Huit mois après : la révolution des bus Macron

Quelles conséquences à la révolution des bus?

En août 2015, la loi portée par le ministre de l’Économie et des finances, Emmanuel Macron a libéralisé le transport de voyageurs dans l’hexagone. Alors que le marché en pleine expansion a facilité l’accès à la mobilité pour une partie des usagers, les conséquences futures pourraient être moins positives. Une enquête d’Emma Donada et Constance Léon. 

1. Le marché du transport a opéré son grand virage

Un Paris-Lille avec Ouibus ou le voyage de Lyon à Marseille en autocar Flixbus sont proposés au même prix que le dernier best-seller vendu à la FNAC, soit 20 euros. Il y a huit mois, seul un covoiturage entassé à cinq passagers sur les banquettes d’une auto aurait pu afficher un tel prix.

En août 2015, la loi Macron autorise l’exploitation de lignes de bus à l’intérieur du territoire national tant que les liaisons restent supérieures à 100 kilomètres. Rien à voir avec le cabotage, c’est à dire l’unique escale autorisée auparavant lors de trajets internationaux. La libéralisation a permis l’ouverture massive de lignes de bus à travers la France à des tarifs très attractifs. Il faut compter une vingtaine d’euros seulement pour effectuer un Paris-Lille ou un Lyon Marseille (voir encadré Pourquoi des prix si bas?). Selon l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), le réseau atteint déjà 76 000 kilomètres de liaisons et la commercialisation de 158 lignes, au dernier semestre 2015.

Ouibus, Isilines, Megabus, Starshipper, Flixbus, Eurolines, six grandes compagnies ont investi le marché du transport en autocar.

2. Les passagers grands gagnants. Vraiment?

« Les grands gagnants de la loi Macron sont les 740 000 personnes qui ont pris le bus ces cinq derniers mois », explique Marie-Hélène Massot, professeure des universités à la nouvelle École d’urbanisme de Paris (EUP) . Pour Mme Massot, également membre du laboratoire Lab’Urba (Cité Descartes, Marne-la-Vallée), il n’y a pas de doute. La spécialiste rejoint les arguments avancés par le ministre de l’économie : « Le prix est très faible pour une grande qualité de confort » , commente-elle.

On a testé : le voyage en bus de Paris à Troyes

Vendredi matin, gare Gallieni à Bagnolet, l’équipe a embarqué dans un autocar Isilines direction Troyes à 180 km de là. Qualité de l’accueil, wifi, avis des usages, tout est passé au peigne fin. Confrontation directe avec la ligne vétuste du TER entre Paris et Troyes, les autocars Ouibus viendront dès le 4 avril concurrencer le seul aller-retour disponible sur ces destinations d’Isilines.

Même si la part de voyageurs en autocar ne représente pour l’instant qu’1,9% du trafic en train de la SNCF, il augmente très rapidement. Selon la dernière étude de France stratégie -l’institut d’expertise rattaché au Premier Ministre-, 3 millions de passagers devraient transiter par les nouvelles lignes d’autocars en 2016. La majorité d’entre-eux devraient se concentrer sur les principaux axes.

Face au flux croissant pourtant, les infrastructures d’accueil se font attendre. Sur 186 points d’arrêts utilisés par les autocars Macron, l’ARAFER n’a relevé que 30% de situation où la desserte s’effectue en gare de routière.  « C’est le principal bémol dans la gestion du secteur pour l’instant  » relève Marie-Hélène Massot qui pointe du doigt les collectivités territoriales. « Elles devraient être plus impliquées », affirme-t-elle.

L’autobus, c’est avant tout le transport du pauvre », déplore Jean Sivardière, membre de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT). Et les griefs contre l’autocar ne s’arrêtent pas là. Temps de trajet, accessibilité, espace, mal au cœur…  « Il existe une clientèle pour le bus: ceux qui ont le temps mais pas l’argent c’est à dire les étudiants et le retraités pauvres », explique-t-il.

Dans un pays où le train fait partie de la culture, depuis son ouverture pendant la période du Front Populaire de 1936, une partie de la clientèle générale considère l’autocar comme un transport de seconde main. « On remarque que lorsqu’un train est supprimé temporairement, ⅓ des usagers refuse de se transférer vers l’autocar », précise Jean Sivardière.

Lors des discussions sur le projet de loi, le ministre de l’Économie et des Finances avait largement mis en avant la création d’emplois grâce à l’ouverture du marché des autocars. Selon l’ARAFER, la libéralisation aurait permis la création de 970 emplois directs entre août et décembre 2015. Cinq mois après la promulgation de la loi, la filière employait 1 660 personnes, dont plus de 80% de conducteurs. Fin juillet 2015, Bercy espérait la création de  «  2 000 à 3 000 emplois directs au cours des 18 prochains mois, à laquelle s’ajoute l’activité induite sur le tourisme ».

Emeline et Yohan, employés de Transdev, pour Eurolines et Isilines, à la gare de Bagnolet.
Emeline et Yohan, employés de Transdev, pour Eurolines et Isilines, à la gare de Bagnolet.

Mais pour la Confédération française démocratique du travail (CFDT), ces chiffres ne sont que des effets d’annonce.

Les 900 nouveaux emplois on ne les a pas vus, ce sont des reprises de contrats, pas de nouvelles embauches », décrypte Fabien Tozolini, le représentant chargé des transports de la CFDT.

Du côté de la SNCF, 14 000 suppressions d’emplois sont prévues en 2016. Malgré la position de sa compagnie Ouibus en tête du trafic d’autocar, la Confédération générale du travail (CGT) cheminot a estimé que les autocars privés ont fait perdre entre 250 et 300 millions d’euros en 2015 à la SCNF. Une somme qui n’a pas été confirmée par la direction de l’entreprise.

Dans la gare de Gallieni à Bagnolet, Jean-Michel, soixante ans, est un chauffeur pour Isilines. Le conducteur observe la file de bus alignés avec ses grands yeux bleus, il hésite à parler.

Vous allez me prendre pour un schtroumpf avec mon accent ». Il se confie quelques instants plus tard. « Avant je travaillais pour la compagnie Bourrier à Fabrègues, près de Montpellier, on faisait beaucoup de tourisme, depuis qu’on a été racheté, on fait plus de long trajets, deux fois dix heures par semaine, pour le même salaire qu’avant », dit Jean-Michel d’un ton grave. « Nous ne sommes que six employés, alors c’est impossible de former un syndicat, ils le savent bien là-haut », achève-t-il, d’un air las.

Du côté de la CFDT, Fabien Tozolini s’attache à médiatiser le débat. « Notre combat syndical repose sur la transformation de ces contrats avec les mêmes coefficients rémunérateurs. Keolis et Transdev ne sont pas exemplaires », affirme-t-il. Face à ces revendications salariales, la responsable de la communication d’Isilines s’empresse de rétorquer : « Les contrats d’embauches sont à la charge des compagnies que nous rachetons ».

La compagnie des courriers de l'Aube, rachetée en 2015 par Transdev, opère sur la ligne Paris-Troyes.
La compagnie des Courriers de l’Aube, rachetée en 2015 par Transdev, opère sur la ligne Paris-Troyes.

3. Les autocars, un soulagement pour les régions

Sans ambiguïtés, la loi Macron poursuit la logique de décentralisation du pouvoir de l’État vers les régions. Depuis l’entrée en vigueur de la loi pour la décentralisation appelée NOTRe en août 2015, les régions sont désormais chargées de transports entre les villes au détriment des départements. Une charge importante s’ajoute au budget des collectivités territoriales. Selon l’Association des Régions de France (ARF), les régions dépensent 6,8 milliards d’euros par an dans les transports. Il faut dire qu’il y a beaucoup à faire. Les réseaux parfois vétustes de trains d’équilibre du territoire (TET) continuent de drainer 100 000 voyageurs quotidiens.

Les usagers attendent le TER de Paris.
Les usagers attendent le TER de Paris.

Pour soulager leurs dépenses, le ministre de l’économie a parié sur la complémentarité à venir entre les différents modes de transports.« L’inter-modalité doit être renforcée dans les régions, les autocars permettent cette complémentarité » , explique un porte-parole de l’ARF, chargé des questions de transports. En 2015, par exemple, la ligne de TET-Intercité Bordeaux-Lyon a été supprimée malgré un ramdam public, le trajet a été repris quelques mois plus tard par Isilines, Starshipper et Flixbus.

Mais avec le train ou le bus, dans les territoires français peu habités, il est difficile de toute façon, de trouver l’équilibre. La moitié de sièges demeurent vides dans les trains SNCF. Dans les autocars « Macron », le taux d’occupation n’atteint que 32%. Le risque encouru est que le bus suivent le chemin du train et ferment à terme, les lignes les moins rentables.


Pourquoi des prix si bas?

Six mois après la libéralisation des lignes d’autocars, la bataille entre les compagnies ne fait que commencer. Les tarifs très bas des bus ont attiré plus de 7 000 passagers par jour, sur les cinq derniers mois de 2015, contre 4 millions utilisateurs quotidiens pour la SNCF en 2015. Mieux, le taux d’occupation des autocars atteignait tout juste 32%, au dernier semestre 2015. Comment les opérateurs de bus peuvent-ils proposer des prix si bas?

Des coûts fixes élevés pour le train

Paris-Rouen, 140 kilomètres et des prix qui vont du simple au double. Près de vingt euros pour un voyage en train Intercités contre cinq euros pour un trajet en bus. Si les billets de train coûtent si cher, c’est en grande partie à cause des redevances dont la SNCF doit s’acquitter. Par exemple, les coûts d’exploitation (rail, entretien, énergie, péages) du Transport express régional (TER) sont environ trois fois supérieurs aux coûts de l’autocar, selon l’Autorité de la concurrence.

Les TER de Troyes à Paris, accessibles pour 30 euros le retour à la dernière minute.
Les TER de Troyes à Paris, accessibles pour 30 euros le retour à la dernière minute.

Les autocars, eux, n’ont pas à payer les redevances du rail au Réseau ferré de France, mais seulement les péages. Les compagnies privées comme Isilines reçoivent même des subventions indirectes de la Caisse des dépôts pour des projets locaux et d’intérêt social. «La Caisse de dépôts finance les projets privés via les appels d’offre des transporteurs », explique Marie-Hélène Massot, professeure à l’Université de Paris Est-Créteil (UPEC).

La conquête du marché par les prix agressifs

Seulement, les prix proposés actuellement par les grandes compagnies d’autocar ne sont pas faits pour durer.

Ce sont uniquement des prix d’appels», analyse Marie-Hélène Massot. Une fois la concurrence amoindrie, les prix augmenteront et se stabiliseront.

Mais les grandes compagnies tâtent encore du terrain pour établir leur plan de bataille. «Huit mois après la mise en place de la loi, nous sommes toujours en phase de déploiement du marché », explique Mme Massot. Six grandes entreprises occupent environ 80% du marché de l’offre selon la spécialiste. « Elles ont beaucoup plus de moyen que les petites compagnies », précise l’experte. Elle peuvent mutualiser leurs coups et pratiquer des prix concurrentiels en attendant un retour à l’équilibre.

Les gros opérateurs d’autocars sont aux coudes à coudes. Ils ne se partagent qu’environ 9,3 milliards d’euros, un faible pactole. La filiale Isilines emporte « 40% des parts de marché », juste derrière Ouibus, la compagnie de la SNCF, selon le rapport de décembre de l’Autorité de régulation de l’activité ferroviaire et routière (ARAFER).

Car les autocars demeurent une goutte d’eau dans l’océan du train et de la voiture (0,0005 % des parts du marché des transports). Le covoiturage, mené par Blablacar, est aussi un concurrent à prendre au sérieux. L’année dernière, ils était 1 million d’utilisateurs à par mois à partager la banquette de la deudeuche. L’organisme France Stratégie évalue à plus de 3 millions le nombre de voyageurs attendus en 2016. Pour le moment, ils sont la moitié, un chiffre encourageant : les usagers des autocars ont réalisé plus de 1,5 millions de trajets. Ces 3 millions de passagers attendus en 2016 correspondent en proportion aux passagers allemands transportés en 2012, lors de la première année de libéralisation du secteur.

Cela sonne comme les dessous d’une réclame un peu intrusive : « Nous devons créer l’habitude du car en France », explique Isabelle Pons, la responsable de la communication de la compagnie d’autocar Isilines. « C’est uniquement un marché d’investissement, nous ne serons pas rentables avant deux ans », souligne Mme Pons. Cette stratégie explique les faibles taux d’occupation enregistrés par l’ARAFER et une recette moyenne relativement faible de 12 euros par trajets. A l’image d’Isilines ou Flixbus, les grandes compagnies endossent le role de « chapeauteur » en achetant des compagnies locales.

La gare ferroviaire de Troyes.
La gare ferroviaire de Troyes.

S’implanter à moindre coût via le réseau local existant

L’objectif est avant tout d’étendre sa présence sur le territoire nationale à moindre coût, au détriment des petits acteurs. Les six grandes entreprises occupent environ 80% du marché de l’offre selon la spécialiste. « Elles ont beaucoup plus de moyen que les petites compagnies », analyse Marie-Hélène Massot.

« L’avantage des petites compagnies est de bien connaitre la desserte, c’est un jeu de savoir-faire », précise Mme Massot. Plutôt que de créer un réseau ex-nihilo, les «majors» préfèrent s’implanter dans un réseau existant, sur un trajet connu par les utilisateurs. Dès son lancement, Isilines s’est appuyé notamment sur un « réseau de 15 000 bus et autocars locaux et internationaux », dit Isabelle Pons. Proposer des prix bas, oui, mais leur maintien est compromis.

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