Réchauffement : les vignes voient rouge

Les vignerons bordelais ont commencé à changer leurs pratiques pour faire face au réchauffement climatique. Le vin de demain n’aura pas grand chose à voir avec celui d’aujourd’hui.

 

« Moi c’est certain, j’arrête le merlot ». La famille de Sylvie Milhard-Bessard produit du vin de Bordeaux depuis cinq générations. Propriétaire du château Vieux Mougnac, à quelques kilomètres de Saint-Émilion, elle a décidé d’arrêter de planter le cépage emblématique de la région. Après une année 2017 sans récolte et une année 2018 réduite à 20% de fruits vendangés, la sexagénaire a décidé de s’adapter. Pour elle, comme pour beaucoup de ses confrères, le dérèglement climatique en est responsable.

 

L’état des vignes témoigne de la chaleur importante qui règne sur l’île Margaux. (Y.H)

Le constat des climatologues est formel, la Terre se réchauffe. Leurs projections frappent les esprits : ils prévoient une météo andalouse, à Bordeaux. Les températures ont déjà augmenté, de 0,8°C en moyenne, depuis le XIXe siècle. Et les prévisions tablent sur une intensification du phénomène. Les experts du Giec attendent des pics de chaleur au-delà de 50°C l’été, dès 2050 dans l’est de la France.
Le principal effet de la hausse des températures s’observe avec l’avancement de tous les stades du développement de la vigne. Cette année, Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomique (Inra), perçoit déjà une quinzaine de jours d’avance dans la pousse des vignobles, par rapport aux années 1990. « Les hivers étant moins froids, la maturation commence plus tôt. Dans toutes les régions, on mesure une précocité accrue des dates de vendanges. Or, récolter le raisin en août présente des risques d’oxydation. »

Y.H. Sources : Inter-Rhône – ENITA – INRA – Vitiblog.fr 

Si l’augmentation de la température est le problème numéro un, d’autres dérèglements l’accompagnent. Le régime pluviométrique notamment. « On observe une baisse globale des précipitations dans le Sud », constate le chercheur. Docteur en agronomie, il s’est spécialisé dans l’étude de la vigne sous l’effet du réchauffement climatique. « La concentration des pluies sur l’automne et le printemps engendre des sécheresses estivales plus marquées. Il y a aussi une plus grande variabilité de la météo entre les années, et au sein même des années. De surcroît, on dénombre des évènements extrêmes plus fréquents. »

-25 % de rendement dans le sud

Les apports en eau diminuent alors que les besoins des vignes augmentent. La plante transpire davantage sous une météo chaude et sèche. Sans cette ressource, les agriculteurs observent des phénomènes de stress hydriques et de carences en eau, qui ont un impact sur la qualité du fruit. Les grains sont plus petits, les concentrations plus élevées, et les rendements baissent. Une diminution de production supérieure à 25 % a été constatée par l’Inra dans le Sud en 2017.

Plus d’alcool, moins d’acidité

L.B

Les viticulteurs subissent déjà les premières conséquences du changement climatique. « L’été dernier, on a ramassé du 14 degré d’alcool ! » Sylvie Milhard-Bessard a du mal à s’y résoudre, le taux d’alcool de ses vins augmente. Se pose un problème d’équilibre gustatif, et de respect des règlementations (l’AOC Bordeaux impose un taux d’alcool inférieur à 13,5%). « Du temps de mes parents, on atteignait toujours environ 12,5%. Mais là ça s’aggrave de plus en plus. Et encore, moi ce n’est rien, je suis en bio et on a toujours pris soin du sol. Mais j’ai des collègues, en conventionnel, qui ont ramassé du 17% ! » La raison est chimique : plus une vigne est exposée au soleil, plus un vin sera alcoolisé – du fait de l’augmentation du taux de sucre dans les raisins. Alors l’été exceptionnel de 2018, deuxième plus chaud depuis 1900, a marqué les esprits. Plus de 14% en moyenne ont été relevés en Languedoc ; il y a trente ans les compteurs affichaient plutôt 11%.
Constat inverse pour l’acidité : elle diminue avec les fortes chaleurs. « Les températures élevées dégradent les acides, dont l’acide malique. C’est un problème qui impacte les vins blancs d’Alsace notamment, pour lesquels l’acidité est une caractéristique importante », explique Jean-Marc Touzard. Même difficulté pour les Pomerols du Sud-Ouest. Sylvie Milhard-Bessard s’inquiète pour cette appellation. « Si on ne mélangeait pas les dernières récoles avec celles d’autres années, on manquerait d’acidité. Et sans acidité, il y a un problème de conservation, on ne fait plus des vins de garde ».
Les grandes chaleurs empêchent également le développement de certains arômes. Les notes de fruits rouges sont les premières à disparaître . Plus le thermomètre augmente, plus les vins tendent vers des saveurs concentrées et confiturées.
Enfin, les radiations du soleil dégradent les anthocyanes – pigments qui donnent leurs couleurs aux raisins. Il y aurait donc aussi un éclaircissement des vins rouges.

S’adapter pour subsister

La question de la survie de l’excellence vinicole française se pose. Et si le troisième secteur d’exportation national était menacé ? Loin de se résigner, les vignerons ont commencé à s’adapter.

« Cela fait plus de dix ans que nous avons planté de la Syrah [un cépage originaire des côtes du Rhône, NDLR]. Il s’adapte très bien à notre climat et garde beaucoup de fraîcheur », commente Marie Courselle, co-gérante des vignobles Courselle, en Gironde. Mais ce vin ne peut prétendre à l’appellation d’origine contrôlé (AOC) ; le Syrah ne figurant pas dans le cahier des charges, les bouteilles ne portent pas la mention « Bordeaux ». Avec les changements de cépages, la carte des vins va certainement évoluer. « Dans le Sud, les viticulteurs vont sûrement laisser tomber le cabernet sauvignon ou le merlot, prédit Jean-Marc Touzard. Ils venaient de régions plus nordiques et se montrent assez fragiles. » Une des solutions serait d’importer des cépages plus adaptés au nouveau climat ; des variétés venues de régions plus chaudes (comme l’Italie ou la Grèce), ou bien même de revenir à des espèces plus anciennes, y compris certaines qui étaient déjà cultivées en France, mais qui avaient été abandonnées. « À l’Inra nous possédons un conservatoire génétique d’environ 5 000 cépages différents, signale le chercheur. Nous pratiquons aussi des créations variétales, par croisement et hybridation – pas par OGM. On met au point des plants à maturation plus tardive, qui produisent moins de sucre, sont plus résistants aux maladies et à la sécheresse ».

Les vignes du domaine Vieux Mougnac s’étendent sur plusieurs dizaines d’hectares mais pour combien de temps encore ? (L.B)

Outre le changement de vigne, les agronomes recommandent aux viticulteurs d’adapter leurs pratiques. Le domaine de la famille Courselle a par exemple modifié ses techniques de taille des branchages. « Nous ne faisons plus d’effeuillage sur les cépages blancs et nous le faisons beaucoup plus tardivement pour nos merlots », explique la patronne. Ainsi, la vigne se fait de l’ombre à elle-même ; une manière de prévenir les maturités précoces.

D’autres laissent pousser des herbes entre les rangées de pieds. Le but est de former un « couvercle humide » lors des périodes sèches. Si les cultivateurs bio ont adopté la pratique depuis longtemps, les agriculteurs conventionnels sont pointés du doigt pour leur recours au glyphosate. Le désherbage est souvent réalisé afin de maximiser les ressources disponibles pour la vigne. Mais l’humidité devient un enjeu prioritaire par rapport à la concurrence végétale. Notamment parce que les substrats peuvent être enrichis. « Nous apportons beaucoup de matières organiques dans notre terre. Par exemple, nous incorporons des composts végétaux. Nous plantons aussi des crucifères dans les rangs [des plantes qui retiennent certains éléments dans le sol, dont l’azote, aliment des plantes, NDLR] », rapporte Marie Courselle.

La localisation des parcelles jouera un rôle déterminant à l’avenir. (Y.H)

Parmi les solutions les plus radicales : la possibilité de relocaliser des parcelles. « La gestion du vignoble dans le terroir est un élément important de l’adaptation, précise Jean-Marc Touzard. Les cultures pourraient gagner en altitude, changer d’exposition, peut-être plus au nord, ou dans des sols plus profonds pour capter davantage de réserves en eau. » Encore faut-il que la règlementation suive l’évolution des professionnels. Les cahiers des charges des AOC empêchent, pour l’instant, tout changement de cépage, de terroir ou de composition.

« On continuera de cultiver de la vigne dans tous les terroirs jusqu’en 2050 »

Les professionnels sont à un moment clé de leur évolution. Il leur faut faire des choix qui détermineront l’avenir de leurs domaines. « Il n’y a pas de remède miracle, prévient le scientifique. Certains viticulteurs misent tout sur une adaptation. Mais on voit bien que ce n’est pas comme cela qu’on réussira. L’avenir va se jouer sur des combinaisons subtiles d’ajustements ».

L.B

Malgré tout, Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à l’Inra, tire une conclusion rassurante. Du moins pour les trente prochaines années. « On continuera de cultiver de la vigne dans tous les terroirs jusqu’en 2050. » Et après ? « 2050 est un moment où il y a une grande divergence dans l’évolution du climat selon nos émissions. Si on continue à accroître les rejets de gaz à effet de serre, comme c’est le cas depuis trois ans, y compris en France, on se positionne sur une augmentation très forte de la température. »

 

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Avec des émissions de CO2 incontrôlées, l’agronome est moins optimiste. « Sans changement dans les toutes prochaines années, on s’engagerait dans une aventure climatique folle, dans laquelle il deviendrait quasiment impossible de faire de la vigne.» Fragilité oblige, le vin perdrait son caractère artisanal pour devenir un produit purement industriel. Ce que refuse Sylvie Milhard-Bessard. « Si je dois réduire mon vignoble à 2 hectares pour avoir le temps de m’en occuper, je le ferai. Hors de question de rogner sur la qualité ».

 

Lise Boulesteix – Yann Haefele

 

Pour séduire les jeunes, il faut changer le storytelling européen

Seuls 29% des Français pensent encore à l’Union Européenne avec “espoir” selon un récent sondage Odoxa. Qu’en est-il des jeunes ? À quelques semaines du scrutin européen, une génération divisée entre pro-Europe et souverainistes s’éveille.

L’association Jeunes européens France organise des journées de sensibilisation à la question européenne, comme ici, à Bobigny, le 12 avril 2019.

Monsieur le Président, merci de me donner la parole ». Non, la personne au micro n’est pas un député européen au parlement de Strasbourg, mais Bakary, 15 ans, élève de troisième au collège Georges Brassens de Sevran (Seine-Saint-Denis). Vendredi 12 avril, à la préfecture de Bobigny, réunis autour de l’eurodéputé Alain Lamassoure (Parti Populaire Européen – centre droit) une cinquantaine de jeunes ont participé à une simulation d’un sommet européen et expérimenté le rôle de la Commission européenne le temps d’une journée.

 

Pour Hervé Moritz, président de l’association Jeunes européens France, à l’initiative de cette journée, il s’agit tout d’abord de faire prendre conscience aux jeunes du rôle des institutions, parfois compliqué, souvent opaque. « C’est important d’avoir ces différents temps d’éveil à la citoyenneté européenne ». La journée est divisée en deux temps : le matin, ils se sont répartis en quatre commissions parlementaires : glyphosate, minerais de sang mais aussi huile de palme et vêtements “low-cost”. L’après-midi, ils ont défendu leurs propositions de loi lors d’une assemblée plénière dirigée par Alain Lamassoure. « Règle numéro 1 : c’est moi qui donne la parole et qui la reprend » lance l’eurodéputé, mi-sérieux, mi-amusé, alors que les jeunes jouent avec les micros. Sur les tables organisées en arc de cercle, des étiquettes indiquent dans quels partis se trouvent les députés.

À Bobigny, vendredi 12 avril, à l’issue de chaque débat, les apprentis eurodéputés devaient voter pour ou contre les propositions de leurs collègues.

 

“Parler aux jeunes est indispensable”

« La séance est ouverte » clame Alain Lamassoure en tapotant sur son micro. Chacun à leur tour, les rapporteurs présentent les propositions, les détracteurs argumentent. Ils sont timides, le moment est impressionnant. Pourtant les élèves prennent leur rôle très à cœur, et leurs propositions sont rigoureuses, et inspirées. Lors des votes, c’est toujours un peu décousu. Certains élèves votent en fonction du parti qu’ils représentent tandis que d’autres, plus fougueux, oublient leur rôle et font un vote de cœur. « Mais baisse ton carton, toi tu dois voter contre ! « lance une élève à l’un de ses “collègues”.

 

À la fin de la séance, Alain Lamassoure les félicite. « Je ne m’attendais pas à une telle mesure dans vos propos. Je suis épaté de voir la clarté de vos propositions ». Il prend le temps de leur expliquer les propositions votées à la Commission qui ressemblent aux leurs. Les élèves s’en réjouissent.  « Maintenant je comprends mieux et ça m’intéresse » lance l’un d’eux à la sortie. Pour l’eurodéputé, la tâche est importante. « On peine à parler aux jeunes. Bien sûr, on leur met toujours sous le nez le système Erasmus, mais c’est aussi lors de journées comme celle-ci que les choses se jouent. Parler aux jeunes, c’est indispensable ».

L’Europe de Klapisch VS l’Europe Marvel

Effectivement, l’UE paraît parfois lointaine. Alors qu’au printemps dernier, 61% des 15-24 ans se disaient attachés à l’Union européenne, selon un Eurobaromètre, aujourd’hui la tendance s’inverse. La cause ? Le sentiment d’une Europe acquise, mais lointaine. Beaucoup de jeunes ne savent pas concrètement ce que l’Europe fait pour eux. C’est le cas d’Eva, Ilona et Emma, étudiantes en deuxième année de lettres modernes à la Sorbonne Nouvelle (Paris 3). Pour Eva, c’est surtout le Brexit qui l’a poussée à s’informer sur la question européenne. « Je ne pensais pas qu’un pays puisse demander à sortir de l’UE, quand on sait que beaucoup d’autres, comme la Turquie, se battent pour y rentrer ».Toutes les trois expliquent le désintérêt de la jeunesse pour le scrutin européen par un manque de médiatisation et une absence de transparence dans les discours.

Une autre cause émerge, selon Matthieu Amaré, directeur de la rédaction française de Cafébabel, un média européen fait par et pour les jeunes : une vision duale de la politique française et européenne. Ces deux approches opposées sont le résultat d’une mythologie européenne née avec la crise économique. « En 2008, alors que des jeunes entraient sur le marché du travail, alors qu’ils essayaient de vivre une Europe “cool”, ils se sont rendus compte en allumant la télé ou leur radio qu’on faisait porter le chapeau à nos institutions européennes ». C’est selon lui dans cette mesure qu’une génération de jeunes européens angoissés a pu se construire, se détournant de l’Union.

Eva, Ilona et Emma, étudiantes à la Nouvelle Sorbonne (Paris 3), avouent avoir conscience de l’importance de la question européenne, sans parvenir à y comprendre tous les enjeux.

Ainsi, deux Europes s’opposent : une antérieure à 2008 et une postérieure. Une Europe insouciante et heureuse, celle que Cédric Klapisch montrait dans son film “L’auberge espagnole”, opposée à une Europe digne d’un Marvel, où les bons et les méchants se battent. Il revient à ce titre sur la portée narrative de la crise de 2008 auprès des jeunes. « On a un ministre des finances allemand, sur une chaise roulante – Wolfgang Schäuble, ndlr – dépeint comme le méchant de l’histoire, à côté de ça il y a Yanis Varoufakis qui arrive comme le super-héros avec sa moto pour sauver les gens. On est en plein Marvel. Forcément pour les jeunes, ça monte à la tête ». Au milieu de cette bataille européenne, les jeunes se divisent entre eurosceptiques et europhiles, comme s’il s’agissait d’un combat entre le bien et le mal. Dans les faits, comment s’exprime cette division ?

 

À 22 ans, Irénée Dupont, étudiant en master de commerce à Audencia (Nantes), a choisi son camp. Il votera pour François Asselineau le 26 mai, le seul candidat qui demande ouvertement le Frexit. Comment explique-t-il son opinion politique ? L’étudiant, parallèlement inscrit en master 2 d’Histoire à la Sorbonne, évoque un virage eurosceptique récent. « J’étais très pro-Europe avant. Courant 2017, beaucoup de critiques sont sorties sur l’Union européenne et les langues se sont déliées. Dans ma famille il y a des frexiters et au début,  assez naturellement, j’étais contre ces idées. Puis je me suis renseigné sur la question ». C’est notamment Etienne Chouard, l’un des penseurs du mouvement des Gilets jaunes, qui a inspiré Irénée. Dans ses lectures, on retrouve aussi Murray Bookchin, un sociologue américain qui, s’il ne parle pas directement de l’Europe, remet en cause les institutions supranationales pour leur caractère anti-démocratique. Père de l’écologie sociale, anarchiste de la première heure, cette référence semble étrange chez un jeune souverainiste. Et pourtant.

C’est en effet le caractère anti-démocratique par essence de l’Union européenne qui pousse Irénée à demander une sortie de la France de l’Union. « L’Union européenne est supranationale et non pas internationale. Il faut quand même se rendre compte que les gens qui dirigent l’Union à la Commission sont des gens nommés et non pas élus, et ça, c’est profondément antidémocratique ». Les arguments du jeune homme feraient le bonheur de Charles de Gaulle. Pour Irénée, la politique française a été dévoyée à partir du moment où elle a déléguée – toujours de façon non démocratique – autant de pouvoir à la construction européenne. Et cette supranationalité ne correspond pas à la « vocation universaliste et souveraine de la France dans le monde ».

 

L’Europe, “une colocation à 28” impossible.

Irénée n’est pas seul dans son cas. Du côté de Bois-Colombes, (Hauts-de-Seine) Gwenhaël Jaouen, 25 ans, a une opinion similaire. Le 26 mai prochain son vote ira lui aussi chez François Asselineau. « Je ne suis pas eurosceptique, je ne suis pas souverainiste, je ne suis pas populiste, je suis simplement anti-Union européenne et patriote”, précise-t-il. “Pour être patriote, il faut être anti-Union européenne, pas le choix ».

Gwenhael, 25 ans, se méfie de l’Europe. Il lui reproche de priver les 27 pays de l’UE de leur souveraineté. « L’Europe est dangereuse », dit-il.

Qu’est-ce qui rassemble ces deux jeunes ? L’Union Européenne vue comme une dictature. Absence de séparation des pouvoirs, propagande… les arguments se ressemblent. Le raisonnement de Gwenhaël Jaouen est limpide. « Je fais souvent la comparaison entre l’UE et une colocation. Une coloc à deux, trois ou quatre, ça va, mais une coloc à 28, c’est simplement impossible de parvenir à des décisions importantes, ça ne peut pas fonctionner ».

Que répondre à tout cela ? Cécile Bialot, 23 ans, et fraîchement élue présidente de l’association étudiante Eurosorbonne, rejette le discours identitaire des souverainistes. « Ils accusent les institutions européennes de retirer aux nations leur souveraineté, d’être anti-démocratiques. « Mais quelle est la définition de la liberté pour ces gens qui accusent l’Europe d’être liberticide ? La démocratie la plus directe qui existe en Europe, c’est celle du Parlement à Strasbourg, où l’on vote à la proportionnelle » souligne la jeune femme.

De son côté, Jeanne Saliou, étudiante en master d’Affaires Européennes à Sciences-Po Paris se dit « profondément européenne ». Pour cette jeune femme de 21 ans, il existe un socle culturel européen. « Je me suis jamais posé la question d’une Europe politique. Pour moi c’est une communauté citoyenne ». Si elle n’est pas militante politique, Jeanne Saliou défend l’Europe dans une association de son école. Aux arguments eurosceptiques, d’un Bruxelles isolé qui prendrait toutes les décisions dans son coin, elle répond sans ménagement. « C’est facile de partir fleur au fusil pour aller négocier des lois à Bruxelles et de revenir bredouille en disant “c’est l’Union Européenne qui n’a pas voulu” mais l’Union c’est quoi ? C’est les 28 États membres. Donc il faut faire des compromis ».

Un mal français ?

Cette vision de Bruxelles perché dans sa tour d’ivoire concentre les arguments des jeunes pro et anti Europe. Pour Matthieu Amaré, Bruxelles est vu comme le Mordor, le territoire de Sauron – en référence à la trilogie de J.R. Tolkien, Le Seigneur des Anneaux. Et Jeanne Saliou admet que l’opacité des institutions et de leur fonctionnement pose problème. « C’est un monstre bureaucratique, mais compliqué ne veut pas dire inaccessible. Il y a certainement un enjeu pédagogique à mettre en avant ».

Léo-Paul, 22 ans, est étudiant en études européennes et membre de l’association Eurosorbonne. Selon lui, entre mauvaise communication et démocratie directe, l’UE « a le cul entre deux chaises ».

Pour Matthieu Amaré, cet enjeu pédagogique envers les jeunes ne doit pas être le seul fait de l’Europe. « Reprocher à l’Europe de ne pas s’adresser aux jeunes c’est un peu rapide. Il faut aussi regarder si nos gouvernements s’adressent aux jeunes. Est-ce que Macron le fait vraiment ? Je ne sais pas ». Et pour cause : le discours politique destiné aux jeunes est sans doute l’exercice le plus difficile. Il y a toujours le risque d’être à côté de la plaque. « Aujourd’hui les conseillers politiques sont plutôt rajeunissants. Ils disent aux politiques de faire attention quand ils parlent aux jeunes. Mais finalement, pour ne pas prendre de risque, ils arrêtent tout simplement de leur parler » explique Matthieu Amaré. Se détourner des jeunes au sujet de l’Europe serait-il un mal spécifiquement français ?

 

Pour Jean-Baptiste Horhant, 22 ans, tout juste sorti de son master d’études européennes à Strasbourg, ce mal trouve son origine dans les livres d’histoire. « L’enseignement n’est pas vraiment tourné vers l’Europe, ou bien juste dans les faits historiques. On apprend aux élèves la date de 1951 puis les dates des grands traités juste comme ça, sans aucun suivi, sans les impliquer dans le temps actuel. Forcément, c’est compliqué de s’y intéresser quand on ne voit pas en quoi ça nous concerne ».

C’est sans compter sur le discours politique français à l’égard de l’Europe. En France, le scrutin du 26 mai est devenu une élection intermédiaire. C’est en substance ce que la tête de liste La France Insoumise, Manon Aubry, a dit au micro de France Info le 12 avril dernier. « Ce sera l’occasion de sanctionner la politique menée par Emmanuel Macron ». Même son de cloche au Rassemblement National.

 

Comment redresser la barre ?

 

Et si on insistait sur ce que l’Europe a fait en matière de libertés fondamentales ? La liberté et la protection des jeunes européens en matière de données par rapport aux jeunes chinois ou américains, c’est dingue ! C’est un texte fondamental pour l’UE et qui en parle ?

Pourtant, les efforts sont là, même minces. La campagne européenne “#Cettefoisjevote” se mobilise pour faire voter les jeunes. Le compte Instagram du Parlement Européen affiche 182 000 abonnés et les publications sont clairement à destination d’un jeune public. On pense notamment à la campagne “What Europe does for me”, qui explique aux jeunes ce que l’Union fait pour eux. Les codes actuels de la communication sont respectés, l’ambition est là, et pourtant, c’est comme si l’Europe n’arrivait pas à se mettre en valeur.

 

Une chose apparaît comme une évidence : il faut changer le storytelling européen. La génération de Jordan Bardella, Manon Aubry et François-Xavier Bellamy, qui ont respectivement 23, 27 et 33 ans, a changé de discours depuis le Traité de Lisbonne. Pourquoi ? Parce que Lisbonne est pour eux une trahison après le référendum de 2005. Matthieu Amaré se demande alors si l’Europe n’aurait pas autre chose à raconter. « Et si on insistait sur ce que l’Europe a fait en matière de libertés fondamentales ? La liberté et la protection des jeunes européens en matière de données par rapport aux jeunes chinois ou américains, c’est dingue ! C’est un texte fondamental pour l’UE et qui en parle ? «  Une troisième voie se dessine : il faut « raconter l’Europe » comme le dit enfin Matthieu Amaré. Travailler sur un syllogisme simple et efficace – « si l’Europe parle des jeunes, elle parle de toi. Si on parle de toi, tu tends l’oreille. Donc tu t’intéresses à l’Europe, évidemment ». Raconter l’Europe, ce n’est pas seulement expliquer les institutions – qui conserveront toujours un aspect rébarbatif – c’est faire vivre cette absence de frontières pour les jeunes. Leur permettre de voir ce qui se passe dans les 28 pays voisins, bref, ne pas être seulement Français, mais aussi européen.

 

ANNE-CÉCILE KIRRY & AUGUSTE CANIER

 

Féminicides, des femmes en danger

Depuis le début de l’année 2019, c’est quasiment une femme tous les deux jours qui a été tuée par son conjoint. Ce chiffre est en augmentation, malgré des campagnes de prévention. Les associations dénoncent un manque d’accompagnement des victimes, tant au niveau de la police que de la justice.
Photo : Sandro Weltin / © Council of Europe

C’est à Vidauban, commune du Var, que Dalila a été tuée. Samedi 6 avril, vers 21 heures, cette infirmière libérale de 50 ans, décède dans sa voiture. Le responsable : son mari, interpellé deux jours plus tard par les gendarmes. La mère de trois enfants appelle la police quelques heures avant le drame, après avoir été menacée par son mari. Les gendarmes conseillent à Dalila de se réfugier chez un voisin, ce qu’elle fait. Son mari serait revenu entre-temps au domicile et lui aurait tiré dessus. Le meurtrier avait déjà été condamné à huit mois de prison avec sursis pour des violences sur sa précédente compagne, selon Le Monde. Il devait être jugé en août pour des violences sur Dalila.

Le meurtre de Dalila est le 42ème féminicide depuis le début de l’année. Un chiffre en nette augmentation : en 2018, à la même période, le nombre de féminicides s’élevait à 32, rappelle L’Obs. L’affaire de Vidauban a suscité de vives émotions et est devenu le symbole de ces violences conjugales, qui entraînent la mort d’environ 130  femmes par an en France. Un phénomène complexe en hausse qui s’expliquerait notamment par le manque d’accompagnement des femmes battues et la difficulté de quitter un conjoint violent.

Depuis 2013, l’association “Osez le Féminisme !” a fait des féminicides son cheval de bataille. “A l’époque, nous avions monté une campagne “Reconnaissons le féminicide”, explique Céline Piques, porte-parole de l’association.

Le féminicide est le meurtre d’une femme car c’est une femme. La violence patriarcale et masculine s’exerce particulièrement dans le domaine familial, dans la plupart des cas, il s’agit de femmes tués par leur conjoint ou ex-conjoint”, continue Céline Piques.

Le sexisme est reconnu depuis 2017 parmi les circonstances aggravantes d’un délit, mais le terme “féminicide” reste absent du code pénal. L’association “Osez le féminisme!” milite pour “une reconnaissance du mot lui-même”.

Le flou sur les termes s’accompagne d’une différence de chiffres entre le décompte des associations et le ministère de l’Intérieur qui publie chaque année le nombre de féminicides. En 2017, 109 femmes auraient été victimes de féminicides selon les chiffres officiels, qui prennent en compte uniquement les femmes mariées ou pacsées. Quant aux associations, elles s’accordent sur le nombre de 130 et dénoncent une technique de “communication”.

Le ministère veut faire croire que les chiffres sont en baisse, mais cela ne trompe pas grand monde chez les associations”, plaisante Céline Piques.

Nous ne possédons pas par exemple le nombre de femmes qui se suicident à la suite de violences. Les chiffres du gouvernement sont partiaux et il faudrait avoir des outils statistiques pour analyser en détail ces violences”, continue-t-elle.

“Un manque de moyens”

Les associations s’accordent sur le caractère “systémique” des violences conjugales qui peuvent aller jusqu’au féminicide et déplorent le manque de moyens accordés pour lutter contre ce phénomène. Pour Jean-Michel Taliercio, chargé de mission au sein de l’association “Dans le Genre Égales”, le féminicide “est un fléau national qui coûte beaucoup d’argent à la société. Il faut se dire que tant que le problème existe, il faut mettre des moyens pour qu’il soit réglé.” En 2018, le budget du secrétariat à l’Égalité entre les femmes et les hommes s’élevait à 30 millions d’euros environ, soit 0,006% du budget total de la France. Une broutille pour Céline Piques : “Il faut se rendre compte du phénomène dont on parle : 220 000 femmes sont frappées chaque année en France par leur conjoint. Les associations fonctionnent avec quelques dizaines de milliers d’euros par an et ne sont pas en capacité de traiter des centaines de milliers de cas. Elles font un travail formidable mais elles n’ont absolument pas les moyens à la hauteur des enjeux. Il suffit de comparer à n’importe quel autre budget de l’Etat, le secrétariat à l’Egalité entre les femmes et les hommes est de loin le plus petit budget de tous les secrétariats d’Etat et des ministères.”

Ce manque de moyens se traduit notamment par des failles dans l’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales quand elles veulent quitter leur conjoint abusif. C’est le cas de Mélanie, aide soignante en psychiatrie qui a vécu plusieurs années avec son conjoint qui la frappait, ainsi que ses enfants qu’il a abusé sexuellement.

Quand j’ai quitté mon conjoint, je suis allée voir  le centre d’hébergement de VIFFIL pour demander un logement d’urgence. On m’a dit qu’il y avait un délai de 10 mois, et j’ai demandé ce que j’étais censée faire en attendant. On m’a rétorqué : “ Retournez chez vous, avec votre mari”.

Retranscription d’une conversation SMS entre Mélanie et son ex-compagnon.

J’ai expliqué qu’il était violent et on m’a répondu : “ Un départ, ça se prévoit”, explique-t-elle. “Aujourd’hui il a une arme, il peut savoir où j’habite, c’est des informations qu’il peut trouver et s’il le veut, il me tuera. Et l’Etat en sera responsable. J’ai alerté et il ne s’est rien passé”, déplore Mélanie qui explique regretter “d’avoir déposé plainte [contre son ex-conjoint] car ce sont les victimes qui en pâtissent”.

La formation des policiers questionnée

Dès le commissariat, les victimes ne se sentent pas assez accompagnées. “Les structures pour prendre en charge, accueillir les victimes et former les juges et les policiers n’ont pas d’argent”, déplore Céline Piques. Louise Delavier, responsable de la communication pour l’association “En Avant Toutes” fait le même constat : “Tout le  système manque de moyens, dont la police. Il n’y a vraiment pas assez d’argent pour que les associations puissent former la police. Ce n’est pas une formation d’une semaine qui va faire changer les choses, il faut une formation continue pour les policiers, tant c’est un phénomène complexe”.

Anissa, qui a subi des violences psychologiques et physiques, a porté plainte en 2017. “Quand je suis allée au commissariat, j’avais plus de 500 pages de SMS de menaces qu’il [son ex-conjoint] m’avait envoyé. J’ai expliqué la situation à la policière, qui m’a répondu : “ moi, ça ferait longtemps que je serai partie”. Anissa explique que son enfant a également été maltraité, élément écarté par la policière : “Elle m’a dit : “ qui n’a jamais mis de gifles à son enfant ?”. Quant aux associations, Anissa s’en méfie : “Une longue bataille judiciaire a commencé avec mon ex. Je suis allée au CIDFF (Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles) pour voir s’ils pouvaient m’aider. On m’a dit que mon jugement était très bien, que je n’avais pas à me plaindre et que beaucoup de femmes étaient dans une situation bien pire que moi”. Virginie a eu une expérience similaire avec la police. “Quand je suis allée porter plainte pour la première fois, le policier était gentil, il m’a bien accueillie.

Pour la deuxième plainte, suite à des coups de mon ex-conjoint sur les enfants, on m’a dit : “il a eu une réaction de père”.

C’est moi qu’on a jugé pour ne pas avoir levé la main sur mes enfants”, soupire-t-elle. Des failles qu’un commissaire francilien confiait à Libération, en novembre 2018, “Sur les enquêtes, on n’est pas à la ramasse, mais sur l’accueil complètement. Les plaintes pour viols et agressions sexuelles sont en général traitées par les policiers généralistes.

“Les juges n’appliquent pas les lois”

Un sentiment d’abandon de la part des pouvoirs publics que partage Fanny, qui a subi 3 ans de violences conjugales de son ex-mari. “L’Etat ne prend pas le temps de réfléchir à de nouvelles mesures, car les gens qui les prennent ne savent pas ce qu’on endure en tant que victimes. Nous ne sommes pas intégrées aux décisions alors qu’on est les premières informées”, explique cette cadre dans le marketing. “L’Etat devrait miser beaucoup plus sur la justice, les juges n’appliquent pas les lois. Il y a un énorme problème en France avec la justice”, continue Fanny qui a demandé une ordonnance de protection contre son ex-conjoint, sans effet. “Pour l’ordonnance de protection,  j’ai reçu un avis négatif, parce que pour les juges, les plaintes ne sont pas suffisamment caractérisées. Ce sera quand il m’aura tué que ça sera assez caractérisé. Il n’y aucune justice en France, les victimes ne sont pas reconnues alors que j’ai fait ce qu’il faut, j’ai porté plainte”, s’indigne-t-elle.

Virginie s’est également sentie “abandonnée” par la justice. “J’ai subi des violences verbales et physiques, les enfants aussi. J’ai déposé plainte qui a abouti à un rappel à la loi deux mois après. Mon ex-conjoint a été convoqué devant le délégué du procureur qui lui a rappelé que ce qu’il avait fait n’était pas bien”, raconte cette mère de deux enfants.

Ça faisait un boucan de dingue.
Pendant 30 mn. Pas 1 voisin n’a bougé. Tout le monde trouvait ça normal. Même la police d’Aix.
Après on s’étonne pourquoi je ne suis pas partie.
Parce-que quand j’alertais personne ne m’écoutait. Et l’autre me menaçait, me surveillait. pic.twitter.com/XtdhvJddOU

— Faraldo Virginie (@FaraldoVirginie) 1 mai 2019

J’ai déposé 5 plaintes, deux ont abouti. J’ai fait une demande d’hébergement auprès de l’association SOS Solidarité, mais j’ai dû la décliner car je demandais en parallèle une ordonnance de protection. Il a fallu choisir entre hébergement et protection”, s’indigne-t-elle.

Quelques semaines après, c’est la douche froide : Virginie apprend que son ordonnance de protection a été refusée car son ex-conjoint nie les violences. “La juge a estimé que la relation n’était pas assez claire”, conclue-t-elle.

Le gouvernement a annoncé en octobre 2018 le “premier plan de lutte contre les violences conjugales” qui comporte cinq volets dont une campagne de prévention télévisuelle et sur les réseaux sociaux. On y trouve également un objectif de 100% de réponses au 3919, le numéro d’écoutes pour les victimes de violences conjugales, ainsi que le lancement d’une plateforme de signalement en ligne de violences sexistes et sexuelles. Enfin, une plateforme de géolocalisation des places d’hébergement d’urgence accessible aux professionnels va être mis en place, ainsi qu’un dispositif de partage d’alertes entre professionnels de la justice, de la police, de la santé et les travailleurs sociaux.

Aujourd’hui, les magistrats peuvent suivre deux formations pour se sensibiliser à ces questions : l’une sur « les violences au sein du couple », l’une sur « les violences sexuelles ». L’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) a également mis en place une séquence pédagogique sur les violences conjugales pour sa promotion 2018.

 

Quand les réseaux sociaux prennent la relève

Face aux carences des pouvoir publics, certains militants n’hésitent pas à venir en aide aux victimes. Depuis 2016, une page Facebook, “Féminicide par compagnon ou par ex”, gérée par un collectif d’une quinzaine de militantes féministes recense tous les cas de féminicides. “Le fait que les chiffres des meurtres de femmes soient publiés en fin d’année ne nous convenaient pas, on trouvait que c’était trop tard. On s’est aperçues que dans les médias, les familles des victimes étaient extrêmement démunies. Elles ne sont pas accompagnées après ces meurtres qui sont dus à des manquements du système judiciaire et policier. On a donc voulu rendre hommage à ces victimes et à leurs familles en les nommant”, explique Julia, une des administratrice de la page. Le collectif reçoit même directement des messages de familles de victimes, parfois avant la presse. “Nous avons du créer un groupe privé pour les familles, car nous recevions trop de messages par jour”, continue Julia. Quand on lui demande pourquoi le nombre de féminicide augmente, Julia dresse une analyse cinglante :

On ne souhaite pas s’adresser aux violents, les hommes sont préservés. Quand une femme est victime de violences, c’est elle qui se retrouve enfermée dans un foyer, quand elle a la chance de pouvoir être exfiltrée de son logement. Les hommes bénéficient d’une impunité de la société et de la justice avec des peines de sursis. Si la loi était réellement appliquée, il y aurait des peines de prison ferme”.

De son côté, Sophia Sept, militante Fémen, mène depuis des années une campagne contre le féminicide. Il y a deux mois, elle entend une scène de violences conjugales chez ses voisins. Elle enregistre les cris de la victime et publie la vidéo sur Internet, qui devient virale et est notamment reprise par Le Parisien.

Quand la police est arrivée, ils ont juste contrôlé l’identité de l’agresseur. Cinq minutes après, les cris ont repris, je les ai rappelés et ils m’ont dit avoir fait le nécessaire, que c’était juste une violente dispute. »

« J’ai posté la vidéo sur Twitter, pour dire à la communauté qu’il ne faut pas avoir peur de témoigner”. Depuis, des femmes victimes de violences conjugales contactent Sophia via les réseaux sociaux. “Certaines recherchent un logement d’urgence, je fais jouer la communauté et je trouve des militantes qui les hébergent, les prennent en charge. J’essaye de palier aux associations qui manquent de moyens […] Tout le monde est démuni, c’est le système entier qui est à revoir.”

Du côté des victimes, l’aspect destructeur de ces violences est important et continue bien après la séparation avec leur ex-conjoint violent. “J’ai peur tout le temps, j’ai été détruite. Je fais des cauchemars, je ne dors plus. Je ne veux pas rencontrer d’homme, je n’ai plus confiance”, confie Anissa. Virginie craint pour sa vie depuis que son ex-conjoint a défoncé sa porte à coups d’épaule en février. “C’est le dernier rempart contre lui qui cédait”, confie-t-elle.

La même peur habite Fanny :

Je n’ai plus de vie, je vis les stores baissés. J’ai un bracelet connecté en permanence qui me géolocalise en cas d’urgence. Je sors de chez moi par une porte dérobée. J’ai mis en place plein de stratégies jusqu’au jour où je n’aurais pas un pas d’avance sur lui [son ex-compagnon] et là, qui sait ce qu’il pourra se passer.

La jeune femme compte néanmoins continuer à se battre : “Je n’ai plus rien à perdre à part ma vie. Je le fais pour moi, pour ma fille et pour toutes les autres femmes”.

Fanny Rocher & Jeanne Seignol

Pour compléter :

Que fait la loi pour protéger les victimes ?

Un budget insuffisant ?

Le recyclage urbain, effet de mode ou réelle évolution des mœurs ?

Un peu partout en ville, des initiatives fleurissent pour valoriser les déchets, comme ici aux Grands Voisins.

De l’installation de composteurs de quartier aux collectes de vêtements des grands magasins qui s’apparentent souvent à des opérations marketing, valoriser les déchets n’a jamais été aussi tendance. Bon pour l’environnement, pour l’emploi et pour la vie associative, le recyclage semble amorcer une transformation de la société …

Porte de Champerret, au 3, rue Jean-Moreas, un jardin dans la ville. Citrouille, persil, framboisier et hortensia, les plantations sont variées dans cette cour parisienne. Toutes sont nourries par le compost produit par les habitants de l’immeuble. “ Nous en produisons parfois tellement que certains en ramènent à leur famille, à la campagne”, confie Sylvie Roche, une habitante. Depuis janvier 2018, fini les épluchures à la poubelle. Des dizaines de foyers ont franchi le cap pour valoriser leurs déchets organiques. Trois bacs à compost ont été installés juste à côté du petit potager, dans la cour de 30m². Dans les deux premiers, les habitants jettent coquilles d’oeufs, peau de bananes ou marc de café. Dans le troisième, de la matière sèche pour permettre la bonne dégradation de ces déchets. Pour obtenir un bon compost, il ne reste plus qu’à attendre six à neuf mois.

Pourtant, en ville, donner une seconde vie à ses déchets ne coule pas de source. Les citadins recycleraient deux fois moins que les ruraux, selon les chiffres de l’entreprise Citeo, en charge du ramassage et du tri des déchets ménagers en France.

DU TRI SÉLECTIF AU COMPOSTAGE

Pour changer cela, les villes visent aujourd’hui un taux plus élevé de recyclage. Le dirigeant de Citeo, Jean Hornain, annonçait en décembre sur Europe 1 “l’accélération du déploiement des points de collecte” en zone urbaine, pour faciliter la démarche de tri. Seuls 70% de tous les déchets ménagers sont recyclés à l’heure actuelle, malgré une demande de plus en plus forte de la part des ménages. Pour Annick Lacout, fondatrice d’Agir ensemble pour une faible empreinte écologique, la société civile va plus vite que les élus, que les collectivités et que l’Etat. Les institutions pourraient se saisir de cet engouement populaire pour aller plus loin.” Une uniformisation des normes de tri est prévue pour 2022, mais d’ici-là, il peut parfois être difficile de se repérer quand les caractéristiques des poubelles changent de ville en ville.

Beaucoup de Français jettent leurs déchets dans la mauvaise poubelle.

Paris, qui a adopté ces nouvelles normes en janvier, expérimente actuellement le dispositif Trilib dans plusieurs arrondissements. Pensé comme une station de recyclage, il permet aux passants de trier leurs déchets dans cinq bacs différents: textile, carton, papier, verre et petits emballages.  À partir de décembre 2019, ces bornes seront installées dans toute la ville.

Et pour les déchets organiques, si vous n’avez pas trop peur des petites bêtes, plusieurs villes, comme Lyon, Tours ou encore Rennes donnent des lombricomposteurs aux habitants qui en font la demande. En à peine trois mois, les vers contenus dans cette petite poubelle peuvent transformer 10 kg d’ordures en 1,5 kg d’engrais.

La ville de Paris propose aussi aux habitants des appartements Paris-Habitat une aide financière pour mettre en place des bacs de compostage dans les immeubles, comme c’est le cas Porte de Champerret.“Dix foyers au minimum doivent signer auprès de la mairie pour que le projet puisse naître, explique Sylvie Roche. Elle admet que beaucoup de personnes étaient au départ sceptiques, par peur des odeurs, de l’hygiène ou des rats. Mais à force de persévérance, le projet a vu le jour. Inspiré par l’initiative, l’immeuble voisin de la Porte de Champerret a, lui-aussi, fait installer son bac à compost, six mois après. Sur les 150 logements Paris-Habitat que compte la rue, plus de 20% recyclent à présent régulièrement leurs déchets organiques. “Cela a aussi permis de créer un lien social inattendu, confie Sylvie Roche, sa petite fille de huit mois dans les bras. Parler de ce projet a permis aux gens de l’immeuble de se rencontrer. Nous faisons des apéros ensemble, nous veillons sur les plus fragiles quand vient l’été, les enfants jardinent ensemble, et nous avons monté une boîte à livres où, cette fois, tous les gens du quartier viennent déposer et se servir.”

Dans la cour de l’immeuble, Sylvie Roche descend régulièrement ses déchets organiques.

UN ACTE DE MILITANTISME SOCIAL

Donner une deuxième vie à ses déchets en ville, c’est souvent une opportunité de mener une action sociale. L’entreprise à but non-lucratif TerraCycle noue ainsi des partenariats avec des marques désireuses de faire recycler les déchets que produisent leurs clients et qui ne sont pas pris en charge par les usines habituelles: colles UHU, emballages Harris, brosses à dents Signal… Les personnes intéressées créent un point de collecte chez elles, dans une école ou encore dans une entreprise. TerraCycle récupère ensuite gratuitement les déchets, qui sont convertis en matériaux de construction. “Depuis 2012, nous en avons ramassé 87 tonnes en France, souligne Apolline Sabaté, chargée des relations presse. En échange, les gens reçoivent des points, qu’ils peuvent convertir en dons pour des associations.”

Chez Emmaüs Alternatives, dix boutiques de Paris et Montreuil permettent l’emploi de 150 salariés en réinsertion. Notre objectif principal reste de remettre les gens sur le marché du travail, rappelle Sylvie Perrot, responsable de la boutique rue de Charonne, dans le 11e arrondissement. Les boutiques de l’association reçoivent vêtements, livres, bibelots, petits meubles et récupèrent les biens encombrants au domicile des donneurs. Ils sont ensuite triés et, au besoin, remis en état avant d’être proposés à la vente ou d’être recyclés.

Les ressourceries, magasins associatifs collectant et valorisant les biens de seconde main, revendiquent également un rôle social. Chez Ma Ressourcerie, dans le 14e arrondissement, la directrice Sophie Chollet se félicite d’être dans un quartier avec une grande mixité, où tout le monde peut donner et acheter, de tous les horizons et tous les milieux socio-professionnels”. Avec ses neuf salariés en insertion, l’association permet d’éviter 130 tonnes de déchets par an, grâce à la revente et au recyclage. Il y a un réel engouement. On est à 125 achats par jour et, ici, c’est forcément un peu militant”, sourit la directrice. Sophie Meyer, salariée, constate un intérêt des clients pour la question écologique : Ils veulent savoir ce que deviennent leurs dons, c’est important pour eux. Il y a très peu de pertes, tout ce que l’on ne garde pas repart dans d’autres circuits. L’association accepte tout type de dons, sauf les objets électroniques. Elle propose alors aux donateurs d’aller au lycée professionnel Lazare Ponticelli, dont les élèves réparent les appareils.

« Un achat, ici, c’est forcément un peu militant », explique Sophie Chollet, directrice de Ma Ressourcerie

Lola Uldaric, étudiante, fréquente la ressourcerie pour y renouveler son dressing et ne veut pas faire son shopping dans les magasins traditionnels. Je ne me vois pas acheter de vêtements au prix du neuf, je préfère leur donner une seconde vie”, justifie-t-elle. Un raisonnement que rejoint Danielle Dunas. La sexagénaire a l’oeil pour dénicher les pièces de marques au rayon textile et en a même bouleversé ses habitudes consuméristes: Avant, j’avais la carte du Printemps, j’achetais aux Galeries Lafayette mais j’ai arrêté pour venir ici.

UN ARGUMENT MARKETING

Les grandes enseignes comme le Printemps, justement, tentent de s’engouffrer dans cette nouvelle demande. Depuis le 4 avril et jusqu’au 12 mai, l’opération “(re) créez, (ré) inventez” vise, selon Gilles Desmousseaux, attaché de presse, “à mettre en valeur les nouveaux modes de consommation de plus en plus plébiscités par les jeunes, par la génération Millenials”. Une collection capsule à partir d’anciens vêtements du Printemps a été réalisée par l’association Tissons la solidarité, pour la marque Andrea Crews, et une collecte de textiles est organisée au profit de la Croix-Rouge.

Le recyclage est devenu un argument marketing de premier plan pour les entreprises

Les vêtements de seconde main sont mis en avant via un vide-dressing organisé par des influenceuses et par deux pop-up stores de la marque Tilt Vintage. Pour Chloé Devin, vendeuse, la clientèle française est toutefois encore frileuse à l’idée d’acheter des fripes. “C’est beaucoup plus dans les moeurs des Américains ou des Anglais, explique-t-elle. Cela plaît beaucoup aussi aux Coréens, car les artistes de la K-Pop ont adopté les codes des années 1990, et ils achètent donc beaucoup ce genre de vêtements.” Pour les pop-up stores, les prix vont de 35 €, pour une jupe, à 300 € pour un manteau en fourrure. “C’est un peu plus cher que dans nos magasins car le Printemps a fait une sélection parmi les produits les plus luxueux, admet Chloé Devin.

Au-delà de l’aspect social et écologique, le recyclage est donc devenu un argument marketing de premier plan pour les entreprises: H&M, Lush, Sephora, beaucoup sont ceux qui incitent à présent leurs clients à revenir en magasin pour ramener les vêtements dont ils ne veulent plus, les flacons de parfums ou de crème vides, en échange d’un bon de réduction. A Marionnaud, c’est 20% de remise et 25 points sur la carte fidélité pour tout contenant rapporté, hors aérosols. Les boutiques Cyrillus récupèrent, quant à eux, vêtements et linge de maison en échange d’un bon d’achat de 5€, valable dès… 20€ d’achat. Si cela apparaît parfois comme une bonne affaire pour les clients, c’est surtout un très bon moyen pour les magasins d’inciter au rachat.

Cette vitrine écologique pourrait parfois s’apparenter à du green washing – une pratique marketing qui consiste pour un organisme à communiquer autour d’actions écoresponsables, loin de sa réalité- même si, pour Annick Lacout, en matière de recyclage, il n’y a pas tant de green washing, même si les intentions ne sont pas toujours aussi vertueuses que l’on le souhaiterait. Le monde des déchets est concret, il est difficile de faire semblant de trier ”. Avec un marketing vert assumé et des actions tangibles, la valorisation des déchets est devenue un marché à part entière. Pour l’économiste et professeur de géographie à l’Université Lyon 3, Lise Bourdeau-Lepage, cela s’explique aisément. Sans valeur économique, la valeur écologique ne serait pas reconnue, explique-t-elle. La question du recyclage, c’est essentiellement celle de redonner de la valeur à un bien qui n’a plus d’usage.” Ainsi, les magasins Sephora, en faisant recycler les vieux flacons en verre, font d’une pierre deux coups. “Le verre est transformé en matériau pour les routes, explique Dimia Habib, vendeuse au Sephora Haussmann, avec un sourire. Les clients apprécient, et certains ramènent parfois leurs flacons sans même demander de remise.”

Audrey Dugast & Blandine Pied

Pour compléter :

Start-Up et Recyclage, une alchimie efficace

Trois questions à … Annick Lacout, fondatrice du bureau d’études AEFEL

Une uniformisation des normes de tri