Législatives 2022 : au marché de Rueil-Malmaison, des électeurs méfiants

A l’approche des élections législatives, les candidats de la 7ème circonscription des Hauts de Seine (Rueil-Malmaison, Saint Cloud et Garches) se sont retrouvés au marché de Rueil-Malmaison ce mardi 31 mai. L’occasion de convaincre des habitants pas toujours réceptifs.

Mardi 31 mai. Le soleil surplombe la place Jean Jaurès, il est 10h30. Les habitants de Rueil-Malmaison se sont donnés rendez-vous comme chaque semaine en ce jour de marché. Cette fois, de nouvelles personnes sont présentes. Tracts sous le bras et gilet vert foncé sur les épaules, Christophe Mandereau aborde les passants avec un large sourire. Déclaré comme candidat libre, l’homme d’une cinquantaine d’année est écologiste mais n’est affilié à aucun parti. Natif de Rueil-Malmaison, il souhaite mettre en avant son ancrage territorial : “Ce n’est pas en parachutant quelqu’un sur place qu’on fait de la politique. Ça fait des mois que je prépare cette candidature. Avec ou sans étiquette j’avais la détermination d’y aller”. Arrivé sur la place en vélo, Christophe Mandereau tracte aux côtés de sa fille lycéenne : En étant libre de parti, c’est clair qu’il y a moins de moyens humains et financiers”. David contre Goliath. 

Car ici, nombreux sont les adversaires de taille. La 7ème circonscription des Hauts-de-Seine peut compter sur des habitants relativement aisés qui votent traditionnellement à droite. En 2017, c’est le candidat LREM, Jacques Marilossian qui l’a emporté avec 57,81% des voix face à Eric Berdoatti des Républicains. Pierre Cazeneuve, candidat LREM, espère le même résultat. Pour ce conseiller municipal de la ville de Saint-Cloud et adjoint au Chef de Cabinet d’Emmanuel Macron, l’enjeu est simple : Il faut donner au président de la République une majorité solide pour qu’il puisse continuer de transformer le pays.” C’est aussi ce que souhaite sa sœur, Marguerite Cazeneuve, une ancienne conseillère de Jean Castex qui a également travaillé pour le cabinet McKinsey. Le père de famille, Jean René Cazeneuve, est aussi engagé pour LREM dans le Gers où il est candidat à sa réélection. La politique chez les Cazeneuve est en effet une affaire de famille.

Que ce soit à Garches, Saint-Cloud ou Rueil-Malmaison, Emmanuel Macron est arrivé en tête du premier et second tour à l’élection présidentielle mais la partie n’est pourtant pas jouée d’avance. L’adversaire principal de Pierre Cazeneuve c’est bien lui : Xabi Elizagoyen. Pour l’encarté LR, la considération locale peut faire la différence : Les gens je les connais et ils me connaissent aussi. J’ai toujours privilégié la proximité et l’écoute. Je suis convaincu que les Rueillois, les Garchois et les clodoaldiens ne voteront pas de la même manière qu’en 2017. En 2017 il y avait l’effet nouveauté”. Le candidat est soutenu par les trois maires de la circonscription : “Ils me soutiennent parce qu’ils me connaissent et qu’ils savent que je vais faire avancer les dossiers”. L’entrain du candidat LR a toutefois du mal a s’exporter.

Des habitants peu enthousiastes

A quelques mètres de l’entrée du marché, les commerçants ne semblent pas partager cet enthousiasme. Un boucher de 31 ans raconte les problématiques du marché : “Ici on a un gros problème pour la remballe. Avant on pouvait descendre sur le boulevard Marechal Foch, ca fluidifiait le flux de véhicules. Aujourd’hui, on ne peut plus. On est obligé de sortir par la rue de la réunion. Quand il fait chaud, on a besoin de mettre les matières premières fraîches dans des camions réfrigérés tout de suite. On a beau leur expliquer ils n’en ont rien à secouer”. La semaine dernière, TF1 a réalisé un reportage sur le plus beau marché de France. Ce boucher était sur place comme beaucoup de politiciens et en garde un goût amer : « C’était beau, il y avait des ballons et tout. Mais une fois qu’ils sont partis il n’y avait plus rien”. Un peu plus loin, un couple de vendeurs de vêtements s’indigne : “Nous sommes très déçus de tout. Ils nous emmerdent plus qu’autre chose car ils récupèrent des gens qui se retrouvent devant les stands”. Voter aux élections législatives parait abstrait pour beaucoup. Certains se rendront toutefois aux urnes sans grandes convictions : “J’irai voter par obligation citoyenne” souffle une gérante d’un stand de fromage. 

Du côté des clients, même son de cloche. Assis, un café à la main, Christian, 39 ans, est catégorique : “Il faut se démerder soi-même. Je crois en moi, pas à la politique”. Certains comptent bien voter aux prochaines élections. Hélène, une Rueilloise quinquagénaire, a donné sa voix à Anne Hidalgo lors de la présidentielle et souhaite voter aux législatives “pour faire opposition à Emmanuel Macron”. 

La parti qui souhaite justement faire face au président nouvellement élu est bien la NUPES. Dans la 7ème circonscription des Hauts-de-Seine, c’est le candidat Sandro Rato qui la représente. Pour cet étudiant à la faculté de Nanterre, atteindre le second tour sera une tâche ardue tant le territoire est ancré à droite, d’autant plus que le candidat n’est pas implanté dans le territoire : “Je ne viens pas de cette circonscription mais étant donné que c’est une élection nationale, elles [les circonscriptions] ont été réparties entre les différents candidats des différents partis. Je ne suis tout de même pas étranger à ce département. Je ne suis pas habitant mais je suis engagé et ça ne doit pas m’attirer de critiques de parachutage”, se défend-il. Cela n’est pas du goût de David qui hésite à voter NUPES aux élections législatives. Il avait été a été déçu par la gauche lors de l’élection présidentielle : “Attendre qu’ils aient perdu pour s’unir aux législatives… Il fallait le faire avant…La politique, c’est toujours pareil de toute façon”.

A quelques jours des élections, l’abstention sur déterminante.

Yoanna Shirel Herrera Santos et Antoine Gallenne

 

 

Asnières-Colombes : un électorat fracturé

 

Dans la circonscription d’Asnières-Colombes, une candidate LR du cru tente de s’imposer face à une prétendante LREM parachutée, tandis que la NUPES surfe entre les électorats écologistes et mélenchonistes. L’intrigue a lieu sur fond de fracture entre beaux quartiers et bastions populaires.  

Asnières, c’est la Marseille des Hauts-de-Seine.”, s’exclame Laurent Martin Saint-Léon, d’un ton provocateur. Cet ancien proche de Pasqua, aujourd’hui petit candidat divers droites à la députation de la 2e circonscription des Hauts-de-Seine, connaît bien le paysage politique local. Par cette analogie avec Marseille, il étrille les notables LR du coin. Manuel Aeschlimann, actuel maire LR d’Asnières avec 17 années de mandat à son actif. Et son épouse, Marie-Do Aeschlimann, adjointe à la Mairie, et aujourd’hui candidate aux législatives dans la 2e circonscription des Haut-de-Seine, qui recouvre la ville d’Asnières, et le sud de Colombes. “C’est une candidature népotique !”  persifle Laurent Martin Saint-Léon. “Depuis 1999, ils s’approprient les fonctions politiques à des fins familiales et cumulent les mandats.”

 Des candidats locaux associés à la gestion de la ville

Le cumul des mandats Aeschlimann ne préoccupe pourtant pas ces trois amies asniéroises qui discutent devant l’étal du poissonnier, dans les environs cossus du quartier de la gare d’Asnières. “Aux législatives je vais voter pour la majorité, annonce Hélène, élégante retraitée, boucles d’oreille dorées et col bien repassé, qui vit depuis 40 ans à Asnières. Je vais voter pour le candidat du parti présidentiel. Sinon ça ne sert à rien. » “Eh bien c’est Marie-Do alors” rétorque son amie Catherine, elle aussi habitante du quartier. “Mais non, Marie-Do, c’est LR”, la corrige Hélène. Plus qu’à son étiquette politique, le nom de Marie-Do Aeschlimann est associé à la gestion de la ville.  « Si les gens sont contents de la politique du maire, ils voteront pour Marie-Do », affirme Hélène.

 

En 2017, l’argument du local n’a pas pourtant pas suffi à faire remporter la députation à Mme Aeschlimann. Au second tour des législatives de 2017, le parti présidentiel a remporté la circonscription haut-la-main, avec 65,3% des suffrages face à la candidate LR, sous le nom d’Hadrien Taquet, rapidement remplacé par sa suppléante, Bénédicte Pételle. Mais cette dernière, Asniéroise LREM à la fibre sociale solidement implantée dans les réseaux associatifs de la ville, n’a pas été réinvestie pour l’élection de 2022. Pour cause de conflits internes au parti, explique-t-on. Ce qui pourrait peut-être rebattre les cartes.

« Où sont les Asniérois sur vos photos ? »

Car ici, le nom de de la candidate LREM désignée pour lui succéder ne dit rien à personne. Baï-Laure Achidi, avocate de profession, est élue au conseil municipal de Boulogne-Billancourt, à 10 kilomètres d’Asnières – autrement dit une autre planète -. Et ses adversaires LR ne manquent pas de le rappeler, à renfort de tweets incisifs.

Cyrille Reclus est adjoint à la Mairie d’Asnières. 

Du reste, à défaut d’ancrage local, Baï-Audrey Achidi plaide surtout pour une assemblée aux couleurs du parti gouvernemental. « Avoir un député de la majorité permet de mieux avancer. Mon rôle est de porter le projet présidentiel. », argue-t-elle

Quartiers nord, quartiers sud : la fracture

Pas sûr, pourtant, que l’argument convainque les habitants du nord de la ville.  Car comme la cité Phocéenne, Asnières a ses “quartiers sud » favorisés, et ses “quartiers nord”. Et dans ces derniers, Jean-Luc Mélenchon a triomphé au premier tour de la présidentielle, atteignant 70% dans certains des bureaux de vote, tandis qu’Emmanuel Macron a été massivement plébiscité dans les quartiers sud.

“La sociologie de la circonscription est bicéphale, explique Sébastien Perrotel, petit candidat divers droites, né à Asnières il y a 53 ans. Il y a d’un côté les quartiers extrêmement privilégiés avec des habitats pavillonnaires qui votent majoritairement à droite ou au centre. Et de l’autre, des quartiers d’habitat collectif, qui votent à gauche mais se mobilisent peu. Depuis les années 1960-1970, deux territoires se sont institués et qui peuvent s’opposer. Ces univers ne se mélangent pas. ». « La politique locale ici, me satisfait, même si j’ai l’impression que tous les efforts se concentrent pour les habitants des quartiers nord. », remarque Hélène. 

Ces derniers n’aquiesceraient pas. À quelques stations de bus d’ici vers le nord-est, aux abords de la frontière Genevilloise, Mohammed déguste un café-clope ensoleillé à la terrasse de chez Tonton, en face d’un ensemble HLM de briques rouge style année 1920.  « La Mairie a fait installer des caméras, mais ça ne stoppera pas les trafiquants. », soupire-t-il en désignant, du menton, un appareil flambant neuf suspendu à un lampadaire. « Ici à Asnières-nord, j’ai l’impression que tout se dégrade. La délinquance, le communautarisme… Et rien n’est fait pour les jeunes. » Mohammed n’a pas encore fait son choix de candidat, mais l’élection l’enthousiasme peu : « Je vote à chaque élection car c’est un devoir, mais ça ne changera rien ».

 

Terrain de pétanque et désertification médiale

À quelques stations de bus de là, bien installé à l’ombre des platanes de la place de la République, Louis observe, d’un œil expert, la partie de pétanque que se dispute un groupe d’habitués. Ici, les tours de la cité des Grésillons surplombent des ruelles parsemées de boutiques Lycamobile et de boucheries musulmanes. À l’heure du goûter, aucun enfant ne sort de la maternelle République, qui jouxte la place : le bâtiment a été transformé en centre d’hébergement d’urgence.

Retraité depuis plus de 20 ans, Louis tient à rester dans sa ville natale, qu’il a vu changer au cours de ses 76 années. “Asnières est devenue une ville de béton, regrette l’Ancien. La mairie ne s’occupe pas des quartiers nord, et le fossé se creuse avec le sud plutôt bourgeois. Et ici, il y a moins de sécurité, j’ai peur de sortir le soir. Ça craint à Asnières.” Louis est défaitiste à propos des élections législatives. “Je vais aller voter, mais sans illusions. On ne croit plus à la politique.”

A chaque élection, les boulistes se voient promettre un nouveau terrain de pétanque contre leur vote, mais les années passant, ils n’en n’ont toujours pas vu la couleur. Plus grave : les quartiers nord d’Asnières font face à un phénomène de désertification médicale. “Les médecins s’en vont, déplore Ernesto, dont les origines portugaises transparaissent par son léger accent. Avant, il y avait un centre médico-social juste à côté d’ici. Il a fermé il y a trois ans et depuis il n’y a plus de médecins nulle part. Je ne sais pas où prendre un médecin traitant. » 

 Observateur passif de la partie de pétanque, Abdelkader s’anime dès qu’il entend parler politique. Cet employé du transport bientôt retraité a voté Mélenchon au premier tour, et s’est abstenu au second. « J’ai cru à Macron en 2017 ! C’était le mouvement ! Mais j’ai été déçu, et je suis inquiet pour l’avenir. Je ne vote pas pour la droite ou pour la gauche : je choisis le politicien qui me plaît ».

 À ces mots, son ami Kleber, qui écoute la conversation d’une oreille, s’esclaffe : « Marie-Do, elle me plaît, c’est la plus belle femme d’Asnières ! ». Mais ce n’est qu’une plaisanterie, car le visage de Mme Aeschlimann est le seul qui lui soit familier : « Je ne voterai pas pour elle.  Ici, c’est Asnières-Nord, on est de gauche ! », sourit-il. Avant toutefois d’avertir : « Je ne voterai pas pour la NUPES non-plus… Cet assemblage-là, je n’y comprends rien ».

Climat pour Colombes, Mélenchon pour Asnières

En ces terres acquises à Jean-Luc Mélenchon, pourtant, la Nouvelle union populaire a ses cartes à jouer. Mais justifier la synthèse des gauches est un défi. Et c’est à Francesca Pasquini, enseignante Asniéroise, élue EELV d’opposition au conseil municipal, qu’incombe la tâche. Ce soir-là, la candidate et son équipe tractent à Colombes, à la gare des Vallées. Cette portion de la ville, rattachée à la circonscription d’Asnières, est jalonnée de manoirs rutilants. Très tôt raccordée à la capitale par le train, elle fut, au siècle dernier, une terre de villégiature prisée des Parisiens.

À 18h30, coup de départ de la distribution pour Francesca Pasquini et son équipe. « Votez pour la candidate écologiste aux législatives ! », lance un militant en tendant un papier estampillé « Agir pour le climat ». Écolo, plutôt que NUPES ? Thomas Bury, le directeur de campagne de Francesca Pasquini, expose la stratégie en toute transparence : « Ici, l’électorat de cette zone pavillonnaire, de nature CSP+, oscille d’une sensibilité écolo à une veine plus libérale/centre-droit. Alors, on distribue un tract qui parle climat, et on se présente sous la bannière écolo. ». En 2020, l’écologiste Patrick Chaimovitch a par ailleurs raflé la mairie de Colombes à la LR Nicole Goueta.

« Ce ne serait pas très habile de faire du Mélenchon ici. », concède Thomas Bury. À l’inverse, à Asnières-Nord, où les scores de l’écologiste Yannick Jadot n’ont pas dépassé les 2%, le chef de file de la France insoumise est volontiers mis en avant, et les tracts sont à son effigie.

« Ici, la REM a fait l’erreur de retirer la candidate locale. Peut-être parce qu’elle était trop de gauche pour le parti », spécule Pierre Parreaux, militant vert historique rallié à l’union de la gauche. « Ici rien n’est tranché car c’est un électorat de droite, mais modéré et susceptible d’osciller”. Dans la brèche entre les candidatures LR et LREM, et portée par son élan, l’union populaire tente de s’engouffrer.

Diaporama : Asnières-Colombes de nord en Sud

 

 

 

Législatives : dans la 10ème circonscription des Hauts-de-Seine, Gabriel Attal en terrain conquis ?

Devant la station de métro « Plateau de Vanves », les militants LREM tractent pour la candidature de Gabriel Attal aux élections législatives. ©Héloïse Bauchet

Plus que quelques jours avant le premier tour des élections législatives. Dans la 10ème circonscription des Hauts-de-Seine, tout semble sourire au candidat LREM et membre du gouvernement Gabriel Attal. Mais la NUPES s’organise et l’abstention menace le résultat du scrutin.

« Gabriel est souvent sur le terrain, dans les écoles, à la sortie des métros… Les tracts, les habitants les ont depuis longtemps ! On fait ça pour leur montrer qu’on est toujours là pour les législatives », explique Martin Garagnon, conseiller national En Marche et animateur du groupe « Vanves En Marche ». Mercredi 1er juin, dès 7h45, un groupe de militants s’est retrouvé au métro « Plateau de Vanves », tracts en main et vêtus de sweat shirts floqués « Gabriel Attal avec vous ». Ce matin, « Gabriel » n’est pas là, mais un grand drapeau à son effigie flotte devant la station. Les marcheurs sont « les seuls », selon Martin Garagnon, à avoir cet équipement de campagne sur toute la 10ème circonscription des Hauts-de-Seine. Cette dernière regroupe les villes de Vanves, d’Issy-les-Moulineaux mais aussi la partie sud de Boulogne-Billancourt et la partie nord de Meudon.

A Vanves et à Issy-les-Moulineaux, les deux principales communes de la 10ème circonscription des Hauts-de-Seine, les militants LREM et NUPES tractent à la rencontre des électeurs. ©Héloïse Bauchet

Un candidat populaire

À Vanves, la plus petite commune des Hauts-de-Seine, Gabriel Attal s’est lancé dans la campagne sans trop d’appréhension et de difficulté. Ici, il jouit d’une forte popularité. « Il habite à une rue de chez moi ! Il faut le reconnaître, il connaît le territoire et on le voit souvent tracter à Vanves. Ici, il fait un peu l’unanimité », assure Chloé, 22 ans, qui s’apprête pourtant à voter pour la Nouvelle Union Écologique et Sociale (NUPES), plus en accord avec ses valeurs. En 2017, l’ancien porte-parole du gouvernement avait déjà remporté les législatives à plus de 60% au second tour. Mais cette année, les élections ne sont pas encore tout à fait gagnées pour celui qui vient d’être nommé ministre délégué aux Comptes publics.

Dans la circonscription, et en particulier à Vanves, Jean-Luc Mélenchon est arrivé juste derrière Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle. L’insoumis y avait recueilli 27% des voix contre 35,6% pour le président sortant. Alors, pour faire face à LREM, l’union des gauches s’organise. « Il faut mobiliser les électeurs de gauche ! Rien n’est écrit ! », lance Cécile Soubelet, la candidate étiquetée NUPES, en tendant un tract à une mère de famille qui sort de l’Intermarché d’Issy-les-Moulineaux. Accompagnée de Michael, militant La France Insoumise (LFI) d’une trentaine d’années, elle s’est rendue sur ce lieu de passage mardi 31 mai. Dès qu’elle le peut, cette salariée en communication prend sur son temps libre pour rencontrer les électeurs et affirmer la présence d’un vrai parti d’opposition. Sur les panneaux électoraux de la circonscription, seules quelques affiches du parti animaliste semblent nuancer l’impression d’un duel politique entre la NUPES et LREM. Les sept autres candidats y sont souvent absents et ne font pas réellement campagne dans la 10e circonscription.

Sur les panneaux électoraux de Vanves, les affiches sont peu nombreuses. Seules celles du parti animiste viennent concurrencer celles de NUPES et de LREM. ©Héloïse Bauchet

Une alliance stratégique avec la droite

Les candidatures de droite sont aux abonnés absents. Pourtant, ce territoire est marqué par la forte présence du parti politique de centre-droit, l’Union des Démocrates et Indépendants (UDI). En témoigne la figure politique centrale d’André Santini, maire d’Issy-les-Moulineaux, qui réalise actuellement son 8ème mandat. Rivaux au second tour des dernières législatives, l’UDI s’est cette fois-ci rangée aux côtés de LREM. Une alliance scellée par la candidature de Claire Guichard, adjointe à la mairie d’Issy depuis 25 ans, en tant que suppléante de Gabriel Attal. Compte tenu du poste de ministre de Gabriel Attal, c’est elle qui siègera à l’Assemblée en cas de victoire.

Le candidat marcheur a fait alliance avec Claire Guichard, adjointe à la Mairie d’Issy-les-Moulineaux. ©Héloïse Bauchet

Avec un candidat LREM plutôt très apprécié à Vanves et sa suppléante bien implantée à Issy-les-Moulineaux, la coalition semble relever d’une stratégie politique bien réfléchie, qui pourrait convaincre. « Je n’aime pas Gabriel Attal mais j’adore Claire Guichard. J’ai travaillé avec elle, c’est une femme géniale », lance Nathalie, une ancienne fonctionnaire d’Issy-les-Moulineaux, qui habite la commune depuis plus de 50 ans. « Mais ce n’est pas une tactique électoraliste ! », assure Martin Garagnon, plutôt une alliance qui assure la bénédiction du candidat marcheur par André Santini, figure influente s’il en est. « Si le maire va derrière Gabriel Attal, je le suis », explique ainsi Angel, un homme d’une cinquantaine d’années qui a passé la quasi-totalité de sa vie dans la ville. Comme la plupart des personnes interrogées dans la circonscription, il aime sa commune. Chloé aussi est « très attachée à Vanves » et n’a aucune intention de déménager. Pourtant, les villes de la 10ème circonscription ont beaucoup changé ces dernières années. « Il y a 50 ans, Issy c’était un village », explique Nathalie. Depuis, des immeubles ont poussé un peu partout, de grandes entreprises se sont installées. Le territoire est devenu plus attractif et les prix de l’immobilier ont augmenté. 

Un électorat idéal pour En Marche

Des évolutions qui ne semblent pas inquiéter outre-mesure les habitants, surement parce qu’ils jouissent d’un niveau de vie supérieur à celui du reste des Français. C’est le cas d’Angel, chef d’entreprise, qui « gagne très bien [sa] vie ». Selon l’INSEE, les habitants de la 10ème circonscription sont très diplômés (40% d’entre eux ont un diplôme de niveau bac+5, contre 15% à l’échelle nationale) et exercent majoritairement des professions de cadres (plus de 45% d’entre eux, contre un peu plus de 15% dans la reste de la France). Le portrait de l’habitant-type qui se dessine semble correspondre à la sociologie de l’électorat de LREM mise en avant par un sondage Sopra Steria. Mais pour Cécile Soubelet, « le territoire est quand même assez hétérogène. Il y a pas mal de logements sociaux notamment vers le Pont-de-Sèvre, la partie la plus à gauche de Boulogne-Billancourt. » C’est auprès des électeurs de ces zones que la NUPES espère aussi récolter des voix, même s’ils y craignent un fort taux d’abstention.

 

À l’échelle de la circonscription, les candidats s’attendent à une abstention avoisinant les 50%. Un élément de réponse : le relatif désintérêt de la population pour les élections législatives. « J’ai l’impression que ce sont des élections qu’on laisse un peu de côté par rapport à la présidentielle », observe Tom, un militant en marche de 18 ans venu lui aussi tracter devant la station de métro Vanvéenne. Pour ces élections, Gabriel Attal va donc devoir faire face à l’abstention mais aussi à la campagne assidue de la NUPES. Un combat d’autant plus crucial pour le candidat qu’en cas de défaite, il devra démissionner de son poste de ministre au gouvernement. 

Nikita Guerrieri et Héloïse Bauchet

 

 

Hauts-de-Seine : la 6e circonscription, véritable « Game of Thrones » des élections législatives

Mercredi 1er juin à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Le candidat LR Patrick Pessis (à gauche), l’élu et soutien de la candidate Fayza Basini, Emmanuel Canto (à droite) et un militant Reconquête (centre) distribuent des tractes. (© Imane Lyafori).

Dans la 6e circonscription des Hauts-de-Seine (Neuilly-sur-Seine, Puteaux, Courbevoie sud), 12 candidats se lancent dans la course aux élections législatives, dont le premier tour se tiendra le 12 juin prochain. Une multiplicité de profils, à gauche comme à droite, qui révèle des dissidences au sein de la majorité présidentielle et menace les voix des Républicains.

« Casse toi ! », fustige un passant, en levant le bras au ciel. Martin*, militant de la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES), ne se décourage pas pour autant. Une nouvelle masse de personnes se dirige vers la sortie de la gare de Puteaux (Hauts-de-Seine). Le trentenaire repart aussitôt à l’attaque. « Bonjour monsieur, votez pour la justice sociale ! », tente-t-il en tendant des tractes. De l’autre côté des marches, Julie Barbaux, professeure des écoles et candidate NUPES aux élections législatives dans la 6e circonscription des Hauts-de-Seine (Neuilly-sur-Seine, Puteaux, Courbevoie sud), se charge de ceux qui seraient passé entre les mailles du filet. « Dès que je sors du travail, je me dépêche de rouler avec mon vélo jusqu’aux lieux de tractage. Heureusement que ça ne dure que quelques semaines », lance-t-elle en riant.

Un exercice de taille dans cette circonscription traditionnellement à droite où pas moins de 12 candidats, dont huit allant du centre à l’extrême droite, se présentent. La candidate sortante Constance Le Grip, ex-Les Républicain (LR) aujourd’hui investie par la majorité présidentielle, est à la tête des villes de Neuilly-sur-Seine, Puteaux et Courbevoie depuis son élection comme députée en 2017. Une victoire qu’elle avait obtenue avec 53,8% des voix contre son opposant de l’époque, Laurent Zameczkowsi (LREM) avec 46,1%. Des chiffres loin des résultats obtenus par La France Insoumise (LFI) qui n’avait séduit que 4,96% des votants au premier tour. « On a encore une chance de faire passer des lois qui ne sont pas destructrices pour ce pays », soutient Martin, pour qui les élections législatives du 12 et 19 juin prochain peuvent « aider les gens à faire le bon choix ».

La 6e circonscription des Hauts-de-Seine représente les villes de Neuilly-sur-Seine, Puteaux et de Courbevoie sud et compte 117 731 habitants. (© Adrien Chapiron).

La macronie s’invite chez Les Républicains

Changement d’ambiance radical au théâtre des sablons (Neuilly-sur-Seine). La candidate sortante Constance Le Grip affiche ses nouvelles couleurs macroniennes. Selon elle, cette investiture était nécessaire pour faire « face aux extrêmes, de gauche comme de droite ». Tout est mis en œuvre pour présenter l’ancienne députée européenne comme « une élue locale en phase avec les réalités [du] département ». Un récit déroulé tour à tour par les différents élus réunis autour d’une table placée face au public. Les vidéos de soutien de l’actuel ministre délégué chargé de l’Europe Clément Beaune et du ministre de l’Economie Bruno Le Maire en impressionnent certains dans la salle. Des invités de taille qui réussissent à convaincre quelques futurs votants. « Le discours de Mme. Le Grip est vrai, sincère et cohérent. C’est devenu très rare en 2022 », insiste Carole, 61 ans, qui arbore l’un des tee-shirts à l’effigie de la candidate.

Mardi 31 mai à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Des tee-shirts à l’effigie de la candidate Constance Le Grip sont distribués lors de sa réunion publique tenue au théâtre des sablons. (© Imane Lyafori).

C’est aussi une manière pour l’ancienne députée LR d’assoir sa légitimité. « Les ministres m’ont spontanément proposé leurs soutiens. Ça montre que je suis une personne fiable et crédible », assure-t-elle. Pour cause, une autre candidate marcheuse de la première heure, soit depuis 2016, aurait dû être investie par la majorité présidentielle. Du moins, c’est ce que défend Fayza Basini, candidate dissidente LREM, qui aborde le sujet avec un sourire crispé. « Le succès d’En Marche attire des candidats, forcément. Mais personne ne connaît le nom de Constance Le Grip. Moi-même, si je n’étais pas engagée en politique, je ne la connaîtrais pas », lance-t-elle.

Du côté des soutiens de Fayza Basini, les mots sont plus durs envers l’ancienne LR. « On vit très mal ce ralliement de dernière minute », confie Emmanuel Canto, chef du groupe municipal d’En Marche Puteaux. « Il paraît que Nicolas Sarkozy est intervenu pour la faire investir », chuchote l’élu. « Mais bon, entre l’original et la contrefaçon… », ajoute Eric Becque, ancien président du comité de Neuilly-sur-Seine, en levant les yeux aux ciel. Mais hors de question de changer de cap pour la marcheuse « chiraquienne et juppéiste » qui assure ne pas avoir été exclue par la majorité présidentielle mais bien s’être retirée de son plein gré. « Ça fait plus de 10 ans que je suis engagée sur ce territoire. Je connais les dossiers ».

Mercredi 1er juin à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Emmanuel Canto tracte pour la candidate dissidente Ensemble !, Fayza Basini. (© Adrien Chapiron).

A la suite de cette annonce, Paul s’est engagé auprès de la candidate dissidente. Tous les matins, entre huit et neuf heures, le salarié de 29 ans essaye tant bien que mal d’aborder les passants très pressés de l’avenue Charles de Gaulle. « Pour moi, Fayza Basini est la meilleure candidate pour la circonscription. Elle porte les valeurs progressistes qui me sont chères. Contrairement à Constance Le Grip et son positionnement autour du mariage pour tous », affirme-t-il en distribuant des tracts. En 2014, l’ancienne élue LR, à l’époque députée européenne, avait signé la charte de la Manif pour tous où les principes étaient de « défendre le mariage et la filiation en cohérence avec la réalité sexuée de l’humanité ». En 2017, la candidate avait également co-signé une proposition de loi « visant à la protection de l’enfant », associant la pédopornographie et le mariage entre personnes du même sexe.

Une campagne sur fond de querelles familiales 

Dès 10h30, la place du marché est prise d’assaut par les différents candidats et leurs tracteurs respectifs. Tous se positionnent à différents points de passages stratégiques. Impossible de continuer son chemin sans repartir avec quelques brochures. Les républicains et les macronistes se font face. « Ici, c’est comme un petit Game of Thrones », avance Patrick Pessis, candidat LR et scénariste. Mais rien de bien décourageant pour Sasha, 18 ans. « LR c’est la vraie droite. Je resterai fidèle à ce parti, quoi qu’il arrive », prévient le tracteur.

Le remplaçant express de Constance Le Grip dénonce une « inconstance » chez son ancienne collègue. « Ça faisait un mois et demi qu’on tractait pour Constance. Il y a deux semaines, un dimanche soir, on apprend par la presse qu’elle se rallie à la majorité présidentielle. Le matin même, elle nous demandait de tracter pour elle », se souvient le candidat. Une trahison qui ne passe pas. « La manière de faire est tout de même assez basse. Elle nous a trompés sans négociation. Je pense qu’elle a fait ça par opportunisme », juge Patrick Pessis.

Bien loin des soucis de familles que rencontrent certains, Franck Keller, candidat Reconquête, mise sur les 18,75% de Neuilléens ayant voté pour Éric Zemmour à l’élection présidentielle. « Les idées avancées par Éric Zemmour reçoivent un écho important au sein de la population de Neuilly-sur-Seine, sachant que le Rassemblement national, sur cette circonscription, n’a jamais fait de score important », assure-t-il, confiant. En 2017, le Rassemblement national n’a récolté que 3,9% des voix au premier tour. Un score qui justifie sans doute la candidature de Marie-Caroline Le Pen. Contacté à ce sujet, la candidate n’a pas donné suite.

Imane Lyafori