Deux semaines après des élections européennes qui ont vu le Rassemblement national confirmer sa place de premier parti français à Bruxelles, la ligne anti-immigration de la formation de Marine Le Pen est aujourd’hui portée par plusieurs partis au pouvoir dans l’Union européenne. A l’heure de ce nouveau paysage politique, une question se pose : quelle place l’enjeu migratoire a-t-il occupé dans les programmes des différents partis européens? Comment a-t-il évolué depuis le scrutin européen de 2014?
Les mots employés lors d’une campagne électorale servent bien souvent de signaux faibles pour voir émerger les thèmes phares du débat public. Les quatre années séparant les élections européennes de 2014 et de 2019 ont été marquées par une hausse des flux migratoires vers l’Europe, en partie provoquée par la crise syrienne. “On y arrivera”, avait assuré la chancelière Angela Merkel en déclarant l’ouverture des frontières de l’Allemagne aux réfugiés à l’été 2015. Un million de demandeurs d’asile ont été accueillis outre-Rhin cette année-là, avant que le gouvernement ne finisse par durcir sa politique d’accueil, sous la pression de l’opinion publique.
Couplé à une crise de la représentation politique, ce phénomène migratoire a permis à des partis au discours ouvertement anti-immigration d’engranger des succès électoraux dans plusieurs pays de l’Union européenne. En Italie, en Hongrie, en Autriche, aux Pays-bas ou encore en France, ces formations nationalistes font aujourd’hui figure de premiers opposants aux partis libéraux et sociaux-démocrates, quand ils ne les ont tout simplement pas délogés du pouvoir.
Comment l’essor de ces partis a-t-elle influencé la campagne des élections européennes de 2019? A-t-il poussé les formations traditionnelles à revoir la place accordée au thème de l’immigration dans leur programme?
Pour le savoir, nous avons analysé les professions de foi des partis disposant du plus de sièges au Parlement européen au sein de chaque groupe politique, dans les quatre pays les plus représentés : l’Allemagne, l’Italie, la France et l’Espagne. Nous y avons recherché, pour 2014 et 2019, une vingtaine de mots associés à l’immigration (voir encadré), et mesuré comment le recours à ce vocable a évolué entre les deux élections.
Premier enseignement, les partis de droite et d’extrême-droite français sont ceux qui utilisent le plus fréquemment le champ lexical de l’immigration. La place occupée par cette thématique a quasiment doublé entre 2014 et 2019 dans le programme des Républicains, au point de dépasser les premiers partis dans ce domaine (Debout la France et le Rassemblement national).
Quasi-absent du programme du Parti socialiste lors de la campagne européenne de 2014, l’emploi de notre champ lexical y a explosé quatre ans plus tard. Cela ne témoigne toutefois pas d’un durcissement de son discours en la matière. Le contexte dans lequel ces termes sont utilisés prouve le contraire : l’alliance PS-Place publique plaide ainsi pour la “création d’un système incitatif d’allocation de fonds européens aux Etats et aux collectivités locales qui accueillent les migrants”.
On remarque également que dès 2014, les partis allemands faisaient déjà souvent référence à ces problématiques dans leurs programmes, bien plus que les autres pays européens. Le parti de gauche radicale abordait nettement plus la question migratoire dans son programme de 2014, mais cette évolution ne doit pas masquer la réalité d’un discours aujourd’hui plutôt opposé à l’ouverture totale des frontières. Une ligne anti-migrants que l’analyse sémantique de son programme ne permet pas d’illustrer, mais bien portée par Sahra Wagenknecht, coprésidente du groupe parlementaire.
L’Espagne, qui est pourtant l’une des des principales portes d’entrée en Europe pour les migrants (64 298 arrivées en 2018) n’a quasiment pas fait évoluer son discours sur l’immigration en 2019. Du reste, cette question y était déjà très peu traitée en 2014. Elle a toutefois fait irruption dans le débat public en Espagne avec l’émergence du parti nationaliste Vox lors des élections générales d’avril 2019.
Démarche
Notre champ lexical :
- frontière(s)
- immigration(s)
- migrant(s)
- asile
- étranger(s)
- accueil
- migratoire(s)
- immigrant(s)
- clandestin(s)
- expulsion(s)
- reconduite(s)
- Africain(s) / Afrique
- Syrien(s)
- sans-papiers
- réfugié(s)
- quotas
- civilisation(s)
- irrégulier(s)
Une des principales limites à cette méthode est la barrière de la langue : des formulations ou des expressions liées au thème de l’immigration ont ainsi pu échapper à notre champ lexical.
Nous avons tenté au maximum de vérifier le contexte dans lequel ces mots ont été employés, mais une méthode automatisée aurait été préférable pour par exemple recenser tous les adjectifs liés au mot « migrants », qu’ils soient utilisés de manière péjorative ou non. De la même façon, le terme étranger peut-être utilisé à propos des « exportations à l’étranger », sans désigner une personne.
Nous avons constaté des disparités considérables dans la taille des programmes. A titre d’exemple, les partis allemands présentent systématiquement des programmes de plusieurs pages, quand d’autres, comme la Ligue de Matteo Salvini se content d’un court tract. Il a donc fallu raisonner en fréquence et non pas en nombre d’apparition des mots.
Emilien Diaz et Alexandre Berteau