L’avenir de la Loi Travail suspendu aux résultats du second tour

J-7 avant le second tour de l’élection présidentielle. Le traditionnel défilé du 1er mai, fête des travailleurs, a relancé le débat sur la contestée réforme du Code du travail. Marine Le Pen s’engage à retirer la Loi Travail, Emmanuel Macron souhaite l’élargir. Que disent réellement leurs programmes ?

Il y a un an, jour pour jour, plusieurs centaines de milliers de manifestants battaient le pavé contre la réforme du Code du travail, portée par le gouvernement socialiste. La fameuse Loi Travail était finalement adoptée à coup de 49-3, à la fin du mois de juillet. Tout au long de la mobilisation, deux visions se sont opposées sur ce que doit être le travail. Deux visions qui se retrouvent aujourd’hui face à face, au second tour de l’élection présidentielle.

Fin de campagne oblige, Emmanuel Macron et Marine Le Pen multiplient les appels aux travailleurs et aux déçus de la mondialisation. Une tentative affichée de convaincre les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Invité sur le plateau de TF1 dimanche dernier, le chef de la France Insoumise, fort de ses 7 millions d’électeurs, n’a pas hésité à interpeller le candidat d’En Marche! sur la réforme du Code du Travail.

« Lui, il pourrait faire un geste, il pourrait leur dire : ‘Ecoutez, je vous ai compris, je retire mon idée de réforme du Code du travail (…) pour que vous puissiez faire un mouvement vers moi », a-t-il déclaré. Pas sûr que cela suffise à convaincre les adhérents de la France Insoumise à voter pour Emmanuel Macron, qui entend bien renforcer la Loi Travail s’il est élu.

Élargi, digital, complété : le Code du Travail version Macron

« La Loi travail est arrivée trop tard dans le quinquennat », regrette Emmanuel Macron. Dès le mois de mars, la résistance des syndicats et la pression maintenue dans la rue obligeaient le gouvernement de Manuel Valls à supprimer certains aspects de la loi. Le retrait du plafonnement des indemnités prud’homales permettait notamment aux syndicats réformistes, comme la CFDT, de se rallier au projet de loi. Son secrétaire général Laurent Berger a par ailleurs appelé à voter pour le candidat d’En Marche ! pour faire barrage au Front national.

 

 

Si Emmanuel Macron est élu président de la République, il ne sera plus question de reculer. Le candidat entend légiférer par ordonnance, dès cet été, contournant ainsi le processus législatif. Son objectif est de créer d’un Code du travail digital, « pour mieux accompagner les Petites et Moyennes Entreprises (PME) dans les décisions qu’elles prennent ». Emmanuel Macron souhaite également instaurer « un plafond et un plancher pour les indemnités prud’homales pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (hormis les cas de discrimination, de harcèlement, etc.) ».

Emmanuel Macron affirme sa vision de la hiérarchie des normes, point crucial de la Loi Travail qui a suscité tant de désapprobations l’an passé. « La primauté sera donnée aux accords d’entreprise sur les accords de branche », peut-on lire dans son programme. Le candidat entend également réduire le nombre de branches, entre 50 et 100.

Généraliser la garantie jeunes et remplacer le CICE

Toujours dans l’objectif de poursuivre les principes amorcés dans la Loi Travail, Emmanuel Macron promet de généraliser les garanties jeunes. « Ce parcours d’accompagnement intensif assorti d’une allocation sera proposé à tous les jeunes précaires ni en formation ni en emploi », annonce le candidat. Défenseur du Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE), Emmanuel Macron veut aller plus loin en réduisant les charges des entreprises françaises. Le candidat promet une augmentation des salaires nets, financée par la suppression des cotisations chômage et maladie. Là encore, les syndicats risquent de grincer des dents…

Protectionnisme intelligent, patriotisme économique : le travail dans le programme de Marine Le Pen

Le 26 avril dernier, la candidate frontiste s’est rendue à Amiens sur le site de l’entreprise d’électroménager Whirlpool, menacée de délocalisation à horizon 2018. Comme François Hollande avant elle, venu soutenir les ouvriers de Florange en 2012, Marine Le Pen a tenu un discours prometteur aux travailleurs de l’usine d’Amiens. Sur fond euroscepticisme, la candidate s’engage à mettre fin aux délocalisation des usines françaises.

 

 

La candidate FN entend, tout comme son rival, « alléger la complexité administrative et fiscale » des entreprises et abaisser le charges sociales des PME. Marine Le Pen propose également la défiscalisation des heures supplémentaires. Les deux candidats souhaitent améliorer les conditions d’accès à l’apprentissage. Mais les similitudes s’arrêtent là. L’engagement 53 du programme de Marine Le Pen est clair : « Retirer la loi Travail (dite loi El Khomri). » La candidate privilégie de son côté les accords de branches aux accords d’entreprises. Marine Le Pen affirme maintenir la semaine des 35 heures, tout en laissant la possibilité d’élargir le temps de travail moyennant des compensations salariales. Le programme de Marine Le Pen ne développe aucune mesure concrète sur l’assurance chômage.

Marine Le Pen porte un modèle de « priorité nationale ». Dans le contexte actuel de chômage de masse, son discours séduit. Encore devra-t-il s’illustrer dans les actes, si Marine Le Pen accède à l’Élysée. En témoignent les moqueries dont le Front national est la cible dans l’affaire des tee-shirts de soutien à la candidate.

 

Léa Duperrin

 

Quelles nouveautés pour la sécurité publique ?

La nouvelle loi de sécurité publique est entrée en vigueur le 1er mars 2017. Objet de polémique, elle suscite de nombreuses réactions. Les politiques s’en donnent à cœur joie : ses détracteurs estiment qu’elle va trop loin et rejoignent le Défenseur des Droits, Jacques Toubon, qui voit dans cette loi un risque de donner « sentiment d’une plus grande liberté pour les forces de l’ordre alors que les cas prévus sont déjà couverts ». De l’autre côté, le groupe Les Républicains (LR) représenté par Eric Ciotti, estime que la loi ne va pas assez loin.
Que dit-elle ? Que change-t-elle ?

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Amanda Jacquel

 

Le Théâtre d’Aubervilliers : « nous n’allons pas pouvoir garder les migrants ici »

Le Théâtre de la Commune héberge entre vingt et quarante migrants sans-papiers depuis leur expulsion de leur squat, fin octobre. Mais la situation est provisoire. La directrice appelle les autres théâtres et les autorités à se mobiliser.

Les migrants sont une petite vingtaine à être regroupés derrière la directrice, dans le hall du Théâtre de la Commune à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Il est 11h30 en ce vendredi 4 novembre et la conférence de presse donnée pour faire le point sur leur situation commence juste.

Expulsés de leur squat le 26 octobre dernier, au 81 de l’avenue Victor Hugo, ils sont aujourd’hui entre 20 et 40 à dormir au Théâtre. Parmi eux, 21 sont dans l’attente de leurs papiers. « Pour l’instant, nous les hébergeons dans une petite salle, explique Marie-José Malis, la directrice du Théâtre. Cette situation est provisoire, mais nous avons senti qu’il était de notre devoir de les soutenir. Car nous les connaissons. Nous avons monté une pièce de théâtre avec eux l’année dernière. »

En mai 2015, le metteur en scène Olivier Coulon-Jablonka monte une pièce intitulée « 81 avenue Victor Hugo », en référence à la situation des 89 migrants du squat, alors réunis en collectif. Huit d’entre eux y participent en tant qu’acteurs. La pièce est créée au Théâtre de la Commune, puis programmée au Festival d’Avignon 2015 et au Festival d’Automne 2016 à Sartrouville dans les Yvelines (8 et 9 novembre) et à Brétigny-sur-Orge dans l’Essonne (15 novembre). Six des huit acteurs sont provisoirement hébergés au Parc de la Villette depuis l’expulsion.

« Je suis venue ici pour vous faire part de mon impuissance, déclare Marie-José Malis. Nous n’allons pas pouvoir garder les migrants ici. Nous allons devoir lancer un appel aux autres théâtres pour les inciter à les accueillir à leur tour. »

L’obsession des papiers

Les migrants écoutent la directrice, emmitouflés dans leurs manteaux et leurs bonnets, prêts à sortir une fois que la conférence sera finie. « Tous les jours, nous protestons à la mairie, sans succès, se désole Razak Guir-Abdou, un Ivoirien de 35 ans. Nous voulons nos papiers et un logement. »

Avant d’être remplacé en janvier 2016, le Préfet avait assuré que leur situation serait régularisée. Mais depuis l’arrivée de son successeur, elle s’est « dégradée ». La plupart des migrants, comme Ahmed Bouzouaelle, ont déposé leur dossier il y a treize mois. Ils sont depuis sans nouvelles. « On continue à travailler au noir pour notre liberté et notre dignité, explique Traoré Modibo, un Malien arrivé en France en 2009. Mais on n’a plus de force. »

La seule femme du groupe, enceinte de quatre mois, vient d’être transférée à l’hôpital, fatiguée de passer ses journées dans le froid, devant la mairie. Pour ces sans-papiers, obtenir un titre de séjour est une obsession.

« La nuit, personne n’arrive à dormir, confie Traoré Lamine, un autre Ivoirien, en France depuis 2013. Tout le monde pense aux papiers. On pense aussi à nos familles, restées au pays. J’ai une femme et un garçon en Afrique. Je reçois des nouvelles de temps en temps. »

Le Théâtre de la Commune sert d’interface entre les migrants et la préfecture. Il se veut un « point d’exemplarité », selon sa directrice. « Les autorités ont été émues par notre geste envers les clandestins. C’est grâce à cela que le ministère de la Culture a permis aux six acteurs d’être relogés. »

Les 21 dossiers déposés sont actuellement réexaminés à la préfecture. Parmi les migrants, certains ont reçu des promesses d’embauche, notamment de la part d’associations locales, d’entreprises locales et du Théâtre de la Commune. Tous espèrent être rapidement régularisés afin de pouvoir travailler de manière légale.

Charlotte Landru-Chandès

Le quotidien à Saint-Denis : ni terreur permanente, ni harmonie parfaite

“Molenbeek sur Seine”, “prosélytisme”, “intégrisme”. Les mot utilisés par la reporter Nadjet Cherigui dans son enquête sur Saint-Denis (93) parue dans le Figaro Magazine ont choqué certains résidents de la ville. Des dizaines d’entre eux ont publié une tribune dans Libération, Médiapart et l’Humanité nommée “Notre fierté de vivre à Saint-Denis”. Artistes, journalistes, militants associatifs y décrivent une commune “où se croisent les mondes, où la vie culturelle foisonne”. Dans les rues de la ville, Blancs, Noirs, Arabes, étudiants, travailleurs ou retraités décrivent un quotidien plus nuancé.

Au marché de Saint-Denis, la plupart des passants n’ont pas entendu parler de l’article du Figaro Magazine. Quand on leur demande ce qui caractérise leur vie ici, les mots qui reviennent ne sont pas “islam” et “communautarisme”, mais plutôt “saleté”, “trafics”, “insécurité”. Ici, beaucoup de femmes sont voilées, mais elles sont loin d’être majoritaires. Des marchands de tapis côtoient des coiffeuses afro. Des hommes en chéchia (chapeau traditionnel musulman) et djellaba font la quête pour une mosquée et des femmes distribuent des tracts de l’Église évangélique.

Sous la halle du marché de Saint Denis
Sous la halle du marché de Saint Denis
Une boutique de beauté africaine rue de la République
Une boutique de beauté africaine rue de la République

Aucun des Dionysiens rencontrés dans les allées du marché ne cite la propagation de l’islam radical comme le premier problème qui impacte le quotidien. “Je n’ai pas d’ennuis, je blague avec les gens de toutes les couleurs quand je vais au marché”, raconte Gérard Potvin, un ambulancier à la retraite. “Mais ça m’embête que ça soit aussi sale, qu’il y ait toute cette contrebande, de cigarettes, de téléphones, de bijoux…”.

 

“Je ne fais pas l’amalgame, pas encore…”

Tous ne considèrent pas que les différentes communautés vivent en parfaite harmonie. “Les questions religieuses, je m’en fiche.”, précise d’abord une retraitée qui préfère rester anonyme. “Mais j’ai l’impression que les autorités locales nient la réalité. Il y a de l’insécurité. Je me suis faite agresser deux fois par des bandes, tabasser, voler mon sac. Des jeunes inconnus m’ont insultée parce que je suis Blanche. Je ne fais pas l’amalgame, pas encore, mais c’est dur.” 

Mounir Othman, comédien et membre d’un collectif de parents d’élèves du Nord de la ville, a quant à lui signé la tribune pour défendre l’image de Saint-Denis dans les médias. “C’est une ville-monde, et ça c’est une vraie richesse. Dire qu’il y a du communautarisme, c’est faux. Je suis de culture musulmane, mais ma famille est athée et il n’y a aucune pression sur nous. C’est même pas un sujet pour les habitants de mon quartier.” Là-bas, d’autres thèmes font débat : “Dans les écoles, les professeurs ne sont pas remplacés, la poste est surchargée, les bus ne passent jamais. Mais ça, c’est moins vendeur pour les journaux que le danger de l’islam.” Laura Belhadjer, une étudiante de 22 ans, décrit une ville “colorée”, et évoque sa bande d’amis “de cultures très différentes, reliés par les études, les problèmes quotidiens, et pas par une religion ou une origine”. Elle porte le voile, et se dit “dégoûtée” par la une du Figaro Magazine, qui “stigmatise”.

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La file d’attente à la charcuterie du marché de Saint-Denis

 

La diversité, un défi mais pas un problème

Le prêtre Jean Courtaudière, qui travaille à Saint-Denis depuis treize ans, a été cité dans l’article Figaro Magazine. Il juge l’article “plutôt équilibré” mais regrette le choix des photos et des titres : “c’est de la manipulation de l’opinion. Le photographe a dû se balader longtemps pour trouver les jeunes femmes portant un voile intégral. Il n’y en a nulle part ici”. Cet homme au ton chaleureux est responsable du dialogue entre la religion chrétienne et les autres religions dans le 93. “Oui, il y a beaucoup de musulmans ici, parce qu’il y a beaucoup de populations issues de l’immigration. Est-ce un mal ? Non ! Mais c’est vrai qu’il y a des courants salafistes qui essayent d’influencer les musulmans de Saint-Denis”. Selon lui, preuve en est le nombre croissant de femmes voilées dans les rues : “des  croyantes défendent le voile avant la conviction religieuse, cet affichage peut être vu comme un signe de radicalisation.” 

Pour lui, la diversité est un défi mais pas un problème. “Ce mélange, c’est extraordinaire, mais ça demande des efforts, il faut apprendre à accepter les différences de croyances, de culture.”  Si la religion musulmane se fait plus visible, qu’elle se développe dans l’espace public, ça n’est pas pour autant que les gens ne vivent pas ensemble : “à l’école, au travail, au sport, les gens se mélangent, sans se poser la question des origines, des religions.”

 

Célia Laborie