J’ai revu pour vous… « Aladdin » de Disney (Sébastien)

Revoir un film qui vous a marqué plus jeune, avec vos yeux d’adultes… quand #MeToo, #OscarSoWhite et #LoveWins sont passés par là, ça vous dit ? Aujourd’hui, on détruit ce rêve bleu !


Dans le premier épisode de son podcast « Mansplaining », le journaliste Thomas Messias se livre à un périlleux exercice : revoir Buffalo’66 de Vincent Gallo, un film qui l’a marqué dans sa jeunesse, avec une attention toute particulière pour les rapports femme-homme. L’épisode se termine sur une invitation à faire de même. Profitant des fêtes de fin d’années, j’ai revu pour vous « Aladdin », des studios Disney (1992) avec un regard féministe, post-colonial et queer. La suite va vous étonner… ou pas.

Jasmine, seule contre tous

C’est bien simple : Jasmine est l’unique personnage féminin nommé qui parle dans ce film. Au début du film, on peut voir trois autres femmes :
  • deux anonymes pendant la chanson « Je vole » qui introduit le personnage d’Aladdin. L’une d’elle a une réplique, l’autre non.
  • une enfant muette à laquelle le héros donne un morceau de pain, juste après le morceau.
Jasmine apparait pour la première fois à 12 min du début, ce qui veut dire que pendant les 78min restantes, plus aucun personnage féminin ne sera ni présent ni même mentionné. Je ne compte pas les choristes et les danseuses, toujours érotisées et peu vêtues, qui apparaissent dans les chansons « Je suis ton ami » et « Prince Ali ». Autant dire que le film ne passe pas le test de Bechdel, qui veut qu’un film contienne au moins deux femmes nommées, douées de la parole, et qui discutent entre elles d’autre chose que d’hommes.

Pourtant, Jasmine est présentée comme ayant du caractère : avant même d’être apparue à l’écran, elle éconduit ses prétendants l’un après l’autre. Elle est généreuse, courageuse et déterminée, et n’a pas besoin d’Aladdin pour sauter entre deux toits (passion saut à la perche). Lorsqu’elle surprend son père le sultan, Jafar et Aladdin qui se disputent son avenir, elle leur rétorque : « Je ne suis pas le premier prix d’une tombola » (oui, j’ai un faible pour la VF même si tout le monde ne partage pas cet avis). C’est une séquence très parlante, car elle montre autant la bonne volonté de Disney à proposer une princesse indépendante et déterminée, mais désespérément seule face aux trois hommes qui composent le reste du casting.


En effet, Jasmine souffre du syndrome de Trinity, définit par la journaliste Tasha Robinson (cf l’héroïne de « Matrix ») : bien qu’étant parfaitement capable de se défendre, elle a besoin d’Aladdin pour s’accomplir et ne s’oppose pas à Jafar lorsque celui-ci prend le pouvoir. Tout comme Nala dans « Le Roi lion » ou Hermione Granger dans la saga Harry Potter, sa vie ne trouve de sens que par la présence et les actions d’un personnage masculin. Pour conclure sur la perspective féministe, notons que le film a été réalisé par deux hommes, John Musker et Ron Clements, qui ont co-écrit le scénario avec deux autres hommes. Étonnant ? Non.

Une touche d’ethnocentrisme… et pas mal de clichés

« Aladdin » est sorti à la charnière des années 1980/90. Disney cherche alors à se renouveler et à diversifier ses sources d’inspiration en renonçant aux contes d’Europe occidentale, pour aller puiser dans des mythologies ailleurs dans le monde. Viendront ensuite notamment « Le Roi Lion » en 1994, « Pocahontas » en 1995, « Hercule » en 1997 et « Mulan » en 1998. Malgré la bonne volonté du studio, le film donne une vision caricaturale d’un Orient fantasmé comme en témoigne le chant lexical du morceau d’ouverture « Nuits d’Arabie », bel exemple d’exotisation : « envoûtant », « magie », « folies », « insomnie d’amour » ou encore « parfum de velours ».

Autre exemple problématique : à plusieurs reprises, le Génie adopte des accents lorsqu’il incarne des personnages, principalement pendant ses deux chansons. Pourquoi s’adresse-t-il avec un accent antillais à chaque fois qu’il s’adresse au tapis volant ? De même, la totalité des personnages secondaires (le marchand ambulant de la scène d’ouverture, les marchands du souk, les gardes aux ordres de Jafar, le voleur Ghazim du début) s’expriment avec des accents « arabisants », lorsque les personnages principaux parlent dans un français considéré comme « plat », c’est-à-dire parisien. L’ensemble tente d’installer une complicité avec un public imaginé comme principalement blanc, qui sera amusé des facéties du génie et les personnages secondaires comme nécessairement « autres ».

« Jafar, ma grande ! »

Jafar s’inscrit dans une longue liste de personnages jouant sur les ambiguïtés de genre, quand il ne sont pas pas carrément de gros clichés : le Capitaine Crochet, Shere Khan, le Prince Jean de « Robin des Bois », Scar ou encore Hadès. Obsessionnels et précieux, ils sont volontiers maquillés et soignent leur apparence. Ursula, la méchante de la « Petite Sirène » réussit le tour de force d’être à la fois un archétype de lesbienne butch (masculine) et une allusion à la drag queen Divine.

Dans « Aladdin », le Génie est à plusieurs reprises maniéré, notamment lorsqu’il joue le serveur dans « Je suis ton ami » et lorsqu’il habille Aladdin en Prince Ali. Car c’est bien connu, tous les serveurs et les tailleurs sont gays. Et que dire de la relation qui unit Jafar et Iago ? Le perroquet s’émeut devant une photo les montrant tous les deux, et appelle son maître « Ma grande » lorsqu’il s’imagine félicité d’avoir dérobé la lampe (notons qu’en anglais, il dit plus humblement « I am blushing »). Ici, c’est carrément l’ambiance de vestiaires qui frôle l’homophobie…

C’est ce qui s’appelle le queer coding, un reste des années 1930 à 68 où le Code Hayes régentait ce qui était montrable à Hollywood. Les personnages LGBT étant interdits, scénaristes et réalisateurs plaçaient des clins d’œil que seul.e.s les publics concerné.e.s identifieraient. Le phénomène chez Disney a été largement traité et, plus récemment, on a parlé également de queerbaiting : lorsque, dans un accès de bonne volonté, les studios de productions ajoutent une couche LGBT-friendly à leurs personnages ou à leur histoire. On souvient notamment de la révélation de l’homosexualité d’Albus Dumbledore par sa créatrice J.K. Rowling, aspect de son identité pourtant absent du deuxième épisode des Animaux fantastiques ; ou encore à Lando Calrissian, dont la pansexualité dans « Han Solo », derniers opus de la galaxie Star Warsn’a pas convaincu.

Pour conclure…

Que l’exercice vous ait plu ou que vous soyez triste que j’ai détruit ce rêve bleu, je vous invite à faire de même de votre côté : revoyez un film qui vous a marqué, qu’il s’agisse du « Le Guépard », des « Goonies » ou du « Silence des Agneaux ». Soyez attentif.ve aux rapports de pouvoir et au traitement des femmes, des personnes non-blanches, LGBTQ ou encore handicapées. Vous verrez, c’est un nouveau monde en couleurs…

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