Le gay savoir

Librairie Violette and Co
Librairie Violette and Co

Dans la librairie Violette and Co, dans le 11ème arrondissement de Paris, les rayons consacrés à la littérature LGBT, sont à l’entrée du magasin et affichent fièrement une étiquette avec deux symboles féminins ou masculins ensemble. C’est l’une des deux seules librairies LGBT de Paris.

 

Catherine Florian, libraire et co-fondatrice de Violette and Co, revendique la spécificité de la librairie : « Notre objectif, en tant que libraires, est de mettre en valeur ces livres et de les faire connaître. Nous revendiquons l’identité LGBT de notre magasin ». Le nombre de livres aux thématiques LGBT est également en forte augmentation. « Les grandes maisons d’édition comme Gallimard et Hachette se sont aussi mis à publier davantage de littérature LGBT. Cela nous pose parfois des problèmes de classement car des personnages secondaires LGBT peuvent apparaître au détour d’une page, sans que ce soit le sujet principal. Du coup, on ne sait pas trop si on doit placer le livre dans le rayon LGBT ou dans le rayon général », reconnaît Catherine Florian.

 

Mais la librairie ne propose pas seulement des romans à la vente, mais aussi de la presse, des livres de sciences humaines, et des bandes dessinées. « Il y a moins de titres de presse maintenant parce que internet a pris le relai, et des fanzines et des mook (contraction de magazine et de book) sont apparus. Les sciences humaines sont aussi en train de se développer, même si les études de genre ont un peu de mal à se faire une place dans le milieu universitaire français », constate la libraire.

 

La librairie Violette and Co existe depuis 13 ans. Cette survie témoigne de la vitalité de la littérature queer.

 

Anaëlle De Araujo et Jean-Gabriel Fernandez

Un arc-en-ciel sur la Croisette

La Queer Palm a rejoint la liste des récompenses du festival de Cannes en 2010. Elle a été créée par le journaliste Franck Finance-Madureira pour  que les films aux thématiques LGBT gagnent en visibilité et en reconnaissance.

Moonlight, de Barry Jenkins, Oscar 2017 du meilleur film (image libre de droits)
Moonlight, de Barry Jenkins, Oscar 2017 du meilleur film (image libre de droits)

Le film 120 battements par minute de Robin Campillo, a créé la sensation au début de la 70ème édition du festival de Cannes. Ce long-métrage retrace l’histoire de la lutte militante d’Act-Up au moment de la progression mortifère du SIDA dans les années 90. Ce film est en compétition officielle mais a également été sélectionné pour la Queer Palm. Cette récompense a été créée en 2010 par le journaliste Franck Finance-Madureira. “En créant cette palme, nous voulions dire aux gens qui en sont pas concernés de près par ces sujets, que ce sont des bons films”, explique le fondateur de la Queer Palm. La sélection des films est faite à partir des autres catégories de films et le simple fait de choisir certains films plutôt que d’autres implique l’existence d’une spécificité queer : “Les caractéristiques principales qui nous permettent de sélectionner les films, c’est d’aborder un des sujets de la sphère LGBT et de casser les codes de genre”.
Depuis une dizaine d’années, les films queer gagnent en visibilité, notamment en France avec L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie et La vie d’Adèle d’Abellatif Kechiche (2013). Mais Franck Finance-Madureira considère qu’il y a encore des efforts à faire :  “Ces films arrivent à être un peu plus visibles parce que les mentalités évoluent. Par exemple, Carol de Todd Haynes a eu du succès mais n’a pas eu d’Oscar majeur. Moonlight de Barry Jenkins a faire mentir l’adage en recevant l’Oscar du meilleur film”.
Dans ses “Notes on Camp”, en 1964, Susan Sontag écrivait : “Les homosexuels ont fondé leur intégration dans la société sur la mise en valeur de leur sensibilité artistique”. L’existence de la Queer Palm confirme plus que jamais cette réflexion.

Anaëlle De Araujo & Jean-Gabriel Fernandez

Le cirque à l’ancienne en voie de disparition?

Famille Romanes
Famille Romanes

Art ancestral, le cirque est installé depuis plusieurs siècles dans notre culture populaire. Depuis les années 1970, il connaît un renouveau et de plus en plus de cirques prennent la décision d’arrêter les numéros avec des animaux. Est-ce la fin du cirque tel qu’on le connaît ?

Monsieur Loyal, le clown blanc, l’Auguste, la trapéziste ou encore le dompteur de fauves … autant d’images qui rappellent l’univers si singulier du cirque. Cet art du spectacle né à la fin du XVIIIe siècle perdure encore aujourd’hui et les chapiteaux continuent d’attirer petits et grands. Mais depuis les années 1970, de nouveaux acteurs sont entrés en scène. Désormais, les grandes familles du cirque côtoient nouvelles compagnies d’artistes qui souhaitent renouveler le genre.

Aujourd’hui 522 compagnies de cirque contemporain sont enregistrées à l’ARTCENA (le Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre). Appelé « nouveau cirque » puis « cirque contemporain », il s’éloigne de certains codes du cirque traditionnel en inventant des formes originales de spectacles mêlant danse, théâtre ou encore musique. Si ces spectacles d’un nouveau genre introduisent de nouvelles formes d’expression, elles n’en oublient pas moins l’essence même du cirque, comme la prise de risque ou encore le sensationnel.

Une profession qui a beaucoup évolué

Marine Cordier, maître de conférences à l’université Paris-Ouest Nanterre, s’est spécialisée dans le nouveau cirque. Selon elle, les acteurs du cirque contemporain n’ont rien à voir avec le cirque traditionnel : « Après mai 68, ces gens ont voulu inventer des nouvelles formes de spectacle. Ils sont allés chercher du côté du spectacle populaire pour se différencier du théâtre et de son image plus bourgeoise. Ils se sont réappropriés l’imaginaire pour faire un spectacle unique et original avec une mise en scène nouvelle. Ils revendiquent davantage une démarche de création. » Très loin des familles Bouglione ou encore Pinder, ces nouveaux artistes n’ont pas le même mode de vie. Il ne s’agit plus de parcourir la France en caravane et de rester en famille, mais plutôt d’accueillir toutes sortes d’artistes comme dans une troupe de théâtre.

L’arrivée de nouveaux acteurs

« Ce sont principalement des gens issus des arts de la rue qui ont créé ces premières compagnies vers le milieu des années 1970 et ce sont les journalistes qui ont utilisé ce terme de « cirque nouveau » pour qualifier ces nouvelles formes et marquer l’opposition avec le cirque traditionnel. » explique Marine Cordier. Parmi ces figures emblématiques qui ont contribué à l’essor de ce nouveau genre on peut retrouver par exemple l’écuyer Bartabas qui a fondé en 1985 le cabaret équestre Zingaro. Qualifié de « théâtre équestre et musical », son spectacle mêle théâtre, danse et musique tout en reprenant les codes du cirque traditionnel. « Au départ ce sont les cavaliers anglais qui ont créé des spectacles équestres. Ils utilisaient des pistes circulaires, d’où le terme « cirque » », rappelle Marine Cordier.

Aujourd’hui le Cirque Électrique, installé Porte des Lilas depuis une vingtaine d’années, fait office de référence en terme de nouveau cirque. Hervé Vallée, son directeur, y vit à l’année. Bien plus qu’un simple spectacle, le Cirque Electrique offre un espace de création à de nouveaux artistes désireux de se lancer dans le cirque contemporain. Séverine Bellini est artiste de cirque, elle travaille avec Hervé Vallée depuis 2010 et a participé pendant deux ans au « Cabaret Electrique ». Elle parle avec nostalgie de ce spectacle emblématique du Cirque Electrique : « Les gens venaient un peu pour s’encanailler, c’était vraiment l’univers des grands cabarets parisiens. Comme dans un cirque on avait un monsieur Loyal et des numéros qui s’enchainent, c’est un spectacle très engagé, très rock’n’roll» Mais le Cirque Electrique lui permet aussi de développer ses propres créations : « La chambre simple est un spectacle que j’auto produis avec ma compagnie Mona Lisa, je me nourris beaucoup de l’univers du Cirque Electrique mais je garde mon univers qu’est la contorsion. »

Séverine Bellini, contorsionniste du Cirque Electrique
Séverine Bellini, contorsionniste du Cirque Electrique

A l’image de beaucoup d’artistes, Séverine Bellini pâtit du manque de soutien financier « dans le paysage culturel français tout tourne en rond, ça fait vingt ans que ce sont les mêmes compagnies et qui ont les subventions » déplore-t-elle. Selon le Centre national des arts du cirque, en 2010, 61% des équipes de cirque répertoriées déclaraient un budget annuel moyen inférieur à 100 000 euros. Si beaucoup de compagnies misent sur des petites productions, les spectacles de grande envergure sont plus rares.

Un cirque hybride

Depuis l’apparition du nouveau cirque : « on ne parle plus du cirque mais des arts du cirques au pluriel. » souligne Emmanuelle Floch, responsable de Spring, festival des nouvelles formes de cirque en Normandie.« Il y a des spectacles de cirque nouveau qui vont tirer vers le théâtre, la danse, certains parfois ne revendiquent même pas l’étiquette de cirque, même s’il y a des points communs comme certains agrès ou de la contorsion, l’usage du corps acrobatique et la prise de risque. »  ajoute Marine Cordier. Une chambre simple de Séverine Bellini traduit cette volonté de mélanger les genres en utilisant principalement la contorsion comme langage dramatique pour mettre en scène l’histoire d’une femme délaissée. Utiliser le corps comme moyen d’expression reste le dénominateur commun à toutes ces nouvelles formes de cirque.

Le cirque se rapproche de plus en plus du théâtre, il ne s’agit plus simplement d’une succession de numéros. Les élèves de première année de l’Académie Fratellini proposent par exemple de représenter le drame des migrants à travers des numéros d’acrobaties, habillés en costume d’époque du début du XXème siècle, qui rappellent les immigrés italiens d’Ellis Island.

Les dialogues, principalement en italien, déplacent l’attention du spectateur vers les mouvements des corps. Le propos du spectacle semble primer sur le sensationnel.

Découvrez la performance des premières années de l’Académie Fratellini : 

Une contre-culture qui s’institutionnalise?

Si le nouveau cirque se voulait marginal par son mode de vie il a été rapidement reconnu comme « forme culturelle » en 1978 par le ministre des Affaires culturelles Jean-Philippe Lecat. Auparavant le cirque traditionnel était sous la tutelle du ministère de l’Agriculture à cause de la présence d’animaux dans les spectacles. Cette reconnaissance artistique s’est accompagnée de la création d’écoles comme l’Académie Fratellini à Saint-Denis en 1971 ou encore le Centre national des arts du cirque à Châlons-en-Champagne en 1986. Aujourd’hui ces écoles permettent un mélange de disciplines plus important comme l’explique Eva, 24 ans, venue de Slovénie pour étudier le théâtre corporel à Paris. Elle suit les cours du soir de jonglage à l’Académie Fratellini depuis le début de l’année. « Je m’exprime essentiellement par le corps et le jonglage ça m’apporte un truc en plus. J’en faisais déjà en Slovénie et j’ai souhaité me perfectionner en France, c’est pour ça que j’ai choisi l’Académie Fratellini », affirme-t-elle.

Une élève de troisième année de l'Académie Fratellini
Une élève de troisième année de l’Académie Fratellini

Une institutionnalisation que Séverine Bellini déplore : « Ils font tous la même chose, ont tous le même style. ils sont super forts mais il n’y a plus de spontanéité. » Paradoxalement, cette multiplication d’institutions voulait accompagner l’émergence du cirque contemporain pour permettre aux artistes non issus de familles circassiennes de pratiquer eux aussi. Pour Marine Cordier : « Les artistes de nouveau cirque ont toujours eu la volonté de proposer une forme de contre-culture pour parler au grand public. »

Entre tradition et innovation

Même si certains cirques restent intemporels, certaines familles font le choix de se réinventer en répondant aux demandes nouvelles du public. A l’instar de la famille Gruss qui proposait essentiellement des spectacles équestres mais qui a innové en s’associant à la compagnie d’acrobates aériens les Farfadets issue du nouveau cirque.

Ou comme Alexandre Romanes, directeur du cirque tzigane installé Porte Maillot l’explique : « On fait pas du cirque à la Pinder avec de gros éléphants ». Il reprend néanmoins de nombreux codes du cirque traditionnel : la vie en caravane ainsi que le spectacle familial et autodidacte mais mise aussi sur l’autodérision en proposant des numéros de haute voltige suivis de dressage de Biki, le chien de la famille.

Mais ne plus miser sur les animaux est une donnée que les grandes familles traditionnelles commencent progressivement à intégrer. « J’ai vu un sondage qui indiquait que 80 % des Français étaient sensibles à la cause animal. Notre métier, c’est de faire un spectacle pour la famille. Si une très large majorité des familles est sensible à la cause animale, on ne peut pas continuer à faire un spectacle qui les dérange. Je ne me voyais pas continuer à présenter des animaux à des gens qui ressentent une gêne morale en venant au cirque » expliquait ainsi André Bouglione à 30 millions d’amis.

Mais pas d’inquiétude, si les éléphants commencent à déserter les chapiteaux, le célèbre Auguste a encore de beaux jours devant lui.

Plus d’informations :

Alexandre Romanes, chef de file tzigane 

3 questions à Valérie Fratellini, directrice adjointe de l’Académie Fratellini

Un cirque sans animaux, c’est possible.