PORTRAIT – Stage de fin d’études, les embûches du confinement

La crise sanitaire du coronavirus qui a conduit au confinement des Français provoque des situations délicates dans les cursus universitaires. Confiné près de Lorient, Nicolas Licari en dernière année de Master tente de décrocher un stage de fin d’études, indispensable pour valider sa formation et obtenir son diplôme.

Nicolas Licari (Crédits : L.D.)

Tee-shirt bleu marine et jean sombre, les 26 ans tout juste fêtés, Nicolas Licari, étudiant, cultive l’allure d’un garçon fougueux mais soucieux de son avenir. La discussion se tient sur la terrasse de la maison familiale, café et cigarettes sur le teck fané de la table du salon de jardin.

« Il me restait un mois et demi de cours suivi d’un stage de fin d’études et en décembre, après la remise des diplômes, je devais faire mon entrée dans le monde du travail. Aujourd’hui c’est difficile de se projeter. »

Avec la pandémie du coronavirus et l’annonce du confinement, tous les calendriers ont été bouleversés. Une situation angoissante et inédite où étudiants, écoles et entreprises naviguent à vue.

Un climat d’incertitudes

 « L’école a très vite réagi. Dès le lundi qui a suivi le confinement nous avions cours à distance via Teams ou Zoom. Pour ceux n’ayant pas internet chez eux, les cours sont enregistrés pour permettre le revisionnage », souligne l’étudiant. Si les enseignements théoriques devraient bien se terminer dans les temps, pour valider son cursus en finance de marché et investissement, Nicolas doit réaliser un stage de 4 à 6 mois en entreprise et là cela s’annonce plus compliqué.

« J’avais anticipé en postulant à plusieurs offres d’emploi. La semaine précédant l’annonce du confinement, j’avais eu trois entretiens dans trois entreprises différentes, pour moi c’était gagné. »

Mais la mise à l’arrêt d’une grande partie du pays et le manque de visibilité concernant l’après-Covid-19 a conduit de nombreuses entreprises à suspendre leur activité et de fait, les processus de recrutement, provoquant ainsi l’inquiétude de beaucoup d’étudiants. « Le mardi après-midi, un recruteur m’a rappelé pour me prévenir qu’ils annulaient tous les recrutements ne sachant pas vers quoi ils avançaient eux-mêmes… et je les comprends, difficile de prendre des stagiaires quand on ferme boutique ou qu’on licencie », explique Nicolas.

Élargir ses recherches à d’autres métiers dans son domaine d’études ? L’étudiant espère encore pouvoir l’éviter : « Un stage de fin d’études détermine aussi notre avenir, ça débouche souvent sur un CDI et je n’ai pas envie de revoir à la baisse mes exigences et attentes ».

Si Nicolas ne privilégie pas cette solution, certains de ses camarades de promotion s’y sont déjà « résignés » : « lls ont postulé en marketing ou en audit, des postes pour lesquels on a été formés mais qui ne sont pas ceux que j’espérais en choisissant une spécialité en finance de marché. » 

Différer les remboursements de prêts

Face à ce véritable casse-tête, son école de commerce Skema, a décidé de décaler ces stages pour permettre aux étudiants de réaliser cette expérience professionnelle déterminante dans leur formation. « Un moindre mal », pour Nicolas, « mais ce n’est pas la solution ». Comme d’autres étudiants, la question financière est un enjeu de taille.

« Pour financer mes études, j’ai contracté un prêt auprès d’une banque. Les premiers remboursements étaient prévus début juin. Sans garantie d’avoir un stage d’ici là, impossible de verser 800 euros tous les mois. »

Alors que le gouvernement planche sur un plan d’aide pour les étudiants et apprentis, plusieurs banques proposent d’ores et déjà des reports mais aussi de nouvelles offres de prêts à destination des étudiants. Nicolas s’est donc tourné vers la sienne afin de différer le remboursement de son prêt « qui est reporté à février 2021 », ajoute-t-il.

« Tout n’est qu’une question de timing »

Oser ou ne pas oser contacter les recruteurs, la question reste entière. Pendant le confinement, trouver le bon moment, le bon phrasé pour continuer malgré tout à candidater n’est pas chose aisée.

« Il faut réussir à exprimer que l’on a conscience de la gravité de la situation et du manque de visibilité qu’elle engendre pour les entreprises, tout en essayant de susciter l’intérêt auprès des recruteurs, on marche sur des œufs dans chacun de nos mails. »

Postuler à de nouvelles offres mais aussi « relancer d’anciennes pistes », poursuit Nicolas. « Le responsable du recrutement de l’un des postes pour lequel j’avais été retenu avant le confinement, m’a indiqué par mail que le processus était suspendu. Il espérait une reprise fin mai et m’a encouragé à le solliciter si j’étais toujours intéressé », ajoute l’étudiant.

Nicolas guette donc d’un œil inquiet et impatient le moment du déconfinement. « Désormais tout n’est qu’une question de timing. Alors qu’on est habituellement les seuls à rechercher des stages pour la période mai-septembre, là on va se retrouver en concurrence avec le reste des écoles sur un laps de temps très court… les places vont être chères », regrette-t-il.

Maintien de la date de délivrance des diplômes pour ne pas pénaliser

Un timing d’autant plus angoissant qu’il conditionne l’arrivée des étudiants sur le marché de l’emploi.

« Arrivé en cinquième année d’études, je n’imaginais pas devoir reporter mon entrée dans le monde professionnel. Quelques mois de plus, ça peut paraître dérisoire mais mentalement c’est un vrai coup dur. »

Pour limiter autant que possible le décalage de la formation lourd de conséquences, le directeur du Master de finance de marché et investissement à Skema a décidé de maintenir la délivrance des diplômes à décembre 2020. Le responsable de la formation a indiqué que les jurys se tiendront à la date initialement prévue, même si les stages ne sont pas terminés, afin de faciliter la transition des étudiants vers de possible propositions d’emploi.

La directrice générale de Skema Business School, Alice Guilhon, avec deux autres dirigeants d’école de management, a quant à elle signé une tribune pour une relance des contrats de stage et d’alternance dès la fin du confinement. « L’école se veut rassurante et essaye d’être vraiment disponible pour répondre à nos interrogations, mais les incertitudes sont trop nombreuses pour pouvoir se projeter dans l’avenir sereinement », soupire Nicolas.

 

Léa Deschateaux

Portrait – Leslie, une étudiante en médecine plongée dans la crise du Covid-19

Depuis plus d’un mois, le système hospitalier français tout entier a dû se réorganiser pour faire face à l’épidémie de Covid-19, touchant à la fois les soignants, mais aussi les étudiants en médecine dont les conditions de stage ont été modifiées. Rencontre avec Leslie Maillot, 22 ans, étudiante en quatrième année à la Faculté de Médecine de Nancy (Grand-Est), qui vient de mener ses premiers stages en tant qu’externe.

Leslie Maillot, étudiante en médecine à la Faculté de Médecine de Nancy (54) / DR

Avocate, architecte, ingénieure ou encore danseuse… Leslie est passée par de nombreuses idées quant à son futur métier. L’important pour elle : aider les gens, entretenir un lien, se rendre utile, et pour cela, toutes les pistes étaient bonnes. Mais la médecine, jamais. « Je ne m’imaginais pas du tout faire ça », explique-t-elle avec ironie.

Pourtant, aujourd’hui en quatrième année à la Faculté de Médecine de Nancy (Grand-Est), elle vient de vivre ses premiers mois d’externat – deux années durant lesquelles les étudiants en médecine alternent entre stages et préparation du concours d’internat – dans des conditions chamboulées par le coronavirus. Deux stages ont amené la jeune femme de 22 ans aux urgences de l’hôpital Mercy à Metz (57) et dans le service d’onco-hématologie pédiatrique de l’hôpital d’enfants de Nancy (54). Des expériences qui l’ont plongée dans une réalité difficile.

Et quand on lui demande si ce qu’elle voit à l’hôpital n’est pas trop dur à supporter, elle évacue rapidement la question. « Je sais que je suis faite pour ça, je suis sûre de moi« , affirme-t-elle. Une force de caractère nécessaire pour poursuivre dans la voie qu’elle ambitionne.

« Quand on est étudiant, les professeurs nous parlent du manque de moyens. On voit aussi les internes qui sont très actifs sur les réseaux sociaux et qui dénoncent leurs conditions de travail, mais quand on met les pieds à l’hôpital, on réalise la gravité de la situation.« 

Le Grand-Est en première ligne

Une situation qu’elle a vécue de manière encore plus intense avec l’épidémie de Covid-19 qui s’est invitée dans son deuxième stage. En plus d’avoir entraîné le pays dans un confinement depuis le 17 mars, le nouveau coronavirus a ébranlé le système hospitaliser et montré ses limites. Dans la région du Grand-Est, où Leslie a grandi, l’épidémie a été particulièrement rude, prenant les soignants de court.

« On a commencé à beaucoup en parler à la fin du mois de février, mais tout le monde pensait la même chose ; que c’était une grippe qui ne touchait que les personnes âgées, comme on en avait tous les ans, et comme la Chine nous l’avait décrit. Et puis on a vite compris que c’était bien plus sérieux. »

Face à l’urgence grandissante de l’épidémie, l’hôpital de Nancy s’est totalement réorganisé. L’hôpital d’enfants, dans lequel travaillait Leslie, a notamment dû mettre certains de leurs lits de réanimation à disposition des adultes.« Le service d’onco-hématologie pédiatrique est un service très vivant. Il y a des jouets partout, beaucoup de visiteurs… Du jour au lendemain , plus personne n’avait le droit d’entrer, et tous les jouets ont été renvoyés. L’environnement est devenu assez anxiogène et tendu, avec des parents très inquiets. »

Au fur et à mesure, le problème s’est aussi étendu au matériel de protection, particulièrement nécessaire dans ce service puisqu’il accueille des enfants immunodéprimés, autrement dit, des enfants ayant un système immunitaire affaibli, et donc particulièrement sujets aux maladies qui circulent.

« Rapidement, notre stock de sur-blouses s’est vidé, donc il fallait les réutiliser. Pendant plusieurs jours, il n’y avait plus du tout de gel hydroalcoolique, probablement suite à des vols, ce qui nous obligeait à nous laver les mains toutes les trente secondes au savon, irritant beaucoup notre peau. Et surtout, au lieu de changer de masque entre chaque enfant, il a fallu garder un même masque toute la journée, alors même que ça ne protège plus. »

Cette situation dramatique, Leslie l’a gérée avec pragmatisme et lucidité. « Il n’y a pas la question de, comment fait-on ? Il faut continuer à voir les patients, on n’a pas le choix, donc on fait avec ce qu’on a. » Si elle reconnaît que l’adaptation est une partie intégrante du métier de médecin, elle déplore que les soignants aient dû travailler dans de telles conditions. « On doit s’adapter, oui, face à l’état d’un patient qui se dégrade soudainement, par exemple, mais on ne doit pas s’adapter à un manque de matériel et de moyens. Ça, ce n’est pas normal. »

Les soignants, « premières victimes de cette crise »

Alors que la situation s’améliore doucement dans le Grand-Est, avec encore 4 246 personnes hospitalisées pour cause de Covid-19, Leslie s’inquiète quant à la réouverture des écoles qu’elle juge prématurée. Selon elle, une deuxième vague est inévitable, surtout si le déconfinement ne se fait pas de manière très progressive.

Mais la jeune étudiante pense aussi à la suite et à l’avenir de l’hôpital : si elle apprécie le geste d’applaudir les patients chaque soir à 20 heures, elle réclame davantage, à la fois de la part des citoyens et de l’État.

« Applaudir les soignants, c’est bien, à condition qu’à la fin du confinement, le soutien continue, par exemple par le biais de manifestations. C’est pareil pour l’État. Dire que les soignants sont des héros est d’abord faux, car ce sont les premières victimes qui subissent de plein fouet cette crise, et ce qu’ils attendent, ce sont des moyens, parce que le manque de lits, en réalité, c’est chaque année. »

Consciente que la France s’engage vers une crise économique sans précédent, Leslie a peu d’espoir sur les mesures qui seront prises en faveur de l’hôpital. À l’aube de sa carrière, elle s’efforce malgré tout de rester optimiste. Une chose est sûre, elle a trouvé son lien social et son utilité dans l’hôpital public, et elle compte tenter d’y faire carrière, malgré toutes les contraintes que cela oblige, parce que, l’hôpital public, « on en a besoin, et c’est une manière de le soutenir. »

Dinah Cohen

Prendre rendez-vous en ligne : un nouvel obstacle à la régularisation des sans-papiers

Une cinquantaine de migrants ont porté plainte contre l’Etat mercredi matin. La raison? Les délais de plusieurs mois avant de pouvoir déposer son dossier de demande de titre de séjour. Une centaine de personnes étaient devant la préfecture de Bobigny pour dénoncer la dématérialisation des services en préfecture.

« Avoir un rendez-vous, pourquoi est-ce impossible? Est-ce un sujet tabou de devenir visible? » entonne la foule sur l’air de la chanson « C’est la mère Michelle ». Les associations de protection des migrants, présentes mercredi après-midi devant la préfecture de Bobigny (Seine-Saint-Denis) pour dénoncer la dématérialisation des services, ne manquent pas d’imagination. Le refrain « à l’air du clic » rappelle tout le paradoxe de la situation : internet est censé faciliter les démarches administratives, mais à l’inverse, ici, c’est presque impossible d’obtenir un créneau pour déposer un dossier de demande de titre de séjour.

C’est pourquoi une cinquantaine de migrants ont déposé mercredi matin des recours en référé contre l’État. Le délai légal de trois mois avant un rendez-vous ayant été dépassé, la préfecture se voit obligée, face à cette plainte, de les recevoir sous quinze jours. Mais beaucoup attendent d’être reçus depuis plus longtemps encore.

Difficile à croire a priori. Et pourtant, une association qui protège les droits des immigrés a mené l’enquête. Yohan Delhomme, responsable des questions de droit au séjour à la CIMADE en Île-de-France explique devant des manifestants abasourdis que de juillet à septembre 2019, 921 personnes ont été sondées pour savoir si oui, ou non, la préfecture leur délivrait une date pour déposer leur dossier. En février dernier par exemple, aucune des 122 personnes sondées n’a pu obtenir de créneau en préfecture. Cette association a également simulé une prise de rendez-vous via un algorithme. Résultat : sur 2 000 tentatives, seuls deux ont pu être pris en cinq mois.

Lorsqu’une personne souhaite prendre rendez-vous, elle se rend sur le site de la préfecture concernée et remplit un formulaire. Le site internet l’invite alors à choisir parmi les créneaux disponibles s’il y en a, ou lui indique qu’il n’y a plus de créneau disponible. (crédit: La Cimade)

En plus de la CGT, trois associations étaient mobilisées : la Ligue des droits de l’homme, la CIMADE et le Secours Catholique. Entouré d’une foule de demandeurs de titres de séjours, chaque porte-parole se passe le micro pour témoigner de la situation ubuesque et faire entendre le parcours difficile de nombreux ressortissants étrangers. « Le système qui a été mis en place est un véritable scandale », dénonce un porte-parole de la Ligue des droits de l’homme. « Dissimuler le problème n’est pas le résoudre » : Dominique Dellac, conseillère départementale communiste de Seine-Saint-Denis pointe elle aussi du doigt la dématérialisation des services en préfecture. A chaque revendication, les membres des associations acquiescent, surenchérissent : « cela fait cinq mois qu’il attend un rendez-vous! », lance une femme à travers la foule.

Sur le site de la préfecture, un message s’affiche: « Il n’existe plus de plage horaire pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement », un message que tous les demandeurs de titre de séjour connaissent par coeur.

Des mois à attendre pour déposer un dossier

Lassana Konate, originaire du Mali, est arrivé en France en 2010. Même s’il n’a toujours pas de titre de séjour, il vit et travaille au Bourget, dans un centre de recyclage de carton. « Mon patron me demande tous les jours où est ma carte. J’ai juste un récepissé provisoire, mais je n’arrive pas à prendre rendez-vous. » Après des essais acharnés – il a demandé plusieurs fois à des proches d’essayer d’en obtenir pour lui – Lassana Konate a du faire appel à une avocate pour l’aider à deposer son dossier.

Mariana Dambakate, une jeune maman congolaise, a elle aussi demandé à des amis et de la famille de la relayer sur le site de la préfecture. A chaque heure de la journée, elle essayait, mais le même message s’affichait: « Il n’existe plus de plage horaire pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement. » Mariana Dambakate est venue avec son amie Nathalie Ebale, une Sénégalaise qui connaît la même précarité. Toutes deux ont de jeunes enfants et ne reçoivent une aide financière que du Secours catholique: « Ils nous aident beaucoup. Ils payent la cantine de mes enfants. Mais ce n’est pas assez, moi je veux travailler. Je veux un titre de séjour », dit Nathalie Ebale, émue. Ces deux femmes célibataires sont lasses de ces procédures administratives sans fin.

Les associations n’ont qu’une revendication – ou presque : plus de moyens financiers aux préfectures afin d’offrir plus de plages horaires. En attendant, la CGT n’hésite pas à donner des conseils aux migrants salariés sans papiers : « Prenez-vous en photos au travail pour constituer un dossier béton! » Vers 16h30, la foule se disperse progressivement. Le mot de la fin sera pour cet homme, en France depuis 5 ans, toujours sans titre de séjour : « On vit ici, on bosse ici, on reste ici. »

Camille Kauffmann