Alors que la Tchéquie est entrée lundi dans sa seconde phase de déconfinement avec la réouverture de certains magasins et de plusieurs services, la possible prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 25 mai et la précarité économique découlant de la pandémie questionnent la gestion de la crise par le gouvernement.
Une remise en marche progressive en cinq étapes, du 20 avril au 8 juin. C’est ce qu’a annoncé le gouvernement d’Andrej Babis mardi 14 avril aux habitants de la Tchéquie, confinés depuis mi-mars. Élaboré en raison de la baisse du nombre d’individus testés positifs au Covid-19, il prévoit une reprise progressive de l’économie tchèque.
Une reprise de l’activité économique en cinq étapes
Les marchés fermiers, les artisans et les vendeurs de voiture d’occasion ont repris leurs activités depuis une semaine déjà. La deuxième étape, prévue ce lundi 27 avril, autorise la réouverture des boutiques de moins de 2500m2 à condition qu’elles ne soient pas situées dans les centres commerciaux et qu’elles disposent de leur propre entrée, des bibliothèques, des salles de gym et des jardins botaniques. Le dernier temps devrait concerner la réouverture des bars, cafés, hôtels, restaurants et galeries. Les interdictions des déplacements non-essentiels et de sortie du pays ont d’ores et déjà été levées, et les rassemblements jusqu’à 10 personnes sont désormais autorisés dans les lieux publics.
« Les choses commencent à rouvrir doucement. Depuis aujourd’hui, on peut aller dans les librairies, les salles de sports, dans les petits magasins… mais en général, c’est encore très restreint, et tout le monde doit porter un masque », explique Daniel Hendrych, étudiant tchèque habitant à Prague. En ce qui concerne les écoles, les élèves de primaire sont censés retourner en classe, par petits groupes de quinze, dès le 25 mai. Pas le même son de cloche en revanche pour les collégiens et lycéens qui ne devraient pas retrouver les bancs des établissements scolaires avant la prochaine rentrée, exceptés ceux devant passer le baccalauréat ou des examens d’entrée dans le secondaire ou à l’université.
Depuis la semaine dernière, les Tchèques peuvent même circuler librement dans le pays, et ont le droit de se rendre à l’étranger pour des voyages d’affaires ou pour rendre visite à leurs proches, à condition de se soumettre à un isolement de quatorze jours à leur retour. Les frontières ont également été rouvertes pour les étrangers en voyages d’affaires et les étudiants de l’Union européenne.
Le vice-Premier ministre Karel Havlicek n’a toutefois pas manqué de rappeler que le plan pourrait à tout moment être bouleversé en cas de reprise de l’élévation du nombre de cas de coronavirus : « Le scénario prévoit que le coronavirus reste sous contrôle comme c’est le cas actuellement. Il pourrait y avoir des modifications. » Alors que le pays d’Europe centrale compte 7.404 cas de Covid-19 et n’a enregistré que 221 décès depuis le 1er mars, les autorités se félicitent d’avoir endigué la propagation du virus.
Une économie à bout de souffle
Pourtant, le déconfinement est loin d’apaiser la population d’un pays aujourd’hui hyper intégré à l’économie mondiale ; la crise économique engendrée par le confinement a déjà largement endommagé la situation des travailleurs.
En première ligne, comme dans beaucoup d’autres pays d’Europe, les artistes et indépendants. Alors que l’industrie du film est à l’arrêt, Martina Smutnà, artiste trentenaire, déclarait au Courrier d’Europe centrale début avril que « le travail avec le cinéma était sa seule source de revenus fiables grâce à laquelle elle a pu vivre. » La semaine dernière, nombre de professionnels de l’industrie musicale tchèque ont également demandé aux radios de privilégier la diffusion de musique locale, afin d’aider les artistes privés de revenus en raison de l’annulation des événements musicaux pendant la période de confinement.
« Le ralentissement économique qui a déjà commencé ne va se sentir pleinement que plus tard. Une chaîne de dommages économiques et sociaux commence » explique Petr Koubsky, journaliste au journal tchèque Denik N. Alors que les mesures économiques sont encore limitées et que les aides financières sont soumises à de nombreuses conditions (revenus fixes sur plusieurs années par exemple), les indépendants critiquent un gouvernement trop lent à réagir : « On est en pleine incertitude » confie le photographe Petr Zewlakk Vrabec à nos confrères du Courrier d’Europe Centrale.
Si le gouvernement avait prévu une aide financière d’environ 600 euros pendant six mois pour aider les indépendants, il a annoncé le 31 mars que la somme distribuée ne serait finalement qu’un chèque unique de 1000 euros, et soumis à des conditions. Plus de 350 000 indépendants ont déjà demandé une aide d’urgence. Même topo dans l’industrie du tourisme et de la restauration : « C’est comme un tsunami qui nous a frappés dès le premier jour », témoigne Marcus Bradshaw, guide touristique originaire d’Irlande pour le Courrier d’Europe Centrale.
Alors que le pays compte un grand nombre d’emplois à courte durée et d’indépendants, le Covid-19 révèle les failles d’un système économique tchèque fragile. Le 20 avril dernier, le gouvernement a annoncé qu’il creuserait son déficit public de 7 milliards d’euros supplémentaires afin d’amortir le choc provoqué par le confinement. Le déficit public devrait donc exploser à 12 milliards d’euros, doit 4.5% du PIB pour 2020.
La question de la dérive autoritaire remise sur la table
Dans un contexte où la Pologne et la Hongrie sont largement critiquées pour leur instrumentalisation de la crise à des fins politiques, la possible gestion autoritaire de la crise par la Tchéquie inquiète ; début avril, l’hebdomadaire Respekt a publié une information selon laquelle le ministère de la Défense devait présenter un document prévoyant les pleins pouvoirs au Premier ministre et à son gouvernement en cas de crises identifiées. Une information que s’est empressé de démentir le ministre de la Défense, Lubomir Metnar.
En revanche, le vote par les députés de la possible prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 25 mai, qui doit avoir lieu ce mardi 28 avril, et la possible mise en place d’un traçage numérique des individus – la « quarantaine intelligente » – continuent de faire craindre une éventuelle dérive identique à celle de la Hongrie. « Le gouvernement n’a pas consulté le Parlement pour les restrictions de mouvement, ça a fait scandale » explique Daniel Hendrych. Mais pour David Indracka, interrogé par Radio Prague International, même si la « tentative autoritaire est d’autant plus séduisante » en cas de situations d’urgence, il rappelle que « le contrôle public est nécessaire » dans la gestion de la crise. Une situation tchèque à surveiller de près.
Colette AUBERT