Sabéra Hassanally Goulam, 27 ans, est une blogueuse et youtubeuse voilée. Son blog est sa passion, elle le considère comme « son échappatoire ». Elle partage ses connaissances, recettes de cuisine, astuces beauté et mode.
Votre blog s’adresse aux musulmanes uniquement ou avez-vous une cible plus large ?
J’aimerais inspirer les femmes qui souhaitent s’habiller de façon plus « modeste ». Ce n’est pas parce qu’on choisi d’être conservatrice qu’on ne peut pas être sociable, abordable ou avoir l’air cool ! Mon blog s’adresse aux femmes qui veulent se sentir bien dans leur peau. Je pense que la beauté de la femme est sublimée par le fait qu’elle ait conscience de ce qu’elle possède mais qu’elle décide par elle-même de ne pas tout dévoiler. Je vise une cible beaucoup plus large. Citoyenne du monde, j’aime à croire que mon message touche d’autres religions. La tolérance et le respect sont mes maîtres-mots.
Comment expliquez-vous l’essor des blogueuses et Youtubeuses voilées ?
L’identification et l’inspiration : ce sont les deux principaux arguments que l’on me donne lorsque mes abonnées commentent. Si les internautes sont présentes, c’est parce qu’elles se sont reconnues dans mon discours. Un des témoignages reçus : « Merci d’avoir dit tout haut ce que la majorité pense tout bas.» ou encore « votre témoignage est magnifique, surtout bien exprimé car nous le vivons toutes de la même manière… ».
Vous considérez-vous comme une « hijabista » ?
Si le voile permet de donner une autre image de la femme musulmane en utilisant le monde de la mode, si je me considère comme actrice du changement et que je souhaite faire évoluer les mentalités, alors oui, je veux bien me considérer comme une hijabista.
Propos recueillis par Asmaa Boussaha et Alice Pattyn
Au 10 rue de Panama (18è arrondissement), la devanture de Sape & Co ne paye pas de mine. Juchée entre une boucherie et un salon de coiffure, le logo est poussiéreux et la vitrine peu éclairée. Cette boutique est pourtant considérée comme l’antre de la sape à Paris. Ouverte en juin 2005 par Jocelyn Armel, plus communément appelé ‘le Bachelor’, Sape & Co attire aujourd’hui des clients du monde entier. « On a beaucoup d’Américains qui viennent essayer nos costumes », explique Kélina, la nièce du ‘Bachelor’. « J’aide mon oncle à la vente quand j’ai du temps ». La jeune femme prétend modestement ne pas pouvoir expliquer grand chose sur la sape, mais elle a pourtant habillé de nombreuses personnalités. Sur son téléphone, les photos défilent : l’écrivain Alain Mabanckou, le chanteur Singuila ou encore l’animateur Antoine de Caunes. « Je les ai tous relookés. Tout le monde peut aimer la sape », se félicite-elle.
L’amour de la sape au-delà des différences, telle est la philosophie de Sape & Co. « Il serait faux de dire que la couleur ce n’est que pour les blacks. Un babtou (un blanc) peut également se saper. En fait il faut juste savoir trouver la bonne », assure Kélina.Et pour cause, sept clients sur dix sont des « Français de souche ». « L’autre jour, un Suisse est passé dans la boutique, il avait repéré la tenue que j’avais mise en vitrine et il m’a dit : « Je veux la même pour mon mariage ». Il était très content du résultat », affirme-t-elle.
« Des matériaux qui viennent d’Italie »
Même si la couleur ne définit pas l’art de la sape, elle est pourtant bien présente dans la boutique : des costumes jaunes, violets, verts, bleus ou encore rouges occupent tous les murs du local. Allant du 46 au 62, les modèles sont disponibles en quantité limitée. « Nous avons environ cinq pièces par modèle », explique Kélina.Comptez 150 euros pour une veste et environ 350 pour un costume entier. « Ce sont des matériaux qui viennent d’Italie, les clients sont souvent surpris par les prix car ce n’est pas si cher que ça », réplique Kélina. Et si l’on s’imagine que la sape est réservée aux hommes, Kélina nous assure le contraire : « Les femmes aussi peuvent être relookées à la garçonette. Et puis nous distribuons une marque féminine avec des robes par exemple. »
La musique de Papa Wemba résonne dans la boutique. Figure de la rumba congolaise et prince de la sape, il a longtemps été habillé par « le Bachelor ». Kélina nous montre fièrement son premier calendrier posthume. « Vous savez, il a collaboré avec beaucoup de maisons de couture, mais Connivences (la marque du ‘Bachelor’) fut la seule marque à se rendre à Kinshasa pour son enterrement. Ils étaient tous les deux des fils du Congo », déclare Kélina.
Une vie de quartier
Mais Sape & Co, ce n’est pas que le bling bling, au contraire, la vie de quartier s’y fait beaucoup sentir. Tonton Louz, la soixantaine, vient souvent discuter avec Kélina ou son oncle : « J’habite ici depuis 1999, donc quand j’ai du temps je viens ici », explique-t-il.Ici, on discute vêtements, musique mais aussi politique. « Vous savez moi j’ai connu la France sous Giscard », s’exclame Tonton Louz. Ce Congolais arrivé en France en 1979 a vu le quartier de Château Rouge évoluer, et il tient à le défendre. « Ici, vous pouvez vous balader tranquillement, personne ne viendra vous embêter », ajoute-il.Ici, les sapeurs sont connus et reconnus, mais Tonton Louz admet que ce temps est révolu pour lui : « J’ai des enfants maintenant, je suis trop vieux pour ça. Et puis il y en a qui s’habillent comme ça pour rester chez eux, c’est trop », assure-t-il.Si l’ancienne génération est prête à passer le flambeau, la boutique Sape & Co semble avoir de beaux jours devant elle.
Jocelyn Armel est un sapeur, un vrai. Propriétaire de la boutique Sape & Co, lieu emblématique du quartier parisien de Château-Rouge depuis près de 12 ans, il s’est imposé sur le marché de la sape dans la capitale. Rencontre avec un personnage haut-en-couleurs.
Arriver avec une heure de retard, un minimum pour tout sapeur qui se respecte. Celui qu’on surnomme « le Bachelor » ne déroge pas à cette règle : pris en photo par les passants, il salue tout le monde et se pavane rue de Panama, dans le 18è arrondissement de Paris. Il est chez lui. Ses habits contrastent avec la saleté environnante, les poubelles renversées et les odeurs de poisson.
A peine dans son magasin, il s’empare du balai et s’empresse de nettoyer les feuilles mortes amassées devant la vitrine. « C’est l’ère Macron, ça les enfants, vous allez vite travailler maintenant », plaisante-t-il. Il fait le show, montre ses chaussettes et dévoile sa pose fétiche. De taille moyenne, « le Bachelor » enchaîne les punchlines « Vous les Français vous êtes trop bizarres, vous, la cinquième puissance mondiale, refusez de voter pour un banquier, c’est comme refuser de voter pour un médecin ».
Il s’excuse pour cette entrée en matière, pour lui ce qui compte c’est la sape. D’origine congolaise, arrivé en 1977 et aîné d’une fratrie de 6 enfants, il a hérité du restaurant de sa mère rue de Panama en 2005 qu’il a transformé en boutique.
« Lorsque ma mère me cède cette boutique, j’avais l’intention d’ouvrir une boutique au Congo. J’avais déjà de la marchandise que j’avais acheté en Italie mais c’était la guerre. Donc lorsqu’on me cède ce local je me dis pourquoi pas. »
« La sape c’est l’art de s’aimer au quotidien »
Alors que la sape est traditionnellement considérée comme une dépense absurde, pour « le Bachelor » c’est un moyen de subvenir aux besoins de sa famille. « Je suis l’aîné d’une fratrie de six enfants donc chez nous les Africains, ça veut dire que les parents mettent tous vos espoirs sur vous » précise-t-il. Très intéressé par les vêtements dès son plus jeune âge, il a travaillé comme saisonnier puis responsable chez Daniel Echter. Une maison qui lui a permis de se rendre compte de l’impact que la sape a sur les Français. Il était alors courant que des clients lui demandent d’où venaient ses habits colorés, raconte-t-il. Il faisait remonter l’information à ses supérieurs qui lui rétorquaient ne pas pouvoir vendre autre chose que du noir ou du bleu marine. « Je me disais qu’un jour si j’avais une boutique, j’essaierais de mettre les couleurs », explique-t-il avec beaucoup de fierté.
Cet amour de la sape, il le tient de son père :
« Alors là c’est ce qu’on appelle les avantages de filiation, si je peux m’exprimer ainsi. Il y a des choses qu’on est amenés à faire dans la vie qu’on fait parfois sans explication soit par mimétisme ou parce qu’on a vu son oncle ou son grand-frère ou son papa. Je crois que ce fut mon cas, en tout cas mon père était très élégant, il aimait s’habiller. »
L’enfant de Brazzaville habille désormais les plus grands, de Papa Wemba à Antoine de Caunes, plus récemment. « Les médias ont beaucoup fait pour moi. Ces émissions font qu’aujourd’hui la sape elle-même est reconnue », affirme-t-il. Très soucieux de démocratiser cet art de vivre, « le Bachelor » tient à faire perdurer cette mode au-delà des sexes et des communautés. Une mode à la portée de tous : « La sape c’est l’art de s’aimer au quotidien. Ce n’est pas parce que tu vas chez Cartier ou Louis Vuitton que tu es un sapeur, tu peux aller chez Zara ou même ici à Clignancourt. Il suffit que tu exploses dans ce que tu aimes. »
Offrir une seconde vie aux vêtements et une deuxième chance aux employés, c’est l’objectif que Bis Boutique Solidaire s’est fixé. Des vêtements de marque à prix bradés, des partenariats avec différentes associations pour aider les plus démunis et un tremplin pour les salariés : en conjuguant mode et réinsertion, Bis propose un nouveau concept solidaire qui séduit les clients. Une deuxième boutique a d’ailleurs ouvert cette année dans le 9ème arrondissement.
Il est 15 heures et la boutique située au 7 faubourg du Temple est en effervescence. Serge Bassetto, le responsable de 53 ans, s’affaire pour récupérer la livraison quotidienne de vêtements. De nombreux présentoirs défilent, remplis de pièces colorées de toutes tailles. Les employés déchargent d’énormes sacs bleus Ikea, pleins à craquer. Des jupes, des pantalons, des manteaux, des sacs ou des chaussures… Tous les jours, la boutique reçoit entre 500 et 600 pièces afin de proposer un large choix à la clientèle. Quelques curieuses parcourent déjà les nouveaux vêtements qui attendent d’être rangés, avant d’être arrêtées par le responsable : « Désolé mesdames, ceux-là ne sont pas tout de suite en rayon. Il faut bien qu’il en reste pour demain ! », plaisante-t-il.
Il faut dire que le succès est au rendez-vous pour la boutique solidaire. Des clients de tous âges viennent chiner les vêtements de seconde main, séduits par les petits prix et le concept. Loin de l’image de la friperie en bazar, remplie de pièces quelquefois en mauvais état, Bis se présente comme un magasin chic, proposant une gamme très sélective de prêt-à-porter. Les vêtements sont propres, repassés et triés par taille sur les portiques. Des lampes design au plafond, des pièces lumineuses et des cadres au mur : au premier abord, on est loin de se douter que cette boutique n’est pas comme les autres.
Un tremplin pour l’avenir des employés en réinsertion
Bis Boutique se différencie par son engagement et sa volonté d’agir comme tremplin pour les employés en réinsertion. Ils sont une quinzaine à être embauchés pour un contrat d’un an qui leur permet de se remettre sur le chemin du travail. Serge Bassetto est lui-même passé par le contrat de réinsertion chez Bis, avant de devenir responsable un an plus tard. Après trois ans dans cette entreprise, il est convaincu que c’est un concept d’avenir. « On veut juste que les gens soient impliqués dans leur futur, le but est aussi qu’ils se re-sociabilisent. La priorité, c’est les employés ». Ils ont des origines et des parcours différents – Bis rejette toute forme de discrimination et a d’ailleurs pour objectif d’employer le plus de profils différents possibles. En tant que boutique solidaire, l’aval de l’État et de Pôle Emploi est obligatoire. Des quotas doivent aussi être respectés pour garantir l’équité et la parité dans l’équipe : « On doit embaucher deux femmes, deux personnes au RSA, deux chômeurs, par exemple », ajoute Serge Bassetto. Les employés en réinsertion travaillent quatre jours par semaine et sont payés au SMIC. Bis leur offre également 50 euros de vêtements tous les mois.
Sonny, un jeune employé de 21 ans, travaille à la boutique depuis le mois de janvier. « Je suis arrivé ici après pas mal de petites galères. Mais je m’y plais, l’équipe est sympa et on soutient une bonne cause. Je pense que c’est vraiment un bon tremplin pour rebondir sur autre chose », confie-t-il. Et à l’avenir, Sonny projette de repasser son bac et de reprendre ses études dans le commerce à la fin de son contrat de réinsertion. A la caisse, Jamel accueille chaleureusement les clients et discute avec eux. Après un an passé à Bis Boutique, son contrat est sur le point de se terminer. Cette expérience lui a fait découvrir un concept solidaire où les employés sont à l’écoute de leurs clients, et regrette qu’il n’existe pas plus de magasins comme celui-ci : « C’est très différent d’une boutique lambda, on n’est pas derrière le client à vouloir faire du chiffre. L’ambiance est très décontractée et familiale ». A 39 ans, il souhaite maintenant continuer sa carrière dans le textile et le prêt-à-porter.
Un partenariat aidé qui s’engage à la fois pour les employés et pour les associations. Chaque année, environ 400 tonnes de vêtements sont envoyés à l’atelier où un tri est effectué, et à peine 40 tonnes sont gardées. Le reste est revendu à une plateforme de recyclage ou donné gratuitement à des associations pour les plus démunis. Rémi Antoniucci est à l’origine de ce concept. S’il s’occupe maintenant majoritairement des démarches à l’atelier, il souhaite pérenniser ce système pour continuer à le développer. Sa première boutique a ouvert il y a trois ans, et la seconde en mars dernier. « On aimerait ouvrir une nouvelle boutique tous les deux ou trois ans, explique Serge Bassetto, mais pour l’instant on reste sur Paris pour bien asseoir le concept d’abord ».
La friperie nouvelle génération
Un concept dans lequel les employés comme les clients se retrouvent. Michèle, 70 ans, est une habituée de la boutique solidaire. Elle connaît bien les employés et leur apporte même des petits cadeaux quelquefois. Avec des prix allant de 1 à 30 euros, elle trouve toujours une pièce qui lui fait plaisir parmi le choix de vêtements. « Je ne vais jamais dans des boutiques traditionnelles, j’aime bien que l’argent que je dépense arrive à des gens qui en ont besoin. J’étais tombée sur cette boutique par hasard la première fois, et j’ai tout de suite aimé le principe. Ce n’est pas juste de la consommation pure », explique-t-elle. Plus loin, une cliente drômoise de 30 ans s’est laissée séduire en passant devant la boutique. « J’ai remarqué l’aspect solidaire de la boutique comme c’était écrit sur la façade. Je suis entrée en pensant que c’était comme Emmaüs », raconte-t-elle, en fouillant parmi les portes-manteaux. Agréablement surprise par la présentation des vêtements et l’ambiance de la boutique, elle n’est pas déçue de s’être arrêtée et se prépare pour des essayages en cabine: « Cela ne ressemble vraiment pas à une vieille friperie. Les vêtements sont clean et vraiment pas chers. En plus tout est classé par taille. Je vais en parler à mes copines en rentrant ! ».
Avec deux boutiques parisiennes qui ne désemplissent pas, et de véritables perspectives pour les employés, Bis Boutique Solidaire a encore un bel avenir devant elle.