Romain Bouteille, cofondateur du Café de la Gare, est mort à l’âge de 84 ans

Romain Bouteille, cofondateur du célèbre Café de la Gare en 1969, est décédé ce lundi à l’âge de 84 ans. Anarchiste soixante-huitard, le metteur en scène proche de Coluche, a défendu l’idée d’un théâtre « sans hiérarchie » et orienté vers l’improvisation.

Premier café-théâtre parisien, le Café de la Gare a été créé en 1969 rue d’Odessa, puis déplacé en 1971 dans le Marais. ©theatresparisiensassocies.com

« Ce qu’il ne m’a pas appris, je lui ai piqué ! », disait Coluche à son propos. Romain Bouteille, avec qui l’humoriste a cofondé le Café de la Gare en 1969, est décédé ce lundi d’une insuffisance respiratoire, à l’âge de 84 ans, a annoncé mardi sa compagne, Saïda Churchill. « Romain s’est éteint hier (lundi) dans la soirée à l’hôpital de Corbeil-Essonnes. Depuis quelques temps, il avait une insuffisance rénale. C’est une insuffisance respiratoire qui l’a emporté », a-t-elle annoncé à l’AFP.

« Les mots nous manquent pour l’instant, ils viendront sans doute plus tard, pour l’instant, nos pensées vont à sa femme Saïda et son fils Shams », a déclaré le Café de la Gare sur son compte Twitter. Le premier « café-théâtre » français porte haut et fort une certaine idée du théâtre, « avec l’interdiction d’interdire ». Une idée chère à Romain Bouteille, auteur d’une soixantaine de pièces d’inspiration anarchiste.

« C’est moche, c’est sale, c’est dans le vent ! »

« On en avait un peu marre de tout ça, des cabarets où le bonhomme était tout seul, où il n’y avait pas de troupes », avait expliqué Romain Bouteille dans un entretien à BFMTV. Né en 1937, l’homme de théâtre se décrit lui-même comme ayant été « trop paresseux au point de ne pas avoir touché un seul pavé en mai 68 », mais il n’en demeure pas moins marqué par l’ère du temps. Cette liberté chérie des étudiants d’alors, ce rejet de l’autorité, il les veut pour le théâtre. Et c’est dans le « café-théâtre » qu’il la trouve. Le principe : des comédiens qui écrivent leur propre texte et le jouent dans des salles prêtées par des patrons de bistrot.

Bouteille et son ami Michel Colucci, « Coluche » fondent le premier café-théâtre français, en 1968 : le Café de la Gare. Mais, plutôt que de s’endetter auprès de bistrots parisiens, les deux compères choisissent de créer leur propre salle. Avec leur bande de potes, parmi lesquels Patrick Dewaere et Miou-Miou, les deux hommes restaurent une vieille fabrique de ventilateurs de la rue d’Odessa. Le théâtre n’est même pas achevé que la troupe donne déjà la première représentation du Café de la Gare, le 12 juin 1969. Le slogan du théâtre : « C’est moche, c’est sale, c’est dans le vent ! ».

Ni dieu, ni maître, ni metteur en scène

Chaque soir à compter de cette date, le rituel est le même : le spectateur tire au sort le prix de sa place (entre un malheureux franc et le prix d’une place de cinéma), les comédiens servent eux-mêmes les boissons au public et leur donnent des coussins pour s’asseoir, le plus souvent en leur jetant à la figure. L’anarchie règne, comme le voulait Bouteille. Pour la mise en scène, même principe : aucune règle. Et, surtout, aucun metteur en scène, sorte d’hiérarque théâtral, pense l’auteur. « Vu de près, le théâtre, c’est ça : un système d’obéissance à un monsieur qui demande aux comédiens de faire ce qui ne leur correspond pas fatalement », défendait-il dans une interview pour la chaîne YouTube « Vincente Vincent ».

Maîtres de leur propre texte quand ils n’improvisent pas carrément, les acteurs du Café de la Gare sont triés sur le volet. Un tri original, néanmoins : à forme théâtrale nouvelle, comédiens nouveaux et aucun des membres de la troupe ne doit avoir d’expérience dans le théâtre, insiste Romain Bouteille. « Miou-Miou, même Dewaere : ils étaient innocents. » Une innocence qui a donné lieu à des situations cocasses, comme quand Miou-Miou ne sachant pas qu’elle devait partir une fois ses répliques dites, est restée sur scène pour assister au reste du spectacle. « Les gens ont cru que c’était du jeu ! Ils ne savaient pas si elle était nulle ou si c’était une grande actrice. On s’est beaucoup basé sur ce phénomène qui fait qu’au théâtre moins il y a de règlement, plus il y a de génie. ».

Un passage au cinéma

Mais le temps passe et le rêve du Café de La Gare bat de l’aile. Miou-Miou et Dewaere entament une carrière solo et croulent sous les propositions de films après le trio iconique qu’ils forment avec Gérard Depardieu dans Les Valseuses de Bertrand Blier. Sans doute le théâtre marginal de Bouteille leur paraît désormais trop petit. Également lâché par Coluche, son compère de toujours qui, goûtant à la célébrité, est devenu « dictatorial », et « a commencé à dire qu’untel était bon et qu’un autre était à chier », Romain Bouteille, lui, ne perd pas de vue son théâtre.

Il continue d’écrire pour Le Café de La Gare pendant près de 20 ans. Non sans être passé par le cinéma entre temps, en éternel touche-à-tout : le public se souvient notamment de son rôle de curé rustique dans Les galettes de Pont-Aven en 1974.

Dans les années 1990, son rêve d’un théâtre nouveau le mène dans l’Essonne, à Etampes, où il fonde avec sa femme un théâtre baptisé Les grands solistes. Drôle de titre pour cet amoureux de la troupe, cet ennemi de la conformité, à qui l’on doit ce nouveau théâtre qui, encore aujourd’hui, réinvente la mise en scène.

Pierre-Yves Georges

Exposition sur Napoléon, un déconfinement politique

A l’occasion du bicentenaire de sa mort, Napoléon est mis à l’honneur à La Grande Halle de La Villette depuis le 28 mai dernier. En partenariat avec le musée de l’Armée, le musée national du château de Fontainebleau ainsi que le musée du Louvre, l’exposition donne la part belle à la grandeur et au faste, chers à l’Empereur. Un déconfinement sous le signe de la culture mais, aussi, de la politique, pense le public de l’exposition.

Les organisateurs de l’exposition de La Grande Halle de La Villette ont fait appel à la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. © Pierre-Yves Georges

Qu’il s’agisse du tableau de Jacques-Louis David, « Bonaparte au col du Grand-Saint-Bernard », sur lequel le nom de Bonaparte côtoie celui de Clovis et d’Hannibal, ou encore le trône de l’Empereur conservé en temps normal au Sénat, le faste de l’exposition « Napoléon » de La Grande Halle de La Villette, c’est sans doute le moins que l’on puisse offrir à un public privé de sorties durant des mois. Pour donner le change, Sibylle s’est engagée dans un véritable marathon depuis le déconfinement du 19 mai. « En manque de culture, de musées et de beauté », cette éditrice en est à sa cinquième exposition. « Je suis passionnée par l’histoire de Joséphine de Beauharnais ! ». Elle pourra profiter du portrait de l’Impératrice, peint par François Gérard et prêté, pour l’occasion, par le musée national du château de Malmaison.

Avide d’histoire, le public vient également chercher, dans cette exposition, une certaine idée de la France. « Napoléon est parti de rien. C’est un peu le premier exemple de la méritocratie à la française. », défend Emmanuel, venu avec sa mère Anna. Porte-parole d’une société qui, marquée par la crise du covid-19 et l’explosion des inégalités, veut encore croire que le travail paie. Né dans une famille modeste d’Ajaccio en 1769, Napoléon Bonaparte en est le symbole le plus saillant. « C’est quelqu’un qui fait rêver et on a besoin de rêver aujourd’hui, même si c’est à l’ancienne. », résume Brigitte, la soixantaine, qui offre à son frère Bruno cette escapade à travers l’histoire pour son anniversaire.

L’esclavage en débat

Loin du mythe auquel certains veulent croire, les organisateurs de l’exposition ont eu, cependant, à cœur de ne pas éluder les zones d’ombre de l’histoire impériale. Comprendre : le rétablissement de l’esclavage par Napoléon en 1802, objet de nombreuses polémiques. La Fondation pour la mémoire de l’esclavage a participé à la scénographie de l’exposition. Les apports sont indéniables : les exemplaires originaux des actes signés par Napoléon effaçant les effets du décret d’abolition de l’esclavage sont notamment disponibles.

Face à ces aspects plus clivants de l’héritage napoléonien, les avis du public divergent. « Je n’apprécie pas cette façon qu’ont certains de mettre le focus de façon disproportionnée sur un acte ! », s’étrangle Nicole, venue avec son mari Jean-Louis. Lars, étudiant en informatique, en appelle au contexte de l’époque : « Il y a une réalité économique et un certain pragmatisme à prendre en compte. ». Emmanuel, quant à lui, est bien moins tendre lorsqu’il s’agit des campagnes militaires de l’Empereur : « Il y a eu des pertes humaines considérables lors de ces expéditions ! ».

Les musées du Louvre et du château de Malmaison ont prêté certains des tableaux les plus connus de l’Empereur. © Pierre-Yves Georges

« On a fait Waterloo ! »

Les campagnes militaires, Annick et Yves en connaissent un rayon. Se rendre à l’exposition était une évidence pour ce couple de Toulousains qui, depuis vingt ans, participent à des reconstitutions de grandes batailles napoléoniennes. « On a fait Waterloo ! », ose carrément Annick. Elle, comme cantinière, et lui, comme artilleur. Tous deux sont affectés au 3ème bataillon des chasseurs de montagne, ancêtre impérial des chasseurs alpins.

« On est là pour Napoléon, pour l’histoire ! », s’emporte Yves qui insiste néanmoins : « Je ne fais pas de politique. ». C’est pourtant bien ce qui se joue un peu, à La Grande Halle de La Villette, n’en déplaise aux organisateurs de l’exposition, alors qu’en parallèle du bicentenaire de la mort de l’Empereur a eu lieu, en mai dernier, les 150 ans de La Commune. Un combat d’opinions.

Pierre-Yves Georges