Avec la présence de quelques représentants de l’Etat et des chaînes de vulgarisation, la plateforme Twitch permet de sensibiliser certains utilisateurs aux enjeux politiques, mais n’est pas une recette miracle pour les emmener jusqu’aux urnes.
Alors qu’Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon débattent sur le plateau de BFM TV, le 23 septembre, plusieurs streamers diffusent et commentent le débat sur leur chaîne Twitch. Ils ont réuni 100 000 personnes avides de suivre la confrontation. Signalés par BFM TV, Hugo Decrypte, Sardoche et Dany Caligula ont été bannis de la plateforme pour 48 heures. Le hic ? Le débat est la propriété intellectuelle de BFM TV qui a attiré 3,81 millions de téléspectateurs. Sans oublier que BFM TV possède sa propre chaîne Twitch et proposait à près de 12 000 utilisateurs un live commenté par ses propres streamers. Il y a donc un public réceptif aux débats commentés en direct sur Twitch et diffusés de manière moins traditionnelle. « C’est une nouvelle manière d’avoir un débat politique » affirme Lisa Bolz, chercheuse au Celsa.
Une politique plus accessible
Les streamers permettent de rendre plus intelligible à un certain public des discours politiques ou des débats dont tout le monde ne maîtrise pas les enjeux. Depuis 2015, Jean Massiet vulgarise la politique sur Twitch et rassemble une communauté de plus de 100 000 personnes. Sa chaîne « Accropolis » propose notamment de décrypter en direct les débats à l’Assemblée Nationale. « Il y a un public pour cette écoute active. Il y a un public qui a envie d’un décryptage en temps réel, qui n’a pas forcément envie d‘écouter tout ce qui est dit dans un débat », explique Philippe Moreau Chevrolet, professeur de communication politique à SciencePo et président de MCBG Conseil, C’est extrêmement satisfaisant que quand on a du temps pour faire ce travail de vulgarisation politique, d’échange et d’explications, on fédère un public. »
C’est également une manière plus directe de s’adresser à des viewers habitués à échanger en direct et qui souhaitent interagir avec les politiques, leurs poser des questions et avoir une réponse instantanément. »C’est un moyen de parler en dehors des cadres, de parler plus longtemps, d’une autre manière et avec moins de filtres, explique Lisa Bolz, C’est la fonction commentaire, c’est cet échange qui ajoute quelque chose entre l’utilisateur de la plateforme et le politique ».
Les politiques se rendent aussi plus accessibles. Ainsi, le député Ugo Bernalicis (LFI) a affronté Denis Masséglia (LREM) sur le jeu League of Legend, lors d’un live diffusé sur Twitch, en juin 2021, juste avant les élections régionales et départementales.
Arrêtez tout ! Le premier show politique sur les jeux vidéos c’est maintenant sur https://t.co/dPqeBSO7mp !
Avec @denis_Masseglia et nos équipes respectives, ce n’est pas un débat mais un match de #LeagueOfLegends qui nous opposera ce soir. https://t.co/VGGhE5VGIN
— Ugo Bernalicis φ (@Ugobernalicis) June 14, 2021
Une compatibilité parfois fragile
S’exprimer sur Twitch ne permet pas à coup sûr de toucher un nouveau public ou de l’inciter à voter. « C est un public qui est moins intéressé par la politique, donc il ne suffit pas d’être sur Twitch. Ce qu’il faut aussi, c est que le discours et les enjeux les intéressent. Il faut qu’il y ait une concordance entre le support, qui est effectivement plus accessible et utilisé, et le message doit être jugé impactant et utile. (…) Sinon, ça ne vous convaincra pas qu’il faut absolument aller voter. », affirme Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information et de la communication.
Mais ces codes, Jean-Luc Mélenchon, candidat à la présidentielle, les connaît. Philippe Moreau Chevrolet précise qu’il « ne pratique pas la langue de bois » et « sa posture à mi-chemin entre le populisme et la figure du sachant, un peu à la Bernie Sanders, c’est quelque chose qui répond aux aspirations des utilisateurs Twitch« .
Le Premier ministre Jean Castex, au contraire, rate son coup, le 14 mars. Alors qu’il participe au live Twitch du journaliste Samuel Etienne, il est en décalage avec les codes de Twitch. « Les utilisateurs de Twitch cherchent quelque chose qui a du fond et qui soit sans langue de bois. L’échec de Castex sur Twitch, c était qu’il y avait un décalage de culturel phénoménal. Il y a une pratique sur Twitch, c est que les questions appellent de vraies réponses. (…) Les politiques français ne savent pas communiquer avec les internautes directement. Il leur faut toujours un intermédiaire.« , explique Philippe Moreau Chevrolet.
C’est moi qui invite, mais c’est vous qui posez les questions !
Le Premier ministre @JeanCASTEX invité ce soir de #LaRencontreEstTienne, rdv à 18H ce dimanche, ici : https://t.co/Ii9R8nTIPu pic.twitter.com/2xIJpTWHWs
— Samuel Etienne (@SamuelEtienne) March 14, 2021
Michèle Bargiel