Faut-il arrêter de démanteler les bidonvilles ?

Il y aurait plus de 500 bidonvilles en France, dont près de la moitié concentrée en région parisienne. Ces campements de fortune sont peuplés en grande majorité par la communauté rom. Depuis 25 ans, les politiques publiques n’ont pas permis d’éradiquer ce phénomène, au point de se demander aujourd’hui s’il ne faut pas laisser les bidonvilles existants se stabiliser.

 

Au bord du boulevard Ney (XVIIIe) un bidonville à pris racine sur l'ancienne voie de chemin de fer
Au bord du boulevard Ney (XVIIIe) un bidonville à pris racine sur l’ancienne voie de chemin de fer

Les cabanes en bois et en tôles qui jalonnent une partie de la N135 à Gennevilliers dans le Nord de Paris devraient bientôt disparaître. Il y a une quinzaine de jours, le tribunal de grande instance de Nanterre a ordonné le démantèlement de ce bidonville. Les quelques centaines de personnes issues de la communauté rom qui le peuplent seront expulsées d’ici quatre mois.

Une victoire pour le maire Patrick Leclerc qui multiplie les actions depuis plusieurs mois pour attirer l’attention des pouvoirs publics. En réalité, le terrain sur lequel le bidonville a pris racine il y a près d’un an, appartient à l’Etat qui a « laissé faire », d’après le maire. « Vous savez dans ces dossiers c’est chacun pour soi. Néanmoins, c’est une situation qui ne peut se régler qu’au niveau de l’Etat », ajoute Abdelhalim Benassem chargé de mission auprès du maire.

Aujourd’hui la situation est préoccupante pour les habitants du bidonville tant il est insalubre. Médecins du Monde est l’une des rares associations à se rendre sur place. De leur côté, les riverains s’agacent d’une situation qui a trop duré. « On a résorbé un certain nombre de logements insalubres, ce n’est pas pour qu’il y en ait d’autres », explique Abdelhalim Benassem. D’après l’élu, il est impossible de reloger les habitants du bidonville de la N135 alors que 3 200 familles gennevilloises sont déjà en attente de logements.

À quelques kilomètres de là, aux portes de Paris, le décor est sensiblement le même. Dans le XVIIIe arrondissement de Paris, entre la porte de la Chapelle et la porte de Clignancourt, des baraques de tôles et de bois abritent plusieurs centaines de Roms de part et d’autre des rails de l’ancienne petite ceinture. Visible depuis le boulevard Ney, le bidonville prend une place importante dans le paysage. Il y a quelques mois une partie des cabanes ont pris feu. « Trois bombonnes de gaz ont pété. On était là. Le camp s’est réduit, avant ça allait beaucoup plus loin », raconte Florence M.* employée à la RATP en pointant du doigt la porte de Clignancourt. « Ils ne sont pas agressifs. Après c’est vrai qu’ils demandent toujours une cigarette ou quelque chose », poursuit la quinquagénaire. La situation a de quoi attrister les habitants du quartier. Les odeurs qui se dégagent du bidonville laissent peu de place au doute quant aux conditions d’hygiène à l’intérieur. « Moi ça ne me dérange pas trop » explique Guillaume M. qui habite et travaille dans le quartier, « c’est plutôt triste pour eux. »

Apparu en 2013 sur ce terrain propriété de la SNCF, le bidonville a survécu à trois procédures d’expulsion, le signe pour beaucoup de travailleurs sociaux de l’inefficacité de cette politique.

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Au bout du bidonville, les déchets s’entassent

Une politique d’expulsion systématique

Le dernier texte de loi en la matière remonte au 26 août 2012. Plusieurs ministres du gouvernement de Jean-Marc Ayrault cosignent une circulaire « relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites ». Elle est censée mieux encadrer les évacuations en imposant un diagnostic social en amont. Cinq ans plus tard, l’attitude des autorités françaises pose toujours problème à beaucoup d’associations. En 2015 le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme Zeid Ra’ad Al Hussein, s’en était ému dénonçant « la politique nationale systématique d’expulsion de force des Roms ». Jugée « punitive et destructrice » elle est pour autant toujours appliquée.

Quelque 10 000 personnes auraient été expulsées de bidonvilles et de squats en 2016, un chiffre qui ne diminue pas depuis cinq ans malgré la circulaire.

Depuis plus de quinze ans le collectif Romeurope composé de 41 associations, vient en aide aux personnes originaires d’Europe de l’Est, Roms ou présumées Roms vivant en bidonville. Guillaume Lardanchet est directeur de l’association « Hors la rue », une des huit entités fondatrices du Collectif national des droits de l’homme « Romeurope », l’un des plus actifs sur la question en France et en Europe.

Pour ce dernier, la circulaire de 2012 pose problème dès l’intitulé : le choix de parler de campement plutôt que de bidonville est politique. « Quand on parle de « campement illicite » on sous-tend deux notions. D’abord le caractère temporaire qui diffuse l’idée de « nomadisme » – un gros préjugé à l’égard des populations qui y vivent. Puis l’idée que c’est illégal et que donc ça doit disparaître le plus vite possible », estime Guillaume Lardanchet. À la mairie de Gennevilliers on préfère parler de « camp » plutôt que de bidonville même si, dans le dictionnaire Larousse, un bidonville est bien « une agglomération de baraques où s’entasse la population misérable d’une grande ville ».

 

Une population stable

Paris et la région Ile-de-France concentre près de la moitié des bidonvilles recensés sur tout l’hexagone. « La majorité des bidonvilles se concentre en banlieue, de même que les expulsions », explique le directeur de l’association. « En Ile-de-France, une famille sait qu’elle va être expulsée 3 à 4 fois par an tous les ans. Donc un enfant de trois ans aura connu une dizaine d’expulsions ».

Depuis près de dix ans le nombre de Roms en France est stable. Ils seraient entre 15 000 et 20 000. Il est impossible de recenser les ethnies, aussi lorsqu’on parle de Roms ou de gens à « culture rom » comme dans la circulaire du 26 août 2012, on parle des personnes habitant dans les bidonvilles qui sont régulièrement recensées par les préfectures. À titre comparatif, près de 10 000 migrants vivaient dans la jungle de Calais.

La France et l’Italie seraient les seuls pays où l’on observe cette vie en bidonville, alors que les Roms sont présents dans de nombreux pays de l’Europe de l’ouest. Les Roms représentent la minorité ethnique la plus importante d’Europe et la plus précaire aussi. Toutefois, s’ils quittent leur pays d’origine ce n’est pas pour s’exiler et fuir les persécutions mais pour des raisons économiques.

Les Roms qui habitent les quelque 539 sites recensés par la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL) viennent de Roumanie et de Bulgarie. Bien que ces pays soient rentrés dans l’Union européenne en 2007, leurs habitants n’ont eu accès au marché du travail qu’à partir de 2014. En effet, certains membres de l’Union européenne dont la France, avaient choisi d’appliquer des mesures transitoires aux ressortissants de ces pays, ce qui a eu pour conséquence de leur restreindre l’accès au marché du travail. Depuis 2014, les Roms bénéficient des mêmes droits que les autres citoyens européens.

 

Une population qui s’invisibilise

La circulaire du 26 août 2012 s’engage à proposer une solution d’hébergement après chaque expulsion. Dans les faits, elle prend souvent la forme de quelques nuits d’hôtel que les familles refusent de plus en plus souvent. « Les nuitées d’hôtel ont leur limite dans le temps et elles ne répondent pas forcément aux besoin des personnes et surtout des familles. », déplore Guillaume Lardanchet. Dans les hôtels sociaux, il est notamment interdit de faire à manger ou de laisser sécher son linge aux fenêtres. Pour manger à l’extérieur, il faut donc aller chercher de l’argent, or les lieux de mendicité et les hôtels sociaux sont rarement sur les mêmes territoires, il en est de même pour les écoles lorsque les enfants sont scolarisés. « C’est une situation intenable pour les personnes. De plus en plus de familles refusent ces nuitées d’hôtel, pas par goût de luxe mais parce que ce n’est pas du tout adapté. Ce principe de l’hébergement d’urgence hôtelier a été conçu pour des hommes seuls ».

Les expulsions à répétition rendent impossible le travail des acteurs sociaux qui perdent souvent la trace des familles. « Il y a de plus en plus de personnes qui s’installent dans les squats, ça devient plus difficile de les localiser. Un bidonville qui est expulsé c’est tout le travail des services sociaux à reconstruire. La personne s’invisibilise. On voit aussi apparaître ci et là des phénomènes de marchands de sommeil qui obligent les personnes à payer des droits d’entrée, et la location des cabanes. »

 

« Il faut convaincre les pouvoirs publics que la stabilisation est la seule solution incontournable. »

Prendre le bidonville comme un état de fait n’est pas évident, tant les conditions de vie y sont inhumaines : insalubrité, pas d’accès à l’eau, déscolarisation des plus jeunes. Pour autant Guillaume Lardanchet, président de l’association Hors la rue, plaide pour la stabilisation de ces espaces. « Il y a une telle casse sociale dans les bidonvilles, qu’on en est venu à se dire qu’il faut stabiliser les personnes dans ces lieux : repérer les terrains où c’est possible de le faire, organiser le ramassage des ordures, la connexion à l’eau et permettre à ces personnes de vivre dans des conditions un peu plus dignes, de manière à organiser la sortie progressive du bidonville, sinon dans 25 ans on reparlera encore de ce problème ».

 

(*Ils ont préféré gardé l’anonymat)

Clothilde Bru et Garance Feitama

 

Olivier Peyroux : « La durée moyenne de vie dans un bidonville est de cinq ans »

Olivier Peyroux

Olivier Peyroux est sociologue de formation spécialisé sur les Roms des Balkans et la traite des êtres humains. Il a travaillé six ans en Roumanie et mène des missions d’expertise pour l’OSCE, l’UE, le ministère des Affaires étrangères et des ONG internationales.

 

Comment se fait-il que le nombre de Roms habitants en bidonvilles soit stable ?

 

À partir du moment où le Rom qui habite un bidonville intègre un logement, il n’est plus comptabilisé comme « Rom » vu qu’il n’est plus en bidonville. Cela renforce cette idée qu’ils sont condamnés à vivre en marge des sociétés. On a l’impression que les 15 000 comptabilisés sont là depuis plus de vingt ans. En réalité la durée moyenne de vie dans un bidonville est de cinq ans. Il y a des gens qui rentrent dans les bidonvilles et des gens qui en sortent parce qu’ils ont trouvé un logement et un boulot.

 

Pensez-vous qu’il faut stabiliser les bidonvilles existants ?

 

Je ne suis pas du tout un défenseur du bidonville. Ce n’est pas viable sur le long terme et ce n’est pas souhaitable pour les gens, tant les conditions sont dures. Souvent, il n’y a pas l’accès à l’eau et il y a tout un business qui se met en place sur la migration. Il y a des marchands de sommeil, des droits d’entrée, des formes d’endettement qui sont très compliqués à gérer.

 

Quand est-ce que le problème des bidonvilles en France sera résolu ?

 

Lorsqu’il y aura une volonté politique pour le résoudre, ce qui suppose qu’on ait des services sociaux qui aillent au sein du bidonville, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut aussi élargir les dispositifs d’insertion par l’emploi auxquels ces populations accèdent pour le moment très peu.

 

 

Garance Feitama, Clothilde Bru

 

Maison Chérie: A la rencontre d’une drag house parisienne

Le collectif de drag queens Maison Chérie. Crédit photo: Jean Ranobrac
Le collectif de drag queens Maison Chérie. Crédit photo: Jean Ranobrac

Drag queens membres du collectif Maison Chérie, Cookie Kunty, Ryûq Qiddo font du drag depuis un an et demi, Enza Fragola depuis trois ans. Toutes trois sont très actives dans le milieu de la nuit depuis l’inauguration du premier Dragathon, un concours de drag queens, en 2014.

 

Q : Qu’est-ce qu’est Maison Chérie ?

 

Enza Fragola: C’est une drag house, un groupe de potes cohérent, comme une famille. Chaque personnage a sa propre personnalité, son charme. Mon personnage est carton papier ciseaux. J’aime être encombrante : je passe une porte sans avoir de problèmes, c’est que c’est pas assez, il manque un truc. Un truc qui dépasse, un truc qui déborde.

 

Ryûq Qiddo: On n’est pas comme ces houses où toutes les drags se ressemblent. Il y a tous les types de queens. Il y a Cookie Kunty, qui a un maquillage propre, à côté de Enza Fragola, qui recycle tout (Enza: « La poubelle ! Très clairement, je pioche dans la poubelle pour m’habiller. »), et moi qui suis plutôt masculine, avec des épaules de mec et un maquillage type créature. Il y a aussi des membres qui sont féminines ou issues du milieu transformiste, etc.

 

Q : Quelles sont vos actions ?

 

Enza: Notre groupe est une plateforme pour permettre aux drags parisiennes de s’exprimer et de se faire connaitre à travers nos activités. Il y les soirées, qui sont une scène ouverte qui a pour but d’aider des gens qui n’y ont pas accès de monter sur scène. Il y a un fanzine, « Les Fées du Marais », sur la drag culture. On participe aussi à des événements, comme le sidaction, pour lequel on a réuni 2000€.

Infographie par Jean-Gabriel Fernandez
Drag queen: mode d’emploi

 

Q : Pour vous, qu’est-ce que représente le drag ?

 

Cookie Kunty: Le drag est militant. Affiché ou pas, le drag reste un acte subversif. Tu poses des questions aux gens, tu soulèves des problématiques sur le genre surtout. Dans le milieu gay, on fait partie du paysage. Dans le milieu hétéro… on est moins accessibles, il y a comme un mur qui sépare les performers du public dans ces soirées.

 

Enza: Mais les drags c’est surtout le fun ! Les étudiants qui vont en soirée hétéro s’habillent comme s’ils allaient au supermarché. La communauté queer a une culture de la fête, du paraître, qui permet de mettre une distance entre celui que tu es dans ta vie banale et celui que tu es en soirée. Ca permet de faire les choses à fond, faire les choses en grand !

  • Jean-Gabriel Fernandez & Anaëlle De Araujo

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Le gay savoir

Librairie Violette and Co
Librairie Violette and Co

Dans la librairie Violette and Co, dans le 11ème arrondissement de Paris, les rayons consacrés à la littérature LGBT, sont à l’entrée du magasin et affichent fièrement une étiquette avec deux symboles féminins ou masculins ensemble. C’est l’une des deux seules librairies LGBT de Paris.

 

Catherine Florian, libraire et co-fondatrice de Violette and Co, revendique la spécificité de la librairie : « Notre objectif, en tant que libraires, est de mettre en valeur ces livres et de les faire connaître. Nous revendiquons l’identité LGBT de notre magasin ». Le nombre de livres aux thématiques LGBT est également en forte augmentation. « Les grandes maisons d’édition comme Gallimard et Hachette se sont aussi mis à publier davantage de littérature LGBT. Cela nous pose parfois des problèmes de classement car des personnages secondaires LGBT peuvent apparaître au détour d’une page, sans que ce soit le sujet principal. Du coup, on ne sait pas trop si on doit placer le livre dans le rayon LGBT ou dans le rayon général », reconnaît Catherine Florian.

 

Mais la librairie ne propose pas seulement des romans à la vente, mais aussi de la presse, des livres de sciences humaines, et des bandes dessinées. « Il y a moins de titres de presse maintenant parce que internet a pris le relai, et des fanzines et des mook (contraction de magazine et de book) sont apparus. Les sciences humaines sont aussi en train de se développer, même si les études de genre ont un peu de mal à se faire une place dans le milieu universitaire français », constate la libraire.

 

La librairie Violette and Co existe depuis 13 ans. Cette survie témoigne de la vitalité de la littérature queer.

 

Anaëlle De Araujo et Jean-Gabriel Fernandez