A Compiègne, le festival Plurielles célèbre les femmes et l’inclusion

Le festival de films Plurielles se tiendra du 11 au 19 juin 2021, au cinéma le Majestic à Compiègne. Malgré les contraintes sanitaires, ses organisateurs ont tout mis en oeuvre pour maintenir cette quatrième édition, qui se déroulera en présence de grands noms du cinéma français, comme Emmanuelle Béart ou encore Aïssa Maïga.

Affiche officielle de l’édition 2021 du festival Plurielles. © Illustration: Aude T.L / AudeIllustration

« C’est un travail acharné, surtout là, à dix jours de l’événement. C’est le travail d’une année, il faut aller chercher les meilleurs films, trouver comment arranger la programmation… » Quentin Delcourt, réalisateur et co-créateur du Festival Plurielles, est sur le qui-vive. Pour la quatrième fois, le cinéma le Majestic, à Compiègne (Oise), accueille cet évènement unique dans la région. Son objectif : mettre en lumière les femmes et prôner des valeurs d’inclusion à travers le cinéma.

Ce projet est le fruit de la rencontre entre Quentin Delcourt et Laurence Meunier, PDG du cinéma compiégnois. « On s’est rencontrés en 2017 au festival de Cannes », se remémore le réalisateur. Dans son métier, ce dernier met un point d’honneur à valoriser les femmes – il est notamment à l’origine du documentaire Pygmalionnes, dans lequel il interroge onze femmes sur leur expérience au sein de l’industrie du cinéma.

Le Majestic, que Laurence Meunier dirige depuis 2002, organise régulièrement des débats en présence d’associations pour la défense des femmes. L’idée de créer un festival plaçant les actrices sur le devant de la scène est ainsi venue naturellement. Un an après leur rencontre, l’évènement est né. Et ce dernier ne cesse de prendre de l’ampleur au fil des années.

Une édition adaptée aux consignes sanitaires 

La pandémie de Covid-19 n’avait pas non plus empêché l’édition 2020 de se tenir. Les organisateurs ont su s’adapter aux contraintes sanitaires et sont prêts à recevoir de nouveau le public. « La première difficulté, ce sont les jauges réduites, on ne peut pas dépasser 65% d’occupation. Il va falloir gérer les flux, et on ne peut pas avoir de grand cocktail d’ouverture et de clôture, souligne Quentin Delcourt. C’est un peu frustrant, mais en même temps ça aurait été pire de devoir annuler. »

Au programme de cette année, une sélection de films éclectique et internationale.  Rouge de Farid Bentoumi, True Mothers de Naomi Kawase, ou encore Sœur, avec Isabelle Adjani et réalisé par Yamina Benguigui, font notamment partie de la compétition officielle. Pour la première fois, documentaires et courts-métrages seront aussi en compétition.

 

Un jury d’exception et plusieurs nouveautés 

Le jury du festival Plurielles sera co-présidé par les actrices et réalisatrices Emmanuelle Béart et Aïssa Maïga. Parmi ses membres, on retrouvera Camélia Jordana, Sarah Stern et bien d’autres. De grands noms du cinéma français figurent également parmi les invités.

Autre nouveauté : la création du « jury Plurielles émergence ». « Il va récompenser le meilleur premier film français. Il sera présidé par Anne Parillaud et composé de sept membres », précise Quentin Delcourt.

L’évènement sera aussi ponctué de plusieurs rencontres littéraires : Enora Malagré sera notamment présente le 12 juin pour présenter et dédicacer son livre Un cri du ventre, dans lequel elle évoque son combat contre l’endométriose.

Les places pour le festival sont déjà disponibles et peuvent être réservées en ligne. Le tarif plein pour une séance est de 6 euros. Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site du festival Plurielles.

Rachel Cotte

Stand-up féminin : les humoristes ont parfois du mal à être prises au sérieux

La cérémonie des Molières, qui se déroulera ce soir, présentera cette année un palmarès très féminin. Mais derrière les têtes d’affiche, les stand-uppeuses sont toujours moins nombreuses que les hommes sur la scène de l’humour. Portrait d’un métier qui évolue progressivement.
L’humour reste majoritairement un secteur masculin, même si la situation évolue. / Crédit : Pxhere

Pour la première fois dans sa courte histoire, le Molière de l’Humour ne pourra être décerné qu’à une femme. Un quatuor exclusivement féminin a été nommé : Michèle Bernier, Caroline Vigneaux, Florence Foresti et Blanche Gardin, la première femme à recevoir ce prix l’an passé. Dans la catégorie « seul/e en scène », les femmes sont aussi en tête de peloton, avec un seul homme nominé. Mais pour les jeunes stand-uppeuses qui se lancent, les perspectives s’ouvrent mais trouver sa place reste difficile dans ce milieu dominé par les hommes.

Brigade en sous-effectif

« Le nombre de filles augmente, mais comme le secteur est en expansion de manière générale, l’écart avec le nombre de garçons ne diminue pas« , explique Soun Dembélé. L’humoriste est organisateur à L’Underground Comedy Club, une scène ouverte créée à Paris il y a sept ans. Là-bas, près de 70% des artistes qui viennent tenter leur chance sont des hommes. L’humour attire donc de plus en plus de femmes, mais tout autant d’hommes. Par ailleurs, les filles oseraient moins monter sur scène que les garçons.

« L’humour est très misogyne » – Yoann Chabaud, responsable pédagogique à l’École du One Man Show

Un constat fait par Yoann Chabaud, responsable pédagogique à l’École du One Man Show, établissement qui forme depuis 1994 les espoirs de l’humour français. Il note que la parité dans les promotions est souvent atteinte, et même que les filles sont majoritaires certaines années, alors qu’elles sont minoritaires sur les scènes ouvertes. L’école ne fait pas de distinction entre ses élèves et encourage les filles à choisir librement leurs textes.  « L’humour est très misogyne, alors les femmes qui se lancent dans le stand-up ont les dents longues, explique-t-il. Elles sont souvent plus investies et sérieuses que les garçons. »

Un écart noté par Aude Alisque, qui s’est lancée sur les scènes parisiennes il y a trois ans. Pour cette jeune femme de 33 ans, le nombre de candidates au passage sur scène reste réduit : « On s’en rend bien compte, commente-t-elle, les plateaux tournent toujours avec les mêmes humoristes femmes. » Toutefois, les scènes ouvertes favorisent de plus en plus les intervenantes féminines.

Des plateaux réservés aux humoristes femmes

 « Depuis un an, je sens que les organisateurs ne se limitent plus à un token girl, une fille invitée seulement pour remplir les quotas sans égard pour son talent, explique Aude Alisque. J’ai le sentiment qu’ils sont au contraire bienveillants, notamment parce que les femmes accèdent à l’organisation. » Des femmes qui mettent parfois sur pied des scènes exclusivement féminines.

« J’ai le sentiment d’être à ma place et d’être prise au sérieux » – Nash Up, humoriste

Nash Up, 28 ans, fréquente entre autres des plateaux « Plus drôles les filles », exclusivement féminins et organisés chaque jeudi soir par le Paname Art Café depuis quelques années. « J’ai le sentiment d’être à ma place et d’être prise au sérieux, explique-t-elle. Je n’ai pas l’impression d’avoir une pression supplémentaire. Et, contrairement à ce qu’on pense, le public est de plus en plus mixte ! » La jeune humoriste ne se sent pas à l’écart dans ce milieu, et regrette seulement que les femmes y soient peu représentées.

Soun Dembelé est quant à lui sceptique face à ce genre d’initiative : « ça peut aider les femmes à se lancer, mais il ne faut pas qu’elles s’enferment là-dedans. Elles doivent se confronter à un plateau mixte, à la fois face à leur collègues que face à un public masculin : c’est là qu’elles progresseront le plus. »

« C’est une question que je me pose tout le temps : on m’a souvent dit que ce serait plus facile de réussir pour moi, en tant que fille, car la demande était plus grande, et en même temps j’ai le sentiment que ce n’est pas si facile que ça et d’être freinée », détaille Aude Alisque. La discrimination positive a ses inconvénients : mettre sous les projecteurs des candidates qui ne sont pas encore prêtes. « Si la fille n’est pas assez douée, explique-t-elle, ça entretient le cliché selon lequel les femmes sont moins douées que les hommes, un préjugé qui nous plombe ». Des idées reçues qui restent enracinées, même si les mœurs évoluent.

Un milieu parfois sexiste mais qui évolue

Aude constate que des « boys clubs » d’humoristes demeurent et monopolisent le marché de l’humour. La jeune femme a déjà fait face à quelques comportements sexistes de la part de collègues. « Lors de ma première scène, un humoriste est venu saluer tous les mecs qui allaient passer et pas moi ! J’ai eu l’impression d’être seulement une copine. Dans ce métier, si on est un peu réservée et qu’on n’a pas une grande gueule, j’ai le sentiment qu’on est un peu mise de côté. »

« On m’a déjà dit, à propos de mes textes : « une femme ne devrait pas dire ça ». » – Florence Cortot, humoriste

Pour autant, une personnalité désinhibée n’est pas non plus bien perçue par certains spectateurs et professionnels. Florence Cortot, 39 ans, s’est lancée dans le stand-up en 2014. Le spectacle de cette ancienne anesthésiste joue sur un répertoire osé et trash – ce qui lui a régulièrement valu des réprobations. « Il reste toujours un tabou aujourd’hui, explique-t-elle. On m’a déjà dit, à propos de mes textes : « une femme ne devrait pas dire ça ». » Des réflexions reçues de son entourage mais aussi de certaines personnes de son public, assénées à la fin des spectacles. La stand-uppeuse se réjouit que certaines humoristes comme Blanche Gardin, ou Elisabeth Buffet avant elle, osent un texte cru et parfois vulgaire. « Elles nous facilitent le travail », commente l’artiste.

Mais le chemin est encore long. « On m’a également reproché de ne pas assez bien m’occuper de mes trois enfants à cause des contraintes de mon métier », ajoute-t-elle. Yoann Chabaud constate également que le sexisme est récurrent, surtout sur les scènes ouvertes où les organisateurs sont majoritairement des hommes. « Aujourd’hui certains se posent encore la question : « est-ce qu’une fille jolie est légitime à être drôle ? » »

Heureusement, cette mentalité tend à décliner selon Nash Up. Si la jeune femme considère qu’elle est toujours plus jugée sur son physique par rapport à un homme et que certains spectateurs se crispent lorsqu’elle utilise des grossièretés, elle reste optimiste quant à l’avenir des humoristes femmes. Elle ne se compare jamais à ses collègues masculins. Un optimisme encouragé par la programmation des Molières cette année : « c’est génial que les femmes soient si nombreuses et aussi reconnues. »

Maëlane Loaëc

Le nouvel élan du féminisme

En 2019, la parole des femmes s’est libérée. Une nouvelle génération de féministes a repris le flambeau. Ces nouvelles activistes investissent les réseaux sociaux et s’engagent sur de nouveaux terrains.

« Une génération bien énervée se prépare », se réjouit Anaïs Bourdet, créatrice de Paye ta schnek, le réseau qui recense, depuis 2012, des témoignages de femmes harcelées dans la rue. Elle s’exprime ce soir au Carreau du Temple, à Paris, dans le cadre du cycle de conférences Présent.e.s. La salle est comble et le public presque exclusivement composé de femmes. Elles sont majoritairement jeunes et représentent bien cette nouvelle génération de féministes qui reprennent le flambeau de leurs aînées. Elles veulent mettre fin au harcèlement de rue, voir plus de femmes à des postes de pouvoir et obtenir l’égalité salariale en entreprises. Elles veulent aussi briser les tabous qui entourent la vie de nombreuses femmes : les règles, le refus d’être mère, le plaisir féminin… En un mot, elles veulent obtenir une égalité réelle entre femmes et hommes.

Lauren Bastide et Anaïs Bourdet lors de la conférence sur le harcèlement de rue. (Photo Pauline Weiss)

« Tu as l’impression que les choses ont bougé ? » questionne Lauren Bastide, la journaliste qui reçoit ce soir Anaïs Bourdet. « Le seul moment où je pourrai dire que ça a avancé, c’est quand on pourra dire que le harcèlement a reculé », répond la graphiste et militante. « L’évolution qu’il y a eu, en six ans, c’est que les femmes ont pris conscience que ces comportements sont anormaux. Mais ils n’ont pas disparu », pointe du doigt Lauren Bastide.

Comment décrire ce nouvel élan, représenté par une grande diversité de femmes ? Des Femen aux Antigones, toutes les militantes n’ont pas le même mode d’action. Le mouvement Femen est né en Ukraine en 2008. Arrivé quelques années plus tard en France, il vise à lutter contre « les trois piliers du patriarcat » : dictature, religion et industrie du sexe. Leurs actions sont spectaculaires : seins nus et poing levé, la tête ornée d’une couronne de fleurs, slogans scandés et peints sur le corps. Un mode d’action très médiatisé qui propulse leur revendications sur le devant de la scène.

En 2016, Iseul, qui appartient au groupe Les Antigones, infiltre le mouvement Femen. Pendant deux mois, la jeune femme observe les militantes et participe à certaines actions. Elle diffuse ensuite une vidéo pour montrer combien les revendications des Femen sont aux antipodes de celles des Antigones. Ces deux mouvements montrent deux visages du nouveau féminisme français. Les Antigones se positionnent comme « différentialistes ». Pour elles, femmes et hommes sont naturellement différents. Elles se considèrent féministes, mais sont très critiques des mouvements actuels qui, selon elles, « prennent les formes imposées par les sphères médiatiques et politiques du jour : obsession du buzz, réaction émotionnelle à l’actualité sans recul critique, absence de réflexion de fond », explique Anne Trewby, présidente des Antigones.

Pour les femmes, se revendiquer féministe est moins simple qu’il n’y paraît. Marion Charpenel, docteure en sciences politiques est auteure d’une thèse consacrée aux mémoires féministes. Elle estime que le mouvement Me Too, né en octobre 2017 après l’affaire Weinstein, a permis à de nombreuses femmes et hommes de s’assumer comme étant féministes. « Mais cela reste un terme qui est toujours un peu connoté négativement ». Elle explique : « Le fait que la question des violences faites aux femmes prenne plus de place dans le débat public a fait que de nouvelles militantes ont rejoint le mouvement, de nouveaux collectifs ont vu le jour et des personnes qui n’étaient initialement pas du tout proches du mouvement féministe ont commencé à s’impliquer ».

Depuis quelques mois, le nombre de comptes féministes explose sur Instagram. En parlant de sexualité, de plaisir, de la place des femmes dans la société, des règles et du corps féminin, les « nouvelles féministes 2.0 » se sont emparées des réseaux sociaux. Marie Bongars en est un exemple. Suivie par plus de 14 400 personnes, elle propose quotidiennement, sur Instagram, une revue de presse sur la place des femmes dans le monde. En parallèle de son métier de kinésithérapeute, elle a également lancé un podcast Une sacrée paire d’ovaires. Chaque semaine, elle y présente une femme et son histoire. Cet engagement féministe a été renforcé par son expérience professionnelle : « En travaillant dans un univers quasi exclusivement masculin, j’ai dû me forger un caractère et être capable de répondre à toutes les stupidités ». L’activité de Marie Bongars sur Instagram est partie d’un constat, celui de la faible représentation des femmes dans les médias.

 

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C’est pour ça qu’il est PRIMORDIAL de se battre tous les jours ✊🏿✊🏼✊🏽

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Selon une étude menée par l’Institut National de l’Audiovisuel, les femmes n’occupent en moyenne qu’un tiers du temps de parole à la télévision et à la radio. Ce chiffre a « révolté » la journaliste Lauren Bastide et c’est d’ailleurs ce qui l’a poussée à lancer son podcast La Poudre, dans lequel elle donne la parole à une femme artiste, activiste, politique… Pour elle, c’est une « proposition de compensation » face à la sous-représentation des femmes dans les médias.

Les podcasts et les activités des militantes sur les réseaux sociaux ont un impact énorme sur les jeunes qui les écoutent ou les suivent. Âgées de 20 à 40 ans, ces nouvelles porte-paroles du féminisme ne se revendiquent pas comme héritières des icônes classiques. Fiona Schmidt avoue ne jamais avoir lu Simone de Beauvoir. Son icône à elle serait plutôt Virginie Despentes.

De son côté, Sarah, étudiante de 23 ans, s’inspire des nouvelles figures des réseaux sociaux qui animent des comptes féministes, comme l’illustratrice Diglee et Dora Moutot, du compte tasjoui. Elle a réellement découvert le féminisme au début de ses études en histoire de l’art, « sensibilisée par des amies ».  Mais la « vraie » révélation survient l’été dernier.  Pour Sarah, c’est tout ou rien : elle suit aujourd’hui plus d’une centaine de comptes sur Instagram et passe des heures à écouter des podcast tels que Quoi de meuf, Mansplaining et Les couilles sur la table. «  C’est un lieu où on se cultive, on apprend des choses. C’est un relai d’actualité culturel et politique », explique-t-elle. Son engagement féministe est désormais bien ancré : « C’est comme si j’avais mis des lunettes et que je voyais désormais le monde à travers ces lunettes que je ne peux plus enlever ». Scroller son fil Instagram serait-il devenu une activité militante ?

Parmi les comptes Instagram récemment créés, 28 jours compte 48 700 abonnés. (Photo Pauline Weiss)

Irenevrose, son pseudo, étudiante en arts de 20 ans et féministe, partage sur les réseaux sociaux son combat contre la précarité menstruelle. « La société ne considère pas que les protections hygiéniques sont un besoin ». Pour prouver le contraire, en février dernier, la jeune femme a passé une journée dans Paris, sans protection hygiénique. Elle a laissé son sang tâcher son pantalon clair. « Je ne demande pas la prise en charge des protections périodiques réutilisables pour toutes les personnes menstruées. Je l’exige. Vous n’êtes pas d’accord. Je tâche. Le sang coule et le sexisme tâche », écrivait-elle alors.

Parler librement des règles, c’est aussi l’objectif du documentaire 28 jours, sorti en octobre dernier. Il a été pensée par Angèle Marrey, Justine Courtot et Myriam Attia pour « briser un tabou ». Justine Courtot alimente le compte Instagram 28 jours qui « décomplexe les règles ». Sa « petite pierre à l’édifice », basé sur la collaboration, recense les questions que les intéressés lui posent. Elle informe avec des textes, des témoignages, des conseils, mais également des illustrations. « Beaucoup de mamans me remercient et me disent que grâce à moi, elles auront un support à montrer à leurs filles quand elles auront leurs règles », détaille la journaliste de 23 ans.

L’autre tabou brisé par 28 jours, c’est l’endométriose. Cette maladie touche aujourd’hui plus d’une femme sur dix. Un chiffre largement sous-estimé, selon la gynécologue obstétricienne Laura Berlingo. L’endométriose, c’est lorsque les cellules de l’endomètre (le sang qui s’écoule pendant les règles) vont, de manière aléatoire, dans des endroits où elles ne devraient pas aller : la vessie, les ovaires, le rectum… « Au moment des règles, ces cellules saignent aussi et font très très mal. Mais les douleurs peuvent aussi survenir lors des rapports sexuels ou en dehors des règles », explique la gynécologue. Elle ajoute qu’il y a « un très grand décalage entre les premiers signes et le diagnostic », environ sept ans.

Emma, créatrice du compte Féminise ta culture, est âgée de 25 ans. L’année dernière, elle a été diagnostiquée de l’endométriose.  « Le fait de mettre un mot dessus c’est un soulagement, jusque-là on disait que c’était dans ma tête ». Elle en parle sans tabous, mais ses proches ne comprennent pas toujours son état de fatigue chronique : « C’est une maladie invisible, donc je passe pour une flemmarde. Même ma mère ne comprend pas que j’ai parfois besoin de dormir 11 heures par nuit. »  

Pour la gynécologue Laura Berlingo, les maladies des femmes sont négligées par rapport à celles des hommes et ce, même dans la recherche. Après un accouchement difficile, certaines femmes ayant subi une épisiotomie [incision du périnée pour éviter les déchirures]  ont été mutilées. Elle a aussi pris conscience que dans les hôpitaux, les chefs de service sont souvent des hommes et qu’en cas de harcèlement, ils sont protégés. Laura Berlingo dénonce une « culture du secret réelle et forte, ce qui freine la libération de la parole ». Face à tout cela, elle a décidé de transmettre son savoir à travers des podcasts, tels que Coucou le Q et Qui m’a filé la chlamydia.

Dans son cabinet, la naturopathe Ilhame Boirie reçoit essentiellement des femmes. Souvent, leurs « problèmes de santé sont liés à des traumatismes suite à des agressions sexuelles », témoigne la praticienne. « Force est de constater que ces agressions sont donc très répandues », ajoute-t-elle. Selon une enquête réalisée par l’Institut national d’études démographiques, 1 femme sur 7 est agressée sexuellement au cours de sa vie. Cela touche particulièrement les jeunes femmes, et les violences sont très souvent perpétuées par un proche.

D’après le ministère de l’Intérieur, les plaintes pour viol ont augmenté de 17% en 2018. Le chiffre monte à 20% pour les agressions sexuelles. Une hausse sensible certainement liée au mouvement Me Too. Pour Anaïs Fuchs, avocate au Barreau de Strasbourg, les choses n’ont pas changé pour « Madame Tout le monde » : « Me Too a donné du courage aux femmes mais il n’y a pas eu de changement du côté des policiers ». Lorsqu’une femme va porter plainte, elle est souvent « mal reçue » et doit faire face à « une nouvelle violence ». « Ce n’est pas toujours le cas », modère l’avocate, « j’ai l’impression qu’aucune instruction n’a été donnée aux forces de police et qu’ils essaient de les décourager ».

Au Planning familial, les bénévoles ont bien mesuré l’ampleur du phénomène des violences sexuelles au moment de Me Too. Les femmes osent enfin en parler plus librement. Alors, la question des violences sexuelles et conjugales est devenue systématique, rapporte Nathalie Marinier, salariée depuis 1987. Mais ce n’est pas le seul combat qui se prépare dans les petits locaux du 10 rue Vivienne, dans le IIe arrondissement de Paris : « L’égalité salariale, l’acceptation de toutes les sexualités, la contraception masculine qui devrait exister depuis des décennies, le congé paternité égal à celui des femmes qui devrait être obligatoire depuis toujours… » énumère Bénédicte Paoli, militante bénévole.

Au Planning familial du IIe arrondissement de Paris, la question des violences sexuelles est désormais centrale. (Photo Iris Tréhin)

Et le combat passe aussi par les mots : « Le langage est fondamental. Employer le terme de salope à tout bout de champ pose question. Ceux qui l’emploient ne se rendent pas compte que ça induit un comportement et des représentations », déclare Sylvie Brodziak, professeure de littérature et d’études de genre à l’université de Cergy-Pontoise. Depuis toujours, elle se présente comme maîtresse de conférence. Face aux universitaires et éditeurs, ce fut une véritable lutte pour imposer ce terme. On lui opposait l’argument du statut : « Ça fait maîtresse des écoles, donc institutrice, ça dévalorise le titre » ou encore « Ça fait maîtresse, soit femme illégitime ». On lui disait aussi qu’il y a « beaucoup plus d’autorité dans le mot « maître » ». Pour elle, tout cela n’est qu’une question de pouvoir. Le 28 février dernier, l’Académie Française a voté en faveur de la féminisation des noms de métiers, actant ainsi de l’évolution de la langue. Sylvie Brodziak le vit comme « un acte de liberté », un moyen de tendre vers plus d’égalité.

Le combat est le même, sur les réseaux sociaux et sur le papier. À la Libraire des femmes, fondée en 1973, le personnel a remarqué un vrai changement ces dernières années. La clientèle s’est largement diversifiée : des jeunes femmes viennent les voir pour être conseillées dans leurs premières lectures féministes et des personnes plus âgées y ont aussi leurs habitudes. Mais depuis quelques temps, la Librairie des femmes reçoit également des hommes, de tous âges.

Pour appréhender le féminisme, la Librairie des femmes conseille un livre : « Chère Ijeawele. Un manifeste pour une éducation féministe » de Chimamanda Ngozi Adichie. (Photo Iris Tréhin)

Il faut dire que le féminisme n’est pas qu’une question de femmes. Les hommes ont un rôle à jouer dans ce combat vers l’égalité. Pour Anaïs Bourdet de Paye ta schnek, cela passe par l’éducation, mais aussi par leur détermination à « ne pas laisser des situations d’oppression continuer. Il faut que les hommes prennent cette question à leur charge de temps en temps ».

Iris Tréhin et Pauline Weiss

 

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