Plusieurs proches du Premier ministre hongrois sont soupçonnés de détourner les fonds européens à leur profit. Enquête sur un sytème de corruption généralisé sur lequel élus et oligarques ont bâti leur fortune.
C’est un paradoxe que même les plus éminents experts en relations internationales ne parviennent toujours pas à éclaircir. Alors que depuis son arrivée au pouvoir en 2010, Viktor Orban s’affiche en chantre du discours anti-européen en Europe centrale, nombre de proches du Premier ministre hongrois sont soupçonnés de s’enrichir sur le dos de l’Union européenne.
L’un de ces scandales, s’il n’a pas empêché le Fidesz, parti de l’homme fort de Budapest, de remporter une large victoire aux élections législatives du 8 avril, s’est pourtant bel et bien transformé en affaire d’État. Et pour cause : elle implique le gendre de Viktor Orban, Istvan Tiborcz. Entre 2011 et 2015, Elios, la société d’éclairage qu’il dirigeait, a remporté des appels d’offres publics rédigés par les maires de pas moins de 35 communes dirigées par le Fidesz. Des contrats rétribués à chaque fois avec des fonds européens, grâce auxquels Istvan Tiborcz a pu empocher près de 10 millions d’euros en revendant ses parts dans Elios en 2015. Sur Facebook, une vidéo raillant cet enrichissement a été vue près de 900 000 fois.
« Une classe politique clanique qui gère ses marchés publics de manière quasi mafieuse »
Ce scandale est loin d’être le seul. Les lampadaires du gendre d’Orban ont mis en lumière un système de corruption généralisé, sur lequel l’Office européen de lutte antifraude (Olaf) et l’association Transparency International enquêtent depuis plusieurs années. “Il s’agit d’une classe politique clanique, qui gère ses marchés publics de manière quasi mafieuse, sans réelle mise en concurrence”, constate Bruno Nicoulaud, représentant français de l’Olaf. Et l’entourage politique du Premier ministre ultraconservateur est le premier à bénéficier de ces pratiques sulfureuses. Plusieurs élus du Fidesz ont par exemple mis à profit un dispositif permettant aux entreprises finançant des clubs de sport d’alléger leur fiscalité. En renflouant les caisses des clubs de football présidés par des membres du parti au pouvoir, ces sociétés se sont ainsi vu confier en retour la construction de stades ou d’équipements municipaux.
Mais Viktor Orban sait aussi se montrer généreux envers ses amis de jeunesse, à l’instar de Lorinc Meszaros. Le maire de Felcsut, chauffagiste de formation, est aujourd’hui à la tête de la 5e fortune du pays. Symbole du clientélisme sur lequel repose cette ascension : le petit train qui chaque jour traverse – quasiment vide – le village de l’oligarque, avant d’atteindre son terminus… à quelques kilomètres de la résidence secondaire de Viktor Orban. Un gadget de quelque 2,5 millions d’euros, financé à 80% par Bruxelles.
Bruxelles impuissante
La Hongrie a beau être le premier bénéficiaire des fonds européens par habitant – 5,5 milliards d’euros lui sont alloués pour la période 2014-2020 – Bruxelles s’en tient pour l’heure aux mises en garde. Et ce, faute de pouvoir envisager des sanctions : “La Commission européenne ne peut rien contre la Hongrie puisque l’activation de l’article 7 [pouvant priver un État membre de ses droits de vote dans certaines instances de l’UE, ndlr] ne peut être déclenchée qu’à l’unanimité. Or la Pologne soutient coûte que coûte la Hongrie”, rappelle Joël Le Pavous, correspondant en Hongrie pour Courrier International, Slate, et RTL. Du reste, de telles mesures ne permettraient pas de traiter le mal à la racine. “Bruxelles peut obliger la Hongrie à rembourser ces fonds mais cela n’aurait aucun impact sur les protagonistes de ces fraudes. Au final, ce serait l’État hongrois, et donc le contribuable, qui paierait la facture”, prévient Bruno Nicoulaud. Au risque de donner écho au discours europhobe de Viktor Orban, que ces sanctions visaient pourtant à affaiblir…
Alexandre Berteau