L’auto-édition numérique : un tremplin pour les auteurs en quête de reconnaissance

Anna Todd, E. L. James, Hugh Howey… ces auteurs ont contribué à l’essor de l’auto-édition en ligne. Si le phénomène semblait d’abord concentré sur les Etats-Unis, il touche aujourd’hui d’autres pays comme la France. Mais ce modèle ne représente pas une menace pour l’édition classique, comme la finalité pour ces auteurs reste l’édition papier. L’essentiel est la mise en valeur du texte.

C’est au 4 rue des Anglais à Paris, en plein quartier des libraires et des éditeurs, que la plateforme d’auto-publication Librinova a implanté son siège, dans un ancien cabaret datant du dix-neuvième siècle. L’intérieur, bien que sombre, n’en est pas moins intimiste et délicat. Des fresques restaurées courent le long des murs, en-dessous desquelles s’alignent des bureaux et des étagères garnies de livres, qui mettent à l’honneur ceux publiés en version papier grâce à Librinova. Deux grandes blondes nous accueillent, le sourire aux lèvres. Quinze jours plus tôt, de nombreux écrivains en herbe, lecteurs et éditeurs défilaient à leur stand au Salon du livre.

 

Charlotte Allibert et Laure Prétalat, devant le siège de Librinova
Charlotte Allibert et Laure Prétalat, devant le siège de Librinova

« Plusieurs représentants de l’auto-édition étaient présents. Les gens se sont globalement montrés intéressés, ce qui nous prouve que cela marche. Aujourd’hui, il existe une quinzaine de plateformes en France. Nous sommes un tremplin pour les auteurs, mais nous ne pouvons pas garantir leur succès. » Charlotte Allibert, 29 ans, est co-fondatrice et directrice générale de la plateforme française Librinova. Selon elle, tout auteur mérite d’être publié, et de manière simple. Librinova propose une alternative aux maisons d’édition classiques et permet de donner une chance à tous ceux qui rêvent de devenir écrivains. « Beaucoup de gens viennent chez nous car ils ont envoyé leur manuscrit à un éditeur et ont essuyé un refus. Mais on reçoit également les ouvrages de personnes qui ont été publiés dans les années 1980 et qui souhaitent donner une seconde vie à leur livre. »

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Librinova a vu le jour en 2014, alors que l’auto-édition connaissait un véritable succès aux Etats-Unis. Le phénomène a en effet pris de l’ampleur avec la parution du roman d’Anna Todd, After, publié sur le site internet Wattpad – une plateforme tournée vers la publication en série, et le partage avec les lecteurs – en 2013, et en version papier un an plus tard. Le best-seller a vite été convoité par des maisons d’édition étrangères, et est sorti en France en janvier 2015.

 

Le phénomène Anna Todd s'est répandu en France
Le phénomène Anna Todd s’est répandu en France

 

Dans les années 2010, Charlotte Allibert et Laure Prételat, également co-fondatrice et présidente de la plateforme, décident de s’associer et de s’inspirer du modèle américain, persuadées qu’il y a « quelque chose à en tirer ». Si le concept met un certain temps à être clairement défini, le site est créé en moins d’un an, en 2013, pour être finalement lancé l’année suivante. Et c’est une réussite. « Depuis la naissance de Librinova, nous avons publié près de 500 livres en France, en Europe, aux Etats-Unis et au Canada, notamment de la littérature grand public, poursuit Charlotte Allibert. Et depuis janvier 2016, nous publions un livre et demi par jour. C’est bien la preuve que notre projet porte ses fruits ! »

 

Source: Librinova - Xavier d'Almeida Crédit: Piktochart
Source: Librinova – Xavier d’Almeida
Crédit: Piktochart

 

« Nous n’intervenons pas en amont, ajoute Charlotte Allibert. Il y a donc bel et bien un risque de perte de la qualité. Cependant, nous essayons de repérer les fautes grâce au résumé que nous transmet l’auteur. Si nous nous apercevons qu’il y a une faute toutes les quatre lignes, nous le prévenons. » En revanche, il existe une forme de contrôle avant toute publication. « Nous avons un détecteur de mots clés pour repérer les textes étranges. En tout, nous en avons refusé deux. L’un divaguait totalement, et l’autre portait sur Kadhafi. De même, si certains passages nous paraissent osés ou violents, nous pouvons demander à l’auteur de les atténuer. »

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TheBookEdition, Bookelis, monBestSeller, Librinova,, Edilivre, Amazon… La concurrence entre les plateformes d’auto-édition est très forte, d’autant plus que certains auteurs passent facilement de l’une à l’autre. Mais, toutes n’offrent pas la même formule, ce qui permet de les distinguer. Certaines proposent une impression papier et numérique, d’autres une impression exclusivement numérique, d’autres encore permettent aux auteurs de créer leur propre site. « En ce qui nous concerne, Laure et moi sommes les seules à venir de l’édition classique, explique Charlotte Allibert. Cela donne confiance aux auteurs qui choisissent de nous déposer leur manuscrit. Et de notre côté, nous pouvons plus facilement établir des liens avec les éditeurs et trouver des partenaires en vue d’une future publication papier. » Quatre titres lancés par Librinova sont ainsi parus chez un éditeur et la sortie d’un cinquième est prévue pour juin.

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Librinova ne prélève rien sur les ventes de ses auteurs, du moins avant le millier d’exemplaires. Le seul forfait imposé est celui du dépôt du manuscrit. L’auteur touche alors 70% du prix de ses livres dont le montant ne dépasse jamais 5 euros, alors qu’il n’en gagnerait que 10% s’il avait signé un contrat avec un éditeur classique. Pour un livre numérique au prix de 2,99 euros, entre 20 et 30% sont prélevés par les plateformes de distribution et l’écrivain touche 2 euros. « Les auteurs de l’auto-publication n’ont rien à envier aux auteurs de l’édition classique. Et quand leur livre marche, ils gagnent assez vite plusieurs milliers d’euros. »

Cette plateforme sert également de passerelle vers l’édition classique. « D’une certaine manière, nous avons aussi un rôle d’éditeur, qui intervient dans le repérage des titres qui marchent le mieux auprès des lecteurs. » Cependant, lorsqu’un livre lancé par Librinova est racheté par un éditeur, l’auteur lui cède ses droits pendant sa durée d’exploitation, alors qu’il en était auparavant l’unique détenteur. Quand un écrivain parvient à vendre 1000 exemplaires, Librinova devient son agent et contacte plusieurs maisons d’édition afin de trouver celle qui correspond le mieux à son livre, et le contrat le plus avantageux. Mais cela ne signifie pas qu’un auteur publiera ses prochains ouvrages avec la même édition, l’objectif étant de correspondre à une ligne éditoriale. Pour l’instant, vingt titres sont concernés. L’un d’eux a même dépassé les 5000 exemplaires. A l’inverse, il arrive également que certains auteurs ne vendent pas plus de 10 exemplaires. Mais selon Charlotte Allibert, « tout dépend de l’objectif de l’auteur. Certains ne cherchent pas le succès. C’est souvent plus difficile pour les auteurs les moins connectés ou ceux qui prennent un pseudo. Par ailleurs, nous savons très bien que certains livres perceront plus que d’autres, notamment ceux qui appartiennent à la littérature sentimentale. Sur internet il y a de la place pour tout le monde, mais l’objectif est de faire ressortir le meilleur».

Les auteurs qui se lancent sur les plateformes d’auto-édition sont plus libres que ceux qui passent par l’édition classique. « Parfois, nous accueillons des auteurs qui en viennent. Ils sont contents d’arriver chez nous ! Il y a beaucoup moins de contraintes. Par exemple, pour telle ou telle raison, ils peuvent retirer leur livre du site du jour au lendemain. » Par ailleurs, selon les co-fondatrices de Librinova, un auteur aurait 50 fois plus de chance d’être publié en passant par une plateforme qu’en envoyant son manuscrit par la poste. « Les maisons d’édition classiques reçoivent près de 5000 manuscrits par an, mais seuls un à deux livres sont édités, à moins de bénéficier d’un réseau ou d’être pistonné. », explique Charlotte Allibert.

 

 

Selon la directrice de Librinova, les lecteurs ont autant de légitimité que les auteurs à sélectionner les textes. « Mais qu’il s’agisse d’édition classique ou d’auto-édition, un système ne doit pas remplacer l’autre. Et dans le fond, notre travail est très proche de celui d’un éditeur. Le lien entre nos auteurs et nous est très fort. Et c’est essentiel, car un auteur a besoin d’avoir quelqu’un en face de lui. Finalement, ce que nous faisons, c’est un peu de l’auto-édition accompagnée. »

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Marilyse Trécourt fait partie des auteurs qui ont connu un véritable succès grâce à Librinova. Son premier roman intitulé Au-delà des apparences s’est vendu à plus de 3000 exemplaires en format numérique, et à près de 800 en papier aux éditions Mosaïc. Également auteure d’un recueil de nouvelles et d’un second roman pour lequel un contrat dans une autre maison d’édition est en cours de négociation, l’ensemble de ses ventes numériques s’élève à plus de 7500 exemplaires. Il faut dire que le prix bas des e-books et l’offre sont attrayants pour les lecteurs, sans oublier toutes les promotions ou les « ventes flash » organisées sur les plateformes qui bradent les livres et augmentent considérablement les ventes. L’ouverture et la rapidité garanties par le circuit d’auto-édition numérique sont aussi des atouts importants, alors qu’il faut attendre trois mois après avoir envoyé son manuscrit par la poste pour obtenir une réponse bien souvent négative. Chaque année, plus de 500 œuvres sont sélectionnées pour la rentrée littéraire, mais les places se font rares dans le milieu de l’édition. Encore plus lorsqu’un auteur ne bénéficie pas d’une grande notoriété.

 

Marilyse Trécourt, faisant la promotion de son premier roman, Au-delà des apparences
Marilyse Trécourt, faisant la promotion de son premier roman, Au-delà des apparences

 

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Les plateformes d’auto-édition numériques se présentent comme une garantie pour les auteurs d’être publiés tout en ayant des conseils, plus ou moins approfondis selon les services proposés, pour valoriser leurs livres. Ce qui est encourageant lorsqu’on ne connaît rien au monde de l’édition. Comme beaucoup d’auteurs, Marilyse Trécourt a découvert les coulisses de cet univers avec l’aide de Librinova. En parallèle de son travail dans la communication pour une société d’assurance, cette mère de famille s’est lancée dans l’aventure par défi personnel et avec beaucoup de modestie. Déjà habituée aux concours de nouvelles, elle a choisi de mettre toutes les chances de son côté en suivant un MOOC (une formation en ligne ouverte à tous) sur la création d’une œuvre de fiction. Son roman a obtenu un prix et le succès est arrivé très rapidement. « J’ai parfois du mal à réaliser parce que tout est allé très vite. Je peux toucher du doigt mon rêve de petite fille qui écrivait dans sa chambre », confie Marilyse.

 

Ayant fait l’expérience des deux formes d’édition, numérique et classique, elle affirme ne pas pouvoir se passer de l’un ou de l’autre. D’un côté la liberté et le contrôle de ses publications avec Librinova, autant à travers l’aspect juridique qu’économique, de l’autre l’encadrement et l’orientation de la maison d’édition. « Pour un écrivain, le but c’est d’être publié sur papier. Mais avec du recul je pense que c’est mieux d’être d’abord passée par l’auto-édition, plutôt que par une petite maison d’édition classique avec moins de visibilité. Ce n’est pas le même métier, mais les deux sont vraiment complémentaires. Avec la maison d’édition Mosaïc, j’ai pu faire un vrai travail sur le texte et corriger des erreurs que je ne fais plus maintenant. J’ai aussi pu avoir des séances de dédicaces avec mon public », ajoute-t-elle.

 

Marilyse Trécourt - Crédit Yves Colas
Marilyse Trécourt – Crédit Yves Colas

 

À l’inverse, Catherine Choupin, ancienne professeure de lettres classiques de 61 ans, est d’abord passée par les maisons d’édition papier avant de se lancer dans le numérique. Pour son premier roman, elle avait fait appel à une petite édition située à Versailles, mais le manque de visibilité et « des erreurs en matière de marketing » l’ont déçue. Découragée par le long processus de l’édition traditionnelle et les refus, elle a découvert Librinova grâce à une ancienne élève et a été la première auteure à contribuer à la plateforme. Lauréate du prix du livre numérique en 2015, elle compte maintenant 9 romans à son actif : « D’ici la fin du mois d’avril, je devrais atteindre les 5000 exemplaires vendus pour l’ensemble de mes romans ». Si aucun d’entre eux n’a dépassé la barre des 1000 exemplaires qui lui permettrait de publier sous le format papier, elle souhaite rester chez Librinova : « Je n’aurais pas dit ça il y a deux ans, mais aujourd’hui j’apprécie ce confort et cette grande liberté. Si un éditeur veut me publier je ne vais pas cracher dans la soupe, mais je tiens vraiment à rester», explique Catherine Choupin.

 

Catherine Choupin, publiée par Librinova - Crédit Catherine Choupin
Catherine Choupin, publiée par Librinova – Crédit Catherine Choupin

Pour cette femme de lettres plongée dans les bouquins et les grands classiques depuis toujours, la méfiance vis-à-vis du numérique et de l’auto-édition peut se comprendre. Les plateformes qui y sont consacrées regorgent d’auteurs aux parcours et aux plumes différentes. À travers une sélection plus rude, l’édition classique peut avoir un côté élitiste qui fait défaut au monde de l’auto-édition. « Mais quelquefois, quand on voit les livres papier qui sont publiés, on se demande bien pourquoi… », ironise-t-elle.

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Pour les éditeurs, le phénomène de l’auto-publication est une vaste question. Mais une chose est sûre, ce qui compte avant tout est de mettre en valeur un texte, peu importe la forme qu’il prend. Les deux modèles ne s’opposent pas, ne se remplacent pas, ils sont complémentaires. « L’auto-publication est un moyen comme un autre de présenter son travail, explique Guillaume Vissac, directeur éditorial du site Publie.net. La seule chose qui est regrettable est qu’il n’y a ni travail de relecture, ni travail éditorial derrière. Cependant, il ne faut pas non plus généraliser. La qualité des textes va dépendre des plateformes. Par exemple, sur le service d’auto-publication d’Amazon, chacun est libre de déposer son ouvrage, mais il y a tout de même des personnes qui vont relire et faire le tri en fonction des cibles. »

 

Photo d'illustration
Photo d’illustration

La question de l’auto-publication en ligne pose de manière plus vaste celle de l’édition numérique. Un sujet que Guillaume Vissac semble parfaitement maîtriser, étant donné que Publie.net, créé en 2008, ne proposait à l’origine que de l’édition numérique, principalement axée sur la littérature contemporaine. Ce n’est qu’en 2012 qu’il a développé une offre papier, à travers un système d’impression à la demande, pour éviter le gaspillage. Aujourd’hui, les nouveautés sont simultanément publiées en version numérique et papier. « Il serait réducteur d’opposer l’un à l’autre, poursuit-il. Nous voulons avant tout publier des textes. Certains s’adaptent mieux au numérique, d’autres au papier. Au lecteur de choisir en fonction de ses usages. L’important est d’utiliser les supports en fonction des textes, et non l’inverse. Nous ne sommes pas du tout partisan de tel ou tel système. »

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Un choix qui concerne également les auteurs, selon le genre de livre qu’ils souhaitent écrire et publier. « Je pense que l’auto-édition numérique a un intérêt selon le projet. Il faut savoir ce que l’on veut, et que ces plateformes vont juste être un outil. Cela peut très bien marcher, mais cela dépend de l’échelle. Ce qui me dérange, ce sont les entreprises qui font des promesses mensongères aux auteurs », explique Laura Fredducci, assistante d’édition chez Les Petits Matins. Cette maison est spécialisée dans la publication d’essais, et est donc moins concernée par le phénomène de l’auto-édition numérique. La grande majorité des livres publiés avec ce système sont de la littérature populaire. « C’est une question de secteur. Les auteurs qui viennent chez nous ont déjà souvent un réseau et une visibilité, et ils sont moins nombreux. C’est le contraire pour les romans populaires où il y a énormément de demandes, donc c’est normal que certains passent par l’auto-édition. Je pense qu’un bon essai trouve toujours son éditeur », ajoute-t-elle. Les Petits Matins reçoivent environ 500 manuscrits par an et en publient un à deux. Si les plateformes d’auto-édition en ligne ne permettent pas de percer dans le milieu selon Laura Fredducci, ils servent néanmoins de « rampe de lancement pour les auteurs. Ils permettent aussi de voir quels phénomènes apparaissent, sans pour autant être des concurrents. Pour un auteur c’est aussi intéressant de s’associer à une maison d’édition ensuite ».

Crédit Piktochart
Crédit Piktochart

Si le travail de l’éditeur classique reste tout de même largement plébiscité par les professionnels de l’édition – en termes de correction, de valorisation et de promotion de l’œuvre par exemple – il n’est pour autant pas question de dénigrer le système de l’auto-édition numérique. Les deux peuvent se compléter et permettre à des auteurs de se révéler. Un moyen d’avoir ensuite accès aux maisons d’édition classiques qui peuvent se montrer réticentes au départ. En plus de cette complémentarité, entre le numérique et le papier, le système classique et l’alternative de l’auto-édition, cette dernière révolution permet d’apporter un nouveau regard sur le métier : « Je pense que cela remet en question le monde de l’éditeur tout puissant, et nous pousse à redéfinir et à réexpliquer la profession, pour montrer qu’elle a encore du sens », admet Laura Fredducci. Une preuve que le monde de l’édition en France est capable de s’adapter aux nouveaux phénomènes et aux circuits alternatifs, sans pour autant perdre son aura. •

•Focus

L’échec du crowdfunding pour l’édition littéraire

Rencontre – Stéphanie Moins : « Ce sont les lecteurs qui déterminent la véritable valeur d’un livre. »

Interview – Dans les monde de l’édition, même à l’époque des révolutions, l’éditeur reste « un filtre »

 

Marie-Hélène Gallay et Charlotte Landru-Chandès

Le transhumanisme dans le cinéma de science-fiction

20 et 30’s : La rencontre du corps humain avec les sciences et les technologies trouve son fondement dans quelques films des années 20 et 30. D’emblée, la question de la transformation, voire de l’amélioration du corps est posée. Frankenstein de J. Whale en 1931Metropolis de Fritz Lang en 1927 et Alraune de Robert Oswald en 1930 en sont des exemples.

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50’s : L’avènement de la robotisation fait la joie du cinéma des années 50 où les robots sont des êtres de ferraille à l’esthétique et l’intelligence encore très primaires.

60’s : Un tournant s’instaure dans la rencontre entre le cinéma et la science au travers de questions ontologiques sur l’humanité, établies par Stanley Kubrick dans son 2001, l’odyssée de l’espace (1968). 

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80’s : Mais la création d’androïdes ou de robots ne prend toute son ampleur qu’à partir des années 80. C’est à cette période que le cyborg se confronte aux contraintes de l’incarnation cinématographique. Les « répliquants » du film Blade Runner de Ridley Scott en 1982 ébranlent les convictions : la machine pourrait-elle se mettre à penser au même titre que les êtres humains et se retourner contre eux ?

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90’s : A cette époque, une nouvelle génération de cinéastes asiatiques et plus particulièrement japonais, teste les limites des représentations posthumanistes. Que ce soit dans l’avant-gardiste Tetsuo de Shinya Tsukamoto en 1989, où un homme se transforme progressivement en machine ou dans Ghost in the Shell de Mamoru Oshii en 1995 qui met en scène un femme cyborg extrêmement perfectionnée, le corps et la machine ne font plus qu’un, posant la question des frontières et des confusions identitaires.

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00’s : Plus récemment, d’autres tendances se sont mises en place où l’assimilation  des technologies renvoie à des représentations humaines mais aussi sociétales de plus en plus réalistes, s’éloignant progressivement des représentations trop ostentatoires d’univers de science-fiction. Dans The Island (2005) de Michael Bay, un groupe de clones de personnalités influentes est créé et maintenu dans l’ignorance du monde extérieur afin de servir à leurs propriétaires en cas de souci médical. Surrogates de J. Mostow (2009), met en scène des humains qui ne sortent plus de chez eux et se font remplacer par leurs avatars qu’ils actionnent mentalement. L’exemple le plus significatif d’effacement des éléments fantastiques est sans doutes la fable dystopique de Mark RomanekNever Let Me Go (2010), dans laquelle des enfants et adolescents orphelins crées en laboratoire et élevés dans des fermes anonymes de la campagne anglaise servent de donneurs d’organes à des patients atteints de graves pathologies. Les héros (ou anti-héros) de ces films ne sont plus des hommes transformés, améliorés mais ceux qui résistent, s’échappent et combattent les perfectionnements de la science.

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Interview d’Eric Jentile

Rencontre avec Eric Jentile, auteur et créateur de Quoi de neuf sur ma pile ? un blog de critique littéraire de science-fiction.

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Le transhumanisme est-il un thème récurrent dans la littérature de science-fiction et implique-t-il d’aller au-delà de la mort ?

Eric Jentile : D’une certaine manière on peut dire que la science-fiction a toujours abordé la question de la mort et de son après. Orphée aux enfers c’est vieux et c’est du fantastique mythologique. Frankenstein de Mary Shelley date du XIXème. Mais le transhumanisme c’est plus que la question de la mort, c’est aussi améliorer l’humain par la technique. C’est le rêve de Google et plus particulièrement de  Raymond Kurzweil, son directeur de l’ingénierie depuis 2012. Ou encore celui de William Gibson, auteur du roman fondateur du mouvement Cyberpunk et pilier du transhumanisme contemporain : Neuromancien, dans lequel le meilleur pirate informatique de tous les temps commet l’erreur de vouloir doubler un de ses employeurs qui, en guise de représailles, l’ampute de son système nerveux, le privant ainsi de son accès à la console informatique. De retour dans la prison de chair de son corps, le héros tente de s’échapper à nouveau par le biais des drogues, jusqu’à ce qu’une obscure conspiration lui offre une seconde chance.

Les révolutions annoncées par la littérature de science-fiction ne sont pas devenues réalité

Quel est le point de vue adopté sur la question de l’immortalité ? Peut-on considérer que certains ouvrages de science-fiction sont devenus réalité ?

EJ : L’immortalité est rarement abordée en tant que telle dans la littérature de science-fiction. Soit il s’agit de numérisation et dans ce cas, c’est plutôt avantageux car tout ce que peut faire un logiciel devient accessible aux humains qui peuvent ainsi devenir immortels. Soit, comme chez Catherine Dufour dans Le goût de l’immortalité, l’éternité est un long ennui cruel. Mais les révolutions annoncées par la littérature de science-fiction ne sont pas devenues réalité : pas de cyborg, pas de numérisation ni de conscience. Il commence à émerger quelques membres robotisés, ou des systèmes de vision numériques pour aveugles mais le tout reste balbutiant, c’est le début. La science-fiction c’est l’exploitation de la connaissance scientifique pour imaginer ce qui pourrait advenir. 

Les auteurs des livres de science-fiction sont souvent des scientifiques ou des passionnés de science.

La littérature de science-fiction aurait-elle sa place dans une société ou la mort aurait été abolie ? 

EJ : La mort n’est pas le seul problème dans la littérature de science-fiction. Il se pose également la question de savoir que faire des immortels ? Comment alimenter une population qui ne décline pas  ? Et surtout, comment occuper le temps ? Les immortels en science-fiction contemporaine sont plutôt des intelligences artificielles qui “s’occupent », notamment en explorant l’univers.

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La science-fiction permet-elle de se projeter au-delà des avancées scientifiques actuelles ?

EJ : Les auteurs des livres de science-fiction sont souvent des scientifiques ou des passionnés de science. Ils puisent dans leurs connaissances ou font des spéculations, les poussent à l’extrême de la logique et voient comment il peuvent présenter leurs réflexions sous forme romanesque. Hannu Rajaniemi par exemple, auteur contemporain finlandais de science-fiction, se renseigne sur les bitcoins (monnaie virtuelle) et sur les technologies numériques associées pour en faire un roman : The Fractal Prince. Dans son oeuvre précédente, intitulée The Quantum Thief, il explorait les mécanismes de mémoire externalisés. C’est-à-dire tous nos numéros ou nos mails qui sont dans nos smartphones et donc externalisés de notre cerveau. Or, que se passerait-il si demain nos sens étaient numériques et que notre mémoire était un système de stockage externe ?

Aux origines du transhumanisme

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Le constat des limites de l’humanité dans ses actions, la peur de la mort et de la vieillesse sont des craintes aussi vieilles que l’humanité et qui peuvent expliquer la naissance du mouvement, bien que sa genèse soit difficile à retracer.

Néanmoins, plusieurs auteurs transhumanistes tels que Nick Bostrom (1) font remonter sa filiation idéologique jusqu’à certains mythes de l’antiquité et plus particulièrement à l’épopée de Gilgamesh, datant du deuxième millénaire avant notre ère. Elle raconte le cheminement du roi légendaire d’Uruk qui, après avoir été mis face aux limites de ses capacités et de son pouvoir, entame une longue quête initiatique en vue d’obtenir l’immortalité.

La fontaine de jouvence, le Saint Graal arthurien ou encore la pierre philosophale des alchimistes montrent bien que les hommes ont souvent cherché à ralentir ou éradiquer les ravages du temps. Mais on peut estimer que les premières bases d’une philosophie de l’amélioration du corps humain puisent dans l’humanisme de la Renaissance.

La première occurence du mot transhumanisme se trouve chez le biologiste britannique Julian Huxley, qui le définit en 1957 comme l’homme qui transcende sa propre nature dans le but de s’améliorer. (2)

On peut considérer que l’âge transhumaniste sera clos lorsqu’il permettra l’ouverture sur l’ère du posthumain, soit un humain transformé par son hybridation avec des circuits électroniques et doté de l’intelligence artificielle, ayant donc perdu son statut d’être humain.

 

(1) Nick Bostrom, « A History of Transhumanist thought », Journal of Evolution and Technology, vol.14, Issue 1, Avril 2005

(2) Julian Huxley : « New Bottles for New Wine » (1957)