Réforme de l’irresponsabilité pénale: « La justice cherche à s’immiscer dans un jugement médical »

L’Assemblée nationale a adopté ce mercredi le projet de loi modifiant la notion d’irresponsabilité pénale. Cette réforme vise notamment à réprimer certains actes commis après une consommation délibérée de produits psychoactifs. Des professionnels craignent que des personnes malades ne soient traitées sur le plan pénal plutôt que médical. 

La justice française va-t-elle « juger les fous »? L’Assemblée nationale a adopté en première lecture, mercredi, le projet de loi visant à réformer la notion d’irresponsabilité pénale. Certains professionnels anticipent déjà des dérives, et craignent que soient jugées et condamnées des personnes nécessitant une hospitalisation psychiatrique.

Le texte réprime notamment la consommation délibérée de psychoactifs par une personne ayant eu conscience que cela pouvait la mener au passage à l’acte. Dans ce cas de figure, une personne ayant commis un homicide ou encore des violences volontaires sera jugée pour ses actes, même si son discernement était aboli.

Actuellement, l’article 122-1 du code pénal prévoit l’irresponsabilité pénale d’une personne qui « était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »

Cette réforme du droit pénal intervient en réponse à l’émotion suscitée dans le pays par le meurtre de Sarah Halimi, tuée par son voisin en 2017. En avril 2021, celui-ci avait été définitivement jugé irresponsable pénalement. Pris de bouffées délirantes à la suite d’une consommation de cannabis, les experts avaient conclu à l’abolition de son discernement au moment du crime.

La crainte d’une responsabilisation des patients psychotiques 

Le président de la république Emmanuel Macron avait alors jugé nécessaire de réformer la loi pour combler un « vide juridique ». Portée par le ministre de la justice Eric Dupont-Morretti, ce texte tente de répondre à l’objectif de « faire la distinction entre l’individu qui, atteint d’une pathologie psychiatrique, commet des faits répréhensibles, et celui qui doit sa folie à la consommation volontaire de produits psychotropes », a expliqué le garde des sceaux.

Karine Jean, psychiatre experte judiciaire près la Cour d’Appel de Paris, craint qu’une telle réforme puisse mener à une responsabilisation des patients psychotiques.  « Les choses iraient dans le sens d’une responsabilisation de la consommation de toxiques. Une personne psychotique stabilisée par un traitement, si elle consomme une substance et commet des faits, pourra être considérée comme responsable. »

Le problème, selon elle, est qu’une personne malade psychiquement « manque d’anticipation » face à ses actes. Il est donc souvent difficile de déterminer si celle-ci avait conscience qu’une consommation de stupéfiants allait la mener à commettre une infraction.

La médecin redoute ainsi que davantage d’individus ne se retrouvent jugés et emprisonnés, alors même que leur place se trouve en hôpital psychiatrique. « Je travaille à la prison de Fresnes depuis dix ans. Je vois déjà de plus en plus de psychotiques en prison, et cela va être pire avec cette loi. »

 

La réforme n’aurait pas changé l’issue de l’affaire Halimi

Yves Perrigueur, avocat pénaliste au barreau de Paris, partage les mêmes craintes. « Il faudrait les placer en hospitalisation d’office pour régler leurs problèmes de consommation de stupéfiants plutôt qu’en prison, où il n’y a pas assez de moyens pour une aide psychologique suffisante. Il faut se donner les moyens de réussir à stopper la récidive de faits graves», estime l’avocat.

Celui-ci voit, par ailleurs, avant tout ce texte comme une réponse politique à l’emballement médiatique provoqué par le meurtre de Sarah Halimi.

« C’est dangereux, la justice cherche à s’immiscer dans un jugement médical de psychiatre, souligne-t-il. Alors qu’on part d’une affaire médiatique, dans un contexte particulier. »

D’autant qu’une telle réforme n’aurait pas changé l’issue de l’affaire qui l’inspire: il a été établi que le meurtrier, Kobili Traoré, n’avait pas conscience que sa consommation de stupéfiants le ferait passer à l’acte.

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