Infractions au confinement : « La peur était forte au début, maintenant c’est passé »

D’après une étude, 60% des Français ont déjà transgressé les règles du nouveau confinement, depuis le 30 octobre. Ces relâchement a un lien avec une accoutumance à la situation sanitaire, d’après le sociologue Albert Ogien.

60% des Français ont indiqué avoir déjà enfreint les règles du confinement. Ludovic Marin / AFP

Ils sont 60% à avoir transgressé les règles de ce deuxième confinement. Que ce soit en utilisant l’attestation à d’autres fins que les déplacements autorisés, pour rejoindre des amis ou de la famille, 6 Français sur 10 ont admis avoir enfreint le confinement au moins une fois depuis le 30 octobre, d’après une enquête* réalisée par l’institut de sondages Ifop. Une proportion qui a augmenté de 27 points depuis le premier confinement, au printemps.

https://twitter.com/IfopOpinion/status/1326854850416680962

Pour Fabio Galeotti, chercheur en économie comportementale au CNRS interrogé par l’AFP, un écart aussi important entre les deux périodes est d’abord lié à des conditions de confinement différentes: Le [premier] confinement était bien plus strict: les écoles étaient fermées, les gens allaient beaucoup moins travailler… Cela aussi fait que la perception du risque était différente de ce qu’elle est maintenant”

Une idée sur laquelle s’accorde Albert Ogien, sociologue spécialisé dans les questions de déviance contacté par le CelsaLab. Selon lui, cette différence de comportement est d’abord liée à une baisse de la crainte d’être contaminé au sein de la population : Au début, il y avait un état de sidération incroyable. La peur était très forte et six mois après, c’est un peu passé. On a intégré la peur, on a beaucoup appris sur le Covid-19, sur sa dangerosité et sa diffusion”.

« L’apprentissage de l’épidémie »

Si l’on peut parler d’une certaine lassitude face aux restrictions depuis le début de la crise sanitaire, Albert Ogien privilégie la notion, moins négative, d’accoutumance. “Pourquoi n’applaudit-on plus les médecins et les personnes qui viennent en aide aux patients atteints par le Covid? Ce sont des choses toutes bêtes, mais en tant que citoyen, on a fait l’apprentissage de ce qu’est l’épidémie”, soutient le sociologue.

Infographie : les chiffres relevés par l’Ifop / Elisa Fernandez

D’après lui, cette accoutumance à la situation sanitaire s’accompagne d’une prise de distance avec la réalité du virus. Si les derniers chiffres font état de 328 nouveaux décès au 11 novembre dans les hôpitaux français, Albert Ogien souligne l’existence, dans une partie de la population, d’une “certaine acceptation de la mort”: “Les choses nous semblent peut-être moins graves maintenant. Les gens semblent avoir mis ça au second plan, font un déni complet ou préfèrent oublier”.

Ce déni, Fabio Galeotti le définit comme la conséquence d’une perception réduite à sa propre expérience: “En général, lorsque vous prenez une décision qui implique un risque (ici, enfreindre les règles et/ou attraper le Covid) vous vous basez sur votre expérience. Vous ne regardez pas les statistiques: vous vous fiez à ce que vous avez vécu”.

Des infractions prévisibles

Pour autant, pour Albert Ogien, ces écarts face aux règles du confinement ne sont pas des signes de désobéissance assumée : “Pour désobéir, il faut refuser d’appliquer cette obligation de manière publique, ouverte, en défiant le pouvoir qui l’a édictée. Toute chose faite de façon clandestine ou cachée, sans s’affirmer publiquement, n’est pas de la désobéissance”

Selon le sociologue, les personnes qui transgressent les règles du confinement tentent simplement de préserver une part de leur liberté. “Ce n’est pas parce qu’on a besoin d’une attestation pour sortir qu’on ne peut pas en faire cinquante dans la même journée. Ce n’est pas étonnant de voir des gens ne pas respecter le cadre normatif”, détaille le sociologue.

D’après une information révélée par Europe 1 le 10 novembre dernier, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a récemment demandé aux préfets de renforcer les contrôles de police. Mais selon Albert Ogien, certains Français pourraient chercher à contourner ce nouveau tour de vis : “Si on met des policiers partout, il y aura forcément un pourcentage plus élevé de personnes qui auront peur de se faire contrôler. Mais les gens feront plus attention et se cacheront davantage”.

Elisa Fernandez

*Enquête réalisée en ligne auprès d’un échantillon représentatif de 2 030 Français âgés de 18 ans et plus (dont un sous-échantillon de 1 094 salariés).

“Il y a des similitudes entre ce que l’on vit et ce que nos ancêtres ont vécu”

Isolation, mise en quarantaine, théories du complot… À différentes époques, on retrouve des similitudes autour de la gestion des épidémies et de la place des malades dans la société. Didier Foucault, docteur en histoire et maître de conférence à l’Université de Toulouse, détaille ces caractéristiques communes à de nombreux épisodes pandémiques.

 

La Peste d’Asdod, Nicolas Poussin, 1630. Musée du Louvre

 

Quelles peurs les épidémies ont-elles pu générer au fil des époques ?

Didier Foucault : On peut prendre comme modèle général celui de la Peste, une des plus grosses épidémies que l’on ait connues depuis la fin du Moyen-Âge. On observe d’abord une crainte parce qu’on apprend que des cas se sont déclarés dans une ville plus ou moins proche. Quand il y avait un danger, la première chose à faire, c’était fermer les portes de la ville. Très souvent, il y a aussi un premier réflexe de fuite, notamment chez les médecins et les responsables municipaux. Ils vont se réfugier à la campagne et s’isoler.

Ensuite, un certain nombre de rumeurs se propageaient. Lorsque la Peste noire s’est développée au 14e siècle, on a par exemple vu des accusations envers des Juifs qui auraient, par malveillance, enduit des poignées de porte avec de la graisse infectée par la Peste. Ces réflexes pouvaient se retourner aussi contre les vagabonds, les pauvres. On les mettait alors en dehors de la ville pour se débarrasser de la maladie.

Comment s’occupait-on des malades ?

D.F. : On les enfermait dans leur maison et on leur interdisait absolument de sortir, pour ne pas propager la maladie. Ensuite, on les extrayait de la maison pour les placer dans des lazarets, des terrains vagues à l’extérieur de la ville dans lesquels on faisait des enclos, des cabanes en bois où on entassait les malades. Le cimetière était très souvent une fosse commune dans laquelle on enterrait des centaines, voire des milliers de morts.

Comment circulait l’information en cas d’épidémie ? 

D.F. : Le cas de Venise est assez intéressant à ce titre. Venise avait des diplomates dans toutes les grandes villes de la Méditerranée. Donc dès qu’il y avait un risque de peste à l’étranger, ils avertissaient par bateaux du danger. Cela permettait aux Vénitiens de prendre des mesures de quarantaine. L’information circulait à la vitesse de l’épidémie. On est aujourd’hui dans un contexte et un univers historique différents, mais il y a quand même beaucoup de similitudes entre ce que l’on vit et ce que nos ancêtres ont pu vivre il y a quelques siècles. 

 

Propos recueillis par Elisa Fernandez

 

Illetrisme numérique : et à l’étranger alors ?

Depuis plusieurs années, l’Europe travaille à rendre Internet et les outils numériques accessibles au plus grand nombre. L’Estonie et le Royaume-Uni se distinguent pour leurs initiatives particulièrement efficaces.

Les Français se situent dans la moyenne, par rapport à leurs voisins européens. Unsplash.

Au sein de l’Union Européenne, la France se situe dans la moyenne. Mais même si depuis les années 2000 l’inclusion au numérique est rentrée dans l’agenda européen,  des différences importantes demeurent. En 2002, puis en 2005, la commission européenne a mis en place des plans baptisés « e-Europe », qui donnent des résultats très différents selon les pays. Parmi les bons élèves européens, on retrouve les pays scandinaves, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Estonie.

Au Royaume-Uni, le pays a fait le choix de développer massivement un réseau d’« espaces numériques publics », qui permettent aux ménages à faibles revenus d’accéder gratuitement à Internet et de bénéficier de formations au numérique. Cette politique est accompagnée par une baisse du prix des abonnements Internet. Les populations défavorisées peuvent ainsi avoir des formations tournées vers un accès à l’ensemble des services publics en ligne. Ce sont près de 3 500 espaces numériques publics qui ont été mis en place au Royaume-Uni.

Quant à l’Estonie, elle a fait le choix du tout-numérique dans les années 1990. Le pays a une politique éducative forte en matière d’informatique. Les banques et les opérateurs de télécom ont aussi apporté leur pierre à la numérisation de la société estonienne. L’Estonie fait en sorte de rendre Internet accessible dans les mairies et les postes, même dans les coins les plus reculés du pays. Le vote numérique à distance ou encore la carte d’identité numérique sont rentrés dans les habitudes des Estoniens.

Parmi les pays les plus à la traîne, on retrouve le Portugal, la Pologne, la Grèce et surtout la Roumanie, où près de 36 pourcents de la population n’a pas de compétences numériques ou bien n’a pas accès à Internet. Dans ces pays, c’est surtout le décalage entre les zones urbaines et les zones rurales qui explique qu’une partie de la population peine encore à avoir accès à Internet et à le maîtriser.

Pauline Paillassa