Addictions : Reprendre ses esprits grâce à l’hypnose

Tabac, sucre, cocaïne, alcool, jeux, sexe … L’hypnose est supposée pouvoir soigner tout type d’addiction. De plus en plus populaire dans le milieu médical, cette pratique suscite pourtant toujours des débats. Enquête. 

Assis sur une chaise à roulette, Benjamin* regarde fixement une figurine de singe en plastique. Ses mains sont posées sur ses genoux. Sa casquette plate est vissée sur sa tête. Et ses paupières se ferment sous ses lunettes. L’homme de 63 ans est concentré. Il se fait hypnotiser.

En ce début d’après-midi du vendredi 7 mai, le temps semble s’être arrêté dans les locaux de l’association Charonne Oppélia, un centre de soin dans le 13e arrondissement de Paris. « Je vous invite à prendre quelques bonnes respirations et à fixer votre regard sur cette petite figure qui est en face de vous. Vous focalisez votre regard de façon tellement intense que tout votre champ se réduit à cette figure », indique la voix calme du docteur Jean-Marc Geidel.

« Je me sens plus léger »

Depuis près de quatre ans, Benjamin se rend ici une fois par mois pour une session d’hypnose. Pendant de longues années, ce jeune retraité a vécu une dépression qui l’a fait tomber dans l’alcoolisme. Benjamin a été suivi par une psychiatre pratiquant l’hypnose conversationnelle, une technique de suggestion où le patient et l’hypnothérapeute échangent en utilisant des métaphores. Grâce à ces images, le professionnel s’adapte au monde de la personne à soigner. 

Aujourd’hui, délivré de son addiction à la boisson, Benjamin a recours à l’hypnose pour se retrouver lui-même. « Les addictions, ça détruit sur le moment où vous êtes dépendant mais ça détruit aussi après », explique le docteur Jean-Marc Geidel. « Et donc l’hypnose peut aussi être très intéressante dans la phase de reconstruction. Comment se retrouver alors que pendant tellement d’années, toute la vie était rythmée par l’alcool ? »

Cet après-midi, Benjamin travaille sur ses émotions. Depuis ce matin, il se sent triste. Dans le petit bureau, la voix du docteur Geidel le guide dans sa transe hypnotique. « Votre esprit est tellement léger, tellement léger qu’il va prendre de la hauteur et déjà votre esprit monte au-dessus de ce bâtiment. Tandis que votre corps reste assis à se reposer sur cette chaise », énonce le médecin. 

À lire aussi: Soigner soi-même ses addictions grâce à l’autohypnose

Pendant une vingtaine de minutes, Jean-Marc Geidel aide Benjamin à se construire d’images mentales. Puis, le docteur l’invite à ce que son esprit se reloge dans son corps resté sur Terre. « Et tout doucement, vous descendez, vous descendez, vous approchez de la ville », indique le médecin hypnothérapeute. « L’ensemble, corps plus esprit, va maintenant s’éveiller tranquillement de cette séance d’hypnose », poursuit-il. Alors Benjamin émerge. Sous son masque blanc, il baille. Ses mains passent ensuite sous ses lunettes. Il se frotte les yeux avant de s’étirer. L’ambiance dans la pièce est douce. Sur les murs blancs, le soleil manifeste sa présence au travers des stores vénitiens. « J’étais lourd. Et là, je me sens plus léger », remarque spontanément Benjamin. La séance est terminée. 

Des séances « sur-mesure »

L’hypnose peut donc permettre la reconstruction post-addiction. Elle peut aussi aider à se délivrer d’une addiction. Les techniques diffèrent selon les professionnels et les patients. C’est du sur-mesure. Parmi elles, l’hypnose classique, l’hypnose conversationnelle ou encore les thérapies d’activation de conscience. Jean-Marc Geidel soutient que tout le monde serait réceptif à l’hypnose, mais pas de la même manière. Chaque hypnothérapeute ne pourrait donc pas réussir à hypnotiser chaque individu.  

Pour un résultat satisfaisant, l’entretien préalable à une session d’hypnose est important. Il permet d’établir un premier lien entre le patient et le professionnel. « Le levier principal, c’est une communication. Si la relation est là, la confiance est là, on a fait au moins la moitié du chemin voire les trois quarts », explique Isabelle Bechu, psychologue et hypnothérapeute. En plus de créer un climat de confiance avec le patient, cet entretien est fondamental pour « chercher le point d’appui », indique Jean-Marc Benhaiem, docteur et hypnothérapeute en région parisienne. C’est-à-dire connaître les croyances, les visions et les désirs du patient. « Une fois le point d’appui trouvé, la séance commence et on peut modifier la vision, la perception de la chose pour qu’il puisse s’en détacher », poursuit le professionnel de la santé. La substance consommée par les patients peut être la même, mais ces derniers peuvent la prendre pour des raisons différentes. « Ce n’est pas tellement liée au produit que les patients utilisent mais à ce qu’ils attendent de ce produit. Par exemple, quelqu’un qui combat son anxiété par de l’alcool ou de l’héroïne, on va l’aider, par l’hypnose, à trouver une autre manière de lutter contre son anxiété », souligne Dina Roberts, psychiatre et hypnothérapeute à l’hôpital Marmottan, un centre d’addictologie, dans le 17e arrondissement de Paris.

L’hôpital Marmottan, dans le 17e arrondissement de Paris. (Photo : Nolwenn Autret)

Un rythme des consultations variable

Chaque médecin a un avis personnel sur le rythme des séances. Pour Dina Roberts, il n’y a pas de règle. Parfois ses patients viennent une fois. Parfois ils viennent la voir chaque semaine. Pour un sevrage tabagique, la professionnelle observe qu’il suffit en général d’une consultation. « Quand on dit que c’est court, ça ne veut pas forcément dire que c’est miraculeux », nuance-t-elle. « Souvent les gens disent après une séance, qu’ils ont la sensation de retrouver un équilibre. Par exemple : arrêter de consommer le produit quand on est angoissé mais juste le consommer quand il y a du plaisir », poursuit-elle.

« On ne va pas mettre le patient dans la dépendance du thérapeute, car l’idée est qu’il en sorte »

Jean-Marc Benhaiem propose des séances d’hypnose qui durent entre 45 minutes et une heure. Il n’est pas forcément favorable à ce qu’un patient revienne trop régulièrement. « On ne va pas mettre le patient dans la dépendance du thérapeute, car l’idée est qu’il en sorte ». Pour Nathalie Legard, 46 ans, deux séances étaient prévues pour qu’elle arrête le tabac. Finalement, une session en novembre 2020 suffira. Après 35 ans de tabagisme, à raison d’un paquet quotidien, elle n’a plus retouché à une cigarette. « J’ai l’impression que l’hypnothiseuse a appuyé sur un interrupteur », témoigne cette femme, agent d’accueil dans un lycée de Mayenne. 

Jean Becchio, médecin généraliste et hypnothérapeute dans le Val-de-Marne, est un défenseur du traitement sur le long cours, pouvant aller de quatre à six mois. Pendant trente ans, il a utilisé l’hypnose pour aider ses patients à se libérer de leurs addictions. « L’addiction, c’est quand on a pris une drogue pendant des années, ou des mois. Cela crée des réseaux très particuliers dans des régions du cerveau. Il faut réussir à en provoquer de nouveaux », explique-t-il.

Bien que les spécialistes utilisent différentes méthodes, ils se rejoignent sur le fait que la motivation personnelle des patients est essentielle. « L’hypnose peut aider une guérison. Elle peut aider à se libérer d’une addiction pour quelqu’un qui est déjà dans ce chemin-là », explique Dina Roberts.

L’hypnose a-t-elle vraiment des effets thérapeutiques ou repose-t-elle sur la croyance et la volonté du patient ? Quelle place pour l’effet placebo ? Pour Jean-Marc Geidel, « l’hypnose n’est rien d’autre que l’effet placebo. C’est l’imaginaire qui crée du réel ». L’hypnose fonctionne donc si la personne hypnotisée est persuadée des effets positifs.  « Quand un patient vient me voir, je lui dis que l’effet placebo participe sûrement. Et alors ? Vous préférez être guéri par l’effet placebo ou ne pas être guéri du tout ? », ajoute Isabelle Bechu. 

Des résultats mitigés

Si la discipline a trouvé des adeptes, elle ne fait pas pour autant l’unanimité. Dominique Barrucand a 88 ans. Ce médecin psychiatre a écrit Histoire de l’hypnose, un ouvrage consacré à l’étude de cette discipline depuis ses origines. Il a beaucoup pratiqué l’hypnose au début de sa carrière. Aujourd’hui, il doute de l’efficacité de cette technique pour soigner les addictions : « Je ne serais pas favorable à traiter une addiction par l’hypnose parce que si l’on veut avoir des bonnes chances de succès, il faut non seulement que le sujet soit d’accord. Mais aussi qu’il soit tout à fait conscient de ce qu’il fait et des efforts qu’il fait. » Selon lui, les addictions nécessitent un traitement adapté, une psychothérapie personnalisée, car l’arrêt de tabac ou d’une autre drogue nécessite un effort colossal. Chef d’un service de traitement des addictions, il n’a jamais utilisé cette technique dans un but de sevrage. 

De même, un médecin psychiatre parisien souhaitant rester anonyme, explique pratiquer de moins en moins l’hypnose pour le traitement des addictions. Sur 1000 consultations dans l’année, il affirme ne pouvoir aider que trois à quatre patients, « un taux de réussite très faible » selon lui. « J’arrive beaucoup mieux à utiliser l’hypnose pour des problèmes d’anxiété et de sommeil, indique-t-il. Pour les addictions, cela dépend de beaucoup d’autres facteurs ». En effet, selon le psychiatre, le traitement des addictions ne peut pas entièrement être assuré par l’hypnose. Elles sont souvent associées à des facteurs qui ne peuvent pas être pris en charge, notamment l’ambiance familiale dans laquelle vit le patient. 

Dina Roberts, psychiatre et hypnothérapeute à l’hôpital Marmottan dans le 17e arrondissement de Paris. (Photo : Nolwenn Autret)

À lire aussi: De Mesmer à Milton Erickson : retour sur l’histoire de l’hypnose

Un statut ambigu

Les formations universitaires d’hypnose ne sont pas reconnues par l’Ordre des médecins, malgré les demandes du SNH (Syndicat national des hypnothérapeutes). Enseignée mais non reconnue, l’hypnose a donc un statut à part. « Hypnothérapeute, ce n’est pas une profession, c’est une spécialité qui peut s’ajouter à la formation des professionnels de santé », précise Jean-Marc Benhaiem. Ce docteur a créé le premier diplôme universitaire d’hypnose médicale à la Pitié Salpêtrière. Au départ, il y avait peu d’inscriptions. Désormais, les candidatures explosent : « On a entre 200 et 300 demandes chaque année pour environ 80-90 places. » De même, l’hypnose est désormais utilisée dans de nouveaux secteurs, notamment dans le cadre d’interventions chirurgicales. Proposée comme une alternative à l’anesthésie classique, elle permettrait de diminuer l’anxiété du patient et les effets post-opératoires. 

L’hypnose reste une pratique médicale coûteuse. Son remboursement dépend des praticiens et des mutuelles. Manon Rousseau, mère au foyer, n’a pas pensé à se rapprocher de son assurance santé. En 2019, elle se lance, avec son mari, dans une PMA (Procréation médicalement assistée) et décide alors d’arrêter de fumer. Lassée des patches, à ses yeux inefficaces, elle prend rendez-vous avec un hypnothérapeute en octobre 2019. Après une séance d’une heure, elle ne retouche plus à la cigarette. Et pourtant, ce n’est pas la solution miracle selon elle. Avec près de 250 euros déboursés dans l’hypnose, « j’ai la conviction que c’est le fait que ça m’ait coûté cher qui m’a motivé », confie la jeune femme de 28 ans. 

Nolwenn Autret et Aglaé Gautreau

 *Le prénom a été modifié.

 

Le chemin de croix des addicts sexuels

Avec les sexshops et les cinémas, l’addiction sexuelle a longtemps bénéficié d’une image folklorique. © Glenn Gillet

Sur le modèle des alcooliques anonymes, des dépendants sexuels se réunissent pour tenter de maîtriser leur addiction. Leur trouble, cependant, n’est pas encore bien reconnu scientifiquement et les personnes qui se sentent atteintes ont des difficultés à trouver un soutien médical.

« Pour moi, je ne faisais de mal à personne », confie Rémi. Le remède de ce quadragénaire de Tarbes aux petits tracas du quotidien est resté le même pendant des années. « Si certains fument des clopes, moi, je regardais du porno ». A la moindre contrariété, comme une dispute mal digérée avec une caissière agressive, le refuge était le même. De quoi l’amener à une fréquence et une intensité hors norme. « Il est arrivé que j’en regarde jusqu’à 4 ou 5 heures par jour ». Il a longtemps vu cela comme un exutoire, une façon de pallier ses difficultés à communiquer : « C’était la seule chose que je contrôlais. Dans la vraie vie, c’était dur d’aller vers l’autre. Alors qu’avec le porno, je maîtrisais mes fantasmes ».


« Des années de déni », balaye-t-il maintenant qu’il a rencontré sa compagne. Auprès d’elle, il a pris conscience de ses démons, surtout après l’arrivée de leur enfant. « Pendant sa grossesse, elle s’est aperçue que j’allais sur des sites pornos. Je tentais d’arrêter plusieurs fois. Ça durait une semaine et je reprenais », se souvient-il. « Quand notre fils a eu 5 ans, elle m’a demandé de partir ». Un électrochoc des plus bénéfiques : Rémi décide de se reprendre en main. « Au lieu de regarder du porno sur Internet, j’ai fait des recherches sur la dépendance ». Si les retrouvailles avec sa compagne ne tardent pas, c’est parce que Rémi est parvenu à mettre des mots sur le mal qui est le sien : il est « dépendant sexuel », comme 3 à 6% de la population française, selon les chiffres de la Fédération français d’addictologie.

La pornographie constitue la manifestation la plus courante de ce trouble comportemenal masculin, mais la multiplication des partenaires, ainsi que le recours à la prositution, sont aussi des marqueurs de ce qui apparaît comme une « addiction »

Addiction ou pas ?

Où commence-t-elle ? Depuis les premières études sur le sujet dans les années 1970, le débat continue à diviser les scientifiques : faut-il d’ailleurs parler d’addiction ou  d’hypersexualité ? De sexualité addictive ? De sexualité compulsive ? Face à la nécessité de s’accorder sur une définition, les instances internationales ont tranché : depuis 2018, c’est l’appellation « comportement sexuel compulsif » qui figure dans la classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Derrière une nomenclature absconse pour une grande partie des personnes atteintes et même pour certains praticiens, il y a la réalité : « perte de liberté, envahissement psychique, activité qui devient centrale, perte de contrôle, poursuite des conduites malgré les conséquences négatives, dommages conjugaux, financiers, psychologiques, professionnels, judiciaires et infectieux », c’est l’inventaire que dresse la psychiatre-addictologue Marie-Grall Bronnec, qui montre que cette réalité peut tout à fait être source de souffrance.

Contrairement aux dépendants à des produits, l’addiction sexuelle est « comportementale » au même titre que l’addiction aux jeux, aux achats ou encore à certains aliments ou pratiques alimentaires. « C’est le cerveau qui est le dealer », résume l’addictologue Stéphanie Ladel avant de nuancer : « Le sexe à la base n’est pas une substance, pas un produit, mais il peut être produit voire industrialisé par la pornographie, par les tchats ». Elle pointe par ailleurs la complexité pour définir les conduites addictives relatives à la sexualité puisque « le sexe fait partie des sources naturelles de plaisir parce que Dame Nature (…) a décidé que c’était une bonne chose de manger pour rester en vie plusieurs jours, et de faire du sexe pour rester en vie plusieurs générations ».

« J’avais enterré mes émotions »

Reste qu’entre plaisir et addiction, tracer la ligne peut s’avérer complexe, d’autant plus que l’addiction sexuelle est souvent liée à une dépendance affective. Franchir cette ligne sans s’en apercevoir est d’une grande banalité, les addicts peuvent alors « sombrer », selon l’expression d’Aurélie Wellenstein, documentaliste à l’hôpital de Marmottan, établissement parisien pionnier dans le traitement des addictions.

Pour beaucoup, cela se caractérise par une incapacité à gérer la place croissante que prend l’addiction dans leur vie : « Mes collègues de travail ont certainement compris ce que je faisais », cite en exemple Rémi. La sphère familiale reste toutefois l’endroit où l’addiction est la plus envahissante. Lorsque les dépendants sexuels sont en couple, la place prise par le sexe, occasionne systématiquement des frictions : « Au moindre problème, je mettais un terme à la relation », partage Eugénie, 48 ans. Pour cette addict sexuelle et affective, le sexe a toujours été « sale », un moyen de priver un mari qu’elle considérait responsable de tous ses maux. Eugénie n’en est pas moins dépendante sexuelle : le sexe devient une monnaie d’échange grâce à laquelle elle peut tout obtenir et dont elle ne peut pas se passer. « J’avais enterré mes émotions. Je fonctionnais comme un robot. Mon mari, lui, c’était la douceur incarnée », confie-t-elle. « Il a fallu que je passe des années à pourrir sa vie. »

Stéphanie Ladel abonde : « Il peut y avoir une irritabilité réelle ou induite par le comportement addictif : vis-à-vis de leur conjoint, de leur proche, les gens peuvent paraître irascibles plus qu’ils ne le sont pour pouvoir aller consommer. » Faute de pouvoir s’assurer des interactions sociales saines, les addicts sont souvent très isolés : « Quand on cède à ses impulsions plusieurs fois dans la journée, on n’est pas fréquentable », reconnaît un autre addict prénommé Rémi, habitant Strasbourg et aujourd’hui investi dans l’apprentissage de la communication non-violente pour se guérir. Cet auto-isolement rend le recours à une quelconque aide encore plus difficile : « On a des gens qui sont extrêmement honteux, qui sont dans une solitude extrême », s’inquiète Aurélie Wellenstein.

Le visage le plus récent de l’addiction sexuelle est la pornogaphie, accessible à tous sur Internet depuis plus de 20 ans. © Glenn Gillet

Mais, comment devient-on addict sexuel ? Au-delà de « l’appétence pour la chose » qui « recouvre l’ensemble de la population », Stéphanie Ladel identifie la « vulnérabilité personnelle » comme une des premières causes. La source de l’addiction se cache bien souvent dans la construction affective de l’individu. « Au bout de quelques séances, on retrouve souvent des traumatismes de type sexuel, comme des agressions ou des viols, c’est très fréquent. », abonde Aurélie Wellenstein.

Nombreux sont les addicts à faire état d’épisodes traumatiques. « Ma mère n’avait qu’une seule hantise : que je tombe enceinte. Elle me donnait la pilule avant même que je sois réglée. », raconte Florence, 55 ans. Dès son plus jeune âge, cette Bruxelloise d’origine a reçu la même leçon familiale : le sexe était « sale ». « Mon père était fou. Quand j’avais 12 ans, il me montrait son sexe en criant « T’as peur hein !? T’as peur ? » ». C’est cette enfance traumatisante qui, pense-t-elle, explique le mal qui est le sien et dont elle se rétablit péniblement : la frigidité, « l’incapacité à ressentir du plaisir pendant l’acte », explique-t-elle.

Comme Florence, les addicts évoquent souvent leur enfance auprès d’une famille jugée « dysfonctionnelle », au sein de laquelle les abus de pouvoir de la part des parents ont pu être fréquents et vite apparaître comme la norme aux yeux des enfants. En cause : bien souvent, la dépendance d’un des deux parents à l’alcool ou… au sexe. « Ma mère imposait des relations sexuelles à mon père avec mon parrain et sa femme. Pour elle, tromper son mari était normal », témoigne Florence.

Les jeunes consommateurs, des « bombes à retardement » ?

Mais, au-delà du contexte familial, cliniciens de tous bords pointent du doigt l’accessibilité de la cyberpornographie comme un facteur aggravant, notamment durant les confinements. « Il y a des sites comme Pornhub qui ont tout mis en accès libre. Alors les gens ont passé leur journée devant à regarder du porno. », s’étrangle Aurélie Wellenstein. Issu de la « génération Canal » et de son fameux film X chaque premier samedi du mois, Rémi, le sudiste, trouvait déjà le porno trop accessible il y a 20 ans. Mais, aujourd’hui, c’est pire que tout. « La société est ultra sexualisée. Pour vendre des pneus, il faut une belle femme ! », résume celui qui a déjà peur pour son fils, aujourd’hui âgé de 14 ans, l’âge moyen du premier visionnage de contenu pornographique en ligne, selon une enquête Ifop datant de 2017.

Une « bombe à retardement. », a coutume de dire Rémi, qui craint que son fils devienne dépendant sexuel à son tour. Et pour ceux qui, contrairement au père de famille, n’ont pas la possibilité d’anticiper l’addiction sexuelle et la découvrent sur le tas, se pose la question des nombreux traitements.

© Glenn Gillet

Se soigner, mais comment ?

La thérapie consiste surtout dans le fait de se concentrer sur la construction affective qui joue un rôle déterminant dans l’addiction. Nombreux sont les dépendants à avoir recours à cette méthode. Une véritable aubaine, pour certains. « C’est l’univers qui me l’a envoyé ! », aime dire Eugénie à propos de son psychologue. « C’est quelqu’un de passionné par son métier, qui m’a réappris ce qu’était l’honnêteté ». A l’inverse, d’aucuns considèrent que ce détour par l’enfance éloigne du véritable problème, comme Rémi, le tarbais : «Au bout de 6 mois-1 an de thérapie, j’ai arrêté », explique-t-il. « Parce que, d’accord, c’est la faute de mes parents, mais à côté de ça je continuais la masturbation compulsive. ». La faute, selon lui, à une relation unilatérale avec un spécialiste « qui sait ». « Je disais ce qu’il voulait entendre. Ca ne pouvait pas marcher. », conclut-il.

Ce qui manque dans la thérapie, cette relation d’égal à égal, il l’a trouvé dans les fraternités de type Alcooliques Anonymes et notamment à Dasa, les Dépendants affectifs et sexuels anonymes. Le principe : des réunions régulières et réservées aux addicts qui peuvent prendre la parole librement. DASA propose également à chacun d’être parrainé par un autre addict. « C’est un jeu de mimétisme entre deux personnes qui ont vécu les mêmes souffrances. », résume Rémi. « Le véritable spécialiste, c’est le dépendant. », défend Florence, également membre de la fraternité.

Dasa et les 12 étapes vers la « sobriété sexuelle »

Créés en 1973 aux Etats-Unis, les Dépendants affectifs sexuels anonymes (Dasa) ont emprunté aux Alcooliques Anonymes (AA) le concept du programme en « 12 étapes », que le dépendant doit suivre pour atteindre la « sobriété sexuelle ». La première : « Accepter son impuissance face à la dépendance ». Pour cela, les dépendants doivent, étapes suivantes, « croire en une puissance supérieure » et lui « confier la maladie », autre emprunt aux AA créés en 1935 à partir d’un mouvement évangéliste. Les quatre étapes suivantes : « Faire un inventaire minutieux sur soi-même », « identifier ses torts » et « travailler sur ses défauts en général » et son « caractère » ensuite. Puis, vient l’amende honorable : « Faire la liste des personnes que l’on a blessé », « réparer les torts ». Enfin, avoir prié et médité « pour mener à bien le projet de rétablissement », le dépendant s’engage à « transmettre ce qu’il a appris », notamment en parrainant d’autres addicts sexuels.

Mais, si rien ne vaut le témoignage des dépendants, il arrive que certains, en tentant de mettre le doigt sur les raisons de leur mal-être, le relient à tort à l’addiction sexuelle. « C’est l’effet Doctissismo, on se dit que c’est forcément de nous qu’on parle sur les forums », analyse Stéphanie Ladel, qui reçoit régulièrement des « faux positifs » en consultation.

Elle cite pêle-mêle les « maris volages » qui cherchent à justifier leurs infidélités en se disant dépendant. D’autres patients décrits comme « très religieux » par la spécialiste, « et qui aimeraient avoir des pratiques sexuelles d’ange », mais tombent de haut lorsqu’ils constatent qu’ils fantasment et que leurs pensées leur échappent. « Il y a beaucoup de gens qui se reprochent d’avoir des actions sexuelles, du point de vue moral » constate-t-elle. Là encore, le recours à l’autodiagnostic permet de se trouver des excuses. Ces cas restent toutefois inoffensifs. D’autres patients autodiagnostiqués souffrent en réalité de troubles plus graves, comme des attirances pédophiles. Dans ces cas-là, « c’est plus facile de se cacher derrière l’étiquette d’addict sexuel ».

« C’est compliqué, la sexualité, parce que ça fait ricaner »

Face à la méconnaissance vis-à-vis du trouble, l’enjeu de prévention et de santé publique est réel. Or, les spécialistes constatent, accablés, que le problème n’est pas vraiment pris en compte : « On a des gens bringuebalés entre des spécialistes qui souvent ne comprennent rien. Avant d’arriver sur un addictologue, ils peuvent errer pendant très longtemps. Il n’y a aucun fléchage pour l’addiction sexuelle, ce n’est pas un sujet qui intéresse les gens », considère Aurélie Wellenstein.

Les tabous contribuent également au manque de reconnaissance du trouble : « C’est compliqué la sexualité parce que ça fait ricaner. Les gens n’en parlent pas parce que ça touche à l’intime. Même dans notre équipe [de l’hôpital Marmottan, NDLR] tout le monde n’est pas à l’aise avec le fait de recevoir des addicts sexuels », avoue la documentaliste. En termes de prévention à grande échelle, « en France, il n’y a rien », lâche Maria Hernandez-Mora, psychologue clinicienne, qui officie dans un centre d’addictologie rattaché à l’hôpital Simone-Veil de Paris.

Après plusieurs années passées en structure spécialisée en Espagne, elle tente aujourd’hui d’importer l’approche de santé publique qu’elle y a découverte et qui a fait ses preuves en Espagne ainsi qu’aux Etats-Unis : refuser la prohibition, notamment en ce qui concerne la pornographie, pour préférer des campagnes de prévention bienveillantes et la formation de professionnels en mesure d’appréhender les parcours souvent chaotiques des dépendants.Ce travail, elle le mène à travers l’association Déclic, qu’elle a cofondée avec Anne-Sixtine Pérardel, philosophe et conseillère en vie affective et sexuelle. En parallèle, Maria Hernandez-Mora poursuit un doctorat sur l’impact de la pornographie et prépare une thèse. L’objectif ? Démontrer la réalité scientifique de l’addiction sexuelle et ainsi ouvrir la voie à des financements pour une prévention de grande ampleur.

Pierre-Yves Georges et Glenn Gillet

A ECOUTER AUSSI – De la pathologie fantasmée au jugement moral, petite histoire de la notion de « nymphomanie », parfois utilisée en synonyme d’addiction au sexe / Par Sylvie Chaperon, membre de l’institut universitaire de France et spécialiste de la médecine sexuelle et de l’histoire des femmes au XIXe siècle :

Roland-Garros : les favoris au rendez-vous, bilan mitigé pour les Français

Ce mardi 1er juin avait lieu la fin du premier tour Porte d’Auteuil. Le « maître des lieux » Rafael Nadal a réussi son entrée en lice, tout comme la numéro une mondiale Ashleigh Barty. Quatre Français ont réussi à valider leur ticket pour le prochain tour, portant le total à sept.

Ce mardi 1er juin ont eu lieu les dernières rencontres du premier tour de Roland-Garros. © Pixabay

Soleil de plomb, ciel bleu, 28 degrés en plein après-midi… Le beau temps était au rendez-vous pour la fin du premier tour, mardi 1er juin. Dès 11 heures, la numéro une française Fiona Ferro entrait sur le court Suzanne Lenglen face à la qualifiée En-Shuo Liang, 297e mondiale. Si, sur le papier, la rencontre semblait déséquilibrée, la Niçoise a dû batailler avant de s’imposer difficilement en trois sets, 6-1 1-6 6-4. La 51e mondiale affrontera Jennifer Brady, tête de série 13, au deuxième tour. Kristina Mladenovic a elle aussi battu une joueuse issue des qualifications, Anna Karolina Schmiedlova, 6-4 6-0 après un premier set d’une heure. Avec les victoires de Caroline Garcia et Harmony Tan les jours précédents, il y aura donc quatre Françaises au deuxième tour du Grand Chelem parisien.

Des défaites logiques, d’autres frustrantes

Chloé Paquet et Océane Babel, respectivement 251e et 1047e mondiales et toutes deux invitées, se sont, elles, logiquement inclinées. La première a été dominée par Magda Linette (6-4 6-4) tandis que la seconde n’a pas démérité et a même servi pour le deuxième set face à la tête de série n°5 du tournoi Elina Svitolina (6-2 7-5).

« C’est juste une expérience incroyable de pouvoir jouer sur le central contre Elina Svitolina, qui est une grande joueuse. Je n’en garde que des très bons souvenirs. J’ai pu profiter du public qu’il y avait, de l’ambiance, et du match. » – Océane Babel après son match.

Ugo Humbert, lui, peut avoir des regrets. Le Lorrain, tête de série n°29, n’a toujours pas remporté de match à Roland-Garros et a été éliminé d’entrée par Ricardas Berankis, 93e mondial. Après un dernier jeu dans lequel il a sauvé plusieurs balles de match et eu l’opportunité de revenir à cinq jeux partout, il a finalement cédé, 6-4 6-4 2-6 6-4. La rencontre avait débuté avec plus d’une demi-heure de retard suite à la présence d’un véhicule suspect aux abords du stade.

Même sort pour Adrian Mannarino, pourtant favori de son match, qui a rendu les armes après 3h29 de match contre Aljaz Bedene (7-5 3-6 7-5 6-2). De leur côté, Benjamin Bonzi, bénéficiaire d’une invitation, et Lucas Pouille, en manque de repères ces derniers mois, se sont logiquement inclinés en trois sets, respectivement face à Facundo Bagnis et Pablo Cuevas.

Monfils dans la douleur, Gasquet remporte le duel franco-français

Deux Français ont tout de même rejoint Enzo Couacaud, déjà qualifié, au deuxième tour. Gaël Monfils, demi-finaliste en 2008, affrontait Albert Ramos-Vinolas, spécialiste de la terre battue. Fantomatique au premier set, perdu 1-6, le 15e mondial a dû sauver une balle de deux sets à zéro avant de revenir à une manche partout au tie-break. Dans une ambiance de folie, il s’adjugeait ensuite les deux sets suivants pour l’emporter 1-6 7-6(6) 6-4 6-4.

Le match suivant opposait deux Français dans un duel de générations : d’un côté Richard Gasquet, 34 ans, de l’autre, Hugo Gaston, 20 ans, révélation du dernier Roland-Garros et bénéficiaire d’une wild-card. Et c’est le plus expérimenté des deux qui s’est facilement imposé, 6-1 6-4 6-2. Le Biterrois défiera Rafael Nadal au deuxième tour.

Nadal et Barty réussissent leur entrée, Rublev éliminé

Rafael Nadal, justement, a débuté son tournoi dans l’après-midi face à l’Australien Alexei Popyrin, qui s’était révélé à l’Open d’Australie en 2019 en battant Dominic Thiem. S’il a dû sauver deux balles de troisième set, l’Espagnol a livré un match plutôt solide et l’a emporté 6-3 6-2 7-6(3).

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par Roland-Garros (@rolandgarros)

La numéro une mondiale Ashleigh Barty, vainqueure du tournoi en 2019, s’est fait une petite frayeur en perdant le deuxième set mais a ensuite imposé son rythme pour se défaire de Bernarda Pera, 6-4 3-6 6-2. C’est également passé pour Karolina Pliskova (tête de série n°9) et Maria Sakkari (tête de série n°17).

Chez les hommes, les principales têtes de série ont aussi tenu leur rang, dans l’ensemble. Matteo Berrettini (n°9), récent finaliste à Madrid, s’est imposé en quatre sets contre le Japonais Taro Daniel tandis que Diego Schwartzman (n°10) n’a pas fait de détail face au Taïwanais Yen-Hsun Lu. Seule surprise de la journée, la défaite d’Andrey Rublev, tête de série n°7 face à Jan-Lennard Struff, toujours dangereux.

 

À 21 heures, le numéro 1 mondial Novak Djokovic disputera son premier match du tournoi sur le court central contre Tennys Sandgren. Demain, place au début du deuxième tour avec notamment Serena Williams, Victoria Azarenka, Daniil Medvedev, Stefanos Tsitsipas et Alexander Zverev. Du côté des français, on retrouvera Caroline Garcia, Harmony Tan et Enzo Couacaud.

Laura Pottier

Une adolescente malaisienne expose la culture du viol grâce à TikTok

Une adolescente est devenue l’emblème de la lutte contre le harcèlement à l’école en Malaisie. Suite à une vidéo publiée sur TikTok à propos d’un commentaire déplacé d’un professeur sur le viol, des milliers d’étudiants ont témoigné d’agressions verbales et physiques dans le milieu scolaire.

Rue étudiants Malaisie
Sur les 31 millions de malaisiens, l’âge médian est de 28 ans. © igorovsyannykov

« On ne peut pas laisser ce cycle de l’abus continuer dans nos écoles ». À 17 ans, Ain Husniza Saiful Nizam est à l’origine d’un déferlement de témoignages d’étudiants malaisiens sur les violences et le harcèlement qu’ils subissent. Publiée en avril, sa vidéo a déjà été vue 1,8 millions de fois sur TikTok, un réseau social prisé par les jeunes.

Filmée devant son miroir, elle raconte la mauvaise blague d’un professeur. En parlant des lois protégeant les mineurs des abus sexuels, il aurait conseillé aux jeunes garçons de choisir des femmes de plus de 18 ans, s’ils désiraient commettre un viol.

Ain Husniza Saiful Nizam TikTok
Capture d’écran de la vidéo virale d’Ain.

L’adolescente a initié depuis une campagne digitale intitulée #MakeSchoolASaferPlace sur TikTok, suite à l’essor du nombre de témoignages, dans le sillage du sien.

Menacée de viol à cause de sa vidéo

Le succès de sa vidéo sur les réseaux sociaux n’a pourtant pas été facile. Depuis, Ain subit de nombreuses attaques, dont des menaces de viol et un risque d’expulsion de son école.

Pourtant, la jeune femme souhaite « juste faire des écoles des lieux sûrs ». Si sa vidéo a été autant partagée, c’est parce qu’elle révèle selon elle les failles du système scolaire malaisien dans son ensemble.

Ain Husniza Saiful Nizam demande aujourd’hui une réforme urgente de l’éducation dans son pays, pour « aborder la culture toxique du harcèlement sexuel à l’école ».

 

Jean Cittone