Journalisme sportif : quelle place pour les femmes ?


Souvent remise en cause, la légitimité des femmes dans le journalisme sportif n’est toujours pas parfaitement acquise. Les chiffres tendent à montrer une évolution positive. Mais au sein des rédactions sportives, les femmes demeurent assignées à des fonctions où l’image prédomine. Quelle est aujourd’hui leur véritable place au sein de ce paysage essentiellement masculin ? Enquête.

Agathe Roussel (Canal+) durant une interview en 2012
Agathe Roussel et Gael Monfils lors d’une interview en 2012 / © Canal+

À l’approche de la Coupe du Monde de football en Russie, l’ensemble des diffuseurs ont présenté leur dispositif pour couvrir l’événement. Comme de coutume, les émissions quotidiennes, magazines et matchs en direct feront la part belle aux journalistes sportifs bien connus du grand public. Grégoire Margotton, Christian Jeanpierre ou encore Denis Brogniart officieront sur les antennes de TF1, quand Christophe Josse, Alexandre Ruiz et Benjamin Da Silva leur feront concurrence sur beIN SPORT.

Mais quid des femmes dans cet environnement ? Elles seront minoritaires, puisque seules Nathalie Iannetta et Charlotte Namura accompagneront les 10 journalistes et chroniqueurs masculins choisis par TF1 pour la Coupe du Monde. Même son de cloche du côté de beIN SPORT, où seulement deux femmes, Claire Arnoux et Vanessa Le Moigne, figurent parmi la liste des 35 noms de journalistes, consultants et animateurs dévoilée par la chaîne qatarie lors de la présentation de son dispositif. Elles seront peut-être un peu plus, si l’on compte les journalistes-reporters envoyées directement sur le terrain par beIN Sport, comme Margot Dumont et Anne-Laure Bonnet. RMC, en revanche, a choisi de retenir uniquement des hommes. 

Une question d’image ?

Cette situation, loin d’être paritaire, contraste avec la tendance à la féminisation du journalisme sportif apparue ces dernières années. « Les journalistes sportives s’imposent à la télévision »écrivait Paris Match à ce sujet en mai 2016, quelques semaines avant l’Euro de football. Si les Estelle Denis, Carine Galli et autres Alessandra Bianchi occupent effectivement une place de plus en plus importante à la télévision, les coulisses des rédactions sportives souffrent encore de disparités criantes. Certes, la proportion de femmes au sein des rédactions sportives est passée de 5 à 10% entre 2000 et 2016, mais l’inégalité demeure.

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La légitimité des femmes dans les médias sportifs est donc  loin d’être évidente, comme le reconnaît Hélène Legrais, ancienne journaliste sportive pour France Inter et véritable pionnière de la profession en France : « Je suis désolée de constater qu’aujourd’hui, les femmes journalistes sont cantonnées à certains rôles. Je pense que la société a reculé. Je croyais  que l’élan était lancé. Mais en fait, il y a encore beaucoup de travail à faire. J’imaginais qu’en 2018, il y aurait autant de commentateurs que de commentatrices, mais il n’y a qu’à regarder la Coupe du Monde : il n’y aura que des tandems masculins ».

Plus que la place des femmes dans le journalisme sportif, c’est surtout l’utilisation de leur image qui suscite des interrogations. « Quand je vois les femmes aujourd’hui, je me dis qu’on en faisait davantage à mon époque, dans les années 80. Certes, il y a plus de femmes dans les émissions de sport en 2018, mais on les voit essentiellement en plateau ou alors sur le bord du terrain pour faire les interviews à la mi-temps et à la fin des matchs. En revanche, je ne vois pas de journalistes femmes qui commentent en direct comme nous pouvions le faire à l’époque… » , regrette Hélène Legrais. Elle compare la nouvelle génération de journalistes sportives à celle qu’elle a elle-même côtoyée au début des années 1980, période charnière dans la féminisation de la profession en France. Propulsées sur le devant de la scène par l’ancien directeur des sports de France Inter, Pierre Loctin, Marianne Mako, Nathalie Debrock et Hélène Legrais ont été les premières à couvrir le sport masculin au même titre que les journalistes hommes. Une véritable révolution, à l’époque, pour celle qui s’est ensuite exilée du côté d’Europe 1, avant de terminer sa carrière de journaliste sportive lors des Jeux Olympiques de Barcelone, en 1992 : « Nous n’étions que deux femmes en France à couvrir le foot pour les multiplex : Marianne Mako et moi. C’était nouveau et tout à fait exceptionnel. Sur le Tour de France par exemple, nous n’étions que 6 femmes toutes nationalités confondues », se souvient-elle.

Ostrowski
Hélène Legrais et le basketteur Stéphane Ostrowski / Photo DR

Au début des années 2000, les producteurs d’émissions sportives, par soucis d’image, ont fait le choix de propulser davantage de femmes à l’antenne. Celles-ci se trouvant souvent cantonnées à la présentation et aux interviews. Agathe Roussel, ancienne journaliste spécialisée dans les courses hippiques et le tennis, est aujourd’hui directrice adjointe au service des sports de Canal+. Elle se souvient de cette période : « C’était une volonté, amener une touche de féminité à l’écran. Cela peut se comprendre car nous, les femmes, nous n’avons pas la même approche et le même contact avec les gens, ce qui peut faciliter les interviews ».

Pour autant, elle affirme que cela a permis aux femmes de faire leur entrée dans ce milieu : « Cela fait du bien d’avoir des femmes dans une équipe. Certes, c’est un peu caricatural. Avoir les filles aux interviews et les hommes aux commentaires… On tombe un peu dans les clichés. Mais cela nous a permis de faire nos preuves ». Quant à la quasi inexistence de commentatrices, Agathe Roussel admet que la voix des femmes peut poser problème : « Certaines filles ont une super voix, comme Hélène Cougoule qui commente la voile, par exemple. Dans une ambiance folle, les femmes ont tendance à pousser leur voix, à monter dans les aigus. Et ce n’est pas toujours agréable à l’antenne. Mais certains hommes rencontrent le même problème, c’est juste que les femmes l’ont plus souvent ».

Les femmes journalistes sportives semblent donc se heurter à la barrière du commentaire. Toutefois, un autre élément pourrait être à l’origine des disparités hommes-femmes : l’âge. En effet, les premières journalistes sportives à avoir occupé des postes clés à la télévision et dirigé des émissions de sport arrivent à un tournant de leur carrière, où se pose la question de leur pérennité à l’antenne. Estelle Denis (41 ans), Astrid Bard (40 ans), Nathalie Iannetta (46 ans) ou encore Isabelle Moreau (41 ans) sont les figures de proue d’une génération qui a donné un nouveau souffle au sport sur nos écrans.

Comme l’explique Agathe Roussel, leur âge pourrait « poser problème » dans les années à venir : « Les journalistes femmes commencent à arriver dans la zone d’âge dite “à risque, c’est-à-dire la quarantaine. La question de savoir si elles doivent rester à l’antenne ou non va donc se poser, et je suis curieuse de voir comment cela va évoluer. Si cela n’appartenait qu’à moi, évidemment ces journalistes resteraient à l’antenne, car elles sont toutes compétentes. Je pense qu’on pourra dire qu’elles auront vraiment réussi quand on les laissera vieillir à l’antenne. C’est notre prochain défi, en France », admet la directrice adjointe des sports de Canal+. Selon elle, la culture française en matière de médiatisation du sport se situe aujourd’hui à mi-chemin entre le système anglo-saxon et le système italien. Dans le premier cas, les femmes sont davantage mises en avant pour leurs compétences. Dans le second, pour leur plastique.

Faire face aux préjugés

C’est d’ailleurs l’un des principaux problèmes. Souvent jugées sur leur physique, les journalistes sportives doivent sans cesse faire leurs preuves pour gagner en crédibilité face à la multitude de journalistes hommes qui arpentent les stades et les zones mixtes chaque week-end : « Je me souviens d’une fois où il m’est arrivé d’écrire, après un match, que la rencontre n’était plus vraiment du foot mais plutôt de la boxe, car il y avait eu énormément de cartons rouges », raconte Hélène Legrais, évoquant son expérience au journal L’Indépendant à Perpignan. « L’entraîneur de l’équipe en question était furieux, il m’avait insulté et m’avait dit : “vous n’y connaissez rien, vous êtes une fille”. Sauf qu’il ne savait pas que j’avais fait 5 ans de football. Alors je lui ai demandé le ballon et je me suis mise à jongler. Il n’a pas bronché, et le président du club est même venu me présenter ses excuses ».

Cette anecdote révèle un mal plus profond : ces clichés misogynes qui ont freiné la progression des femmes dans le domaine du journalisme sportif. Bien que souvent félicitée et reconnue pour son travail en radio, Hélène Legrais a eu l’occasion de le constater au cours de ses 10 ans de carrière : « J’ai travaillé sur le Tour de France avec un collègue d’Europe 1 qui me traitait de groupie parce que j’avais un rapport différent avec les cyclistes », explique la catalane d’origine.

L’ancienne journaliste raconte également qu’il était peu fréquent de responsabiliser les femmes sur des événements importants, comme si leurs compétences étaient forcéments inférieures à celles des hommes : « Je me souviens d’une fois où je couvrais la Coupe d’Europe de football. J’étais allée à divers endroits pour couvrir les matchs et la France s’était qualifiée pour les quarts de finale. À ce moment là, Eugène Saccomano m’avait dit : “Là, c’est les quarts de finale, c’est sérieux, c’est nous qui faisons”. Il a fallu se battre contre cela ».

Bien que moins présents aujourd’hui, ces préjugés demeurent difficiles à supporter au quotidien. Pour autant, ils n’entravent pas la motivation de jeunes femmes qui souhaitent se diriger vers le journalisme sportif, à l’image de  Chloé Ronchin, étudiante en master à l’Institut Français de Presse et apprentie au sein de la chaîne CNEWS : « J’ai bien senti que lorsqu’on est une femme dans une rédaction d’hommes, il faut prendre sur soi. Cela ne m’a pas découragé : j’ai décidé de passer au-dessus de ces préjugés et de m’en servir pour les déconstruire. Je me suis dit que si l’on doutait de mes compétences, j’allais leur prouver que je m’y connaissais ».

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Les préjugés continuent effectivement de toucher les journalistes sportives. Agathe Roussel explique pourquoi, selon elle, les critères physiques peuvent cantonner les femmes à certains rôles : « Honnêtement, je ne me souviens pas avoir vécu des actes misogynes quand j’étais journaliste. L’avantage que j’ai eu, c’est que je n’étais pas une bimbo. Je n’étais pas assez jolie pour que l’on doute de ma compétence. Et à l’époque, il ne valait mieux pas être trop jolie lorsqu’on on était une femme à l’antenne », reconnaît-elle. Par ailleurs, son quotidien de directrice adjointe des sports aux côtés de Laurent Jaoui lui montre combien les préjugés sont ancrés au plus profond des mentalités : « C’est amusant de voir vers qui les journalistes se tournent quand ils rentrent dans notre bureau, en fonction des sujets qui les amènent. Quand les journalistes hommes ont une demande importante, ils viennent parler à Laurent. La génération des quarantenaires préfère s’adresser à lui, sauf quand ils ont des problèmes de vêtements ou de maquilleuse. Ce qui n’est pas le cas des trentenaires qui viennent plus facilement vers moi ».

Vers une évolution positive ?

En effet, la nouvelle génération de journalistes semble faire bouger les lignes. Agathe Roussel se réjouit de travailler avec des trentenaires à Canal+. Elle remarque une réelle évolution des mentalités : « Je suis très confiante car je côtoie tous les jours des jeunes journalistes  qui n’ont aucun préjugés envers les femmes ». De même, elle constate un changement dans le partage des rôles des journalistes : autrefois cantonnées à un rôle secondaire, les femmes s’affirment de plus en plus à l’antenne. « Pendant les Jeux Olympiques de 2016, nous avions mis en place un système avec des couples de présentateurs mixtes. Ce qui m’a plu, c’est que l’homme n’était pas toujours le leader. C’était par exemple le cas du duo Isabelle Ithurburu/Arnaud Bonin. Isabelle menait la présentation », se souvient-elle, « Même chose avec Astrid Bard. Si on la met en plateau, c’est elle la patronne. Les rôles commencent à s’inverser un peu et c’est extrêmement appréciable ».

Comme le témoigne la présence régulière de journalistes sportives expertes dans des émissions de débat, les femmes ont acquis une vraie légitimité aux yeux du public et des spécialistes masculins. Pour Chloé Ronchin, leur simple présence est signe qu’un changement est en cours, même si leurs rôles sont parfois réducteurs : « Au début, je me suis dit qu’on les mettait là pour faire le pot de fleur et dire “vous voyez, il y a des femmes”. Mais en fin de compte, elles jouent quand même un rôle et elles aident vraiment à changer les représentations qu’on a sur les femmes et le sport », souligne-t-elle.

Le présentateurs sportif Hervé Mathoux va plus loin dans cette affirmation. Pour lui, la présence des femmes dans l’espace médiatique sportif s’est banalisée. Autrefois considérées comme des « curiosités », comme le rapporte Hélène Legrais, les femmes font désormais partie intégrante du paysage journalistique du sport, à l’antenne comme sur le terrain : « Les sportifs ont l’habitude de croiser des femmes dans les zones mixtes. C’est devenu normal. Ce n’est plus exceptionnel ».

Hélène Legrais aux commentaires d'un match de basket
Hélène Legrais aux commentaires d’un match de basket / Photo DR

Dans un contexte marqué par l’affaire Weinstein, certaines journalistes sportives issues de l’ancienne génération se remémorent des souvenirs qui auraient probablement eu d’autres conséquences aujourd’hui. Le sport est depuis longtemps un milieu plutôt hostile envers les femmes. Les hommes y règnent en maîtres. Certains abusent de leur pouvoir et cherchent à montrer leur prédominance, ce qui a pu donner lieu à des situations extrêmement inconfortables et difficiles à vivre pour les femmes. « Au début de ma carrière, les sportifs ont essayé de me déstabiliser car ils voulaient savoir si j’étais vraiment là pour faire mon travail. Une fois, dans les vestiaires, un joueur est sorti de la douche et a enlevé sa serviette devant moi avant que je fasse l’interview », raconte Hélène Legrais. « Si tout cela s’était passé aujourd’hui, au vu du climat actuel, il y aurait eu 2 ou 3 fois où j’aurais pu aller voir mon supérieur pour dénoncer des faits de harcèlement sexuel. À l’époque, je n’avais pas conscience que ce type de comportement était généralisé. Est-ce que j’ai eu raison d’agir comme je l’ai fait plutôt que de dénoncer ? C’est la question que je me pose aujourd’hui.»

À lire également : notre interview d’Aurélie Bresson, fondatrice du magazine Les Sportives.

Emilien DIAZ & Justine HAGARD

À la poursuite du corps parfait

L’image prend de plus en plus d’importance sur les réseaux sociaux. Les utilisateurs sont prêts à tout pour se montrer sous leur plus beau jour. Entre quête de reconnaissance, culte du corps, et confiance en soi, comment ces plateformes véhiculent-elles des idéaux esthétiques ?

Salle de sport, Colombes
Salle de sport, Colombes / Albane Guichard

Entre deux séries de tractions, Romain, 23 ans, fait une série de photos. Sur son compte Instagram, plus de 700 abonnés peuvent suivre ses performances physiques et “liker” ses biceps gonflés. « Je les poste pour avoir de la reconnaissance », raconte le fitboy.

Miroirs utopiques et parfois dangereux de la perfection esthétique, les réseaux sociaux exacerbent les diktats de beauté de nos sociétés. Ventre plat, côtes saillantes, fesses rebondies, plaquette de chocolat et bras sculptés, il y a des critères à respecter pour afficher un corps « parfait ». Sur Instagram, Youtube ou même Facebook, les challenges minceur ou fitness s’enchaînent, parfois au péril de la santé des participants. Pour des résultats rapides, certains internautes optent même pour des “shakers” protéinés, nouveau régime à la mode. En 2018, la communauté fitness, surnommée “fitfam” pour “fitness family”, représentait  pas moins de 87 millions de publications sur Instagram.

Des communautés au service du corps parfait

Si le culte du corps a toujours existé, ces plateformes en ligne ont rajouté à cette obsession de la perfection physique un besoin de reconnaissance par l’image. Dès le début des années 2000, les blogs et premiers réseaux sociaux ont servi de porte parole à l’injonction à la minceur, un rôle qu’assurait déjà l’industrie de la mode. Des groupes prônant l’anorexie, majoritairement constituées d’adolescentes, ont fleuri sur Internet. Les « pro-ana » (surnom que se donnent les «pro-anorexie») s’y échangent des conseils pour résister à la faim et suivent à la lettre les directives de leur amie Ana, personnification de l’anorexie, parfois jusque dans la tombe.

Sans être à l’origine des troubles du comportement alimentaire, les réseaux sociaux ont amplifié ces phénomènes, comme l’explique Laurence Plumey, médecin nutritionniste et diététicienne :

« Il y a cet espèce de culte de la minceur et avec les réseaux sociaux, il y a des communautés qui se créent, des alliances qui renforcent chez chacune la conviction de bien faire. Ça va être à celle qui réussit le plus à maigrir, à avoir le ventre le plus plat. Le fait de pouvoir communiquer augmente l’émulation et leur donne des ailes pour se jeter des paris fous. »

Ces paris fous, ou challenges, ne cessent de se renouveler sur les réseaux. « Thigh gap challenge » (écart entre les cuisses), « A4 challenge » (taille plus fine que la largeur d’une feuille A4), les adeptes de la maigreur n’ont aucune limite. Depuis quelques années, la tendance est aux défis sportifs. Du « 30 days squat challenge » (exercice de flexion des jambes) pour un fessier musclé en 30 jours au « Top Body Challenge » pour un corps d’athlète en 12 semaines, le but reste le même : transformer son corps en un temps record. Pour la médecin nutritionniste, rapidité est synonyme de danger : « Il faut que les gens comprennent que ces challenges, c’est un encouragement à se dépasser. Il vaudrait bien mieux se jeter des défis de longue durée plutôt que de mettre en péril sa santé. » Mais ce n’est pas chose facile de résister aux promesses magiques, illustrées par des millers de photos « avant/après ». Comme l’explique la sociologue Coralie Le Caroff, le désir de prendre part à ces défis est inhérent aux réseaux sociaux : « Voir des corps parfaits peut produire des comportements de mimétisme, de pression sur le corps des femmes ».

De #thinspo à #fitspo

Depuis quelques années, la mode de la minceur extrême a laissé place à la quête du corps plus musclé. Les hashtags « #fitspo » et « #strongisthenewsexy » ont pris le pas sur le hashtag  «#thinspo ». Sur le papier, c’est positif. Mieux vaut que les jeunes adolescentes rêvent devant des photos de fitgirls, certes minces mais athlétiques et en bonne santé, que sur des corps rachitiques. Et si certaines fitgirls viennent parfois à la salle dans l’unique but de se prendre en photo, « au moins, elles ne restent pas avachies sur leurs canapés », estime Laetitia Massonneau, qui s’entraîne pour le diplôme de coach sportif. 

Laëticia Massonneau, fitgirl
Laëticia Massonneau, fitgirl / Chloé Sartena

Si les hommes sont moins touchés que les femmes par l’anorexie, ils sont tout aussi nombreux à peupler les salles de sport. Pour la première fois, les deux sexes sont concernés à égalité par cette quête du corps idéal. «Le genre est gommé sur ces espaces. Hommes et femmes sont au même niveau d’injonction de perfection », explique Coralie Lecaroff. Romain pratique la musculation depuis 6 ans et admet être préoccupé par son image. Il lit avec attention les commentaires sous ses photos Instagram : « Quand on me dit c’est « lourd », « fort », j’avoue j’aime bien ! » Au-delà du genre, tous âges sont concernés.  « Je vois de plus en plus d’hommes se mettre sur Instagram, raconte Romain. Même des gens d’une quarantaine d’années postent leurs performances physiques en ligne. » Cette obsession des hommes pour leur image a passé un cap, estime Laetitia : « Il suffit de regarder le nombre de mecs dans les salons d’esthétique. Les hommes prennent beaucoup plus soin d’eux ». Comment expliquer une telle tendance ? « C’est lié aux images dans les pubs et sur les réseaux que renvoient les footballeurs par exemple. »

Poussée à son maximum, la quête d’un corps sculpté peut conduire à une addiction : la bigorexie, maladie de dépendance à une pratique intensive et quotidienne du sport dont souffrent les sportifs, professionnels ou non. Certains deviennent même accros aux réseaux sociaux et s’imposent une fréquence de publication élevée, au détriment du plaisir sportif. « Ces gens ne profitent plus de l’instant. Si tu fais ta séance pour publier sur Insta, tu n’es pas dans le sport », estime Laetitia.

La course aux publications
La course aux publications / Chloé Sartena

 

 

 

 

 

 

 

 

Shakers ou blancs de poulet ?

L’obsession pour le muscle ne se limite pas à la pratique du sport en salle. « Quand on travaille son corps, c’est 30% de sport et 70% de nutrition », explique Benjamin Martin, pompier et adepte de musculation. Sur les réseaux, les fitgirls et fitboys vantent les bienfaits des régimes ultra protéinés. Et puisque manger du jambon de dinde et du blanc de poulet 4 fois par jour ne suffit pas toujours, nombreux sont ceux qui ont recours à des compléments alimentaires. Le plus connu : la Whey, une poudre hyperprotéinée produite à partir de lait de vache, très en vogue sur les réseaux.

Sur Youtube, les célébrités comme Tibo InShape font la promotion de leur Whey et se filment en plein entraînement : « Ces vidéos sont une source de motivation », admet Benjamin. On se dit que s’ils y sont arrivés, pourquoi pas nous. » Après s’être laissé tenter par la Whey, le pompier trouve désormais ses protéines dans son alimentation : « Au début il y a un engouement, on en prend, on s’entraîne un max, on fait tout ce que les Youtubeurs disent. Mais avec le recul, c’est juste de la poudre. Autant manger de la dinde, du jambon. Il y a des protéines mais elles sont naturelles. » Romain, lui, essaie chaque nouveau complément alimentaire : « Il y a beaucoup de marques, j’ai tout testé. Le Booster ça ne m’a pas trop fait effet. La Whey je n’ai pas senti la différence. Le PreWorkout m’a fait de l’effet, ça me picotait, j’avais envie de m’entraîner. »

Tous les produits ne contiennent pas les mêmes concentrations. Pourtant, ceux qui en font la promotion précisent rarement la quantité à ne pas dépasser. « Ils n’expliquent pas grand chose, témoigne Benjamin. Je pense qu’il y a des bases en nutrition à connaître avant de prendre de la Whey ». Et ce n’est pas une médecin nutritionniste qui lui dira le contraire : « Un shaker dans la journée, si ils mangent équilibré par ailleurs, ça va. C’est l’excès le problème et il n’y a personne pour leur expliquer quelle est la frontière à ne pas franchir », regrette Laurence Plumey. Au-delà d’une certaine quantité, ces compléments sont nocifs pour la santé :

Shakers protéinés, en complément ou en substution d'un repas.
Shakers protéinés, en complément ou en substution d’un repas / Albane Guichard

« Trop de protéines, ça abîme les reins. J’ai eu un patient qui s’est jeté à corps perdu dans la pratique du sport en salle et qui s’est mis à consommer des shakers et du poulet à des doses qui frisaient l’absurde, raconte la nutritionniste. Au lieu de 60 à 80 grammes de protéines par jour, il n’était pas loin de 300 grammes. »

 

Conséquence ? Une hospitalisation pour insuffisance rénale suivie de 6 mois sous corticoïdes à haute dose. « Il ne pourra plus jamais récupérer des reins en bonne santé », regrette la médecin. Elle met en garde contre le mythe de l’homme fort : « C’est vraiment passer à côté de l’essentiel : la santé. Le corps est un cadeau qui nous est donné en venant au monde et c’est à nous d’en prendre soin. »

Conduites addictives

Romain, fitboy consommateur de Whey
Romain, fitboy consommateur de Whey

Si le sport est bon pour la santé, il est à pratiquer avec modération, tout comme la consommation de compléments protéinés. Les hommes addicts à la musculation ne sont pas plus tendres avec leur corps que les jeunes filles qui s’affament : « L’anorexie tout comme les régimes ultra protéinés sont des comportements extrêmes qui représentent un stress et un danger pour le corps humain. Ce sont des conduites addictives en fait, comme le tabac, l’alcool ou la drogue », précise la nutritionniste.

Plus grave encore, certains sportifs prennent des stéroïdes anabolisants, des hormones liées à la testostérone qui permettent de développer le tissu musculaire à une vitesse fulgurante. « Je connais des gens qui envisagent de prendre entre 10 et 15 kilos de muscles en 6 mois, grâce à la testostérone » raconte Benjamin. Mais ces produits dopants dérèglent complètement l’équilibre hormonal et accroissent les risques de maladies cardio-vasculaires. Heureusement, la majorité des “fitboys” s’en tiennent à la Whey.

Après les injonctions, la prévention

Au-delà des risques de déclencher des addictions liées au corps chez les internautes, comme l’anorexie ou la bigorexie, les réseaux sociaux peuvent également sauver des vies. Certaines communautés aident à lutter contre ces maladies. En septembre 2016, alors âgée de 17 ans, Thaïs, ouvre un compte Instagram, @happeanutb, pour suivre des filles qui se battent contre l’anorexie. « Je voulais voir que c’était possible. » La plateforme lui permet d’accélérer sa guérison. « Sans Instagram, j’aurais mis beaucoup plus de temps à m’en sortir », juge la jeune femme. Des encouragements qui la poussent à partager à son tour son combat. « Je parle de mes peurs, mes défis, mon quotidien, pour essayer d’aider les autres comme ça m’a aidé moi ». Aujourd’hui, 7 400 personnes suivent ses conseils. « Je poste des recettes plus ou moins saines. Le but c’est de montrer que manger ne veut pas dire grossir ». Pour Laurence Plumey, ce témoignage invitant à ne pas tomber dans les erreurs qu’elle a commises peut « beaucoup plus faire vaciller un jeune tenté par une telle aventure, qu’un médecin qui peut avoir un discours jugé comme moralisateur et un peu trop médical. »

De plus en plus de femmes prennent désormais la parole sur ces réseaux pour lutter contre les diktats de beauté et encourager les utilisatrices à accepter leurs corps dans toute leurs diversités. Telle est la devise du « body positive », mouvement créé aux Etats-Unis en 1996 et devenu incontournable en 2017 avec plus de 5 millions de publications sur Instagram.

Finie la suprématie du corps parfait sur les réseaux. Place au naturel : cellulite et vergetures sont désormais fièrement affichées avec le hashtag #bodypositive. La nutritionniste se réjouit que ces plateformes ne soient plus uniquement des
« outils de propagande aux effets pervers » mais servent aussi être d’ « outils d’informations saines ».

Censure virtuelle

Dans cette lignée, Instagram a interdit les hashtags comme « #thighgap » et « #thinspo », et propose de l’aide lorsque l’on recherche des comptes « pro-ana ». Dès lors que l’on cherche le hashtag « #ana », Instagram prévient l’utilisateur que les publications contenants ce tag « encouragent souvent un comportement pouvant nuire ou conduire au décès ». Un lien « besoin d’aide » permet de contacter des lignes téléphoniques d’assistance et propose des conseils pour traverser d’éventuelles « moments difficiles » . Pour Thaïs, ces actions sont positives, mais insuffisantes : “Instagram devrait supprimer toutes les publications pro-ana, mais garder celles qui mettent en garde ou encouragent à se battre comme les photos « avant/après »« .

Sur son compte Instagram, Thaïs raconte son combat contre l'anorexie mentale.
Sur son compte Instagram, Thaïs raconte son combat contre l’anorexie mentale.

Il est cependant impossible pour la plateforme d’exercer un contrôle total sur ce phénomène. À chaque hashtag supprimé, les “pro-ana” trouvent un dérivé : “thinspo” devient “thinsp0”, “thighgap” s’écrit “thightgap”, et “anathinspo” est le nouveau “thinspo”. Et la suppression de la moindre publication du mot “ana” empêcherait la création des comptes pro guérison, tagués “#anarecovery”, comme celui de Thaïs par exemple.

Depuis le 2 avril 2015, en France, la glorification de la maigreur sur les réseaux sociaux est un délit, passible d’un an d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende. Cet amendement voté à l’Assemblé Nationale vise essentiellement les contenus pro-anorexie sur le Web qui incitent “une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l’exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé. »

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Albane Guichard

 

Chloé Sartena et Albane Guichard

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Funéraire 2.0 : quand les start-up veulent réveiller les obsèques

Le marché du funéraire est en pleine diversification, et de nombreuses start-ups veulent leur part du gâteau. Cercueils en carton, cendres transformées en diamants ou QR codes qui permettent d’en savoir plus sur la vie du défunt, les innovations ne manquent pas.

Dimanche 27 mai, la foule se presse au cimetière du Père-Lachaise. Entre deux tombes de célébrités, la sépulture du photographe André Chabot détonne, avec son gigantesque appareil photo en marbre flanqué d’un QR code. Certains passants, intrigués, se prennent au jeu et scannent le code-barres avec leur smartphone. Ils sont aussitôt renvoyés sur un site web qui raconte la vie de l’artiste et présente ses travaux.

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« C’est la première fois que je vois un truc pareil », sourit une touriste devant le QR code apposé à la tombe du photographe André Chabot dans le cimetière du Père-Lachaise. Crédits photo : Samuel Kahn

Depuis quelques années, ce dispositif fleurit dans les cimetières. Développé par une multitude de start-up, il permet aux visiteurs curieux d’obtenir des informations sur le défunt qui occupe une tombe. Texte, vidéo, lettre d’amour et même parfois photographies intimes, toutes les fantaisies sont permises. Mais ce code-barres un peu particulier n’est pas la seule innovation à vouloir changer le paysage du funéraire français : cercueils en carton, urnes miniatures à porter autour du cou, compost ou encore diamant à base de cendres humaines, les start-up rivalisent d’idées pour capter ce marché en pleine explosion.

La ruée vers le funéraire

Le baby-boom de la seconde guerre mondiale va se transformer en papy-boom en 2020, avec 800 000 décès par an, contre 500 000 aujourd’hui ”, professe Manon Stundia, cofondatrice de Facilib, une société qui propose à ses clients de prendre en charge la gestion administrative des obsèques de leurs proches. Aujourd’hui, le marché français du funéraire pèse 2 milliards d’euros. Un chiffre amené à augmenter considérablement, ce qui donne des idées à plus d’un entrepreneur.

Brigitte Sabatier, par exemple, ne supportait plus de voir “ces beaux cercueils en bois laqué qui finissaient juste par être brûlés, et qui en plus ne brûlaient même pas très bien” et a donc cherché une alternative. En 2016, elle lance abCrémation, une start-up “française et 100% écologique” qui propose des cercueils et des urnes en carton. “C’est un produit qui est bon pour la planète. Les colles sont végétales, les encres sont aqueuses, le papier pour le carton est recyclé… L’écologie passe aussi par les funérailles !”. Un projet pour lequel elle a longtemps bataillé, jusqu’à la publication en 2016 d’un décret autorisant l’utilisation de cercueils en carton partout en France. Avant cela, une quarantaine de départements français refusaient net la présence de cercueils en carton pour des raisons d’hygiène et de sécurité.

La société Eco-Cerc propose des cercueils en cellulose recyclée depuis 2012. « Je n’imaginais pas que le secteur des pompes funèbres serait aussi hostile : ils ont tout fait pour me tenir à l’écart des crématoriums », confiait au Monde sa créatrice, Martine Saussol, en janvier 2014. Crédits photos : eco-cerc.fr
La société Eco-Cerc propose des cercueils en cellulose recyclée depuis 2012. « Je n’imaginais pas que le secteur des pompes funèbres serait aussi hostile : ils ont tout fait pour me tenir à l’écart des crématoriums », confiait au Monde sa créatrice, Martine Saussol, en janvier 2014. Crédits photos : eco-cerc.fr

L’alternative proposé par abCrémation et les autres vendeurs de cercueils en carton a le mérite de coûter moins cher aux consommateurs. Les prix débutent généralement autour de 100 € pour les cercueils en carton contre 800 € pour les modèles en bois. Problème : la baisse des prix entraîne souvent une chute de la qualité des produits. Si Brigitte Sabatier affirme que ses produits “remplissent les normes d’hygiène, de sécurité et d’épaisseur fixées par la loi, et sont écologiques”, ce n’est pas le cas pour tous les cercueils en cartons proposés à la vente. François Colliot, directeur des pompes funèbres Santilly Bigard à Levallois-Perret estime ainsi que bien souvent, la colle utilisée pour ces cercueils, devient “très polluante” une fois brûlée. “En plus, les nouvelles normes de résistance des cercueils rendent difficiles l’utilisation du carton” conclut-il, visiblement pas emballé par la tendance.

Il faut dire que pour les crémations, le cercueil en carton ne fait pas l’unanimité. Jean-Michel Saint-Julien, chef d’agence de l’entreprise de pompes funèbres Roc-Eclerc, dans le onzième arrondissement de Paris, l’explique : il y a 10 ans, une famille lui demande que leur proche soit incinéré dans un cercueil en carton, en raison de ses “convictions écologiques”. Il effectue donc des démarches auprès du crématorium de la ville qui refuse, “le cercueil risquant de brûler avant d’entrer dans le four”. Seule solution : présenter à la famille un cercueil en carton pour la cérémonie, puis “mettre le cercueil en carton dans un cercueil en bois” au moment de la crémation. Tant pis pour l’écologie.

Diamants, vinyles… Le devenir des cendres soumis à la législation

D’autres sociétés vont plus loin encore dans l’innovation. Pour 5.500 €, les entreprises Lonité et Algordanza, toutes deux basées en Suisse, proposent ainsi de faire des cendres d’un défunt un diamant de 0.4 carats. Un processus rendu possible par le composé constituant commun aux cendres et aux diamants, le carbone. Il suffit donc de soumettre les premières à de très fortes pressions pour obtenir les seconds. La start-up Andvinyly, basée en Grande-Bretagne, produit quant à elle des disques vinyle à partir de cendres. Le groupe Heavens above Fireworks promet d’en faire un feu d’artifice, le studio de design Estudimoline un engrais idéal pour faire pousser un arbre du souvenir,  et la start-up NadineJarvis les transforme en crayon à papier.

Mais là encore, ces initiatives se heurtent à la législation. Aujourd’hui la loi interdit ces pratiques. On n’a pas le droit de transformer des cendres en diamants ou d’en faire un arbre. Des cendres c’est un corps, dans un état transformé. Elles sont indivisibles”, explique François Colliot, responsable de pompes funèbres. Un principe instauré en 2008 par la loi Sueur. Mais les contrôles sont rares, et rien n’empêche les proches de disposer des cendres comme bon leur semble une fois ces dernières entre leurs mains. “Comment voulez-vous que le crématorium refuse? Il n’est pas inquisiteur. Son rôle s’arrête à remettre les cendres à la famille et d’informer cette dernière sur ce qu’elle a le droit de faire ou pas”, confirme François Colliot. Une collègue agente du leader de pompes funèbres français OGF abonde : “ Il n’y a aucune règle qui contrôle l’habitat des particuliers, donc même s’ils n’ont théoriquement pas le droit d’avoir des urnes chez eux, on sait très bien que beaucoup le font. Et si certains décident d’en faire des diamants ou que sais-je… Eh bien ce n’est pas dans notre intérêt de les contrarier. On préfère faire la sourde oreille”.

Des innovations qui ont du mal à convaincre les Français

Pas si facile, donc, de révolutionner les pratiques funéraires en France. Les start-up, en plus de faire face à une législation contraignante, doivent composer avec des familles respectueuses de la tradition.

Un QR code ? Mais c’est quoi ça ? Si les gens ont envie de me connaître, qu’ils viennent me voir de mon vivant, pas sur ma tombe !” s’emporte ainsi Annick, 82 ans. Cette retraitée fait partie de ces rares français qui ont déjà pris l’ensemble de leurs dispositions pour leurs obsèques. Quand j’étais plus jeune, se souvient Annick, j’avais imaginé mon mariage parfait, avec le gâteau, les bougies, la grande allée et la robe idéale. Mon enterrement c’est un peu pareil, sauf que je ne serai pas là pour le vivre”. De fait, elle a déjà acheté son cercueil, en “joli bois blanc, de forme tombeau”. Il lui a coûté 1 500 €. Et plutôt que de le laisser aux pompes funèbres, Annick le garde dans sa cave. “Comme ça, je suis sûre qu’il est bien à l’abri ! Les invités sont toujours curieux de le voir quand je leur en parle. Ils trouvent cela bizarre, mais moi, ça me fait rire”. Cette énergique octogénaire a également réservé sa place dans un cimetière de Nice, à côté de son époux, et a même prévu la tenue qu’elle souhaitait porter pour le grand jour. “J’ai aussi suggéré à mes proches des idées de restaurants où ils pourraient aller manger après la cérémonie, mais ça, je leur laisse la décision finale, sourit Annick. Je veux que mon enterrement soit comme une fête en mon honneur. Je ne peux pas empêcher les gens d’être triste. Mais je ne veux pas leur imposer de tout organiser, surtout que je veux que ça se passe comme j’en ai envie.

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Dimanche 27 mai, fête des mères, les visiteurs sont nombreux à se recueillir au cimetière de Meudon-la-Forêt. En 2017, 65% des Français ont choisi de se faire inhumer. Crédits photo : Axelle Bouschon

Pour Jean-Michel Saint-Julien, agent de pompes funèbres, Annick, quoique bien préparée, est avant tout “une originale”. Il faut dire que les Français sont généralement mal à l’aise avec ce sujet. Jean-Louis Duchêne, ancien militaire de 79 ans résidant à Meudon-la-forêt, est de ceux-là. “Des fois, le sujet vient dans la conversation avec des amis, mais on n’en parle jamais trop longtemps. Ce n’est pas bien joyeux, aussi, comme idée. On dit toujours à celui qui a commencé à en parlerArrête-toi ! On verra bien quand ça arrivera, on ne veut pas y penser !””. “La mort en France est escamotée”, confirme Jean-Michel Saint-Julien, on en parle très peu”.

L’incinération de plus en plus plébiscitée

Quant à ceux qui prennent leurs dispositions, ils se contentent souvent de mettre de l’argent de côté et laissent à leurs proches des instructions quant à la manière dont ils veulent que l’on dispose de leurs corps.

Au cours des dernières décennies, l’incinération a gagné en popularité : si en 1979, on ne comptait que 1% d’incinération en France, ce chiffre est passé à plus de 35% en 2017. Et cette progression ne semble pas s’arrêter de sitôt : selon un sondage IPSOS de 2018, 56% des français préfèrent une incinération à une inhumation.

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« C’est mon urne préférée », montre Estelle Godreau, employée des pompes funèbres de Santilly Defer. Dans cette boutique qui fait face au cimetière du Blanc-Mesnil, les vases funéraires sont plus nombreux que les pierres tombales. Crédits photo : Samuel Kahn

 

Après crémation du défunt, les proches peuvent décider de faire enterrer les cendres dans une concession funéraire, de façon  similaire à une inhumation. Il est également possible de conserver l’urne qui les recueille dans un columbarium – un bâtiment funéraire placé dans un cimetière et géré par la commune qui peut accueillir les cendres d’un ou plusieurs défunts -, ou encore de disperser les cendres soit dans un espace aménagé par la commune – appelé « jardin du souvenir » -, soit dans un lieu public. Il faut alors notifier le maire de la commune dans laquelle on effectue la dispersion.

L’incinération, c’est d’ailleurs la solution qu’ont choisi Pierrette et son mari Louis. Ce couple de retraités réserve depuis trois ans une concession trentenaire dans le columbarium du cimetière de Genay, dans la banlieue lyonnaise, où ils résident depuis plusieurs années. Une place qui pourra accueillir les deux urnes du couple : “Ça fait soixante ans que je suis avec mon mari, je n’ai pas envie d’être séparée de lui après la mort !” . L’inhumation, pas vraiment la tasse de Pierrette : “Être enterrée sous la terre avec les vers et tout…” grimace la retraitée, “je me disais qu’être incinérée c’était plus simple”. Et plus facile pour les proches aussi, qui n’auront plus qu’à choisir les urnes du couple au moment venu.

 

En 2017, 35% des défunts ont été incinéré. Dans 15% des cas, et comme le prévoient Pierrette et Louis, les cendres du défunt sont placées dans un columbarium. Un choix généralement moins onéreux qu’un caveau, mais dont le prix varie grandement d’une commune à une autre. Crédits infographie : Axelle Bouschon

La guerre des places dans les cimetières

Si Pierrette, Louis, et Annick ont pu réserver leur concession sans trop de problème, pour certains, trouver une place s’apparente parfois à un parcours du combattant. Les cimetières des grandes villes sont engorgés. Et les places restantes sont chères. Dans les cimetières de Paris intra-muros, une concession perpétuelle coûte 7 764 € le mètre carré. Les candidats au Père-Lachaise ou à Montparnasse n’ont aucune certitude d’y accéder, les deux cimetières étant pleins à craquer. Les places se libèrent au gré des reprises de concessions.

Un processus très long et très incertain”, selon le conservateur adjoint du cimetière de Montmartre, Frédéric Tempier. “Il faut envoyer des lettres recommandées à tous les ayants-droit et la moindre erreur peut faire capoter la procédure de tous les dossiers”, explique-t-il. Au cimetière de Clamart, le gardien regrette d’être “parfois obligé de remplacer le cercueil d’un défunt donc la concession n’a pas été renouvelée par un autre dans les jours qui suivent”. Au cimetière de Montmartre, il est impossible de réserver une concession : les milliers de personnes qui souhaitent y être enterrés n’ont d’autre choix qu’espérer la libération d’une concession le jour de leurs obsèques. En 2017, seulement 386 personnes ont pu y être accueillies.

Décennale, trentenaire, cinquantenaire ou perpétuelle : le prix d’une concession funéraire dépend en partie de la durée de location choisie par le défunt. La commune où ce dernier est inhumé est l’autre facteur qui détermine le prix final : ce prix peut être jusqu’à parfois 15 fois plus important d’une commune à une autre. Crédits infographie : Axelle Bouschon

Pour pallier ce problème, des solutions ont été envisagées dès les années 1980. Une pelouse cinéraire où il est possible de disperser des cendres et de venir se recueillir a ainsi été installée au cimetière du Père-Lachaise en 1985. Mais là encore, le lieu est victime de son succès : “On en est à 1300 dispersions par an, on est à saturation”, déclare la conservatrice du cimetière, Martine Lecuyer. Il y a trois ans, une borne électronique a été installée à l’entrée du cimetière. On peut y consulter les noms des défunts et la date de la dispersion de leurs cendres.

Guilherme Evangelista, restaurateur à la retraite, recherche le nom de son frère, dont les cendres ont été dispersées l'année dernière sur la pelouse funéraire du cimetière du Père-Lachaise
Guilherme Evangelista, restaurateur à la retraite, recherche le nom de son frère, dont les cendres ont été dispersées l’année dernière sur la pelouse cinéraire du cimetière du Père-Lachaise. Crédits photo : Samuel Kahn

Ces dispositifs innovants (électroniques ou non) rencontrent un certain succès. On devrait donc être amenés à voir des QR codes et des écrans se multiplier dans les cimetières français dans les prochaines années, même si Martine Lecuyer admet que “la ville de Paris a quelques années de retard”.

Si aujourd’hui, les innovations funéraires ne manquent pas, nombre de ces propositions ont du mal à convaincre. Clients comme vendeurs pointent du doigt le côté parfois fantaisiste de ces inventions qui, plutôt qu’apporter une réponse aux problèmes rencontrés par les familles et les municipalités – le manque de place, les prix encore trop élevés entre autres -, s’apparentent parfois bien plus à des gadgets.

Axelle Bouschon & Samuel Kahn

Boom des assurances de médecins

Maître Julien Damay n'encourage pas souvent les victimes à engager des procédures auprès des tribunaux (crédit photo : Solène Agnès)
Maître Julien Damay n’encourage pas souvent les victimes à engager des procédures auprès des tribunaux
(crédit photo : Solène Agnès)

Pour se protéger, les médecins ont recours à des assurances, obligatoires et dont les prix divergent en fonction des spécialités. Les prix des assurances des anesthésistes ou des gynécologues, notamment, ont explosé, atteignant en moyenne 30 à 50 000 € par an. “Les tribunaux ont de plus en plus tendance à faire payer les assurances des médecins, constate Julien Damay, avocat à la Cour. Elles se sont donc développées et ont augmenté leurs tarifs. Pour un gynécologue-obstétricien, le problème principal, c’est l’enfant qui meurt à la naissance. Ce sont des accidents qui sont maintenant rarissimes mais systématiquement aujourd’hui il y a un avocat et la famille engage des procédures. Et si jamais il y a une condamnation, ce sont des condamnations qui sont très lourdes, on parle de plusieurs centaines de milliers d’euros.”

Seuls les médecins travaillant dans des établissements publics échappent à ces assurances : ils bénéficient de la couverture des fonctionnaires. Une exception tout de même, lorsqu’ils commettent une faute lourde, volontairement ou non.