Au procès de Rédoine Faïd, les téléphones de la discorde
Le procès de Rédoine Faïd et onze autres accusés se poursuit à la cour d’assises de Paris. Dans une ambiance soporifique devenue survoltée, les jurés ont examiné la téléphonie, élément susceptible d’établir la complicité des accusés.
« Est-ce que vous pouvez simplement définir une borne ? » Après plus de cinq heures assommantes d’études de relevés téléphoniques, le jeune avocat de la défense, Stéphane Nicolaï se lève pour prendre la parole. Il est bientôt 16 heures, la salle est quasi comble. La matinée ainsi que le président ont vu défiler les détails méticuleux des achats et bornages des téléphones de Rédoine Faïd et de ses complices, dans les jours précédant et suivant son évasion, le 1er juillet 2018 du centre pénitentiaire de Réau (Seine-et-Marne). Un travail pour le moins fastidieux réalisé par les deux policiers et enquêteurs François-Xavier Aqua et Benjamin Lepache, présents à la barre.
Venus sans leurs notes – une prouesse que ne manque pas de souligner la défense – les enquêteurs ont détaillé le casse-tête des différentes lignes de téléphone ainsi que leur utilisation, ne manquant pas de répandre la confusion. « Je salue le fait que vous soyez à la barre sans notes pour parler de faits vieux de cinq ans, réitère la défense, mais pourriez-vous indiquer les numéros de fin de chaque ligne ? Parce qu’à force d’entendre que telle ligne a rappelé telle ligne depuis cette ligne, on s’y perd ! » En somme, les deux policiers étayent l’hypothèse – aux allures d’affirmation – que Cheikh Amza, un des accusés, aurait utilisé un téléphone « ancienne génération » pour pouvoir convenir du lieu et de l’heure où récupérer le Kangoo, utilisé dans la fuite du « roi de la belle ».
De la précision des bornes
Ce qui fait de la question des bornes téléphoniques et de leur précision un enjeu capital sur la mise en cause de l’accusé. « Est-ce que ces bornes sont d’une précision chirurgicale à l’instar de coordonnées GPS d’un endroit où l’on devrait se rendre, ou désignent-elles une zone ? », reformule son avocat. « Selon chaque borne, le rayon peut varier d’une centaine de mètre. Voire deux kilomètres », répond posément Benjamin Lepache. « Car pour une ville plus rurale, comme celle de Thiverny où habite Cheikh Amza, les bornes couvrent des périmètres plus importants. »
Les deux hommes semblent s’accorder sur ce point – mais la défense charge : « Donc lorsque vous évoquez des facturations détaillées, vous exagérez ? », s’amuse Stéphane Nicolaï, mentionnant les adresses précises où aurait borné le téléphone de son client. « Quand vous partez de rien… », rétorque l’enquêteur. « Dans ce dossier figurent des adresses qui correspondent à des bornes qui couvrent plusieurs centaines de mètres », affirme-t-il. « Ou kilomètres ».
L’échange se tend; le président s’énerve, crie qu’elle n’entend rien, et que les jurés non plus d’ailleurs. La défense a visiblement épluché des centaines de lignes de facturation pour aboutir à la conclusion que, là où les enquêteurs assurent que le téléphone mobile de Cheick Amza est resté inactif pendant de nombreuses heures – lui laissant donc le temps d’aller chercher le Kangoo à Isneauville, en Seine-Maritime -, l’appareil a en réalité borné plusieurs fois. « Une erreur », répond platement l’enquêteur, accoudé à la barre; le second avocat de la défense tempête en pointant une « faute plus que fâcheuse ».
Inactivité à géographie variable
« Vous avez un malfaiteur supposé avec les relevés de son smartphone et toute la data, dont on ne tient pas compte dans les procès verbaux ? », s’étrangle Stéphane Nicolaï. Un long silence lui répond. « Parce que cela aurait signifié qu’il y avait un doute ! Il n’y aurait plus eu manière de verrouiller une culpabilité. » Et d’ajouter : « Dans la journée du 9 juin 2018, vous dites qu’il n’y a eu aucune activité entre 10h31 et 18h39. Lorsque vous écrivez cela et que vous dites que le téléphone était inactif, il est évident que tout le monde comprend que le téléphone est posé et que personne ne l’utilise. »
Or, des appels comme messages, entrants comme sortants, sont relevés à 11h18, 11h46, 12h32, 12h38, ou encore 15h54. Même constat pour la journée du 28 mai 2018, où l’accusé est censé être à 40 kilomètres de chez lui. « Cela dépend de qui a le téléphone », tente Benjamin Lepache. La défense assure également que des coupures sur le réseau Bouygues ont été enregistrées plusieurs fois aux mois cités. « Si vous m’informez de difficultés réseau, j’en prends acte », répond l’enquêteur. Le président, très à charge, fustige ces nouveaux éléments qui n’auraient pas été amenés au dossier.
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« Le 16 juin 2018 », continue, imperturbable, la défense, « vous signalez une inactivité, soit aucun message ou appel reçu ou émis, entre 1h52 et 20h17. Ce qui est compatible avec votre hypothèse de travail qui est : mon client est à Thiverny dans le cadre de la préparation de l’évasion et va chercher le Kangoo. Mais son téléphone borne à Creil, à 16h52, à son domicile. Il avait déjà borné à 1h56, 1h57… » Heure par heure, l’avocat de la défense défait avec fougue toutes les conclusions des enquêteurs, qui plaident des mises à jour automatiques. Le président finit par s’emporter tout à fait; dans un chaos de chiffres et de lettres, l’audience est suspendue.
Lise Tavelet
La CEDH rejette la demande du plus ancien assigné à résidence de France
Kamel Daoudi est assigné à résidence depuis 14 ans, et sa requête à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a été rejeté jeudi 14 septembre 2023. En cause : l’homme de 49 ans n’a pas encore épuisé tous les recours possibles de la justice française.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rejeté jeudi la requête de Kamel Daoudi, qui dénonçait son assignation à résidence depuis 2008. Cet Algérien de 49 ans n’a pas épuisé l’ensemble des recours auprès de la justice française. Or, c’est l’une des conditions pour saisir le bras judiciaire du Conseil de l’Europe, qui rassemble 46 pays du continent
La Cour « déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable » et la « rejette (…) pour non-épuisement des voies de recours internes », indique dans un communiqué la juridiction basée à Strasbourg, une décision « définitive ».
Soupçonné d’avoir préparé un attentat
Kamel Daoudi avait été condamné en 2005 en appel à six ans de prison et à une interdiction définitive du territoire pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et avait été déchu de sa nationalité française. Membre présumé d’un groupe islamiste affilié à Al-Qaïda, il était soupçonné d’avoir préparé un attentat contre l’ambassade des États-Unis à Paris en 2001.
En 2009, la CEDH avait toutefois interdit son expulsion en raison du risque de torture en Algérie, pays qu’il avait quitté à l’âge de cinq ans. Cet ex-ingénieur informaticien, qui ne peut donc être ni expulsé, ni régularisé, a été assigné depuis avril 2008 à sa sortie de prison dans la Creuse, la Haute-Marne, le Tarn, la Charente-Maritime et le Cantal.
14 ans d’assignation à résidence
Il « fut astreint à se présenter deux à quatre fois par jour auprès des forces de l’ordre » et contraint de « respecter un couvre-feu nocturne à compter du 24 novembre 2016 », selon la CEDH. Il présenta plusieurs recours pour « excès de pouvoir » mais fut à chaque fois débouté.
« On bat tous les records. Cela fait plus de 14 ans qu’il est assigné à résidence. M. Daoudi a dû pointer 14 ou 15.000 fois. Qui pourrait encore survivre à un tel traitement? », a dénoncé jeudi sur France Inter son avocat, Emmanuel Daoud, avant la publication de l’arrêt.
« Il ne peut rien faire, il est emprisonné à ciel ouvert et dans un état d’assistanat permanent, sans pouvoir pourvoir aux besoins essentiels de sa famille », avait ajouté le conseil dont le client, marié à une Française, est père de quatre enfants français résidant dans le Tarn.
Des procédures françaises encore possibles avant les européennes
Il dénonçait notamment devant la CEDH les modalités de son assignation dans lesquelles il voyait « une mesure privative de liberté » qui violait l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention européenne des droits de l’homme. Il se plaignait aussi d’avoir été séparé de ses proches et critiquait l’équité des procédures engagées devant le juge administratif.
Mais, comme le souligne la Cour, « le requérant n’a pas formé de pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 5 novembre 2019 ». Par ailleurs, « son pourvoi contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 6 avril 2023 est actuellement pendant devant le Conseil d’Etat ».
« Selon une jurisprudence constante, le recours pour excès de pouvoir est en principe une voie de recours à épuiser, la procédure devant être menée jusqu’au juge de cassation », justifie la CEDH, selon laquelle « aucune raison ou circonstances particulières ne dispensaient le requérant de se pourvoir en cassation ».
Avec AFP
Les cyberharceleurs du Tiktokeur Benjamin Ledig reconnus coupables
Les dix personnes accusées d’avoir participé au cyberharcèlement de l’influenceur Benjamin Ledig ont été jugées coupables. L’un des prévenus est condamné à quatre mois de prison avec sursis et le reste à des travaux d’intérêt général. Ils doivent aussi verser 8000 euros au Tiktokeur pour réparer le « préjudice moral » causé.
Un seul des dix prévenus était présent lors du verdict mais tous sont jugés coupables. Ce mercredi 13 septembre, le tribunal rendait sa décision concernant le harcèlement en ligne subi par le Tiktokeur Benjamin Ledig. Les dix prévenus, âgés de 19 à 43 ans, ont été reconnus coupables pour « des faits de harcèlement responsables de la dégradation des conditions de vie du plaignant » et « d’une incapacité au travail ». Une décision dont l’avocat de l’influenceur, Me Alexandre Bigot Joly, se dit « satisfait » : « À ma connaissance, c’est la première fois qu’il y a condamnation pour des faits de « doxing » donc c’est plutôt une bonne chose ». Répandu sur les réseaux sociaux, le « doxing » est un type de cyberharcèlement qui consiste à divulguer les données personnelles d’un individu dans le but de lui nuire.
Des peines de quatre à six mois de prison avec sursis avaient été requises par la procureure lors du procès qui s’était déroulé le 24 mai dernier. Neuf des prévenus écopent de travaux d’intérêt général et le dernier d’une peine de prison avec quatre mois de sursis. L’ensemble des prévenus doit aussi verser 8000 euros à Benjamin Ledig en guise de dommages et intérêts pour réparer le préjudice moral causé. Contrairement à la dernière audience, Benjamin Ledig n’était pas présent pour entendre la décision rendue : « Il n’était pas là parce que le dernier procès avait été intense émotionnellement », confie Me Bigot Joly. Il était accompagné de Me Raphaël Molina, avec qui il a co-fondé Influxio, un cabinet d’avocats visant à accompagner les influenceurs de manière juridique : « On espère que ça fera jurisprudence pour la suite », renchérit-il.
Des vidéos jugées blasphématoires
Mercredi 26 février 2022, une vidéo de Benjamin Ledig, un jeune Alsacien âgé alors de 18 ans, était devenue virale. Il se filmait avec un ami en crop-top en train de twerker (danser en ondulant son postérieur) dans l’église Saint-Paul Saint-Louis, une église du 4 ème arrondissement de Paris. Publiée sur Tiktok, cette vidéo avait été jugée blasphématoire et avait provoqué une polémique sur les réseaux sociaux. Benjamin Ledig s’était alors défendu de dénoncer l’homophobie de l’Église. Il avait ensuite publié une autre vidéo dans laquelle il utilisait le Coran pour nettoyer sa fenêtre ou pour caler un meuble. Durant l’année 2022, l’influenceur avait reçu une centaine de milliers de messages d’insultes et de menaces de mort comme l’explique 20 Minutes. Suite à la plainte du curé de l’église Saint-Paul Saint-Louis, Benjamin Ledig avait été reconnu coupable de « préjudice moral » par le tribunal judiciaire de Paris et avait dû verser 2500 euros de réparation à ce titre.