Éolien en mer : les pêcheurs normands face au « discours schizophrénique » de l’écologie

Ce vendredi, 150 bateaux de pêches normands se sont donnés rendez-vous aux ports du Havre et de Cherbourg pour exiger un moratoire sur les projets de parcs éoliens offshore le long de la côte normande. ONG, pêcheurs et élus écologistes s’écharpent autour de la question plus qu’épineuse de l’impact environnemental des éoliennes en mer. Décryptage.

« Sur la question de l’éolien offshore, pêcheurs et ONG se rejoignent ! », triomphe Manuel Evrard, directeur de l’Organisation des pêcheurs normands (OPN). L’ingénieur halieutique ne croit pas si bien dire : l’association Sea Sheperd, engagée dans la protection des écosystèmes marins, a rejoint le collectif « Citoyens des Mers », créé par l’OPN pour protester contre les cinq projets de parcs éoliens offshores le long de la côte normande. Une mobilisation a eu lieu ce vendredi à Cherbourg et au Havre, dans la même veine que celle menée, jeudi 24 septembre, dans la baie de Saint-Brieuc.

Épineuse, la question de l’éolien en mer. D’un côté, les élus écologistes, ou tout simplement acquis à la lutte contre le changement climatique, qui affirment que l’offshore est un des moyens de réduire le recours aux énergies fossiles. De l’autre, pêcheurs et associations de défense de la biodiversité marine, pour qui la bétonisation relative à l’implantation des éoliennes offshore nuit aux écosystèmes. Doctement, Manuel Evrard liste ces nuisances : « Il n’y a plus aucune espèce pendant la période de construction à cause du bruit, la vibration des pâles se fait sentir jusque dans les fonds marins, ce qui en fait fuir d’autres encore ! ».

Eviter, réduire et compenser

Ces éoliennes présentent effectivement un risque pour les ressources halieutiques, celui de les voir peu à peu disparaître au large de la Normandie. « Evidemment que les pêcheurs doivent faire leur part du travail en ce qui concerne le réchauffement climatique, mais quand on vous parle de cinq projets de parcs éoliens, vous ne croyez pas que ça fait trop ? », questionne le président d’OPN. « Nous, nous disons simplement : testons-en un seul, pour commencer et voir les effets, ensuite on verra ! ».

Côté élus, on n’en démord pas. Tout juste concède-t-on que les associations « ont raison de dénoncer l’impact de ce projet », tout en rappelant que le « zéro impact » n’existe pas. « Nous nous référons à la méthode « Eviter, Réduire, Compenser » », se défend Guillaume Hédouin, conseiller régional Europe-Ecologie Les Verts. Plébiscitée par le gouvernement, cette doctrine conditionne la réalisation de tous types d’aménagements en milieu naturel, et ce en trois étapes : d’abord, l’évitement des impacts sur l’environnement avant la construction, ensuite, la réduction des impacts durant le projet et, enfin, la compensation des éventuels impacts une fois l’aménagement réalisé. En clair, la compensation de l’éolien, du point de vu de la lutte contre le changement climatique, serait largement suffisante.

« L’éolien offshore, ce n’est pas la bonne cible »

« Je crois beaucoup en l’éolien en mer qui alimentera dans les années à venir des millions de foyers », expliquait, justement, la ministre de l’Ecologie Barbara Pompili, sur son compte Twitter, à l’annonce de la construction du tout premier parc éolien flottant en France, au sud de la Bretagne. « L’éolien offshore, ce n’est pas la bonne cible », corrobore Guillaume Hédouin. Et de citer, pêle-mêle, les maux des marins-pêcheurs, des bateaux-usines, « qui s’accaparent les ressources de la mer », au Brexit, « qui prive les pêcheurs des eaux britanniques ». A côté de ça, les éoliennes en mer ? Le cadet de leurs soucis.

Justement, rappelle Manuel Evrard, pour les pêcheurs, « c’est une accumulation » : « Brexit, granulats (du nom de ce minéral, dont l’extraction de plus en plus intense altère les écosystèmes marins, ndlr), offshore, etc. ». Encore une fois, pense-t-il, les pêcheurs sont la dernière roue du carrosse et doivent faire face, là encore, à un « discours schizophrénique » : « D’un côté, ils doivent se retirer des futurs parcs éoliens, où on urbanise, de l’autre, ils doivent quitter des zones protégées, où on protège les écosystèmes ! ».

Schizophrène, également, l’écologie face à la question de l’éolien offshore. Car ce sont, plus que jamais, deux visions qui s’affrontent. D’un côté, la lutte contre le changement climatique qui implique d’implanter ces parcs coûte-que-coûte. De l’autre, la préservation de l’environnement, combat de plus petite échelle, qui met en exergue les nuisances de l’éolien sur les écosystèmes. Au centre, les pêcheurs normands.

Pierre-Yves Georges

 

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