Les Molières peinent à dépoussiérer la statuette

Fabrice Lucchini et Michel Bouquet 28e cérémonie des Molières 2016
Capture d’écran Téléparis Youtube
Que celui qui a prévu de regarder les Molières avec un bon saladier de popcorn nous jette la première pierre. Depuis une dizaine d’années, la cérémonie tente de « césariser » son image : soirée en grande pompe, présentateur humoriste, sketchs… Pourtant, l’émission diffusée lundi 13 mai à 22h45 peine encore à trouver son public. Alors, les Molières : futurs César du théâtre ou temple de l’entre-soi ?

La cérémonie, créée en 1987, se débat avec son image vieillotte et élitiste. Dix-neuf fois présentée par Michel Drucker, puis par d’autres présentateurs télé – Laurent Ruquier, William Leymergie, Karine Lemarchand-, il y avait du pain sur la planche. Depuis 2010, l’Association des Molières se tourne vers des humoristes, Laurent Lafitte, Nicolas Bedos, Alex Lutz, pour égayer la soirée de 2h15… Avec quinze ans de retard sur les Césars. Cette année, c’est le belge Alex Vizorek qui s’y colle. « La trame, c’est vraiment le rire. Si on est venu me chercher, c’est pour faire marrer« , confie-t-il sur Europe 1. Il promet que la cérémonie sera rythmée par des numéros et des sketchs. « Tout le monde est persuadé que c’est une émission casse-gueule, moi je ne pense pas. La certitude des gens c’est que la soirée va être chiante… Donc au pire, la soirée va être chiante ! Je n’ai rien à perdre. » Au moins, ça c’est dit.

Malgré ce bon coup de chiffon, France 2 n’est pas franchement rassuré. Diffusée en primetime au début des années 2000,  l’émission passe désormais à 22h45. Elle rassemble en moyenne 11% d’audience, soit un million de téléspectateurs. Deux fois moins que les Césars.

Pour la 31e édition, le nombre de femmes nominées est inédit. Les catégories metteur en scène et auteur sont paritaires. Pour la première fois, elles occupent toutes les places de la catégorie « Humour » et trois places sur quatre en « Seul sur scène ».  Un rapport sur l’inégalité hommes-femmes publié en mars, notait que depuis 1987, seuls 11% des metteurs en scène et 14% des auteurs primés étaient des femmes.

Une cérémonie vieillotte

Si l’émission semble évoluer avec son temps, elle peine à trouver son public. Le théâtre n’est pas en tête des loisirs préférés des français, on vous l’accorde. Mais même, auprès des professionnels et des amateurs, les Molières sont loin de faire carton plein. Pour les jeunes amateurs de théâtre, cérémonie rime avec vieilli.  « J’ai regardé l’année dernière mais je crois que je ne vais pas recommencer cette année. C’est long et pas très drôle », raconte Chloé Aubert , étudiante au conservatoire du VIe arrondissement de Paris.

Au-delà de la forme de la Cérémonie, les étudiants pointent un décalage entre entre leurs goûts et les nominés. A leurs yeux, les Molières privilégient le théâtre privé sur le théâtre public subventionné – moins cher et plus accessible. « J’ai sans doute une vision cliché du théâtre privé mais dans mon esprit ça se rapproche plus du théâtre de boulevard. Moi, je fréquente quasi exclusivement des théâtres publics« , confie Oscar Lesage, étudiant de l’Ecole du Nord, ancien des Cours Florent.

Les modalités de vote privilégient les grosses productions à succès et laissent peu de place aux jeunes créateurs. Les votants sont des professionnels : comédiens, auteurs, metteurs en scène, directeurs de théâtre… Au premier tour, ils choisissent parmi une liste de pièces répondant à des critères précis : 60 représentations dans l’année pour une pièce privée, 40 pour une pièce publique et 12 000 entrées payantes pour un spectacle humoristique. Les votants ont plus de chance de voir des pièces jouées dans des grandes salles que des petites salles. Par conséquent, les pièces parisiennes sont bien plus visibles lors de la cérémonie. Les salles sont plus grandes, plus nombreuses et les spectacles y sont programmés plus longtemps.

Peu de place pour les jeunes auteurs

Clémentine Lorieux constate le peu de place laissé aux jeunes auteurs. « Il y n’y a pas de place pour moi, en tant qu’écrivaine contemporaine. La seule chance que j’aurais pour être nominée c’est si je montais une pièce d’auteur classique, comme Molière. »

La cérémonie peine à se débarrasser de son image élitiste. « Pour moi, c’est le symbole d’un théâtre sclérosé et rétrograde. On est dans un pays où on essaye de faire du théâtre décentralisé et subventionné. On avance beaucoup. C’est innovant. Ce qu’on montre à la télé, c’est une image du théâtre qui est fausse « , explique Emma Prat, comédienne et ancienne chargée de relations publiques au théâtre La Comédie de Saint-Etienne.   » Je ne conseillerai jamais à quelqu’un qui n’aime pas le théâtre de regarder les Molières.  »

Nicolas Saint-Georges, comédien, est membre de l’organisation. Il ne dément pas une forme d’entre soi. «  C’est la profession qui vote. Certaines pièces sont méritantes mais il y a beaucoup de lobbying et de copinage. Au premier tour, on doit mettre cinq noms par catégorie. On manque de temps alors on choisit parfois par affinités ou par bouche-à-oreille« , confie-t-il. Plus de soixante pièces sont respectivement nommées chaque année dans les catégories de pièce privée et publique.

L’émission est peu regardée par les professionnels mais les résultats sont consultés. Être lauréat signifie souvent une tournée à venir ou du moins un succès important et la porte ouverte sur des nouveaux projets. L’intérêt du grand public reste tout de même marginal.

 

Antonella Francini

 

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