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L’Assemblée Nationale a voté lundi 16 janvier une proposition de loi qui prévoit la création d’une « aide financière universelle d’urgence » devant permettre aux victimes de violences conjugales de se mettre rapidement à l’abri.
Le texte prévoit le versement d’une aide exceptionnelle d’urgence aux personnes victimes de violences conjugales, après le dépôt d’une plainte ou la délivrance par la justice d’une ordonnance de protection. L’aide sera attribuée par la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) dans un délai de trois à cinq jours, elle prendra la forme d’un prêt sans intérêts ou d’un don, selon les ressources de la victime. Au-delà, la victime pourra bénéficier pendant six mois des droits adossés à l’allocation du revenu de solidarité active (RSA), notamment l’octroi d’une complémentaire solidarité santé et un accompagnement social et professionnel.
Il faut élargir la mesure, soulignent les associations
Globalement, le texte est soutenu par les associations qui accompagnent les femmes victimes de violences. Le dispositif a d’ailleurs été expérimenté dans le département du Nord. Mais derrière l’unanimité apparente, les associations insistent sur la nécessité d’élargir la mesure pour que toutes les victimes puissent réellement se protéger.
La procédure suppose le dépôt d’une plainte, la délivrance d’une ordonnance de protection ou un signalement au procureur, démarches qui constituent des obstacles infranchissables par beaucoup de femmes en détresse, pour lesquelles quitter le domicile signifie se retrouver à la rue sans ressources.
Mais « il y a un certain nombre de femmes qui ne déposent pas plainte, donc il faudrait qu’elles puissent obtenir ces aides par exemple avec une attestation d’une association qui les suit« , propose Mme Brié, à la tête du réseau Solidarité Femmes. « Nous sommes des structures reconnues et financées par les institutions, et garantes du suivi qu’ont pu entamer ces femmes. »
La question de la nature de l’aide a été beaucoup débattue. Alors que le Sénat, à majorité de droite, avait voté le principe d’un prêt à taux zéro, l’Assemblée nationale a élargi cette mesure : il pourra s’agir d’un don si la victime bénéficie de faibles ressources, notamment dans le cas où elle a des enfants à charge. Les critères permettant de définir l’éligibilité à une aide financière sans contrepartie restent à préciser.
« Le titre est un peu trompeur »
» Le titre est un peu trompeur car la proposition de loi parle d’une aide financière d’urgence alors qu’on voit qu’il peut s’agir d’une avance. Ce qui fait qu’à un moment les femmes victimes de violences vont devoir rembourser les conséquences des violences qu’elles ont subies« , soulève Floriane Volt, de la Fondation des Femmes.
Gilles Lazimiest, médecin généraliste, militant à SOS Femmes 93, insiste: « Dans leur situation, les trois quarts des patientes que je vois ne pourront pas rembourser de prêt« . « L’important pour nous« , ajoute François Brié, « c’est qu’il puisse y avoir la possibilité pour certaines femmes de surseoir à ce remboursement. »
Au-delà de l’aide financière, renforcer les conditions d’accueil des femmes qui quittent le domicile conjugal
Pour une majorité de femmes qui quittent précipitamment le domicile conjugal, la première urgence est de trouver un hébergement sécurisé. Les associations sont en première ligne: au-delà de leur capacité d’hébergement, elles peuvent offrir aux victimes une protection, les aider à mettre en place les capacités juridiques comme l’ordonnance de protection, la reprise du contrôle sur le compte en banque, le versement en direct des allocations familiales, l’accès à un logement pérenne avec accès prioritaire et adapté aux ressources.
« Ca progresse« , indique Floriane Volt de la Fondation des Femmes, « depuis 2019, le gouvernement annonce régulièrement la création de nouvelles places ». On compte en France 8.800 places au total aujourd’hui, le chiffre reste très éloigné des besoins estimés à « 15.000 places » l’an dernier par la Fondation. À l’association Solfa, spécialisée dans l’accueil des femmes victimes de violence à Lille, « 284 femmes et leurs enfants ont pu être accueillies dans des structures en 2022. Mais 515 n’ont pas pu obtenir d’hébergement, précise Mélanie Allard, cheffe de service.
Pour aller plus loin:
Violences conjugales : le manque de places d’hébergement de nouveau épinglé
Une loi de programmation pour une réforme en profondeur
Enfin, la proposition de loi crée une loi de programmation quinquennale portant sur la lutte contre les violences faites aux femmes, qui fixerait des objectifs et des moyens financiers. Reste à bâtir, il y a urgence tweete la Fédération Nationale des Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CNCIDFF)
Justement une loi de programmation pluriannuelle (qui détermine donc sur plusieurs années les financements dédiés à la lutte contre les violences) permettrait d’aller encore plus loin afin de lutter contre l’impunité des auteurs et de protéger les victimes
— FNCIDFF (@FNCIDFF) January 18, 2023
Si, depuis le Grenelle des violences conjugales, les dépôts de plainte ont été facilités, et des policiers et des magistrats formés, il reste à garantir que les plaignantes soient écoutées et protégées.Et à redoubler d’efforts sur la prévention par l’éducation.
Cette aide d’urgence, inspirée par l’expérience des associations de lutte contre les violences conjugales, constitue une avancée dans un domaine où il reste encore beaucoup à faire. On assiste à un changement de paradigme: les violences ne sont plus considérées comme des faits individuels, les parlementaires reconnaissent le phénomène massif du fléau des violences conjugales.