Sauver les côtes littorales, encourager une pêche durable, empêcher la création d’un septième continent de plastique, les défis sont immenses pour préserver les océans. À l’heure du « One Ocean Summit » et de la « décennie des océans », une nouvelle économie bleue émerge avec ses solutions. Un eldorado qu’explorent scientifiques, entrepreneurs, associations et États.
L’eau bleu turquoise, les aventuriers en kaban, les boutres arabes avec leur toile en triangle, l’océan nous a longtemps été raconté sous les traits d’un dessinateur de carte postale à l’aquarelle. L’Odyssée sous-marine de Jacques-Yves Cousteau, Ushuaïa Nature de Nicolas Hulot ou Thalassa de Georges Pernoud ont fasciné cet imaginaire à la télévision. Celui d’un océan mythifié plus proche de l’Atlantide que du quotidien.
Décennie de l’océan
Avec le One Ocean Summit à Brest les 9 et 10 février, les océans ont leur sommet politique. Quatre mois plus tôt à Glasgow, pour la COP 26, les principaux dirigeants s’étaient concentrés sur les énergies fossiles et les forêts, ce afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degrés — au-dessus des niveaux pré-industriels.
« Si les océans étaient un pays, leur produit national brut les situerait à la septième place des nations »
Ce nouveau sommet témoigne de l’intérêt fort, mais encore sous-exploité, que représente l’espace maritime. « Si les océans étaient un pays, leur produit national brut les situerait à la septième place des nations », illustre Aurélie Baudhuin, directrice de la recherche des investissements socialement responsables chez Meeschaert AM dans une étude sur les enjeux de la préservation de la biodiversité maritime.
Le lancement de la décennie de l’océan en 2021 — « la décennie la plus critique de notre vie » — confirme les espoirs fondés sur l’économie bleue. Les deux principaux objectifs définis par l’ONU sont la préservation des écosystèmes marins et le maintien des sociétés humaines littorales… avec pour objectif d’être atteint en 2030. « En ce début de troisième millénaire, l’océanographie a la capacité d’identifier les problèmes et d’offrir des solutions », affirme Audrey Azoulay, la directrice générale de l’Unesco.
Dégât des eaux
Car les effets du réchauffement climatique sont là : les six dernières années sont les plus chaudes jamais enregistrées dans les océans, selon une étude de l’Académie des sciences chinoise et de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA). « Les changements les plus importants résultent de modifications de la composition de l’atmosphère liées à l’homme. Lorsque les océans se réchauffent, le niveau de la mer s’élève » estiment-ils. Elle s’est élevée en moyenne de 20 centimètres depuis 1880, provoquant de fait une menace de submersion des petites îles et d’érosion des côtes.
A Minister in Tuvalu, Simon Kofe today recorded a video statement for #COP26 pic.twitter.com/mLLrd6JIFc
— Anish Chand (@achandftv) November 5, 2021
Lors de la COP 26, une image a retenu l’attention non à Glasgow… mais dans l’archipel de Tuvalu. Simon Kofe, ministre des Affaires étrangères du pays, prononce son discours les pieds dans la mer. Au milieu du Pacifique, à seulement quatre mètres et demi au-dessus de l’océan, l’archipel est en première ligne face à la montée des eaux. « Nous serons submergés d’ici à 50 à 200 ans » estime Simon Kofe, fataliste.
La mer pourrait gagner un mètre d’ici 2 100
Selon une étude publiée dans Environmental Research Letters, plus de 510 millions de personnes habitent actuellement dans des zones qui seront, à termes, situées sous le niveau de la mer — si le réchauffement climatique se maintient à 1,5 degrés. La publication du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), met en avant le « point de rupture » que serait la fonte des calottes glaciaires. D’ici 2100, la mer pourrait gagner un mètre ; les dégâts potentiels sur les côtes coûteraient environ 12 milliards d’euros par an, estime la Commission Européenne.
Différentes options peuvent être prises. L’initiative Sea’ties, menée par la Plateforme Océan & Climat, a répertorié une carte interactive des solutions mondiales pour renforcer la résilience des territoires côtiers. Plusieurs typologies de solutions y sont dressées : des premières dîtes « dures » comme les digues, d’autres alternatives dites « douces » comme le remblayage des plages et enfin des solutions « hybrides» comme les récifs artificiels.
Fortification et relocalisation
En 2021, 570 villes de taille importante sont directement menacées par l’érosion des côtes. Ce qui fit leur force jadis, des ports emblématiques tournés vers les océans, est devenue un colosse aux pieds d’argile. Au Sénégal, au quartier Guet’Ndar de la ville de Saint-Louis, les pelleteuses ont remplacé les bateaux de pêcheurs. Elles construisent une barrière de rochers pour protéger la « Venise africaine » des assauts de l’Atlantique.
Plus près de nos côtes, Lacanau, en Gironde, subit les mêmes soubresauts. Selon l’Observatoire de la Côte Aquitaine, l’érosion du littoral de Gascogne est estimée en moyenne à 50 mètres d’ici 2050. Avant d’enclencher le scénario de relocalisation, la ville de 5 000 habitants a opté pour la construction d’un bloc de pierres et un projet d’aménagement de 4,5 millions d’euros. Financé par l’État, il prévoit la requalification des espaces publics, la suppression du parking et « le déplacement préventif des activités afin de les mettre à l’abri des aléas », détaille Fabienne Buccio, Préfète de la région Nouvelle-Aquitaine, rapporté par nos confrères de Sud Ouest.
« La résilience des territoires côtiers sont souvent une combinaison de réponses de protection, de retrait, d’adaptation et d’avancée »
Éco-anxiété
Une étude de Frontiers, souligne que ces stratégies d’adaptation côtière contre l’élévation de la mer sont de plus en plus hybrides. Elles offrent aux villes de nouvelles possibilités efficaces pour s’adapter au changement climatique. « Les réponses hybrides sont souvent une combinaison de réponses de protection, de retrait, d’adaptation et d’avancée. » Cependant, l’utilisation du terme « retrait » peut « créer de l’anxiété chez les personnes les moins aptes à se déplacer et l’abandon de la politique imaginée ». Une dimension psychologique qui vient s’ajouter aux paramètres techniques, financiers et sociaux de relocalisation littorale.
Création de coraux 4.0
La découverte d’un grand récif de corail au large de Tahiti reste un trompe l’œil. Près de 50 % des récifs coralliens ont disparu, dont 14 % des coraux entre 2009 et 2019 selon le Global Coral Reef Monitoring Network. Mais le regard change sur ces colonies de polypes. De superorganismes, les coraux sont en passe de devenir des superprotecteurs atténuant les effets du réchauffement climatique. Ils absorbent l’énergie des vagues, réduisent l’érosion des côtes et les dommages en cas de tempête ou d’ouragan.
Pour recréer les coraux, les ingénieurs du monde entier fourmillent de mille idées. Des initiatives soutenues par l’écosystème de l’Ocean tech : une plateforme de crowdfunding Ekosea, des accélérateurs comme la Sustainable Ocean Alliance ou la startup ARC marine, qui développe des solutions d’impression 3D de coraux artificiels en béton éco-responsables.
Dans le golfe Persique, la mer la plus chaude du monde, la température de l’eau frôle les 36 degrés en été. Au Qatar, des scientifiques du département des sciences biologiques et environnementales restaurent les récifs coralliens. Une pépinière de coraux a été créée à partir d’échantillons issus de colonies originelles, pour être élevés puis réimplantés dans les récifs dégradés. « Nous sommes malheureusement arrivés au stade, où on ne peut plus se contenter de croire que si la nature suit son cours, elle se rétablira naturellement », souligne Pedro Range, professeur assistant de recherche de l’Environmental Science Center de Doha, interviewé par nos confrères d’Euronews.
Cartographier la mangrove
Une autre barrière naturelle : les mangroves. Anciennes plantes côtières, les mangroves poussent en partie dans l’eau salée et prospèrent dans les climats chauds du globe. Mais en seulement 20 ans, plus de 35 % auraient disparu selon WWF. Leur restauration présente d’autres bénéfices tels que la séquestration du carbone et la fourniture d’habitats naturels aux espèces en danger. Les « forêts de mer rendent service à l’homme », précise François Fromard, directeur de recherche émérite au CNRS au Figaro, « Elles accroissent la richesse en population de poissons, freinent l’érosion côtière, retiennent les sédiments et jouent aussi un rôle en tant que puits de carbone ».
« La replantation de mangrove n’est pas aussi efficace que son repos »
En Indonésie, le pays possédant la plus large étendue de mangroves au monde, le ministère des Affaires Maritimes et des Pêches a lancé le programme Infrastructure development of space oceanography (INDESO). En se basant sur les travaux de l’Institut de Recherche et de Développement (IRD), des outils d’observation satellite sont utilisés pour scruter la mangrove, tout en accompagnant le développement durable de l’aquaculture. Les scientifiques ont ainsi pu observer que « la replantation de mangrove n’est pas aussi efficace que son repos ». Les digues des étangs, utilisées pour l’élevage de crevettes, entravent le processus naturel des marées. Ces dernières permettaient la distribution des nutriments nécessaires à la croissance des mangroves.
Une pêche plus ciblée
L’élevage de crevettes n’est pas la seule activité commerciale bousculée. Au-delà de la pêche traditionnelle, la pêche au chalut demeure la principale source de déstabilisation des espèces animales. Chaque année, 4,9 millions de km² seraient raclés par les navires, soit 1,3 % de la surface océanique.
Cette pratique entraînerait la libération de 600 à 1 500 millions de tonnes de CO2 par an. Selon une nouvelle étude de Nature, une des solution serait une meilleure planification spatiale, définissant les zones chalutables, leur intensité et… les espèces pêchées. « Il suffirait ainsi de protéger 3,6 % de l’océan pour éliminer 90 % du risque de perturbation du carbone sédimentaire », affirment les auteurs.
Consommer responsable
De quoi repenser les pratiques du chalutage, déjà décrié en 1376 par le roi d’Angleterre Édouard III, réclamant l’interdiction de cette « nouvelle et destructive » méthode de pêche. En 2021 au Brésil, c’est Maya Gabeira, championne brésilienne de surf, qui a lancé une pétition pour empêcher le chalutage, signée par 150 000 personnes. « Il faut respecter l’océan car c’est lui le patron ! » partage-t-elle dans Nice Matin. Deux époques différentes. Deux voix unies contre la pêche industrielle.
Ces démarches citoyennes sont incarnées dans la création de nouveaux labels afin d’aiguiller le consommateur vers une pêche plus durable. Par exemple, le label Marine Stewardship Council (MSC) s’appuie sur trois piliers décrits par Sparknews : s’assurer d’abord que le type de poisson ciblé est en bonne santé, puis que l’utilisation de l’engin de pêche n’a pas d’impact négatif sur l’écosystème, et vérifier enfin que les réglementations sont fiables, transparentes et basées sur des avis scientifiques. Un label source de revenus. Huit Français sur dix estiment que la sauvegarde des océans passe par une consommation de produits de la mer durables.
Selon la FAO, la consommation mondiale de poisson a bondi de 122 % par rapport à 1990
Le commerce du poisson est juteux. Selon la FAO, la consommation globale a bondi de 122 % par rapport à 1990. Un Français mange en moyenne 34 kg par an — contre une moyenne de 20,5 kg dans le monde. Son principal relais de croissance ? L’aquaculture. L’activité économique a augmenté de 527 % depuis 1990. Elle fournit désormais 52 % des poissons consommés par les humains.
L’aquaculture naît à peine qu’elle se réinvente. 20 à 30% des espèces pêchées servant à en nourrir d’autres, l’entreprise française InnovaFeed a créé une protéine à base d’insectes. Concrètement, les truites d’élevage commercialisées dans certains magasins sont nourries avec cette nouvelle farine atypique.
Nettoyer le septième continent
Un autre chantier met au défi « l’économie bleue » : la gestion durable du plastique. La quantité de plastique dans les océans devrait presque tripler pour atteindre 29 millions de tonnes par an d’ici 2040, selon les Pew Charitable Trusts. « Néanmoins des mesures immédiates pourraient la réduire de plus de 80 % », précisent les experts Simon Reddy et Winnie Lau. En 2020, seuls 9 % de tous les déchets plastiques produits ont été recyclés.
Our first large-scale system (800m length), Jenny, has been deployed in the Great Pacific Garbage Patch for the first time.
This was the first of more than 70 tests planned for the next 6 weeks. pic.twitter.com/NatOahXNvD
— The Ocean Cleanup (@TheOceanCleanup) August 10, 2021
En France, l’objectif du gouvernement est de sortir du plastique jetable d’ici à 2040
L’entrepreneur a lancé un large débat sur le plastique. Dans le numéro spécial de SoGood consacré à “Qui sauvera le grand bleu ?”, Boyan Slat dénonce les raccourcis : « Je veux trouver des solutions qui fonctionnent. Certains pays veulent interdire le plastique mais finalement qu’est-ce qu’on interdit ? Les pailles, les gobelets, etc. Le plastique a un rôle dans la société notamment pour l’accès à l’eau et la médecine. Interdire le plastique serait simpliste ». En France, l’objectif du gouvernement est désormais de sortir du plastique jetable d’ici à 2040.
Algues miraculeuses
Si le monde a besoin de plastiques… autant le fabriquer à partir de l’océan. L’entreprise Algopack commercialise depuis 2010 le premier plastique bio-sourcé entièrement à base d’algues brunes. Seul inconvénient de l’utilisation d’algues : la légère odeur accompagnant le plastique. Côté pétrole, les algocarburants apparaissent comme des agrocarburants d’avenir, prenant 20 à 30 fois moins de place que leurs confrères. Le directeur adjoint du pôle de compétitivité Pôle Mer Bretagne Stéphane-Alain Riou explique le fonctionnement des algocarburants dans YouMatter : « Pendant leur croissance, les algues accumulent de la graisse. Et c’est à partir de cette graisse que le carburant est fabriqué ».
« Dans un avenir proche, nous traiterons un grand nombre des maladies actuelles grâce aux nombreuses molécules issues de l’océan »
Les organismes marins sont utilisés pour de nombreuses applications au-delà des produits pharmaceutiques. Au sein de l’Union européenne, le marché de la biotechnologie bleue pourrait atteindre une valeur d’environ 10 milliards d’euros à la fin de la décennie. « Je crois que dans un avenir proche, nous disposerons de très nombreuses molécules issues des océans, qui permettront de traiter un grand nombre de nos maladies actuelles, souligne Vítor Manuel Oliveira Vasconcelos, directeur du Centro Interdisciplinar de Investigação Marinha e Ambiental (CIIMAR), à YouMatter. « Les océans ont donné la vie ; les océans peuvent aussi préserver la vie » conclut-il.
Nouveau danger : le lithium
Au cœur de la transition énergétique, le lithium est un composant clé pour faire fonctionner les batteries des véhicules électriques. Sa production mondiale a déjà triplé entre 2010 et aujourd’hui. Un engouement économique non sans conséquences écologiques. Des chercheurs français et coréens ont analysé la teneur en lithium des eaux du fleuve Han à Séoul. 100 % du lithium dans les eaux urbaines de la mégalopole proviendraient de sources humaines. Pour Nathalie Vigier, océanographe à l’Institut de la Mer de Villefranche-sur-Mer, « cet enrichissement est essentiellement dû à l’apport d’eaux usées, concentrées en lithium, mais aussi à l’inefficacité des protocoles d’épuration vis-à-vis du lithium ».
À chaque nouvelle promesse, un nouveau défi. Le Commissariat à l’Energie Atomique et aux Énergies Alternatives (CEA) a imaginé un schéma d’économie circulaire dédié aux batteries électriques. Pour s’y tenir, les constructeurs doivent anticiper le démantèlement des batteries dès leur conception, récupérer les batteries en fin de “première vie”, ou opérer une séparation chimique poussée des composants lors de la phase de recyclage. Renault, Veolia et Solvay vont par exemple créer une usine pilote en France pour recycler en boucle fermée les métaux contenus dans les batteries.
Pédagogie sur l’océan
Associations, entreprises, scientifiques, collectivités, États, citoyens, les acteurs ne manquent pas pour répondre aux défis de la « décennie des océans ». Le nouvel enjeu après une première phase de bêta test ? Croiser les connaissances acquises. Dans le cadre des Festives — un festival scientifique de Sorbonnes Université — Lars Stemmann, enseignant chercheur à l’observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer, prône une « littératie » de l’océan : « Le plongeur va voir les fonds marins, la faune et la flore, l’industriel va chercher les nodules polymétalliques (N.D.L.R. De potentielles sources de métaux), le climatologue va y déceler une énorme machine thermique. Néanmoins, très peu de personnes ont une culture générale permettant de comprendre comment ces différents éléments sont connectés entre eux ».
© BBC
C’est avec ce même constat que les Nations unies se donnent jusqu’à fin 2030 pour enrichir les connaissances maritimes mondiales, et mettre au point des solutions durables pour survivre et vivre… avec les océans.
Antoine de Seigneurens