Quatre questions à Jewell Usain, rappeur en quête de revanche

Entre la sortie de son premier album, et une tournée dans toute la France, le rappeur Jewell Usain n’a pas eu le temps de souffler. Après de nombreuses années de travail sans véritable reconnaissance, le natif d’Argenteuil a attendu de souffler sa trente-quatrième bougie pour réellement goûter à la vie d’artiste. Rencontre avec une pomme tardive du rap français, l’occasion pour lui de faire un premier bilan après « l’année la plus riche de sa carrière ».

En fin d’année dernière, tu sortais « Où les garçons grandissent », ton premier album en dix-sept titres. Aujourd’hui, à tête reposée, es-tu satisfait du projet ?

Jewell Usain : Oui, je crois. C’était vraiment ce que je voulais, un projet pur-rap, complet et sans concessions. Avant de sortir mon album, toute mon équipe avait peur qu’il soit trop long, et que les gens n’accrochent pas à la direction artistique du projet. Il faut dire qu’aujourd’hui, peu de rappeurs sortent des albums aussi longs. Généralement, au lieu de dix-sept titres, ils en sortent quatorze, grand maximum. Mais les gens ont adhéré à mon parti-pris, celui de mettre en avant l’écriture avant le reste, et de ne pas tomber dans la fainéantise du rap mainstream. En ce sens d’ailleurs, le public a aimé ce parti-pris de ne pas collaborer avec des artistes qui « vendent », mais bien avec artistes que j’apprécie et qui correspondent à mon travail, comme Tuerie ou Prince Waly. Je pense qu’il y a toujours un public lorsque le travail est bien fait.

En parlant de public, tu l’as enfin rencontré en tournée dans toute la France. Ça s’est bien passé ?

J. U. : J’avais déjà fait des concerts par le passé, mais c’est la première fois que j’ai eu l’impression de défendre un vrai projet. C’était vraiment un gros défi, mais un beau défi. Quand on organise une tournée, il faut faire des choix, des concessions qui t’amènent à faire un bénéfice à la fin. Dans mon cas, j’ai surtout privilégié la musique avant le profit. Sur scène, je fais venir un batteur, un claviériste, un bassiste, un trompettiste et mon backeur. D’habitude, les rappeurs sont presque seuls sur scène avec un DJ, et nous on voulait défendre le projet comme celui d’un groupe. Les gens ont vraiment eu l’air d’apprécier, car cela correspondait vraiment à la direction artistique du projet, et à cette envie de se détacher un peu des codes de l’industrie rap pour faire ce qu’on aimait vraiment faire.

Qu’est-ce que tu retiens en premier de cette année à grande vitesse ?

J. U. : Le véritable enseignement de ces derniers mois, c’est que je n’ai jamais aussi bien marché que lorsque j’ai enfin réussi à proposer un projet vraiment proche de moi. En racontant mon quotidien, en partageant ces choses que je ne dis jamais à voix haute avec un rap très introspectif, cela a plus aux gens. Au départ, la musique, c’était pour moi et pour personnes d’autres. Avec cet album, les gens ont appris à me connaître, à ne pas me ranger dans une case. Ils ont compris que les artistes de rue faisaient la même chose que les peintres, au fond. J’ai tenté de faire de mon premier album une toile authentique, sans peindre avec les mots des autres.

Même si le grand public te connaît depuis peu de temps, cela fait douze ans que tu fais de la musique. Qu’est-ce qui a vraiment changé depuis tes débuts ?

J. U. : En deux mots ? Mon équipe. On l’évoquait tout à l’heure, cela fait douze ans que je suis dans le rap, mais j’ai jamais été aussi bien entouré que maintenant. Entre mes amis, mes enfants, le label et les artistes présents sur scène avec moi ou qui m’aident à composer, j’ai vraiment l’impression de construire mes projets avec tout ce beau monde. Ce sont eux qui m’ont aidé à prendre ma revanche sur cette industrie qui n’a pas voulu me laisser une chance pendant longtemps. Leurs yeux, c’est le reflet de ce que je fais, c’est le recul que je n’ai pas toujours. Sans eux, t’arrives à que dalle.

Pour découvrir le premier album de Jewell Usain, Où les garçons grandissent : cliquez ici

Marin Tézenas du Montcel

Avec Ben,  » l’art était partout »

Ben : "Je suis le plus important" - vers 1972 - sérigraphie sur toile (Exposition "le Rêve d'être un artiste - Palais des Beaux-Arts de Lille - Octobre 2019)

Du musée à la papeterie, les œuvres de Ben Vautier ne sont jamais cantonnées à un monde. Décédé le 5 juin, l’artiste a popularisé l’art durant sa longue carrière, en a fait un objet de la vie quotidienne, loin du huis clos des galeries.

« Tout est question d’envie » écrivait Ben, de son vrai nom Benjamin Vautier sur des objets du quotidien : qui n’a jamais vu cette graphie si particulière, arrondie et légère, estampillée sur ces agendas, trousses et autres gadgets ? C’est l’œuvre de l’artiste, décédé ce mercredi 5 juin. Pionnier de l’art post-moderne, il laisse un vaste héritage, car sa plume s’est baladée en de nombreux endroits. 

Mettre de l’art partout

Artiste italien né à Naples, il bâtit sa carrière en France où il arrive à tout juste 5 ans. Ben produit durant des décennies une multitude d’œuvres. Des installations colossales comme le magasin de Ben (1973) aux timides stylos, il laisse son empreinte partout. 

Dès 1959, il décide de signer les objets qui l’entourent. Tour de force qui métamorphose de banals outils en objets d’art.  » N’importe quoi, n’importe comment, n’importe où peut être une belle œuvre  » affirmait-il en 1989, dans un article de L’INA.

La commercialisation de son style si caractéristique n’était d’ailleurs pas un problème à ses yeux. Ben revendiquait sans aucune retenue la visée lucrative de ses œuvres. « Je veux la gloire, je veux des sous. Achetez moi » écrivait-il avec humour sur l’une de ses toiles ; mais toujours avec une distance ironique vis-à-vis de ce monde de l’art dont on ignore qui sera le prochain élu. « L’art ce n’est qu’une histoire d’ego » constatait-il d’ailleurs, désabusé, lors d’une interview en 2015. 

Portrait de l’artiste réalisé en 2013 à la fondation du doute. Mars 2013, Soardi, via Wikimedia Commons

Un artiste entre deux mondes

En sortant des musées pour innerver le quotidien, son art est finalement devenu populaire. Certains critiques y ont vu une forme de paupérisation. Une vulgarisation de l’art, devenant objet d’artisanat. 

Mais en réalité, Ben a très finement opéré ce double jeu. Un pied dans les expositions huppées d’art contemporain ; un autre dans toutes les papeteries de France. 

Alors certes, c’est une simple police d’écriture qui a créé sa notoriété. Mais accompagnée d’un propos. Ben glissait son esprit incisif et spontané, dans de petits aphorismes. Le plus souvent, c’était des phrases simples, reflets de ses interrogations personnelles.  » Qu’est-ce que l’art ? « , « je n’ai rien à vous montrer, il y a tout à voir. » Il incitait aussi, sur un ton plus christique, à la cohésion. « Aimez-vous les uns les autres ». 

Ben a rompu la frontière entre art et vie quotidienne. Le premier monde n’était plus, pour lui, une sphère éthérée, dédiée aux initiés. L’art était partout. Dans le sillage de Fontaine de Marcel Duchamp (1917) et des boîtes de soupe d’Andy Wahrol, il revendiquait cette force créative, en puissance dans chaque chose. Il s’agissait seulement de la révéler. En cela, Ben n’était pas en reste. « J’ai trop d’idées » avait-il griffonné sur l’une de ses toiles. 

Radidja Cieslak

Journées du patrimoine : ces lieux accessibles sans réservation en région parisienne

Paris possède de nombreux joyaux architecturaux et hauts-lieux du patrimoine français. Certains dissimulés toute l’année se dévoilent lors des Journées du patrimoine, mais les réservations pleines laissent les moins prévoyants démunis. Une guide spécialiste de la capitale et ses environs livre ses bonnes adresses.

Les Journées européennes du patrimoine ont beau avoir lieu tous les ans, les réservations n’en sont pas moins pleines des semaines, voire des mois avant le week-end de septembre. Pour les retardataires de cette édition 2023, qui se tient le week-end du 16 au 17 septembre 2023, le Celsalab a recueilli les conseils de Marie-Anne Léourier. Cette guide-conférencière parisienne propose plusieurs pistes de visites plus ou moins confidentielles, mais toujours accessibles au cours du week-end.

Si l’Elysée et Matignon sont pris d’assaut à chaque édition, d’autres bâtiments institutionnels valent le détour et ont l’avantage d’offrir une entrée libre. Cette année, la Cour des Comptes ouvre ses portes. Rencontres avec les magistrats, pièces d’archives et conférences sur les métiers de la Cour rythmeront la visite du Palais Cambon. Côté ministères, ceux de la Justice, de la Transition énergétique, de l’Éducation nationale, de l’Agriculture et de l’Enseignement supérieur proposent tous des visites libres, pour découvrir les salons, les bureaux et les jardins de leurs hôtels particuliers. 

Les coulisses du patrimoine

Pour devenir incollable sur le patrimoine, un incontournable parisien est le siège de l’Unesco, avenue de Sufren. Aux nombreuses œuvres d’art de maîtres – Picasso, Giacometti, Calder – visibles habituellement dans la galerie s’ajouteront des inédites, jusque-là inaccessibles au grand public. Et plusieurs conférences permettront aux experts du patrimoine mondiale discuter avec les visiteurs. Au programme : les dangers pour le patrimoine naturel, le tourisme durable, la sauvegarde en zones de guerre ou après des désastres…

Comme tous les ans, les joyaux architecturaux sont mis à l’honneur. Mais il est aussi possible de se rendre dans les coulisses de la création de ces bâtiments. Notre-Dame de Paris est toujours fermée au public, mais cette année son parvis accueille le village des travaux de la cathédrale. Aux Halles, l’église Saint-Eustache est aussi en pleine restauration mais est visitable. Les deux lieux saints consacrent leur week-end à la découverte des métiers d’art qui œuvrent à leur rénovation, et notamment à celui de tailleur de pierre, démonstration des ouvriers à l’appui. 

Pour les passionnés prêts à aller un peu plus loin, les ateliers du Réveil de la pierre à Mantes-la-Jolie ouvrent exceptionnellement leurs portes. Ils présenter leur activité de restauration de statue des jardins versaillais entre autres. Quant à Versailles, plutôt que d’aller voir le château, immanquablement pris d’assaut, il est possible de découvrir les écuries de l’ancienne ville royale, et de rencontrer les artisans d’art qui travaillent à l’année au même lieu.

Entre tradition et modernité

Pour revenir à un patrimoine plus contemporain, l’hôpital Laënnec, siège de Kering, est ouvert depuis 2016 à chaque édition des Journées du patrimoine. A l’image de la Bourse du Commerce, qui appartient au même groupe, ce bâtiment construit en 1624 et rénové en 2016 accueille désormais des installations modernes en son sein. Il présente chaque année un accrochage d’œuvres inédit. Le thème de 2023, “Habiter le temps”.

Autre visite plus contemporaine et confidentielle : le Palais d’Iéna. Dessiné par Auguste Perret, il abrite aujourd’hui le Conseil économique social et environnemental (CESE), derrière son allure de basilique brutaliste. En plus de parcourir le Palais, des conférences d’architectes, de membres du CESE et de spécialistes de la sauvegarde patrimoniale compléteront la sortie.

Mia Goasguen–Rodeno