Cybersécurité : le défi du XXIe siècle

C’est un scénario digne d’un épisode de la série Mister Robot. En Angleterre, des patients qui devaient se faire opérer ce mardi 12 mai doivent retourner chez eux, avec une intervention chirurgicale repoussée à une date indéterminée, tandis que les ambulances, elles, vont chercher des malades à la mauvaise adresse. La Banque centrale russe et plusieurs ministères du Kremlin annoncent avoir subi plusieurs cyber-assauts.  Dans les gares allemandes, les panneaux d’affichage des trains échappent à tout contrôle. En Espagne, le réseau interne de l’opérateur téléphonique Telefonica est totalement paralysé. Le géant américain de la livraison Fedex est bloqué, des chaînes de production de l’usine française Renault sont fermées. Les bibliothécaires belges doivent enregistrer leurs documents à la main. Partout sur la planète, le virus “ Wannacry”  sème le désordre. Sur les écrans, le même message apparaît, traduit dans la langue du pays dans lequel il sévit : “Oups, vos fichiers ont été encryptés !” Sur la fenêtre, un compte à rebours s’installe :  c’est le temps qu’il reste à l’infortuné utilisateur pour délivrer 300 dollars en bit-coins aux hackers. Ce rançongiciel frappe partout : 150 pays sont touchés, 300 000 ordinateurs sont infectés, des milliers d’entreprises sont paralysées. Le bilan est lourd, mais il aurait pu être bien plus important si l’attaque n’avait pas été enrayée, presque par hasard, par un jeune britannique, Marcus Hutchins.

Il n’en reste pas moins que l’ampleur du piratage est sans précédent dans l’histoire d’internet. Pourtant, les spécialistes ne semblent pas surpris par cette offensive mondiale. Matthieu Suiche, hacker professionnel et fondateur de l’entreprise de cybersécurité Comae, fait partie des trois français qui ont mis au point un moyen de contrer la seconde réplique de l’attaque. L’imminence d’une telle secousse était prédictible selon lui : Cela devait arriver, après les informations divulguées le 14 avril avril par les Shadow Broker. Ce groupe de pirates, à l’origine et aux motivations troubles, avait en effet divulgué plusieurs failles de sécurité concernant Windows. Des informations qu’ils  auraient trouvé dans les fichiers de la NSA.

Wannacry inaugure-t-il une ère de la cyberpiraterie mondialisée ? Ou n’est-ce qu’un symptôme plus violent de la menace que représente la criminalité virtuelle? Les antécédents, quoi qu’il en soit, sont bien visibles. En 2016, Yahoo, avait dû faire face au piratage de 500 000 de ses comptes. L’expérience avait montré qu’en matière de cybersécurité, l’union ne fait pas toujours la force. Il suffit de la vulnérabilité d’un maillon pour détruire toute la chaîne. Lorsque le gestionnaire américain de nom de domaine Dyn s’est fait pirater, ce sont Netflix, Twitter, Airbnb, et Paypal qui en ont payé le prix : l’accès à chacun de ces sites était impossible, à cause d’un déni de service distribué (ou DDoS attack pour Distributed Denial of Service attack). Ce type de hacking consiste à envoyer une énorme quantité de requêtes, de sorte à saturer le serveur, empêchant ainsi tout accès aux sites internet. Ce genre d’attaque est beaucoup plus facile à mettre en oeuvre du fait de l’utilisation croissante d’objets connectés.

Phishing, rançongiciel, vers informatiques, cheval de Troie… Les hackers ont plus d’un tour dans leur sac pour percer nos défenses. “Les techniques de hacking changent d’une année à l’autre. les pirates sont très opportunistes, ils exploitent les vulnérabilités pour développer de nouvelles méthodes,” met en garde Edgar, en charge de la veille sécurité dans un grand groupe de télécom français (invoquant la politique de confidentialité de son employeur, il souhaite rester anonyme, nous avons modifié son nom.) “En 2016, le ransomware, c’était le mode d’attaque numéro 1.

Dans deux cas sur trois, la victime payerait la rançon, malgré l’appel de l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes Informatiques (ANSSI) à ne pas le faire, estime Thierry Karsenti, expert en cybersécurité, dans un entretien au Parisien. Dans les entreprise, le phishing, ou hameçonnage a aussi la côte.Les hackers envoient par mail des pièces jointes aux salariés.  Si vous l’ouvrez le virus rentre dans votre ordinateur, et peut infecter tout le réseau.” explique Philippe Chabrol.

Mais qui sont donc ces hackers redoutables ?  “Il y a trois profils, explique Philippe Chabrol. Vous avez le geek solitaire qui aime les défi, des groupes d’activistes comme Anonymous ou Wikileaks, et le hackers qui offrent leurs services aux réseaux purement mafieux.”  Pour traquer les pirates, des spécialistes en cyber sécurité doivent faire preuve d’une grande réactivité. Pour espérer le contrer, ils doivent comprendre comment l’attaquant évolue, et quels outils il a utilisé. “L’attaquant a toujours l’avantage, parce qu’il lui suffit d’être bon une fois, alors que les défenseurs doivent être bon tout le temps, à chaque attaque ”, résume Edgar.

Prévenir plutôt que guérir

Que le web puisse être dangereux, cela ne fait plus de doute pour personne. Mais si les particuliers ont bien conscience de l’existence d’une menace, la plupart se sent impuissante à la contrôler, et se résigne à vivre avec une épée de Damoclès virtuelle au-dessus de la tête. Bénédicte Mangau, 20 ans, est consciente des limites de son antivirus Avast.  « Je sais qu’il y a un risque à prendre quand on utilise un ordinateur relié à internet, tout comme il est possible de se faire écraser par une  voiture quand on traverse. On n’a pas le choix, sinon on ne vit plus. » Les réflexes de protection des particuliers se réduisent au minimum : l’installation d’un antivirus gratuit. Les mises à jour, les sauvegardes ? On les fait parfois, lorsqu’on a le temps. Pour beaucoup, il est difficile de croire que des hackers  puissent s’intéresser à eux. A quoi bon barricader son écran lorsqu’on mène une modeste existence ? Les attaques, c’est bon pour les riches et les puissants. “J’ai l’impression que ça ne m’arrivera pas, je ne suis pas connue !” rigole Marie-Agnès Schmitt, une Lorraine de 54 ans.

Or la particularité de la sphère numérique réside dans l’effacement des frontières, géographiques comme structurelles. « On a tendance à parler uniquement des Organismes d’Intérêt Vitaux (OIV) comme les centrales nucléaires, en se disant que c’est vital. C’est une erreur. Chacun est vulnérable, une entreprise, une mairie, une usine… Aujourd’hui, tout le monde est connecté, acteurs publics comme acteurs privés. Donc tout le monde est menacé«  assure David Assou, spécialiste de la question de la sécurité dans le concept des smart-cities. Camille, 23 ans et étudiante en communication, en a fait l’expérience. Elle a perdu 450 € après s’être fait hacker sa carte bleue: Je suis allée sur mon compte bancaire et j’ai vu que quelqu’un avait fait une opération pour essayer de me prélever 1 000 €. Comme j’ai un plafond de 200 euros, cela n’a pas fonctionné. Mais après avoir fait plusieurs petits virements, le pirate a réussi à me prélever 450 € vers un compte aux Caraïbes. Camille n’est pas un cas isolé. Ce genre d’attaque assez fréquente s’explique généralement par un manque de vigilance lors d’un achat en ligne. Il est impératif de vérifier qu’un cadena vert précède l’url, lui-même introduit par la mention “https”, qui signifie que le site est sécurisé.

Du côté des entreprises, le constat n’est guère plus optimiste. La plupart du temps, le piratage informatique est un sujet tabou. Une cyberattaque, ce n’est pas idéal pour l’image de marque. La sécurité est rarement une priorité une priorité pour les patrons d’entreprise, à moins qu’un piratage ne conduise à une tardive prise de conscience. « Bien souvent, c’est quand elles ont subi une attaque que les entreprises se tournent vers nous », confirme Justine Gretten, salariée de Mail In Black, une société qui propose un service de sécurisation des boîte mails grâce à un système de filtrage des expéditeurs. “La demande augmente d’un coup après des périodes de crise, comme on a pu en vivre en 2016 par exemple. C’est vraiment la politique de l’autruche : tant qu’on n’a pas de problème, on ne change rien et on ne pense pas aux risques…”

Or pour faire face à une cyberattaque, une entreprise doit avoir mis en place une véritable stratégie de défense en amont, quitte à faire appel à des spécialistes.“Les services de nettoyage, de gardiennage ou de restauration, ce sont des assistances auxquelles une entreprise souscrit facilement,  parce que ce n’est pas son cœur de business. Pour la sécurité cela devrait être pareil,”préconise Edgar, qui appelle à plus de collaboration : Les acteur de la sécurités sont parfois dans un vocabulaire trop technique, et peut-être trop sur le ton du  « y a qu’à, faut qu’on”.  Les chefs de projets ne savent pas quoi en faire et laissent tomber les recommandations”, diagnostique-t-il.

Transition numérique, transition sécuritaire ?

Face au tout numérique, la question de la sensibilisation de la préservation des données se fait de plus en plus vitale, pour les entreprises comme les particuliers. “Nous changeons de culture, il faut le prendre en compte dans nos habitudes”, martèle  Philippe Chabrol. Si le secteur  de l’innovation se porte plutôt bien, le pendant sécuritaire, lui, est à la traîne. “Le niveau de sécurité n’est pas considéré comme essentiel dès le départ. Or ce n’est pas quelque chose d’optionnel ! Pour tout objet connecté, Il faut vraiment qu’à chaque nouvelle version soit posée la question de l’amélioration de la sécurité par rapport à la version précédente.” insiste Edgar, avant de nuancer : “Tout est une question de juste niveau. Une industrie peut se plomber si on lui impose des règles trop strictes. Le produit final peut être archi-sécurisé, s’il arrive un an et demi trop tard, ou s’il est 50 % plus cher que la concurrence, cela ne fonctionnera pas. Il faut aussi que l’utilisateur puisse s’approprier facilement les fonctions de sécurités mises en place ”.

Le défi de l’éducation à l’heure du tout numérique

 De l’avis de tous les acteurs de la cyber-sécurité, la première chose à mettre en place est donc une véritable éducation des comportements des particuliers comme des professionnels. “Paradoxalement, plus les générations sont connectées, plus elles ont un comportement naïf, faisant une confiance aveugle aux réseaux sociaux par exemple.  Dès l’école, au travail, partout, il faut inculquer les bons réflexes : sauvegarder ses fichiers en cas d’attaque, faire des mises à jour régulières pour corriger les failles des systèmes, sécuriser ses mots de passe, reconnaître les mails suspects…” énumère David Assou. De l’utilisation de  serious-game aux campagnes de sensibilisation en entreprise, des initiatives sont déjà prises à ce sujet.

La France manquerait également d’un cadre administratif et législatif clair. Signe de ce retard, le terme “cybercriminalité” n’existe même pas dans le code pénal français, contrairement à la plupart des pays européens. “Avant d’avoir de solutions, un budget, il faut avoir une organisation fiable. Il y a bien l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI) qui s’est emparée de l’affaire. C’est elle notamment qui aide à protéger les OVI.  Mais c’est loin d’être suffisant” assure David Assou. Selon lui, quelques initiatives émanant des hautes sphères de l’Etat sont tout de même encourageantes. Il retient notamment la création par l’ancien ministre de la défense Jean-Yves Le Drian d’une quatrième armée, spécialisée dans la cyberdéfense. Il salue également la perspective de rédaction d’un nouveau Livre Blanc ciblant les cyberattaques comme des menaces prioritaires : “Toute la défense et la sécurité de notre pays est organisée budgétairement, en terme de moyens, d’identifications des risques et des menaces dans les Livres Blancs, justifie-t-il.

Mais,  même dans les conditions optimales de protection, une certitude demeure : le risque zéro n’existe pas. La veille des services de sécurité consiste surtout, selon Edgar, à jouer les “pompiers numérique”, prêts à contenir la menace. Il s’agit de réagir vite et bien : On ne peut pas être totalement imperméable.  La vraie question n’est donc pas de savoir si l’on va être attaqué, mais quand on le sera ? Sera-t-on prêt à réagir ?”. Or, selon David Assou, la réactivité des administrations est loin d’être opérationnelle : “Les plans de sécurité, appelés Plan de Continuité de l’Activité (PCA) et Plan de Reprise de l’Activité (PRA), souvent, ne sont pas à jour.  C’est pourtant eux qui permettent de ne pas plonger dans l’anarchie. Si le site de la Mairie de Paris se fait pirater, le PCA permettra par exemple de maintenir la collecte des déchets, de trouver une solution pour l’éclairage public…” Le constat s’est vérifié de manière criante depuis le 12 mai dernier.

Il ne paraît donc pas exagéré de voir dans la cybercriminalité la principale menace du XXIe siècle. La possibilité d’une paralysie mondiale des infrastructures n’est plus un scénario de science-fiction. Wannacry permettra peut-être une remise en question sur notre capacité à nous défendre. Pour Edgar, la responsabilité indirecte de la NSA dans le développement de la cyberattaque est alarmant : “C’est assez perturbant de voir qu’on a une agence gouvernementale qui n’est pas capable de protéger ses secrets et ses armes numériques. C’est un peu une boîte de Pandore.

Emilie Salabelle et Sarafina Spautz

Comment s’organiser pendant la grève des raffineries?

Pénurie ou pas, les automobilistes n’ont pas attendu pour prendre leurs précautions. Sur les réseaux sociaux ou les applications mobiles, l’état des stations-service est recensé et actualisé par les usagers eux-même. Une pratique propulsée, un fois encore, par le web collaboratif. Retour sur les outils disponibles. 

La rumeur va bon train. La grève des raffineries entamée la semaine dernière met à mal le ravitaillement des stations services en carburant. Sur les huit établissements destinés à transformer le pétrole brut en combustible, six sont à l’arrêt ou en phase d’arrêt, selon Emmanuel Lépine, responsable de la branche pétrole CGT. Alors que le gouvernement a promis de venir chasser les grévistes, de plus en plus de stations affichent des taux de rationnement. Pour éviter les attentes trop longues, les automobilistes ont pris en main le recensement des lieux en difficulté.

Des cartes interactives 

Peut-être avez-vous vu circuler cette carte sur les réseaux sociaux?

Le site et l’application Essence, un comparateur de prix de carburant propose désormais une carte interactive où les internautes peuvent signaler les stations services en rupture de stock totale ou partielle. A ce jour, 1914 stations-services ont été répertoriées par l’application grâce à la contribution des utilisateurs. Il suffit de télécharger l’application gratuite et de signaler la station-essence défectueuse. L’application compte entre 300 000 et 500 000 utilisateurs réguliers. Depuis le début du mouvement de grève, l’affluence du site peut atteindre jusqu’à 15 000 visiteurs simultanés, selon Pierre Auclair, président de Ripple Motion, le développeur d’Essence, dans une interview à Sud-Ouest.

L’application star d’aide à la conduite, Waze a lancé dans la journée une initiative similaire. D’autres sites habituellement destinés à aiguiller les automobilistes se sont attachés au problème.

Une opportunité d’attirer de nouveaux utilisateurs que la presse quotidienne régionale a tenté de saisir à son tour. Dans la journée, Ouest-France a lancé sa propre carte collaborative consultable sur son site. Lundi après-midi, la Bretagne était l’une des régions les plus touchées par les ruptures de stock dans les stations-service. En vert, sont signalées les stations services ouverte et en rouge, celles qui sont à sec.

Capture d'écran du site de Ouest-France
Capture d’écran du site de Ouest-France

A noter que le gouvernement possède son propre site de recensement des prix de carburant, mais que pour l’instant aucune information sur les stations fermées n’est relayée.

Sur Facebook, échanger et rassembler les informations.

J’ai créé ce groupe car il y avait des infos sur les stations un peu partout sur Facebook, dans différents groupes, sur les murs … J’ai voulu regrouper toutes ces infos sur une page, pour que tous le monde puisse s’informer au même endroit. C’est plus simple, et plus facile que de chercher à droite et à gauche des infos. Charlène Marvyn, administratrice du groupe Pénurie Carburant en Mayenne/Maine et Loire

La page Facebook créée par Charlène Marvyn, jeudi dernier, compte déjà 1259 membres. Le nombre de publication peut atteindre 35, en une heure. Un flux difficile à gérer pour cette simple internaute  Dessus, les utilisateurs du réseau social s’échangent informations et répondent aux questions de chacun.

capture d'écran d'une publication sur la page du groupe Facebook Pénurie Carburant en Mayenne /Mayotte
capture d’écran d’une publication sur la page du groupe Facebook Pénurie Carburant en Mayenne /Mayotte

Sur Twitter, un hashtag pour partager son ressenti 

Le mot-clé #penuriecarburant est apparu en top des tendances twitter dans la journée de lundi. Près de 14 000 tweets publiés par des internautes ont été recensés en milieux d’après-midi. Moins utilitaires et plus subjectifs: les utilisateurs de Twitter se sont emparés du hashtags pour s’exprimer sur la loi travail ou sur leur expérience en stations-service.


Des messages humoristiques ou plus énervés, les internautes se lâchent sur twitter alors que Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT appelait, lundi, à la généralisation de la grève.

EMMA DONADA

2016 : L’ANNEE DE LA REALITE VIRTUELLE?

La réalité virtuelle est en plein essor. Cette technologie permet de plonger l’utilisateur en plein cœur d’un jeu vidéo, d’un film ou d’une animation en images de synthèse. L’immersion est rendue possible grâce à un casque doté d’un écran qui offre une vue à 360°. Facebook, Samsung, HTC, Sony… tous les géants de la High Tech arrivent sur le marché cette année. Un pari qui emballe autant qu’il questionne.

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L’auto-édition numérique : un tremplin pour les auteurs en quête de reconnaissance

Anna Todd, E. L. James, Hugh Howey… ces auteurs ont contribué à l’essor de l’auto-édition en ligne. Si le phénomène semblait d’abord concentré sur les Etats-Unis, il touche aujourd’hui d’autres pays comme la France. Mais ce modèle ne représente pas une menace pour l’édition classique, comme la finalité pour ces auteurs reste l’édition papier. L’essentiel est la mise en valeur du texte.

C’est au 4 rue des Anglais à Paris, en plein quartier des libraires et des éditeurs, que la plateforme d’auto-publication Librinova a implanté son siège, dans un ancien cabaret datant du dix-neuvième siècle. L’intérieur, bien que sombre, n’en est pas moins intimiste et délicat. Des fresques restaurées courent le long des murs, en-dessous desquelles s’alignent des bureaux et des étagères garnies de livres, qui mettent à l’honneur ceux publiés en version papier grâce à Librinova. Deux grandes blondes nous accueillent, le sourire aux lèvres. Quinze jours plus tôt, de nombreux écrivains en herbe, lecteurs et éditeurs défilaient à leur stand au Salon du livre.

 

Charlotte Allibert et Laure Prétalat, devant le siège de Librinova
Charlotte Allibert et Laure Prétalat, devant le siège de Librinova

« Plusieurs représentants de l’auto-édition étaient présents. Les gens se sont globalement montrés intéressés, ce qui nous prouve que cela marche. Aujourd’hui, il existe une quinzaine de plateformes en France. Nous sommes un tremplin pour les auteurs, mais nous ne pouvons pas garantir leur succès. » Charlotte Allibert, 29 ans, est co-fondatrice et directrice générale de la plateforme française Librinova. Selon elle, tout auteur mérite d’être publié, et de manière simple. Librinova propose une alternative aux maisons d’édition classiques et permet de donner une chance à tous ceux qui rêvent de devenir écrivains. « Beaucoup de gens viennent chez nous car ils ont envoyé leur manuscrit à un éditeur et ont essuyé un refus. Mais on reçoit également les ouvrages de personnes qui ont été publiés dans les années 1980 et qui souhaitent donner une seconde vie à leur livre. »

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Librinova a vu le jour en 2014, alors que l’auto-édition connaissait un véritable succès aux Etats-Unis. Le phénomène a en effet pris de l’ampleur avec la parution du roman d’Anna Todd, After, publié sur le site internet Wattpad – une plateforme tournée vers la publication en série, et le partage avec les lecteurs – en 2013, et en version papier un an plus tard. Le best-seller a vite été convoité par des maisons d’édition étrangères, et est sorti en France en janvier 2015.

 

Le phénomène Anna Todd s'est répandu en France
Le phénomène Anna Todd s’est répandu en France

 

Dans les années 2010, Charlotte Allibert et Laure Prételat, également co-fondatrice et présidente de la plateforme, décident de s’associer et de s’inspirer du modèle américain, persuadées qu’il y a « quelque chose à en tirer ». Si le concept met un certain temps à être clairement défini, le site est créé en moins d’un an, en 2013, pour être finalement lancé l’année suivante. Et c’est une réussite. « Depuis la naissance de Librinova, nous avons publié près de 500 livres en France, en Europe, aux Etats-Unis et au Canada, notamment de la littérature grand public, poursuit Charlotte Allibert. Et depuis janvier 2016, nous publions un livre et demi par jour. C’est bien la preuve que notre projet porte ses fruits ! »

 

Source: Librinova - Xavier d'Almeida Crédit: Piktochart
Source: Librinova – Xavier d’Almeida
Crédit: Piktochart

 

« Nous n’intervenons pas en amont, ajoute Charlotte Allibert. Il y a donc bel et bien un risque de perte de la qualité. Cependant, nous essayons de repérer les fautes grâce au résumé que nous transmet l’auteur. Si nous nous apercevons qu’il y a une faute toutes les quatre lignes, nous le prévenons. » En revanche, il existe une forme de contrôle avant toute publication. « Nous avons un détecteur de mots clés pour repérer les textes étranges. En tout, nous en avons refusé deux. L’un divaguait totalement, et l’autre portait sur Kadhafi. De même, si certains passages nous paraissent osés ou violents, nous pouvons demander à l’auteur de les atténuer. »

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TheBookEdition, Bookelis, monBestSeller, Librinova,, Edilivre, Amazon… La concurrence entre les plateformes d’auto-édition est très forte, d’autant plus que certains auteurs passent facilement de l’une à l’autre. Mais, toutes n’offrent pas la même formule, ce qui permet de les distinguer. Certaines proposent une impression papier et numérique, d’autres une impression exclusivement numérique, d’autres encore permettent aux auteurs de créer leur propre site. « En ce qui nous concerne, Laure et moi sommes les seules à venir de l’édition classique, explique Charlotte Allibert. Cela donne confiance aux auteurs qui choisissent de nous déposer leur manuscrit. Et de notre côté, nous pouvons plus facilement établir des liens avec les éditeurs et trouver des partenaires en vue d’une future publication papier. » Quatre titres lancés par Librinova sont ainsi parus chez un éditeur et la sortie d’un cinquième est prévue pour juin.

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Librinova ne prélève rien sur les ventes de ses auteurs, du moins avant le millier d’exemplaires. Le seul forfait imposé est celui du dépôt du manuscrit. L’auteur touche alors 70% du prix de ses livres dont le montant ne dépasse jamais 5 euros, alors qu’il n’en gagnerait que 10% s’il avait signé un contrat avec un éditeur classique. Pour un livre numérique au prix de 2,99 euros, entre 20 et 30% sont prélevés par les plateformes de distribution et l’écrivain touche 2 euros. « Les auteurs de l’auto-publication n’ont rien à envier aux auteurs de l’édition classique. Et quand leur livre marche, ils gagnent assez vite plusieurs milliers d’euros. »

Cette plateforme sert également de passerelle vers l’édition classique. « D’une certaine manière, nous avons aussi un rôle d’éditeur, qui intervient dans le repérage des titres qui marchent le mieux auprès des lecteurs. » Cependant, lorsqu’un livre lancé par Librinova est racheté par un éditeur, l’auteur lui cède ses droits pendant sa durée d’exploitation, alors qu’il en était auparavant l’unique détenteur. Quand un écrivain parvient à vendre 1000 exemplaires, Librinova devient son agent et contacte plusieurs maisons d’édition afin de trouver celle qui correspond le mieux à son livre, et le contrat le plus avantageux. Mais cela ne signifie pas qu’un auteur publiera ses prochains ouvrages avec la même édition, l’objectif étant de correspondre à une ligne éditoriale. Pour l’instant, vingt titres sont concernés. L’un d’eux a même dépassé les 5000 exemplaires. A l’inverse, il arrive également que certains auteurs ne vendent pas plus de 10 exemplaires. Mais selon Charlotte Allibert, « tout dépend de l’objectif de l’auteur. Certains ne cherchent pas le succès. C’est souvent plus difficile pour les auteurs les moins connectés ou ceux qui prennent un pseudo. Par ailleurs, nous savons très bien que certains livres perceront plus que d’autres, notamment ceux qui appartiennent à la littérature sentimentale. Sur internet il y a de la place pour tout le monde, mais l’objectif est de faire ressortir le meilleur».

Les auteurs qui se lancent sur les plateformes d’auto-édition sont plus libres que ceux qui passent par l’édition classique. « Parfois, nous accueillons des auteurs qui en viennent. Ils sont contents d’arriver chez nous ! Il y a beaucoup moins de contraintes. Par exemple, pour telle ou telle raison, ils peuvent retirer leur livre du site du jour au lendemain. » Par ailleurs, selon les co-fondatrices de Librinova, un auteur aurait 50 fois plus de chance d’être publié en passant par une plateforme qu’en envoyant son manuscrit par la poste. « Les maisons d’édition classiques reçoivent près de 5000 manuscrits par an, mais seuls un à deux livres sont édités, à moins de bénéficier d’un réseau ou d’être pistonné. », explique Charlotte Allibert.

 

 

Selon la directrice de Librinova, les lecteurs ont autant de légitimité que les auteurs à sélectionner les textes. « Mais qu’il s’agisse d’édition classique ou d’auto-édition, un système ne doit pas remplacer l’autre. Et dans le fond, notre travail est très proche de celui d’un éditeur. Le lien entre nos auteurs et nous est très fort. Et c’est essentiel, car un auteur a besoin d’avoir quelqu’un en face de lui. Finalement, ce que nous faisons, c’est un peu de l’auto-édition accompagnée. »

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Marilyse Trécourt fait partie des auteurs qui ont connu un véritable succès grâce à Librinova. Son premier roman intitulé Au-delà des apparences s’est vendu à plus de 3000 exemplaires en format numérique, et à près de 800 en papier aux éditions Mosaïc. Également auteure d’un recueil de nouvelles et d’un second roman pour lequel un contrat dans une autre maison d’édition est en cours de négociation, l’ensemble de ses ventes numériques s’élève à plus de 7500 exemplaires. Il faut dire que le prix bas des e-books et l’offre sont attrayants pour les lecteurs, sans oublier toutes les promotions ou les « ventes flash » organisées sur les plateformes qui bradent les livres et augmentent considérablement les ventes. L’ouverture et la rapidité garanties par le circuit d’auto-édition numérique sont aussi des atouts importants, alors qu’il faut attendre trois mois après avoir envoyé son manuscrit par la poste pour obtenir une réponse bien souvent négative. Chaque année, plus de 500 œuvres sont sélectionnées pour la rentrée littéraire, mais les places se font rares dans le milieu de l’édition. Encore plus lorsqu’un auteur ne bénéficie pas d’une grande notoriété.

 

Marilyse Trécourt, faisant la promotion de son premier roman, Au-delà des apparences
Marilyse Trécourt, faisant la promotion de son premier roman, Au-delà des apparences

 

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Les plateformes d’auto-édition numériques se présentent comme une garantie pour les auteurs d’être publiés tout en ayant des conseils, plus ou moins approfondis selon les services proposés, pour valoriser leurs livres. Ce qui est encourageant lorsqu’on ne connaît rien au monde de l’édition. Comme beaucoup d’auteurs, Marilyse Trécourt a découvert les coulisses de cet univers avec l’aide de Librinova. En parallèle de son travail dans la communication pour une société d’assurance, cette mère de famille s’est lancée dans l’aventure par défi personnel et avec beaucoup de modestie. Déjà habituée aux concours de nouvelles, elle a choisi de mettre toutes les chances de son côté en suivant un MOOC (une formation en ligne ouverte à tous) sur la création d’une œuvre de fiction. Son roman a obtenu un prix et le succès est arrivé très rapidement. « J’ai parfois du mal à réaliser parce que tout est allé très vite. Je peux toucher du doigt mon rêve de petite fille qui écrivait dans sa chambre », confie Marilyse.

 

Ayant fait l’expérience des deux formes d’édition, numérique et classique, elle affirme ne pas pouvoir se passer de l’un ou de l’autre. D’un côté la liberté et le contrôle de ses publications avec Librinova, autant à travers l’aspect juridique qu’économique, de l’autre l’encadrement et l’orientation de la maison d’édition. « Pour un écrivain, le but c’est d’être publié sur papier. Mais avec du recul je pense que c’est mieux d’être d’abord passée par l’auto-édition, plutôt que par une petite maison d’édition classique avec moins de visibilité. Ce n’est pas le même métier, mais les deux sont vraiment complémentaires. Avec la maison d’édition Mosaïc, j’ai pu faire un vrai travail sur le texte et corriger des erreurs que je ne fais plus maintenant. J’ai aussi pu avoir des séances de dédicaces avec mon public », ajoute-t-elle.

 

Marilyse Trécourt - Crédit Yves Colas
Marilyse Trécourt – Crédit Yves Colas

 

À l’inverse, Catherine Choupin, ancienne professeure de lettres classiques de 61 ans, est d’abord passée par les maisons d’édition papier avant de se lancer dans le numérique. Pour son premier roman, elle avait fait appel à une petite édition située à Versailles, mais le manque de visibilité et « des erreurs en matière de marketing » l’ont déçue. Découragée par le long processus de l’édition traditionnelle et les refus, elle a découvert Librinova grâce à une ancienne élève et a été la première auteure à contribuer à la plateforme. Lauréate du prix du livre numérique en 2015, elle compte maintenant 9 romans à son actif : « D’ici la fin du mois d’avril, je devrais atteindre les 5000 exemplaires vendus pour l’ensemble de mes romans ». Si aucun d’entre eux n’a dépassé la barre des 1000 exemplaires qui lui permettrait de publier sous le format papier, elle souhaite rester chez Librinova : « Je n’aurais pas dit ça il y a deux ans, mais aujourd’hui j’apprécie ce confort et cette grande liberté. Si un éditeur veut me publier je ne vais pas cracher dans la soupe, mais je tiens vraiment à rester», explique Catherine Choupin.

 

Catherine Choupin, publiée par Librinova - Crédit Catherine Choupin
Catherine Choupin, publiée par Librinova – Crédit Catherine Choupin

Pour cette femme de lettres plongée dans les bouquins et les grands classiques depuis toujours, la méfiance vis-à-vis du numérique et de l’auto-édition peut se comprendre. Les plateformes qui y sont consacrées regorgent d’auteurs aux parcours et aux plumes différentes. À travers une sélection plus rude, l’édition classique peut avoir un côté élitiste qui fait défaut au monde de l’auto-édition. « Mais quelquefois, quand on voit les livres papier qui sont publiés, on se demande bien pourquoi… », ironise-t-elle.

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Pour les éditeurs, le phénomène de l’auto-publication est une vaste question. Mais une chose est sûre, ce qui compte avant tout est de mettre en valeur un texte, peu importe la forme qu’il prend. Les deux modèles ne s’opposent pas, ne se remplacent pas, ils sont complémentaires. « L’auto-publication est un moyen comme un autre de présenter son travail, explique Guillaume Vissac, directeur éditorial du site Publie.net. La seule chose qui est regrettable est qu’il n’y a ni travail de relecture, ni travail éditorial derrière. Cependant, il ne faut pas non plus généraliser. La qualité des textes va dépendre des plateformes. Par exemple, sur le service d’auto-publication d’Amazon, chacun est libre de déposer son ouvrage, mais il y a tout de même des personnes qui vont relire et faire le tri en fonction des cibles. »

 

Photo d'illustration
Photo d’illustration

La question de l’auto-publication en ligne pose de manière plus vaste celle de l’édition numérique. Un sujet que Guillaume Vissac semble parfaitement maîtriser, étant donné que Publie.net, créé en 2008, ne proposait à l’origine que de l’édition numérique, principalement axée sur la littérature contemporaine. Ce n’est qu’en 2012 qu’il a développé une offre papier, à travers un système d’impression à la demande, pour éviter le gaspillage. Aujourd’hui, les nouveautés sont simultanément publiées en version numérique et papier. « Il serait réducteur d’opposer l’un à l’autre, poursuit-il. Nous voulons avant tout publier des textes. Certains s’adaptent mieux au numérique, d’autres au papier. Au lecteur de choisir en fonction de ses usages. L’important est d’utiliser les supports en fonction des textes, et non l’inverse. Nous ne sommes pas du tout partisan de tel ou tel système. »

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Un choix qui concerne également les auteurs, selon le genre de livre qu’ils souhaitent écrire et publier. « Je pense que l’auto-édition numérique a un intérêt selon le projet. Il faut savoir ce que l’on veut, et que ces plateformes vont juste être un outil. Cela peut très bien marcher, mais cela dépend de l’échelle. Ce qui me dérange, ce sont les entreprises qui font des promesses mensongères aux auteurs », explique Laura Fredducci, assistante d’édition chez Les Petits Matins. Cette maison est spécialisée dans la publication d’essais, et est donc moins concernée par le phénomène de l’auto-édition numérique. La grande majorité des livres publiés avec ce système sont de la littérature populaire. « C’est une question de secteur. Les auteurs qui viennent chez nous ont déjà souvent un réseau et une visibilité, et ils sont moins nombreux. C’est le contraire pour les romans populaires où il y a énormément de demandes, donc c’est normal que certains passent par l’auto-édition. Je pense qu’un bon essai trouve toujours son éditeur », ajoute-t-elle. Les Petits Matins reçoivent environ 500 manuscrits par an et en publient un à deux. Si les plateformes d’auto-édition en ligne ne permettent pas de percer dans le milieu selon Laura Fredducci, ils servent néanmoins de « rampe de lancement pour les auteurs. Ils permettent aussi de voir quels phénomènes apparaissent, sans pour autant être des concurrents. Pour un auteur c’est aussi intéressant de s’associer à une maison d’édition ensuite ».

Crédit Piktochart
Crédit Piktochart

Si le travail de l’éditeur classique reste tout de même largement plébiscité par les professionnels de l’édition – en termes de correction, de valorisation et de promotion de l’œuvre par exemple – il n’est pour autant pas question de dénigrer le système de l’auto-édition numérique. Les deux peuvent se compléter et permettre à des auteurs de se révéler. Un moyen d’avoir ensuite accès aux maisons d’édition classiques qui peuvent se montrer réticentes au départ. En plus de cette complémentarité, entre le numérique et le papier, le système classique et l’alternative de l’auto-édition, cette dernière révolution permet d’apporter un nouveau regard sur le métier : « Je pense que cela remet en question le monde de l’éditeur tout puissant, et nous pousse à redéfinir et à réexpliquer la profession, pour montrer qu’elle a encore du sens », admet Laura Fredducci. Une preuve que le monde de l’édition en France est capable de s’adapter aux nouveaux phénomènes et aux circuits alternatifs, sans pour autant perdre son aura. •

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Marie-Hélène Gallay et Charlotte Landru-Chandès