ENQUÊTE : Retour volontaire : le faux choix du départ

Faute de perspectives en France, certains étrangers en situation irrégulière décident d’accepter l’Aide au retour volontaire proposée par l’État. Ce dispositif prévoit un soutien financier et un billet d’avion en échange d’un départ du territoire. Officiellement présenté comme un choix, il est souvent accepté dans un contexte de précarité administrative et sociale.

“Ça ne sert à rien de rester et de me battre pour ma régularisation. Parce que le combat va durer, je le sais”. Découragé, Wissam*, 36 ans, a baissé les bras après que la préfecture des Vosges a refusé sa demande de régularisation par le travail. Venu d’Algérie avec un visa de travail, le technicien supérieur chauffagiste a décidé d’entamer une procédure d’aide au retour volontaire (AVR) auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Avec ce dispositif, il pourrait obtenir une somme d’argent et des billets d’avion pour quitter le territoire français : “Je ne peux rester ici sans rien faire, sans être régularisé”, ajoute celui qui a dû stopper toute activité professionnelle du jour au lendemain en raison du refus de sa demande. Installé en France depuis 2021, Wissam est marié et a deux jeunes enfants, nés sur le territoire français. 

Lors d’un rendez-vous avec l’Ofii le 20 mai 2025, il a décidé d’accepter l’aide financière de 600 € par personne, en échange d’un départ vers l’Algérie. “Ils nous ont dit qu’on pourrait partir avant le 30 juin, mais nous sommes le 7 et nous n’avons toujours pas de nouvelles…”, se désole le père de famille. N’ayant plus de salaire, la famille a dû quitter son domicile et loger chez des proches. Un hébergement temporaire qu’ils devront quitter dans quelques jours : “Nous n’avons pas encore de solution pour la suite”, s’inquiète Wissam, dans l’attente de bénéficier de l’aide au retour. Comme d’autres, le technicien a abandonné ses espoirs de construire une vie stable en France. Pour Christophe Pouly, avocat au barreau de Paris, “saisir l’aide au retour volontaire, c’est signe d’avoir lâché l’affaire.” En vingt ans d’exercice, l’avocat n’a été confronté qu’à un seul client qui a saisi cette ARV. “Je fais en sorte de faire rester mes clients. Notre rôle est de trouver une solution, pas de les encourager à partir.”

Les personnes en situation irrégulière sont automatiquement informées de l’Aide au retour volontaire.

Instaurée pour la première fois en France en 1977, l’Aide au retour volontaire a été modifiée à plusieurs reprises au fil des années. A ce jour, l’Etat français propose jusqu’à 1 850 €, ainsi qu’un billet d’avion à toute personne étrangère, majeure ou mineure, qui veut quitter la France après avoir passé plus de trois mois sur le territoire. Le demandeur doit être en situation irrégulière et faire l’objet d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF). C’est l’Ofii qui s’occupe d’attribuer cette aide, à travers ses 1 400 agents répartis en directions territoriales, dans les principales villes de France.

Part d’éloignements forcés et volontaires selon les années : 2019 – 2023

En 2024, environ 7000 personnes sont retournées définitivement dans leur pays d’origine avec une ARV. “L’objectif serait d’atteindre les 10 000 par an”, ambitionne Didier Leschi, directeur de l’Ofii. En complément, une aide à la réinsertion peut aussi être accordée pour les ressortissants de 23 pays, comme le Cameroun, l’Inde ou encore la Côte-d’Ivoire. Un chèque pouvant atteindre les 10 000 €, selon la Cour des comptes. 

Un dispositif avantageux pour l’Etat français

Quelle différence avec une expulsion forcée ? L’ARV permet de faire des économies : “Les retours contraints coûtent au moins le triple”, affirme Didier Leschi. La Cour des comptes ajoute même que “ce dispositif présente un rapport coût-bénéfice très favorable.” Le coût d’un éloignement forcé avoisine les 14 000 €, contre 3 000 € pour l’ARV. Pour Jean-Pierre Cassarino, politologue au Collège d’Europe, ce dispositif offre un autre avantage aux pouvoirs publics : un allègement au niveau judiciaire. En acceptant un retour volontaire, la personne renonce définitivement à accéder à l’asile. Autrement dit, si une demande d’asile était en cours, elle est automatiquement annulée.

Clara Lecadet, anthropologue au CNRS, souligne que l’ARV permet de donner une meilleure image de l’action de l’Etat. “Le gouvernement pourra dire : “regardez comme je suis efficace !” Les gens ont seulement besoin de réponses, pas de savoir si celle-ci est adéquate”, alerte Jean-Pierre Cassarino. 

Je suis déçue de la finalité des choses »

Hébergée au centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) d’Asnières-sur-Seine, Amina* est l’une des rares personnes à suivre le processus d’aide au retour volontaire. Accompagnée par cette structure, gérée par France Terre d’Asile, la jeune femme de 29 ans a décidé de regagner le Tchad après avoir été déboutée de sa demande d’asile il y a quatre mois. Arrivée en décembre 2023 sur le territoire français après avoir fui le pays avec son quatrième enfant, empoisonné par la coépouse de son mari alors qu’il n’avait que 11 mois. Depuis un an et demi, elle attend d’obtenir l’asile pour que ses trois autres enfants la rejoignent en France. 

Après avoir épuisé tous les recours pour obtenir l’asile, Amina a abandonné l’idée de rester en France. “J’ai quitté le pays en espérant avoir la protection française et faire venir mes enfants, mais ça n’a pas marché. Je suis obligée de repartir malgré les problèmes qui m’attendent là-bas”, explique-t-elle avec regret, dans le bureau où elle vient régulièrement échanger avec les employés du CADA. Désormais, “le plus important, c’est de rejoindre mes enfants”, assure la jeune femme d’une voix serrée. C’est avec certitude qu’elle explique avoir accepté les 1600 euros proposés par l’Ofii “Je leur ai dit que je pouvais partir dès le 28 juin, j’attends qu’ils m’envoient les billets d’avion.” Un vol vers ses enfants, mais aussi vers son passé et des traumatismes, à la mention desquels Amina ne peut retenir ses larmes. “J’ai peur de retrouver la même situation qu’à mon départ. Je dois revenir pour éviter que mes enfants restent en danger avec la femme qui leur a fait du mal”. Une fois sur place, la jeune mère pourra retirer l’argent promis par l’Ofii, grâce à un code Western Union ne permettant de récupérer l’argent que dans le pays de retour. Mais après son atterrissage à N’Djamena, rien ne lui est assuré : “Je ne sais pas si je vais pouvoir travailler”, s’inquiète Amina. Employée des douanes avant son départ de la capitale tchadienne, elle sait qu’elle ne sera pas réembauchée après un an et demi d’absence. C’est le retour dans la vie qu’elle avait souhaité quitter. “Je suis déçue de la finalité des choses, mais aujourd’hui je ne m’y retrouve plus ici”, regrette-t-elle, tout en reconnaissant l’aide apportée par France Terre d’Asile. Dans un mois, Amina aura normalement quitté la France et les couloirs du CADA, faute d’alternative viable pour elle et ses enfants dans l’Hexagone. 

Un exemple très minoritaire d’une bénéficiaire de l’Aide au retour volontaire parmi les deux tiers de demandeurs d’asile à l’OFPRA en 2024 déboutés de leur demande. Karine, bénévole au pôle “éloignement” de l’antenne de la Cimade des Batignolles, à Paris, témoigne en effet d’un très faible nombre de personnes intéressées par l’aide au retour. “Je les informe toujours de cette possibilité, mais jamais personne ne m’a dit être intéressé”, explique-t-elle. Selon la retraitée habituée des locaux de l’association située boulevard de Clichy, “cette aide reflète le durcissement de la politique migratoire de ces dernières années”. Un retour dans son pays d’origine peut-il alors vraiment être volontaire ? 

 

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« Leur parcours est dans une impasse »

Clara Lecadet considère que dans un “contexte politique marqué par une coercition extrême pour les étrangers sans papiers”, la terminologie de “retour volontaire” est à remettre en question. “Il est difficile d’invoquer la volonté individuelle et le libre-arbitre”, souligne la spécialiste des migrations. Le politologue Jean-Pierre Cassarino note également un durcissement du système d’asile en France qui joue sur sa confiance dans l’ARV. “On propose ce programme à des personnes dont les perspectives d’insertion dans la société sont de toute manière très réduites. Il n’y a rien de moins volontaire qu’un retour volontaire”. Un constat partagé jusque dans les bureaux de la direction de l’Ofii : “Si ces gens acceptent l’aide au retour volontaire, c’est parce que leur parcours est dans une impasse”, admet Didier Leschi. 

Jacqueline est interprète pour ISM interprétariat : une entreprise qui travaille régulièrement avec l’Ofii. Cette spécialiste de la langue serbo-croate assiste et traduit de nombreux entretiens par téléphone, entre des agents de l’Ofii et des ressortissants du Kosovo, de la Bosnie, ou encore de la Serbie. Après 10 ans à écouter des récits d’exil variés, Jacqueline l’assure, “je n’en ai connu aucun prêt à revenir en arrière après de telles galères”. 

Au sein du processus d’aide au retour, on distingue toutefois, selon François Héran, sociologue, démographe et professeur au Collège de France, un “effet d’aubaine” pour certains de ses bénéficiaires. “Ce sont les personnes qui bénéficient du dispositif de l’Etat pour recevoir de l’argent supplémentaire, alors qu’ils avaient déjà prévu de partir” En cause, les personnes décrites par Clara Lecadet, suite à ses observations de recherche, “de la classe moyenne qui sont un peu plus aisés matériellement, et qui font un séjour en immigration dans des conditions tout autres qu’un immigré malien sans papiers par exemple”. Ce dispositif serait ainsi détourné par certains “de manière un peu opportuniste, sans que ce soit forcément négatif, par exemple pour aider à démarrer un petit projet professionnel après des études à l’étranger après lesquelles on avait déjà décidé de revenir”. Tandis que pour d’autres, l’aide au retour ne serait qu’une expulsion masquée, selon Jean-Pierre Cassarino. 

Une proposition peu attractive

Contrairement à Oussama et Amina, pour la majorité des personnes éligibles à l’ARV, l’option d’un retour n’est pas envisageable. C’est le cas de Richard*, un cinquantenaire originaire de Côte d’Ivoire, qui s’est vu refuser l’asile il y a quelques semaines, après un recours devant le tribunal. Ce vendredi 6 juin, il a rendez-vous avec le chef de service du CADA de Vaux-le-Pénil, Freddy Matundu Lengo, où il est hébergé. Dans ces locaux implantés en Seine-et-Marne, une dizaine de jeunes bénévoles en effervescence s’empresse d’accueillir les rendez-vous de la journée. 

Installé dans le bureau de M. Matundu Lengo, Richard apprend la nouvelle : il dispose de trois semaines pour quitter son hébergement. Le choc est dur à encaisser : “Ça n’est pas facile”, souffle-t-il, le regard tourné vers ses baskets. Pour cet homme, déjà passé par la Tunisie et l’Italie, la France était porteuse d’espoir. “Moi je veux bien tout faire, sortir les poubelles, nettoyer le métro…”, assure-t-il.

Richard a reçu sa notification de sortie du CADA de Vaux-le-Pénil.

Face à lui, derrière son ordinateur, le gérant du CADA l’informe qu’il pourrait bénéficier de l’aide au retour volontaire pour retourner en Côte d’Ivoire. “Je suis désolé monsieur. Je sais que vous êtes quelqu’un de bien, vous nous avez aidé à plusieurs reprises.”, ajoute-t-ilLorsque ce dernier quitte la pièce, Richard confie ne pas avoir l’intention de saisir cette aide : “J’irai au rendez-vous proposé par l’Ofii, mais ce n’est pas possible pour moi de repartir. Là-bas les gens s’entretuent, j’ai déjà été menacé.”

Au-delà des conditions de vie difficiles dans de nombreux pays, le psychanalyste Davide Giannica affirme qu’un retour peut être vécu comme un échec. “Il y a une forme de contrat migratoire entre l’immigré et la famille qui a investi dans le départ”, explique-t-il. Dans certains pays, il observe que la figure du migrant est encore très valorisée. “Avoir un fils migrant, c’est comme avoir un fils médecin. Il apporte une image narcissisante. Alors, face au retour, certains préfèrent la mort physique à la mort sociale dans leur pays d’origine”. Le retour est d’autant plus déstabilisant “qu’on ne retrouve jamais ce qu’on a laissé derrière soi : c’est comme un deuxième exil”, ajoute le chercheur. Pour lui aussi, l’illusion du choix masque une contrainte réelle du dispositif : “Les conditions d’accès aux soins, d’obtention des papiers ou d’asile sont devenues de plus en plus difficiles à obtenir en France. Alors, quand on offre la possibilité de choisir, c’est en réalité un non-choix.”

Un « marketing » du retour volontaire

Pour François Héran, l’attractivité du dispositif de l’ARV dépend aussi du pays en question. “Il ne suffit pas de recevoir de l’argent, il faut que le pays de retour sécurise les projets financiers des personnes. Il y a beaucoup d’endroits où le droit de propriété n’est pas vraiment garanti.” L’efficacité des dispositifs et leur cohérence sont ainsi très variables selon les contextes nationaux. 

Au Cameroun, l’Association des rapatriés et de lutte contre l’émigration clandestine (ARECC) participe à l’accueil des migrants de retour, en partenariat avec l’OIM. Son directeur, Robert Alain Lipothy, explique les aider à “bâtir des business plans”, en accompagnement d’un soutien psychologique, mais reconnaît recevoir très peu de bénéficiaires de l’aide au retour volontaire depuis la France. L’association, majoritairement composée d’anciens migrants, déplore aussi un manque d’investissement de l’État camerounais dans la réinsertion de ses ressortissants. Selon Jean-Pierre Cassarino, peu de pays ont véritablement intégré ces retours dans leurs politiques publiques, illustration de l’échec de la procédure. “Comment se fait-il qu’il n’y ait aucune insertion dans le paysage institutionnel concernant le retour volontaire ?”, souligne-t-il. 

Même lorsqu’un retour est assorti d’une aide financière, celle-ci ne garantit pas la réussite d’un projet : entre formations inadaptées, absence d’insertion durable et reconversion subie, beaucoup peinent à transformer ce soutien en véritable nouveau départ. “Derrière l’image d’un retour préparé se cache souvent un marketing du retour volontaire”, considère Jean-Pierre Cassarino. Une stratégie qui ne parvient pas à masquer le sentiment d’abandon éprouvé par ceux qui, comme Amina ou Wissam, doivent repartir avec une modeste somme, mais sans perspective. “Ma famille n’est pas au courant de mon retour”, explique Amina. Incertaine quant à son avenir à N’Djaména, elle souhaite avant tout retourner auprès de ses enfants. “C’est le seul choix qui me reste.”

Elisa Dutertre et Zoé Vezyroglou

Université des Antilles : des formations encore limitées malgré une diversification

c/Alix Wilkie

Avec quelque 4 500 étudiants inscrits chaque année, l’Université des Antilles reste le principal acteur de l’enseignement supérieur en Martinique. Sur le campus, les filières généralistes — lettres, droit, sciences humaines, économie ou biologie — structurent une offre académique classique. À cette base s’ajoutent des formations plus professionnalisantes, proposées notamment à l’IUT avec des BUT en informatique, logistique ou gestion des entreprises.

Dans le champ de la santé, la filière médecine attire un nombre croissant d’étudiants, avec environ 200 places proposées. Mais comme pour d’autres disciplines, le parcours reste partiel : au-delà des premières années, les étudiants doivent poursuivre leur cursus en Guadeloupe ou en métropole. Même contrainte pour les études de pharmacie ou de kinésithérapie, inexistantes localement.

L’université dispose également d’un pôle de formation aux concours de l’enseignement, avec des préparations aux concours du professorat des écoles, du CAPES ou de l’agrégation. Elle développe par ailleurs des partenariats à l’international, notamment via le programme Erasmus+, offrant aux étudiants des possibilités de mobilité en Europe ou aux États-Unis.

Malgré ces évolutions, l’offre reste insuffisante pour répondre à la diversité des aspirations étudiantes. Faute de masters spécialisés, d’écoles intégrées ou de filières dans le domaine de l’ingénierie, des arts ou des sciences politiques, plusieurs centaines de bacheliers quittent chaque année le territoire pour poursuivre leurs études ailleurs. Un départ souvent présenté comme provisoire, mais qui s’inscrit dans un phénomène de mobilité durable, voire définitive, faute de conditions suffisantes de retour.

Christiane Taubira, l’Outre-mer au cœur de la République

Née à Cayenne en 1952, Christiane Taubira quitte la Guyane à 18 ans pour poursuivre ses études en métropole. Elle obtient un diplôme en économie à Paris II, en sociologie à la Sorbonne, et passe par Sciences Po. Issue d’un milieu modeste, elle construit un parcours universitaire solide, qui la mène jusqu’à l’Assemblée nationale. Élue députée de Guyane en 1993, elle s’impose par son indépendance et sa liberté de ton. En 2001, elle fait adopter la loi reconnaissant la traite et l’esclavage comme crimes contre l’humanité. Militante indépendantiste dans sa jeunesse, cofondatrice du Parti walwari, elle a également été candidate à l’élection présidentielle de 2002. Nommée garde des Sceaux en 2012, elle défend avec force le mariage pour tous, devenant une figure centrale du quinquennat Hollande. Première femme noire à diriger un ministère régalien sous la Ve République, elle s’est hissée au sommet de l’État sans jamais renier ses origines.