Le 26 avril dernier, l’IGPN, souvent appelée la « police des polices », a été saisie de deux enquêtes pour des propos racistes proférés par des policiers lors d’une interpellation en Seine-Saint-Denis. Depuis le début du confinement, des vidéos d’interpellations violentes se multiplient, dans les médias et sur les réseaux sociaux. Pour Sébastien Roché, sociologue et chercheur au CNRS, spécialisé dans les relations entre police et populations, « il faut des outils pour faire évoluer les comportements des agents ».
Sébastien Roché, sociologue et chercheur au CNRS, spécialisé dans les relations entre police et populations, nous explique pourquoi malgré ce recensement inédit des violences policières, le changement des comportements de policiers n’en sera pas accéléré car « beaucoup de maillons manquent« . Pour lui, il faut une « reconnaissance par le Premier ministre du problème. Si le ministre de l’Intérieur n’est pas aussi convaincu du problème de violences dans la police, il n’y aura pas de changement« . Ensuite, « il faut des outils de diagnostic du problème, et des outils pour faire changer la formation« .
Comment expliquer que le confinement donne l’impression d’un accroissement des violences policières, depuis quelques semaines ?
Sébastien Roché : On retrouve des déterminants structurels connus des violences policières dans cette situation de confinement. Le confinement donne un instrument supplémentaire aux policiers, puisqu’il leur permet de vérifier toute personne, en tout lieu, et à tout moment. Il n’y a plus de nécessité pour la police de justifier le contrôle. Et à partir de là, l’outil qui est confié aux policiers est alors dangereux. On leur donne un pouvoir extraordinaire. Mais on voit que le déroulement des vérifications est différent, selon l’endroit où il se déroule. On n’a pas de prise à partie violente dans le 16ème arrondissement de Paris par exemple. Les éléments objectifs matériels que nous avons montrent que c’est le détournement de l’usage de l’outil de surveillance qui est dangereux. Cet usage est limité à certains territoires en pratique : souvent les territoires les plus pauvres, où il y a davantage de mixité ethnique. Aucune personne ne peut se soustraire au contrôle, et les policiers n’ont pas à justifier le motif. De façon alors très soudaine, le niveau de contrôle des comportements devient extrêmement préoccupant.
Par ailleurs, beaucoup d’études montrent qu’il y a une réalité des discriminations sur une base ethnique. Les études de l’Agence européenne des droits fondamentaux, celles du Défenseur des Droits, notamment. On a beaucoup de preuves de la discrimination policière, mais elle n’est pas reconnue en dépit de ces preuves par le ministre de l’Intérieur. Le président de la République l’a d’ailleurs aussi reconnu pendant sa campagne, mais ne le reconnaît plus depuis qu’il a été élu.
De plus en plus de vidéos circulent sur les réseaux sociaux, et permettent un recensement, au moins partiel, des violences policières. Cela a-t-il un effet sur l’institution policière ?
Avant l’usage généralisé des médias sociaux, il n’y avait que des myriades de petites associations, fragmentées, isolées les unes des autres, qui se plaignaient des violences commises par les policiers et essayaient de poursuivre les policiers en justice. Ça concernait alors peu le public. Avec les médias sociaux, et l’épisode des gilets jaunes, il y a eu cet usage beaucoup plus généralisé des vidéos. On a pu constater l’effet que ça a eu sur le gouvernement. La prise de conscience a été longue, mais il est arrivé un moment où le gouvernement n’a pas pu nier les violences policières plus longtemps. Mais aujourd’hui encore, ce n’est pas l’Etat qui est capable de recenser les violences de manière précise : c’est la mobilisation des citoyens qui produit ça. C’est un petit résultat, ça ne changera pas les pratiques des policiers rapidement, mais c’est aussi un énorme changement. C’est la première fois dans l’histoire qu’il y a une sorte de mobilisation à travers cet outil, pour dire que certains comportements ne sont pas acceptables.
La médiatisation des violences policières pourrait-elle apporter un changement radical et rapide à venir dans les comportements policiers ?
Non, ça ne peut pas être rapide. Ces organisations sont énormes. La police, c’est 150 000 agents. Et les outils pour faire changer ces comportements réellement n’existent pas, en fait. Cette sensibilité nouvelle du public ne se transforme pas en une modification quelconque. Beaucoup de maillons manquent pour cela. Quels sont-ils ? La première chose, c’est la reconnaissance par le Premier ministre du problème. Si le ministre de l’Intérieur n’est pas aussi convaincu du problème de violences dans la police, il n’y aura pas de changement. La deuxième chose, c’est qu’il faut des outils de diagnostic du problème, et des outils pour faire changer la formation. Il faut un contrôle sur ces formations et ces jeunes policiers. Et pour l’instant on a rien de tout ça.
En ce qui concerne la formation des policiers, le ministère de l’Intérieur n’a pas d’outils pour diagnostiquer par exemple la bonne connaissance par les agents des droits fondamentaux. Le ministère ne sait pas comment évaluer le fait que les agents ont bien compris ou non comment respecter ces droits. Il n’a pas d’outils pour former les commissaires de police au leadership. Le ministère ne sait pas non plus comment former des commissaires, pour que le racisme n’ait pas sa place dans la police. Ils n’ont pas d’outils pour enregistrer ces phénomènes au niveau local non plus. Il faut qu’une personne se noie pour que l’IGPN enquête. Et c’est trop tard, l’enquête devrait avoir lieu avant le drame.
Les violences policières serait donc un problème intrinsèque à la formation des policiers ?
Ce que nous savons, c’est que les élèves policiers sont plus respectueux de la loi, plus ouverts, plus empathiques envers la population quand ils arrivent à l’école. Le problème est donc en partie dans la formation, mais c’est surtout après le passage en école, que le plus important se déroule. Les élèves font des stages, et sont pris en charge par un tuteur. Ensuite, dans le groupe professionnel, ils désapprennent un certain nombre de choses, les collègues ont tendance à les former autrement encore. Et ça, c’est ce qu’on appelle la culture professionnelle, les normes que partagent les agents. Ce n’est pas en changeant la formation qu’on va changer le système donc.
Il faut changer aussi l’encadrement local, les retours d’expériences. Il faut des outils pour faire évoluer les comportements des agents, on ne peut pas juste changer les nouveaux policiers. Il faut changer aussi ceux qui vont les former. Mais ces retours d’expériences, ces outils, sont peu existants. Cette analyse des pratiques devrait se faire au niveau des commissariats. Le patron du commissariat doit faire en sorte que ses agents réfléchissent à ce qu’ils font. Ce ne serait pas une sanction, ni une formation, mais des pratiques qui permettraient d’analyser la qualité de la police tout au long de l’exercice du métier.
Propos recueillis par Pauline Linard-Cazanave