Intrigués par la programmation, ils sont quelques touristes et habitants à s’arrêter jeudi matin devant les portes vitrés de l’enseigne. Ce que certains ignorent, c’est qu’elle pourrait dans un avenir plus ou moins proche devoir fermer ses portes. Le Luminor, dernier cinéma indépendant du Marais, a lancé une pétition mardi pour protester contre la volonté du propriétaire des locaux de résilier le bail de ce lieu ancré dans la vie culturelle et éducative du quartier. Parmi les grandes affiches qui arborent la devanture du cinéma, on y trouve un message sans détour : « Non au vandalisme culturel« .
« Cinéma de passionnés »
« Ici, vous ne trouverez pas de grosse production commerciale. On accueille très régulièrement des enfants en sortie scolaire, dans un soucis d’éducation à l’image et à la cinématographie française. Ils représentent un quart de notre public« , raconte Jennifer, qui tient la caisse ce matin. A l’affiche, des films français, d’auteurs… et notamment le documentaire 140 KM à l’ouest du paradis, que le cinéma est le seul, avec celui de l’espace Saint-Michel, à diffuser dans la capitale. Le film raconte l’histoire d’une tribu autochtone de Papouasie-Nouvelle-Guinée, lentement et insidieusement dépossédée de leurs terres et de leur culture par les multinationales pétrolières et les touristes qui affluent. Un récit qui ferait presque écho à ce que vit le Luminor, selon ses habitués cinéphiles.
Employée depuis plus de sept ans ici, Jennifer déplore la mort à petit feu des commerces de proximité du quartier. « On est un cinéma de passionnés. On reçoit plus de 100 000 visiteurs par an et on a toujours payé notre loyer, mais l’appât du gain a poussé les propriétaires des lieux à vouloir installer des bureaux à la place« , se désole-t-elle. En cause, le groupe Sofra, une holding familiale spécialisée dans l’immobilier commerciale et le tourisme, qui gère notamment le site du Musée de Montmartre. Sur sa page web, la société assure faire de « la valorisation du patrimoine culturelle » une « priorité« .
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« Il y a déjà bien assez de boutique dans le coin »
« Le quartier se dénature complétement. Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus que des commerces de luxe« , regrette Sandrine. Mère d’un petit garçon en situation de handicap scolarisé à proximité, à l’école élémentaire Saint-Merri Renard, elle est venu proposer aux employés du Luminor, partenaire de l’établissement scolaire, d’alerter sur leur situation à l’occasion du prochain conseil de quartier. « Je fais partie d’un collectif participatif. Avec d’autres habitants du coin, on essaye de préserver la vie culturelle du Marais. Mon fils vient souvent ici avec sa classe. C’est un lieu à deux pas de chez nous et qu’on a toujours connu. » La riveraine, qui songe à lancer une cagnotte participative pour racheter les lieux, a déjà signé la pétition. Déjà en janvier 2020, un blog tenu par des habitants dénonçait « l’hécatombe de petits commerces dans le marais. »
En sortant d’une séance pour le film Les volets verts, dans lequel joue notamment Gérard Depardieu, Yanick, 74 ans, prend le temps de signer le registre à l’entrée pour recevoir par mail la fameuse pétition. « J’ai appris que le cinéma allait peut-être fermer car ils ont diffusé une annonce au début du film. On a déjà une librairie et une école maternelle qui ont fermé dans le quartier dernièrement. Il y a déjà bien assez de boutiques dans le coin, surtout de vêtements…« , s’agace celui qui habite le Marais depuis 1983. « Quand je suis arrivé ici, c’était un petit village. Aujourd’hui, ça n’a plus rien avoir. » Même constat du côté de Yanick. Travaillant comme agent sécurité de nuit à proximité, il profite de la journée et de sa carte Gaumont pour s’adonner à ses occupations cinéphiles. « Je viens souvent au Luminor, ce cinéma a une vraie âme. Peu de cinémas indépendants subsistent. S’ils partent, j’espère au moins qu’ils trouveront de nouveaux locaux pour que je puisse revenir les voir. »
Pour l’heure, près de 3900 personnes ont signé la pétition en ligne pour demander la préservation du lieu. Contacté, le groupe Sofra n’a pour l’instant pas donné suite à nos sollicitations.