Les applications ou la tentation de l’infidélité

Les applications de rencontre permettent, comme leur nom l’indique, de faciliter les rencontres sexuelles ou amoureuses. Toutefois, elles ont fait de l’infidélité un nouveau marché. Les sites spécialisés se comptent désormais par dizaines, en France. Avec près de 1,6 million de membres à travers le monde, dont 800 000 dans l’Hexagone, Gleeden se présente comme le numéro un français. L’enseigne à la pomme croquée affiche un chiffre d’affaires de 15 à 20 millions d’euros.

Cathy est divorcée depuis trois ans. Il y a un an et demi, cette quadragénaire rencontre son nouveau compagnon sur Tinder, application qu’elle considérait jusqu’alors comme le « siège des détraqués ». Thierry lui apparaît comme un homme « différent » des autres. Ils se rencontrent assez rapidement et puis emménagent ensemble. Un jour, Thierry oublie son téléphone à la maison et demande à sa compagne de regarder son planning. Préoccupé par son travail, Thierry en oublie le reste. Cathy découvre alors une notification Tinder, sur l’écran de son téléphone.

Il n’a jamais supprimé son compte. Ce qui lui plaisait, c’était de parler à des femmes jusqu’à ce qu’elles lui envoient des photos à caractère sexuel. Je ne pensais pas que ces échanges pouvaient conduire à une rencontre physique.

Pour le démasquer, la quadragénaire décide de se créer un faux compte Tinder. Elle découvre le profil de son compagnon. Ils matchent. Après avoir discuté quelques minutes, Thierry propose, sans le savoir, un rendez-vous à sa compagne. Depuis cet échange, Cathy est décidée à rompre avec Thierry. « L’infidélité, ça ne pardonne pas. Surtout lorsqu’elle est programmée, comme sur les applications de rencontre ».

Marie Lecoq

« Rencontrer des ‘profils’, c’est l’antithèse de la rencontre »

Trois questions à… François Charvin, psychothérapeute

Les applications de rencontre influent-elles sur la personnalité de l’individu et sur sa relation avec autrui ?

Les applications de type « immédiates », où l’on visualise un profil et où l’on décide, ou non, de contacter la personne, tendent à développer l’autosatisfaction. Le plaisir immédiat de la rencontre peut amener à ce que l’on recherche la satisfaction auto-érotique. Nous assistons à une marchandisation de l’amour, à l’ère du numérique. Aussi, la liberté c’est de pouvoir changer, renaître, avoir une marge de manoeuvre, faire quelque chose de nouveau. En d’autres termes, c’est la capacité de chacun à la métamorphose. Or, les applications de rencontre sont contraires à la liberté. La « micro-jouissance » du clic est omniprésente, et ce type de plateforme peut amener, très souvent, à un phénomène d’addiction.

 Les applications de rencontre permettent-elles de rencontrer « l’autre » ?

Rencontrer des « profils », c’est l’antithèse de la rencontre. On recherche un idéal de l’autre à son image. Nous pourrions dire que ces individus entrent dans une démarche fantasmatique en se peignant eux-mêmes et en dépeignant l’autre. La rencontre, c’est ce qui n’est pas commun, contrairement aux algorithmes des applications. D’ailleurs, ces plateformes ne permettent pas la rencontre de l’autre, mais plutôt la rencontre de soi-même. Il s’agit moins, pour deux individus, de se rencontrer dans les différences qu’ils ont que dans les fantasmes qu’ils partagent.

Les applications n’amènent-elles pas à former un couple avec une personne socialement semblable ?

Souvent, dans l’autre, on cherche l’idéal que l’on se fait de soi-même. On se retrouve à essayer de trouver en l’autre son propre fantasme. La démarche est narcissique, puisque l’on recherche quelqu’un qui nous ressemble. Plus on diffère la rencontre, et plus on cultive ce fantasme de part et d’autre. Il faut quelqu’un qui « colle » à nos fantasmes, ce qui engendre une position d’autoritarisme et un rapport aliénant de soi et de l’autre.

 

Marie Lecoq

« À 49 ans, Tinder m’a aidé à retisser du lien social et à reconstruire ma libido »

Tomber amoureux à 50 ans, est-ce possible ? Les applications de rencontre ne sont pas seulement destinées aux jeunes. Elles attirent également les quinquagénaires, ceux qui ont envie de refaire leur vie. En 2013, les 41-65 ans représentaient 31% des usagers des sites de rencontre. Olivier Raynal est âgé de 49 ans. Père de deux enfants, ce journaliste s’est inscrit sur Tinder et Happn il y a trois ans, à la suite d’une séparation difficile avec la mère de ses enfants, après 14 ans de vie commune. « J’ai eu une grosse déprime et je n’avais plus aucune relation sociale », explique Olivier.

DSC_0113« Avant, je sortais dans les bars du quartier. Tinder, c’est un peu un comptoir moderne pour faire des rencontres intéressantes. Je n’en ai pas d’usage régulier, mais l’application m’a aidé à retisser du lien social et à reconstruire ma libido. »

Particulièrement affecté par sa séparation, il recherche désormais de « l’affection » et de la « complicité ». En trois ans, Olivier a rencontré une quinzaine de femmes. « J’ai eu trois ou quatre histoires, dont une très belle qui a duré six mois », raconte le journaliste. Afin de maximiser ses chances de rencontrer une femme qui lui correspond, Olivier Raynal n’a pas de critère d’âge. « Sur Tinder, j’ai préféré mettre une fourchette d’âge entre 20 et 50 ans. La différence d’âge ne me dérange pas. Mon ex compagne avait dix ans de plus que moi. C’est d’ailleurs moi qui lui ai créé son propre compte Tinder. Elle y a rencontré son actuel compagnon ». Pour Olivier Raynal, Tinder lui permet de « piocher dans la masse » et de croiser des filles qu’il n’aurait jamais eu l’occasion de rencontrer, sans l’application.

Marie Lecoq

Les débats télévisés influencent-ils le vote?

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Marine le Pen et Emmanuel Macron vont débattre mercredi 3 Mai. Photo d’illustration @Gaël Flaugère

Jamais il n’y a eu autant de débats télévisés dans une campagne présidentielle en France. Ce soir aura lieu le neuvième débat majeur entre responsables politiques candidats au poste suprême.  Après les six débats des primaires du PS et de LR (et de leurs alliés respectifs) et les deux débats précédant le premier tour, les citoyens les plus courageux pourront assister à une ultime confrontation télévisuelle opposant Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Si ces débats ont assuré aux chaînes de très bonnes audiences, leur influence sur le vote n’est pourtant pas assurée.

Le débat télévisé est devenu une tradition en France depuis le 10 mai 1974 avec celui qui opposa Valéry Giscard-d’Estaing et François Mitterrand devant 25 millions de téléspectateurs. De ce face-à-face, une phrase rentrée dans la culture populaire: «Vous n’avez pas le monopole du cœur». Mais aucun mouvement dans l’élection de 1974. Trois jours avant ce débat, Valéry Giscard-d’Estaing s’était stabilisé à environ 51% des intentions de votes dans les sondages d’opinions, et n’évoluera plus jusqu’au scrutin final, le 19 Mai. Le vote s’était cristallisé.


Selon Christian Delporte, historien, spécialiste de la communication politique interrogé par La Croix« un débat télévisé ne change pas l’opinion des gens. Ceux qui ont été organisés par le passé entre les deux tours de la présidentielle n’ont jamais modifié l’écart enregistré entre les candidats ». Pour l’historien, la succession des confrontations télévisées a prouvé que, malgré certaines paroles qui sont restées,  les débats d’entre-deux tours ne modifient qu’à la marge les dynamiques électorales. À quelques jours du scrutin final, elles sont largement cristallisées, qu’elles soient en faveur d’un candidat, de l’abstention ou bien du vote blanc; et le climat politique actuel de front républicain ne semble pas avoir vocation à changer cet état de fait.

« La télévision est en train de devenir le lieu du choix électoral »

Pourtant, de ces débats émergèrent quelques surprises, notamment lors des primaires de la gauche et de la droite. Avant les trois débats de la primaire de la droite et du centre, François Fillon stagnait à 11% des intentions de vote. La télévision a aidé les candidats Fillon et Hamon à montrer leur stature présidentielle. D’après Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’Ifop, cette élection présidentielle a été le théâtre d’une publicitarisation des primaires qui ont donné la prime aux candidats « les mieux préparés« .

Au moment des primaires, l’électorat se retrouvait dans une même famille politique. Les mouvements pouvaient être fluides entre chaque candidat. Ce qui fut le cas.

Dans le cadre d’une primaire, lorsque le vote n’est pas cristallisé ou qu’il s’agit de choisir un projet ou la ligne d’un parti, les débats télévisés semblent pouvoir renforcer les dynamiques. La montée en puissance des candidats Fillon et Macron coïncident avec la période de débats télévisés qui a précédé leur victoire, mais impossible de connaître la part active de ces diffusions grand public dans le résultat final.

Si selon Alain Duhammel, éditorialiste politique à RTL, « la télévision est en train de devenir le lieu du choix électoral, » elle l’est dans la mesure où sont organisés des événements politiques en amont de l’élection. Cette primauté donnée à la télévision est liée au format de la primaire : organiser un premier vote avant l’élection a confronté une opinion politique incertaine aux arguments de chacun. Les retransmissions des face-à-face ont aussi permis à tous les candidats, petits ou grand, de s’exprimer dans un format ou ils sont à égalité, le 4 Avril Dernier sur BFMTV.

« Un moment intense de convivialité politique »

Mais comme preuve du fait que les débats n’influent pas sur le vote des candidats à la présidentielle, le score des « petits » candidats est resté quasiment inchangé malgré l’égalité d’exposition médiatique,  si ce n’est pour Philippe Poutou, crédité dans certains sondages d’un point supplémentaire en récompense à sa saillie envers François Fillon. Lui aussi, a peut-être fait son entrée dans la culture populaire.

L’entrée de certains de ces moments de démocratie dans la culture du grand public n’est pas anodine. Elle montre une réaction du corps social à ces moments. Pour Gaël Villeneuve, politologue et auteur de Les débats télévisés en 36 questions-réponses, les débats télévisés sont « un moment intense de convivialité politique« . Ils revitalisent ceux qui sont impliqués dans le processus politique, et, bien qu’ayant peu d’effets sur les scrutins, perpétuent la culture politique du pays.

Gaël Flaugère