« Violences policières » : qu’est-ce que la « doctrine Grimaud » évoquée par Anne Hidalgo ?

Maurice Grimaud, préfet de police, en mai 1968 à éviter le pire pendant les évènements //JOEL SAGET / AFP

VIDEO – Invitée ce matin sur France Inter, la maire de Paris a demandé au ministre de l’Intérieur Christophe Castaner de revenir à la « doctrine Grimaud » de maintien de l’ordre. Mais en quoi consistait cette doctrine ? Explications.

Invitée mercredi 22 janvier dans la Matinale de France Inter, la maire de Paris ne mâche pas ses mots à l’égard du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner et de Didier Lallement, préfet de police. Sur l’antenne, elle déclare :

« Il y a un vrai problème de maintien de l’ordre. (…) Il faut absolument que le préfet de police de Paris revienne à la doctrine Grimaud, le préfet de 1968, qui a été un des penseurs de la doctrine en matière de maintien de l’ordre, c’est-à-dire permettre l’expression libre de toutes les manifestations, et éviter qu’il y ait des morts ou des blessés. »

 

La doctrine évoquée par la maire de Paris n’a jamais été institutionnalisée mais elle reste gravée dans la mémoire collective, notamment  pour ceux qui ont connu Mai 68.

Alors que la capitale vit un moment quasi-insurrectionnel, le bain de sang est évité. Plusieurs centaines de personnes sont blessées mais aucun mort n’est à déplorer. La raison ? Maurice Grimaud, préfet de police depuis un an à peine, choisit de mettre en place un maintien de l’ordre particulièrement tolérant face aux manifestants.

Voulant en finir avec « une certaine culture de la violence » instaurée par son prédécesseur Maurice Papon, il tente d’apaiser les relations entre les policiers et les manifestants. Dans une lettre, datée du 29 mai 1968, il s’adresse aux forces de l’ordre et leur écrit ce passage resté célèbre :

« Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. »

Cette phrase qui marque toute la philosophie du maintien de l’ordre à laquelle Maurice Grimaud croyait, a pourtant été récemment supprimée. En 2018, à travers son outil Checknews, Libération atteste ce que plusieurs Gilets Jaunes dénoncent : la suppression d’un passage de la lettre de Grimaud dans le magazine, Liaisons, la revue de la préfecture de police.

Prévenir les dérapages

Quelle était la nature de cette doctrine ? Nos confrères de LCI nous l’apprennent, en 1968, au-delà de l’appel au sang-froid, le patron de la police parisienne a pris des mesures concrètes pour éviter les dérapages lors des arrestations. L’historien Philippe Nivet, professeur à l’université de Picardie, reporte d’ailleurs dans une publication consacrée à Maurice Grimaud que ce dernier avait notamment fait installer des équipes d’assistance médicale dans tous les commissariats où étaient transférés des manifestants « afin de laisser une présence visible qui devait empêcher les passages à tabac« .

En 2008, dans la revue Liaisons, Maurice Grimaud explique aussi à quel point garder le contact permanent avec les syndicats étudiants est essentiel. « Une manifestation dans laquelle on a pu établir des contacts se passe infiniment mieux que celle où l’on va comme sur un champ de bataille« .

Pendant les évènements, Maurice Grimaud, qui a une bonne connaissance du terrain, tient également à soutenir les équipes de police sur place.

Le préfet de police Maurice Grimaud (c) inspecte, le 08 mai 1968, les forces de l’ordre stationnées au Quartier Latin à Paris en prévision de violentes manifestations estudiantines. (Photo by ARCHIVES / AFP) AFP

 

Regarder aussi : L’interview de Maurice Grimaud (préfet de police en mai 1968)

« Une crainte obsessionnelle qu’une de ces affaires se termine mal »

Mais d’où lui vient cette vision du maintien de l’ordre ? À l’âge de 21 ans, le 6 février 1934, Maurice Grimaud est témoin de la confrontation mortelle qu’il y avait eu entre manifestants et forces de l’ordre sur la place de la Concorde. Cette journée dramatique fait état de 37 morts et plus de 2000 blessés, ce qui en fait la plus grande fusillade des forces de l’ordre de la IIIème République.

En 2008, dans Liaisons, Maurice Grimaud raconte aussi « la crainte obsessionnelle qu’une de ces affaires se termine mal, soit par un tir criminel et provocateur du côté des manifestants, soit par une riposte non contrôlée de la part de la police. »

Un homme récompensé et salué

Le 30 mai 1968, le nouveau ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, est nommé. Les partisans d’une ligne plus rigoriste souhaite limoger le préfet de police mais soutenu par le Premier Ministre de l’époque, Georges Pompidou, Maurice Grimaud reste en place.

En mars 1969, Maurice Grimaud est décoré par de Gaulle.  − JOEL SAGET / AFP

 

En mars 1969, il reçoit les insignes de commandeur de la légion d’honneur de la main du général de Gaulle, ce qui finit de consacrer son travail et son traitement « humaniste » des  émeutes.

 

En 2009, à la mort de Maurice Grimaud, Daniel Cohn-Bendit, l’ex-leader du mouvement de Mai 68 obligé à quitter la France, n’oubliera pas de remercier « ce préfet hors norme ».

« Il a joué un rôle très important parce qu’il a essayé d’expliquer aux policiers les limites de l’action policière. C’était un véritable républicain« .

Agathe Welcomme

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *