Si l’exécutif vante le SNU pour son développement d’un sentiment de cohésion nationale patriotique chez les jeunes, la Cour des comptes s’avère moins dithyrambique. L’institution se montre sceptique sur les objectifs, le coût et la généralisation du dispositif.
Objectifs « incertains », coût « largement sous-estimé », « difficultés de déploiement » : la Cour des comptes a dressé, dans un rapport publié ce vendredi 13 décembre, un bilan sévère du Service national universel (SNU). Cinq ans après son lancement, ce dispositif cher à Emmanuel Macron demeure « mal compris par le grand public, en particulier par les jeunes qui en constituent pourtant la cible », écrivent les Sages de la rue Cambon.
Promesse de campagne du candidat Macron, le SNU comporte un « séjour de cohésion » et une « mission d’intérêt général » et ne concerne pour l’instant que des jeunes volontaires. Un volontariat dont font surtout preuve les « jeunes dont les parents servent ou ont servi dans les corps en uniforme et de catégories socio-professionnelles plus favorisées », selon la Cour, qui fustige le manque de mixité sociale pourtant promis par le SNU.
Un budget deux fois plus important que prévu
Les Sages épinglent aussi le coût du dispositif. Le chiffrage initial, qui s’élève à 2 milliards d’euros, « ne correspond pas à une évaluation du coût global du dispositif pour les pouvoirs publics ». La Cour estime le coût de fonctionnement total plutôt de « 3,5 à 5 milliards d’euros ». Déjà en 2023, un rapport sénatorial estimait de son côté que le coût du SNU pourrait s’élever « entre 2,4 et 3,1 milliards d’euros par an », comme évoqué dans un rapport des inspections générales de 2018. Ce rapport recommandait même de « surseoir » à ce projet.
En janvier dernier, l’ex-Premier ministre Gabriel Attal a annoncé le lancement des « travaux » en vue d’une généralisation du SNU « à la rentrée 2026 ». Cette généralisation, évoquée à plusieurs reprises ces derniers mois, continue donc de se heurter à de vives résistances.
Ce jeudi, les États généraux de l’information (EGI) ont rendu publiques leurs propositions à Paris pour « sauvegarder et développer le droit à l’information à l’ère du numérique ». Après un an de travail, quinze propositions majeures ont été présentées, à commencer par l’éducation aux médias. Les principaux intervenants du secteur s’en réjouissent, malgré un bilan en demi-teinte.
« Les citoyens se méfient de plus en plus de l’information qui leur est proposée. Ils sont également exposés à des vagues de désinformation toujours plus puissantes », c’est le constat dressé lors des Etats généraux de l’information (EGI). Réunis au Conseil économique, social et environnemental à Paris, les professionnels du secteur ont écouté le comité de pilotage insister sur l’importance de « l’éducation aux médias ». Cette proposition arrive en tête parmi quinze autres concernant la concentration des médias, la place grandissante de l’IA, des plateformes numériques, la lutte contre les procédures-bâillons, etc.
L’éducation aux médias, priorité numéro un
« Il y a eu des dizaines d’autres rapports qui ont tous appuyé l’importance de l’éducation aux médias (EMI) ces dernières années. Mais cette fois, c’est différent. Ce ne sont pas des législateurs qui disent “il faut faire plus d’éducation”, non. Cette fois, les conclusions viennent de professionnels au cœur du système informationnel », explique Serge Barbet, directeur général du Centre de Liaison de l’Enseignement et des Médias d’Information (CLEMI), une entité rattachée au Ministère de l’Éducation nationale chargée de coordonner l’EMI sur le territoire. Il était dans l’audience jeudi matin lorsque le comité de pilotage a présenté son travail. « J’interprète les EGI comme une prise de conscience extrêmement forte de l’importance de l’éducation », a-t-il confié au Celsalab.
Quatre grandes mesures
Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, ce chantier pour l’information dresse quatre lignes directrices pour renforcer l’EMI. Il faudra d’abord la généraliser dès le CM1 dans chacune des disciplines (lettres, langues, histoire, sciences, etc.). Il faudra également l’inclure explicitement dans l’enseignement d’éducation morale et civique. Pour superviser cet enseignement, « une cellule de pilotage dotée des moyens nécessaires doit être constituée au sein de la direction générale de l’enseignement scolaire ». Enfin, le « pass information », inspiré du « pass culture », a été pensé pour les élèves dès la classe de cinquième. Il leur permettrait d’accéder, via leur espace numérique de travail (ENT), à des « abonnements aux journaux d’information politique et générale et à la presse d’information jeunesse (arts et lettres, histoire) ».
« C’est un peu en deçà de nos attentes »
Les deux premières mesures ont laissé sceptique le directeur général du CLEMI : « Ce qui a été annoncé est un peu en deçà de ce que nous attendions », analyse Serge Barbet. « Pour l’éducation morale et civique, les programmes ont été rénovés pour cette rentrée 2024, et l’EMI a été incluse comme prévu. Ce n’est donc pas nouveau. Même pour la généralisation de l’EMI dès le CM1, c’est déjà le cas dans de nombreux établissements. » Il rappelle également le travail du CLEMI, qui, dès 2018, a mis en ligne des ressources pour les professeurs des écoles. Élodie Gautier, référente CLEMI à l’académie de Créteil, insiste à son tour : « Nous avons formé 850 directeurs d’école dans le département de Seine-Saint-Denis en 2022-2023, et 240 de plus cette année. C’est à eux ensuite d’inciter leurs collègues enseignants à aller dans le bon sens. La généralisation de l’EMI dès le CM1 a déjà commencée ».
Des initiatives déjà en place
Au-delà des propositions des EGI, de nombreuses autres actions ont déjà été mises en place pour l’éducation aux médias. La Semaine de la Presse, par exemple, rencontre beaucoup de succès, notamment dans l’académie de Créteil où le nombre d’inscriptions d’établissements est en constante augmentation, affirme Élodie Gautier. Elle compte déjà plus de 1 400 structures, soit quasiment 100 % des établissements du secteur.
Certains enseignants prennent aussi l’initiative d’inviter des journalistes pour des sessions ponctuelles à la journée. Guillaume Bouvy, journaliste indépendant engagé pour l’EMI depuis 15 ans, a l’habitude d’apprendre l’esprit critique aux enfants. Il note cependant une baisse des sollicitations : « Il y a trop d’enseignants qui estiment pouvoir faire ce type de cours seuls, en interne. Moi, je dis souvent la même chose : est-ce que si demain je regarde plein de vidéos YouTube pour apprendre à devenir boulanger, je serai capable de faire classe aux plus jeunes ? Non. Eh bien, journaliste, c’est pareil », explique-t-il. « C’est important de faire venir de véritables professionnels qui ont des années d’expérience ».
En définitive, tous s’accordent pour dire que les EGI ont permis de mettre un coup de projecteur bienvenu sur l’éducation aux médias. Elle semble désormais primordiale, surtout dans un monde où 73 % des 16-30 ans utilisent un réseau social ou un média en ligne pour s’informer quotidiennement (étude Ipsos et Sopra Steria, 2022).
62% des Français disent connaître ou avoir connu une situation de pauvreté selon le baromètre annuel du Secours populaire publié jeudi 12 septembre, un chiffre en augmentation de 4 points par rapport à 2023. Si l’inflation est passée sous la barre des 2% en août, les difficultés des Français n’ont pas diminué. Au café des Petits Frères, les petits prix attirent tous publics, dont une majorité de personnes sans domicile fixe, sans emploi ou aux faibles revenus. Reportage dans le 17e arrondissement de Paris.
“C’est pas cher ! Je recommande le café à plein de monde” s’exclame Bernadette, une habituée du café des Petits Frères. Chaque jour, le même rituel se répète : cette quadragénaire s’assoit près de son compagnon, profite d’un café chaud et joue au scrabble, l’un des jeux proposés par le café. “Moi je suis sans domicile fixe (SDF), on ne peut pas profiter de ça dans la rue”. Au 47 rue des Batignolles, elle profite surtout des petits prix, comme la centaine de personnes qui poussent la porte rouge du café tous les jours. Presque tous ont un point en commun : la précarité, qui n’a cessé d’augmenter en 2024 selon le baromètre annuel du Secours populaire publié jeudi 12 septembre. Réalisée en mai 2024 auprès de 996 personnes représentatives de la société française, cette étude montre aussi une augmentation du seuil de pauvreté subjectif moyen : un Français se considère pauvre avec moins de 1 396 euros par mois, 19 euros de plus qu’en 2023.
Si la précarité augmente, le café géré par l’association des Petits Frères des Pauvres a toujours proposé ses services à petits prix. “Un expresso c’est 50 centimes, et on fait des formules petit déjeuner à 2 euros avec un jus accompagné d’une baguette ou d’un croissant” explique Sylvie Primel, bénévole depuis trois ans au sein de l’association. “C’est fondamental” réagit cette ancienne contrôleuse de gestion, alors que 62% des Français disent connaître ou avoir connu une situation de pauvreté, soit 4 points de plus que l’an dernier. Ici, le bruit de la machine à café se mélange aux discussions des habitués, aux parcours de vie souvent morcelés.
Des difficultés pour se nourrir
“Lorsque j’étais SDF, je venais ici pour les prix, maintenant je viens pour le wifi gratuit”
“Jusqu’à l’été 2024, j’ai bénéficié des aides des associations du quartier qui donnent à manger” raconte Léo (le prénom a été modifié), attablé au fond du café. Ce cinquantenaire se présente comme une victime collatérale du Covid : de 2004 à 2021, il travaille en tant que téléconseiller, jusqu’à ce que les mauvaises conditions de travail induites par la crise sanitaire ne le fassent tomber en dépression. S’ensuivent un licenciement, la rue, et les difficultés pour se nourrir. “Lorsque j’étais SDF, je venais ici pour les prix, maintenant je viens pour le wifi gratuit”, explique Léo, venu pour effectuer des recherches d’emploi sur son ordinateur. À quelques mètres de lui, Cédric s’assoit au comptoir jaune près de l’entrée. Ancien informaticien de 50 ans, cela fait dix ans qu’il n’a pas travaillé. “Quand je suis arrivé à Paris ça m’est arrivé de bénéficier des distributions alimentaires, je n’exclus pas de le refaire” confie-t-il.
Malgré leurs difficultés financières, tous deux réussissent aujourd’hui à se nourrir trois fois par jour. Pourtant, ce n’est pas le cas de tous les Français : 30% d’entre eux rencontrent des difficultés à se procurer trois repas journaliers en 2024, tandis qu’un parent sur trois se prive pour nourrir ses enfants selon le Secours populaire.
“Ça ne me surprend pas, la pauvreté guette tout le monde : vous divorcez, vous perdez un job et même en ayant un job c’est compliqué ” réagit Sylvie Primel, entre deux commandes. “C’est essentiel d’avoir plus d’endroits de ce type” ponctue la bénévole. Pour son collègue Joseph Dupuis, ingénieur à la retraite et bénévole depuis huit ans, “les personnes qui viennent au café ont toujours été les mêmes : nous avons des habitués, des touristes … mais ce sont surtout des personnes d’un certain âge qui viennent ici.” Si la précarité augmente chez les Français, le café n’a pas connu une augmentation de son affluence.
Un café ressource
“Je me laisse un peu aller…l’accès n’est pas évident : je n’ai pas de médecin traitant”
Autre conséquence de cette précarité : 43% des Français disent rencontrer des problèmes pour payer leurs frais médicaux. Une pauvreté qui éloigne aussi souvent des services de santé : un Français sur trois rencontre ainsi des difficultés pour y accéder.“Je me laisse un peu aller…l’accès n’est pas évident : je n’ai pas de médecin traitant” avoue Cédric. La situation est tout aussi compliquée pour Léo, qui rencontre des difficultés administratives et ne touche plus la complémentaire santé solidaire depuis l’année dernière.
Entre deux demandes de déjeuners, Joseph et Sylvie troquent parfois leurs tabliers pour aider les clients dans leurs démarches administratives. “Ce n’est pas notre vocation première, mais on essaye de faire au mieux” explique désabusée la bénévole. “Le problème c’est qu’il y a beaucoup d’aides en France mais que les démarches sont compliquées pour y accéder : il y a des gens pour qui c’est difficile” poursuit son collègue.
Si le café s’installe au cœur du quartier cossu du 17e arrondissement, la fragilité financière concerne surtout les ruraux, dont 69% ont déjà connu ou été sur le point de connaître la précarité durant leur vie, selon le Secours populaire. Du lundi au samedi, la trentaine de bénévoles de l’association continue de se relayer au comptoir du café des Petits Frères, depuis 1996.
A la suite de la clôture des Jeux olympiques (JO) 2024, les croisiéristes des quais de Seine comptaient surfer sur l’engouement des JO pour renflouer les caisses d’un été délicat. L’été indien tardant à pointer le bout de son nez, la réalité pour ces travailleurs saisonniers reste compliquée.
« On ramassera les fruits des Jeux olympiques dans les prochaines semaines », espère Olivier B, croisiériste depuis neuf ans sur la Seine, dont le bateau est amarré, dans le 15e arrondissement de Paris, au port de Grenelle. Lui qui a constaté une baisse drastique d’affluence cet été, en raison d’un temps maussade et des complications liées aux JO, se rassure avec l’espoir de jours plus heureux. « Le contrecoup va arriver. On table sur l’image dorée dont Paris a bénéficié durant l’été. » Salim Makacem, gérant de Paris WaterWay, agence de location de bateaux à ponton et d’embarcations privées, croise également les doigts : « On compte surfer sur les souvenirs magnifiques qu’ont laissé les Jeux dans l’esprit des gens. »
Une fin de saison pourtant mal embarquée
Pierre Turon, responsable commercial de Green River Cruises, est plus prudent que ses confrères sur la fin de saison : « Même avec l’engouement des Jeux, le temps est toujours trop aléatoire pour s’assurer d’avoir beaucoup de clients ». À l’instant où il nous répond au téléphone, Pierre Turon est contraint de s’abriter de la grêle qui touche les quais d’Austerlitz. Pour le moment, pas d’été indien pour les Parisiens.
Pour les croisiéristes, la fin de saison se finit habituellement au déclin des beaux jours. « Dès la mi-octobre on constate généralement un gros ralentissement de la demande, reconnaît le responsable commercial. Nos bateaux sont ouverts. A cause du froid et de la pluie, les touristes ne souhaitent plus monter à bord de nos navires. C’est tout de suite moins agréable pour eux. » Le temps passe sans que la météo ne change. « Si cela continue, je doute vraiment que l’on puisse sortir la tête de l’eau pour cette saison », conclut Pierre Turon.
Tous ne sont pas dans le même bateau
Le discours n’est pas tout à fait le même pour les gérants de certaines embarcations, notamment celles couvertes et destinées à la restauration. C’est le portrait-robot du Diamant Bleu, une longue péniche blanche, qui en plus des habituels touristes et ceux venus profiter des Jeux olympiques, constate une vive recrudescence des clients parisiens venus redécouvrir la capitale le temps d’une croisière dinatoire. En effet, les habitants de la ville lumière reviennent en nombre dans certains secteurs touristiques de la capitale, grâce au boom des JO. « Pour nous, c’est la belle surprise de l’été », admet Pierre Turon à propos du retour de la demande parisienne. Il y a un désir nouveau chez eux d’apprendre à mieux connaître leur ville. »
« L’été prochain, on va capitaliser sur l’image des JO, explique, quant à lui, Salim Makacem. Notre clientèle est principalement étrangère, notamment en provenance des États-Unis. On espère que le fantasme des jeux perdura. On est convaincu que l’on aurait plus de travail. C’est certain. »
Pourtant, il semble que les gérants d’embarcations privées et d’agences fluviales touristiques ne jugent pas encore nécessaire de proposer des balades sur le thème des JO. « On a eu beaucoup de Parisiens qui nous ont appelés pour faire le même trajet que durant la cérémonie d’ouverture, explique le responsable commercial de Green River Cruises. On leur répond que c’est le trajet naturel des bateaux. C’est déjà ce que l’on propose. »
Une saison estivale maussade pour les croisiéristes
Dans la ville de l’amour, contrairement à l’effervescence et l’ébullition ambiantes, l’été n’a pas été rose pour les gérants de l’activité touristique fluviale. « Un couac total », selon Olivier B., Salim Makacem parle lui « d’une petite catastrophe » en se remémorant le bilan de la saison. « Par rapport à l’année dernière on va faire face à une perte de revenus élevée, environ 40 % en moins, détaille-t-il. Pour un travail saisonnier comme le nôtre, cela peut être compliqué. »
Plusieurs facteurs ont occasionné cet important manque à gagner. Tout d’abord, le temps gris, non-amputable aux JO, qui n’a jamais complètement cessé depuis le printemps. « On alterne entre averses battantes et légères accalmies. Personne n’est responsable. Il faut faire avec », reconnaît fataliste le gérant. Paradoxalement, malgré l’énorme coup de projecteur braqué sur ces bateaux lors de la cérémonie d’ouverture du 26 juillet, l’activité a pâti « d’un manque de visibilité certains ». Entre gradins et barricades qui jalonnaient certains quais parisiens, « les touristes ne nous voyaient pas ou n’osaient pas s’approcher de nos embarcations », explique Olivier B. qui ne regrette pourtant en rien d’avoir eu l’honneur de participer avec son bateau à la cérémonie.