Enfants, cuisine, ménage : le confinement a pesé sur les inégalités femmes-hommes

Ecole à la maison, trois repas par jour à préparer, impossibilité de faire garder ses enfants… Pendant le confinement les tâches ménagères et éducatives ont augmenté. Or, elles sont assurées en majorité par les femmes. Si certains observateurs espèrent une prise de conscience des hommes assignés à domicile, d’autres redoutent que la situation accentue les inégalités.

Sans école, ni crèche, les parents ont dû garder leurs enfants 24h/24, une tâche qui revient le plus souvent aux mamans. Crédit: Laura Diacono

« J’entendais bien que dehors c’était la guerre. Mais pour moi c’était la guerre à la maison : ma fille avait 8 mois, elle ne faisait pas ses nuits, elle avait des coliques… » Confinée à Toulouse, avec son fiancé en télétravail et ses deux enfants, Elikia* n’a pas eu une minute à elle. Elle gérait tout à la maison. Lui, allait faire les courses. La répartition des tâches dans leur couple n’a pas changé avec le confinement. Mais ses tâches, à elle, se sont multipliées.

Sans école ni possibilité de garde et sans moyen de déléguer les tâches, la charge du travail domestique a augmenté pendant le confinement. Une hausse qui a pesé en majorité sur les femmes, exacerbant les inégalités préexistantes dans la répartition des tâches au sein des couples hétérosexuels.

La répartition des tâches domestiques est inégale dans la majorité des couples femmes-hommes.

En effet, un sondage Harris Interactive publié le 15 avril dernier, révèle que 54% des femmes ont consacré plus de deux heures par jour aux tâches domestiques pendant le confinement, contre 35% des hommes. Par ailleurs, 58% des femmes en couple ont estimé qu’elles assuraient la majorité des tâches ménagères et éducatives. Une perception qui diffère chez les hommes dont « seulement 33% estiment que leur conjoint(e) y prend une plus grande part ».

« Statistiquement, les femmes et les hommes ne vivent pas le même confinement », a conclu la secrétaire d’Etat en charge de l’égalité femmes-hommes Marlène Schiappa dans une interview au Point, craignant un « épuisement silencieux des femmes ».

Pendant le confinement, 58% des femmes en couple ont estimé qu’elles assuraient la majorité des tâches domestiques.

Pourtant, avec l’arrêt de certaines activités et l’essor du télétravail, des chercheurs et des militants avaient espéré une prise de conscience de la part des hommes assignés à domicile. Un espoir que ne partageait pas François de Singly, professeur émérite à l’Université de Paris et sociologue de la famille : « Les hommes et les femmes savent que les femmes en font plus. » De plus, « les comportements sociaux ne changent pas en 24h, ce sont des processus à très long terme », précise Sandra Gaviria, professeure de sociologie à l’Université du Havre, elle aussi spécialiste de la famille.

« Les divisions de genre sont restées »

Cependant le confinement a-t-il été l’occasion de remettre en question la répartition genrée des tâches ? C’est ce que tentent de mesurer Hugues Champeaux et Francesca Marchetta de l’Université Clermont-Auvergne qui réalisent une étude sur les conséquences sociales et économiques du confinement sur les ménages.

« Tout ce qu’on peut dire pour l’instant, c’est que les divisions de genre sont restées. Les hommes vont plus aller faire de courses, c’est déjà une activité qui est plus équilibrée au niveau du genre à l’origine et c’est l’occasion de sortir du ménage qui n’est pas le lieu d’évolution traditionnel des hommes », analyse Hugues Champeaux.

La répartition entres femmes et hommes est différente selon les tâches ménagères et éducatives.

La révolution tant espérée n’a donc pas eu lieu. Mais, vivre 24h/24 avec leur conjoint a eu un effet déclencheur sur certaines femmes comme Charlie*. A 28 ans, elle habite avec son compagnon dans un appartement de Brest. « D’être à la maison, de le voir toute la journée sur ses jeux vidéo alors que je travaille pour mes partiels et que je m’occupe du reste, ça m’a fait réaliser que je fais tourner l’intégralité du foyer. », confie-t-elle.

Il y a quelques mois, elle avait essayé de rééquilibrer les choses. « J’avais imprimé une liste de tâches sous forme de tableau. Celui qui avait fait le plus de tâches durant la semaine gagnait un massage, un repas en amoureux pour le mois. Ça a tenu un mois et demi. Pendant le confinement, ça s’est débloqué quand je lui ai dit que j’envisageais de partir me reposer pendant minimum un mois. Il a senti que ce n’était pas une menace, mais un besoin. »

« Le voir toute la journée sur ses jeux vidéo alors que je travaille pour mes partiels et que je m’occupe du reste, ça m’a fait réaliser que je fais tourner l’intégralité du foyer », raconte Charlie, 28 ans.

« Les femmes en confinement ont matériellement plus de travail à faire : tous les repas, les devoirs… Le plus dur, ça a été pour les femmes avec des enfants en bas âge », souligne Sandra Gaviria. En effet, sans école ni solution de garde, ce sont souvent les mères qui ont pris en charge les enfants.

Des « triples journées » pour les mères de famille

« Poursuivre son activité professionnelle si on en a une, s’occuper des enfants et leur faire l’école sans accompagnement ni formation, gérer la maison, a été une épreuve pour les familles et d’autant plus pour les mères », précise Alizée Montoisy, militante féministe du collectif Nous Toutes. En témoigne le succès du compte Instagram « T’as pensé à ? » sur la charge mentale** où de nombreuses femmes ont exprimé leurs difficultés.

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par « T’as pensé à ? » par Coline (@taspensea) le

A l’instar de Laura qui enchaînait trois journées de travail en une. « Je me levais à 5h30 le matin pour pouvoir travailler. De 8h à 20h, je m’occupais de toutes les tâches ménagères et de ma fille, après l’avoir couchée, j’attaquais ma deuxième moitié de journée de travail de 21h à 23h », raconte cette chargée de communication en chômage partiel qui a continué de travailler deux jours par semaine. « Le télétravail a été une source de stress très forte pour certaines mamans dont les entreprises continuaient de travailler comme si de rien n’était », commente Sandra Gaviria.

En couple, Laura n’a pas pu compter sur son conjoint pour prendre le relais. « En règle générale – et pendant le confinement, ça n’a même pas été vraiment le cas – c’est lui qui lui donne le bain. Pendant le confinement, c’était à l’heure des apéros en visio avec les potes. » Plusieurs fois, la jeune femme est sortie pleurer dans son jardin, « épuisée ». Un soir, elle a même rempli une attestation pour pleurer en se promenant à un kilomètre autour de chez elle.

D’autres mamans ont continué d’aller travailler tout en portant la charge mentale et émotionnelle de la famille comme Sabrina, aide-soignante en Ehpad à temps-plein. « Le papa a eu du mal à s’occuper des enfants toute la journée. En rentrant, je devais gérer les colères et les angoisses de toute la famille. Le soir, je préparais les repas et les vêtements pour le lendemain », témoigne-t-elle.

Pour équilibrer la répartition des tâches, Charlie a essayé de mettre en place un système de tableau, sans succès.

Cependant, les expériences de couples confinés n’ont pas toutes été négatives. Pour certains, le confinement a été l’occasion de trouver un nouvel équilibre à deux. D’ailleurs, le sondage Harris Interactive, précise que « 88% des Français vivant la période actuelle en couple se disent globalement satisfaits » de la répartition des tâches domestiques. C’est le cas de Sarah et de son conjoint qui télétravaillait pendant le confinement. En congé parental, elle assure habituellement « 98% des tâches ». La présence de son conjoint leur a permis de fonctionner « en équipe » et ainsi de libérer du temps de loisir pour la jeune maman. « Je me suis assise avec un livre ! Ça ne m’était pas arrivé depuis plus de deux ans. J’aimerais que ce soit tout le temps comme ça », raconte-t-elle.

« Il s’est engagé à plus porter la charge mentale »

Trouver un équilibre, une répartition équitable, c’est ce que sont parvenus à faire Justine et son compagnon. Ils ont mis en place un système de tableau pour compter le nombre de tâches effectuées par chacun. Statistiques à l’appui, son conjoint a eu un déclic. « On était à peu près à 70% pour moi et à 30% pour lui. Lui s’est engagé à penser plus, à porter la charge mentale. Moi, je me suis engagée à penser moins, ou du moins à penser à ce que moi je dois faire et pas à lui dire ce qu’il doit faire. On avait chacun une direction à prendre à l’opposé pour se retrouver au milieu avec plus d’égalité », sourit Justine, qui utilise désormais l’application Maydée qui permet de quantifier le travail de chacun.

Grâce à un tableau Excel et maintenant à l’application Maydée, Justine et Paul ont réussi à se répartir les tâches équitablement.

Depuis, Justine envisage un autre avenir : « C’était un des critères : je ne fais pas d’enfant si on n’est pas égalitaire dans le partage des tâches. Sinon ça va limiter les possibilités dans ma vie ». Féministe, elle sent que si elle n’atteint pas l’égalité dans son couple, elle ne l’atteindra pas dans ses objectifs professionnels.

« Si les femmes sont associées à l’espace privé, ça veut dire que l’espace public est masculin. Alors, je pense que la révolution féministe commence bien à la maison, et dans l’espace privé, pour pouvoir ensuite enfin avoir une place dans l’espace public », conclut Alizée Montoisy de Nous toutes.

* Nom d’emprunt

** Poids psychologique que fait peser (plus particulièrement sur les femmes) la gestion des tâches domestiques et éducatives, engendrant une fatigue physique et, surtout, psychique. (Larousse)

 

Juliette Guérit et Clémentine Piriou

A lire aussi:

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *