à la baisse, malgré sa réactualisation en février 2014 après 10 ans d’alerte rouge constante.

En février 2014, deux niveaux d’alerte remplacent les précédents : “vigilance” et “alerte attentat”. Dès 2011, la député socialiste Danielle Bousquet, pointait la difficulté à “communiquer sur un plan qui dure depuis si longtemps, de même que d’augmenter la posture actuelle.” Changer la dénomination permet notamment un renouvellement de façade.

Pour constater les différences entre l’ancien plan Vigipirate et le nouveau, faites glisser le slider

Deux niveaux au lieu de quatre

Ces deux niveaux uniques qui semblent simplifier l’ancien système visent à gommer un état de fait : les niveaux inférieurs sont désormais inutiles. En effet, Vigilance correspond à l’ancien Vigipirate Rouge tandis que Alerte Attentat correspond au plus haut niveau du précédent code couleur, « écarlate ».

Le 7 janvier 2015, le niveau Alerte Attentat est activé, renforcé par l’opération militaire dite « Sentinelle ». Via cette opération, qui fait intégralement partie de Vigipirate, près de 10 500 militaires sont déployés sur le territoire français. Ils n’étaient qu’un millier quelques jours auparavant. Ces militaires sont alors chargés de protéger environ 800 « points sensibles » : écoles, lieux de culte, représentations diplomatiques, etc.

Alors que ce déploiement ne devait être que temporaire, tout comme le plan Vigipirate à son origine, François Hollande décide le 29 avril 2015 de « pérenniser » l’opération Sentinelle. « Face aux lourdes menaces » auxquelles la France fait face, le président de la République décide de « mettre dans les effectifs prévus 7 000 militaires de manière durable ». Ils seront de nouveau 10 000 après le 13 novembre 2015, et ce jusqu’à aujourd’hui.

Trois objectifs principaux

Après le lifting de février 2014, le plan Vigipirate présente trois objectifs principaux :

  • Assurer en permanence une protection adaptée des citoyens, du territoire et des intérêts de la France contre la menace terroriste ;
  • Développer et maintenir une culture de vigilance de l’ensemble des acteurs de la Nation, afin de prévenir ou de déceler le plus en amont possible toute menace d’action terroriste ;
  • Permettre une réaction rapide et coordonnée en cas de menace caractérisée ou d’action terroriste, afin de renforcer la protection, de faciliter l’intervention, d’assurer la continuité des activités d’importance vitale, et donc de limiter les effets du terrorisme.

Cette réaction rapide a pu être constatée juste après les attentats de Paris. Le ministère de l’Intérieur annonçait la mobilisation d’un nombre jamais vu de policiers et de militaires dans toute la France.

Cet effet d’annonce, juste après les attentats de Paris, doit cependant être relativisé. On estime que fin 2014 l’effectif total de la Police Nationale s’élevait à environ 100 000 personnes. Le calcul du ministère de l’Intérieur est à peu près respecté.

1 million d’euros par jour… et 1,3 million d’heures supplémentaires

Avec 10 500 militaires mobilisés 7j/7 et 24h/24, les coûts de Vigipirate « alerte attentat » couplés à l’opération Sentinelle sont exorbitants. 29 millions d’euros par mois, selon le ministère de la Défense en février 2015. Soit presque 1 million d’euros par jour.

Cela étant, l’iFRAP, un think tank « chargé d’évaluer les administrations publiques » énonçait dans un rapport que cette somme pouvait être « largement supérieure ». En guise de conclusion, ils demandaient que « en guise de sincérité budgétaire, il conviendrait de connaître de façon exhaustive le coût réel de cette intervention qui est supportée par les finances publiques ».

Une voiture des effectifs Vigipirate de l'armée — © petit_louis (Flickr)
Une voiture des effectifs Vigipirate de l’armée — © petit_louis (Flickr)

En septembre 2015, le service de protection de personnalités (SLDP) de la Police Nationale lance un pavé dans la mare : 1,3 millions d’heures supplémentaires n’ont jamais été payées. Ils menacent de porter plainte pour mise en danger de la vie d’autrui et travail dissimulé. La raison : la multiplication des missions qui leur ont été confiées depuis janvier 2015.

D’après l’Unsa Police, un des principaux syndicats, un arrangement aurait été trouvé en mars 2016 : les 500 policiers de la SLDP pourraient chacun poser 2300 heures de récupération. Soit un peu plus d’un an de congés.

« Militarisation de la société »

25 ans après la première mise en place du plan Vigipirate, de nombreuses critiques remettent en cause l’institutionnalisation de cette mesure qui devait rester temporaire. Au milieu des années 2000, moins d’un an après le passage définitif au plan Vigipirate niveau « Rouge », Fabien Jobard dénonçait déjà une militarisation du maintien de l’ordre. A l’époque, seulement sept à huit cents militaires patrouillaient dans les aéroports et les gares.

Mais, selon le sociologue, ce mouvement s’amorçait ailleurs : « techniques de cryptage et décryptage, surveillance par satellite, traçage des correspondances dans l’espace virtuel, radars, capteurs sensoriels, vidéosurveillance etc. sont toutes des techniques en quelque sorte vendues par l’armée aux forces de police, dans un mouvement de défense des budgets militaires par leur relégitimation en ressources policières. »

Mathieu Rigouste, socio-historien, dénonce l’application de cette « disposition d’urgence permanente fondée sur l’idée que la vie de l’État et de la population est désormais constamment en jeu ». Il analyse dans le plan Vigipirate un prolongement « des dispositifs anti-gang […] conçus pour l’Irlande du Nord » et surtout une « rénovation des dispositifs algériens de Roger Trinquier ». Ce dernier, officier supérieur pendant la guerre d’Algérie, est l’un des principaux théoricien de la contre-insurrection à la française.

« Il s’agirait […] d’appliquer au maintien de l’ordre les méthodes de l’anti-terrorisme »

Toujours selon Mathieu Rigouste, « il s’agirait […] d’appliquer au maintien de l’ordre les méthodes de l’anti-terrorisme, à l’époque encore considérées comme appartenant au domaine de la guerre » et, allant dans le sens de Fabien Jobard, « l’effet principal [de Vigipirate] est l’intensification de la militarisation du quadrillage urbain et de l’emploi de l’armée dans une fonction policière. »

Jean-Pierre Dubois, professeur de droit et président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), expliquait au Monde que, selon lui, le plan Vigipirate « n’est qu’une grotesque opération de communication qui n’a pas l’ombre d’une efficacité. » Après 6 mois d’état d’urgence et deux jours avant son nouveau prolongement de deux mois, les questions à propos du plan Vigipirate, temporaire depuis 25 ans, méritent d’être posées.

 

Pierre Laurent

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