Boîtes vocales et rendez-vous surprise : les rappeurs jouent la carte du marketing mystère

Pour promouvoir la sortie d’un single en featuring, les rappeurs Damso et Kalash ont convoqué leurs fans à un rendez-vous surprise par le biais d’une mystérieuse boite vocale. Une stratégie marketing ludique, et désormais typique d’une industrie compétitive, dont les grands noms rivalisent d’inventivité pour défendre leurs projets.

Dans le 11e arrondissement à l’approche de midi, une foule d’adolescents trépigne devant les portes fermées d’un local. Un vigile tente de discipliner la cohue, comme un pion devant la queue affamée d’une cantine de collège.

« J’ai suivi un jeu de piste qu’il a fallu remonter pour arriver au rendez-vous ici. Maintenant que je suis là, on va voir ce qu’il se passe », raconte Sélim étudiant en cinéma de 18 ans, qui patiente devant l’attroupement. L’objet précis de son attente est encore mystérieux.

Rue Jean Macé dans le 11e arrondissement, les fans attendent une « surprise » des rappeurs Damso et Kalash.

Rencard énigmatique

Comme tous ses compagnons de piquet, il a été convoqué par coup de com bien rodé, signé Damso et Kalash. Le populaire tandem de rappeurs, dont le titre Mwaka Moon cumule des centaines de millions d’écoutes sur les plateformes de streaming, sort un nouveau single commun vendredi.

Les artistes ont diffusé mardi, sur TikTok et Instagram, un numéro de téléphone fixe. « J’ai appelé le numéro, qui faisait tomber sur un message vocal. Puis on a reçu un SMS le lendemain, qui renvoyait vers un lien, où j’ai dû entrer mon adresse mail » décrit Sarah, 17 ans. « Ça m’a permis de recevoir un message qui donnait rendez-vous à cette adresse et cette heure », explique la jeune fille, qui a traîné quelques amies du lycée jusqu’au rencard.

Ces plans de promotion ludiques et teintés de mystère sont désormais incontournables pour les grands noms du rap. Ceux-ci rivalisent d’inventivité pour promouvoir titres et tournées, et mobilisent des canaux diversifiés, vers lesquels le consommateur invité à s’engager de façon active.

La semaine dernière, le rappeur Lacrim a caché une clé USB renfermant des inédits, que sa communauté a été invitée à rechercher. Dernier exemple en date d’une longue série : le rappeur Lomepal a dévoilé, samedi, les dates d’une tournée fantôme, dont les lieux restaient secrets. Les fans n’ont pu les découvrir qu’en trouvant des avis Google disséminés par l’artiste au sujet des salles retenues.

 

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Créneau bouché

Alors que faire sa promotion sur les réseaux sociaux est désormais est la norme, il est indispensable de se distinguer. « La fin des années 2010 a signé l’avènement de la sponsorisation, c’est à dire de la promotion de la musique via des publicités diffusées sur les réseaux sociaux », explique Roman Tayakout, chef de projet digital pour le label Jeune à Jamais. « Ce canal a été massivement utilisé par les artistes rap, dont le public est jeune, et très engagé sur ces réseaux ».

« Mais le créneau de la sponsorisation s’est rapidement bouché : les artistes ont dû se distinguer, en mobilisant des canaux plus atypiques. Ils misent ainsi sur des objets transmédia : numéros à appeler, SMS personnalisés, en entourant le tout d’intrigue et en insistant sur un côté mystérieux et exclusif », développe-t-il.

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Orné d’un récit, le SMS promotionnel passe pour une dépêche confidentielle et auprès d’un public adolescent, la boîte vocale d’un téléphone fixe a presque le charme du vintage. Les procédés permettent, au passage, de rafler la précieuse manne de la data. Adresses mail et numéro de téléphones, engrangés par milliers, permettent de fidéliser le public sur des sorties et concerts futurs.

Le caractère événementiel, ainsi que les rencontres en physique sont aussi cruciaux, et permettent d’élargir les communautés d’auditeurs. « Dire que je suis fan de Damso serait exagéré. Mais j’avais fait suivi toute la démarche, fouiné, appelé le numéro. Alors il fallait bien que je vienne », confie Marvin, 20 ans, qui, assurément, écoutera le nouveau single vendredi. Le jeune homme a fait deux heures de route depuis Orléans pour répondre présent sur les lieux d’un buzz qui a agité Twitter ces derniers jours.

D’aucuns pourraient trouver ces méthodes marketing aussi agressives que le SMS de Damso. Peu probable pour autant, que le public cible les perçoive comme telles, juge Mylan Aké, chef de projet pour 135 médias, une agence communication de référence pour les musiques urbaines. « Les jeunes le ressentent plutôt comme une forme de promiscuité et d’exclusivité », sonde l’expert.

Culture de la débrouille

Ces procédés ingénieux sont par ailleurs l’héritage d’un genre musical longtemps resté au ban des médias mainstream, dont la communication hors sentiers battus est matricielle.  « Le rap est caractérisé par une culture du marketing « débrouille », car ses artistes n’accèdent aux médias classique que lorsqu’il sont très célèbres », analyse Mylan Aké, qui met par ailleurs le phénomène au compte de la compétitivité du secteur. « Les rappeurs célèbres comme Orelsan, PNL ou Damso ne sont certes plus dans cette débrouille. Mais aucun grand nom ne se repose sur ses lauriers : chacun sait qu’il doit continuer à surprendre, y compris par sa com’, pour se maintenir sur la scène », ajoute-il.

Midi pile, quelques cris surgissent et la foule accoure. Les portes du local s’ouvrent et dévoilent un pop-up store, où sont vendus des T-shirts floqués « Malpolis » – le nom du titre de Damso et Kalash à paraître – pour une trentaine d’euros. Les plus patients comptent encore sur une venue surprise des artistes. « Ils devraient passer dans l’après-midi, glisse un policier stationné au coin de la rue, mieux informé que les jeunes fans.

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