Ce mardi s’ouvre en correctionnelle le procès de la banque islandaise Landsbanki. L’établissement est accusé d’avoir escroqué plusieurs centaines de clients français par le biais d’une de ses ex-filiales luxembourgeoises entre 2006 et 2008, alors que la maison-mère était en grave difficulté.
Le procès de la banque islandaise Landsbanki qui s’ouvre ce mardi opposera une centaine de parties civiles à neuf accusés, dont l’ancien directeur de l’établissement. C’est le juge Renaud Van Ruymbeke, à l’origine de l’ordonnance ayant permis de porter l’affaire devant le tribunal, qui a permis de mettre au jour les rouages de cette arnaque.
A l’époque des faits, les prémices de crise de 2008 se font sentir et les établissements bancaires européens sont frileux. Ils prêtent peu. Le secteur financier islandais ne fait pas exception (banque centrale impuissante, organisme de régulation inefficace) mais continue de se développer frénétiquement à l’étranger.
Une offre alléchante…
La banque islandaise Landsbanki, pourtant en difficulté d’après les investigations du juge Van Ruymbeke, se vante justement de la solidité d’une de ses filiales luxembourgeoises, un établissement noté AAA par les agences de notation. En échange de l’hypothèque de leur maison, des clients en besoin de financement se voient proposer par la banque des prêts avantageux. Celle-ci leur promet en effet de gager leurs biens – d’un montant d’au moins 500,000 euros – en échange d’un prêt du même montant. La banque ne verse ensuite qu’une partie de la somme et, par le biais de sa filiale, place le reste sur les marchés financiers. En échange des rendements que la banque espère obtenir grâce aux placements de sa filiale, les clients doivent bénéficier d’un genre de prêt à taux zéro, les intérêts (c’est-à-dire la valeur des risques) devant être couverts. Seulement, tout ne se passe pas comme prévu pour les emprunteurs.
… À première vue
Lorsque la crise des subprimes éclate en 2008, le gouvernement islandais décide de nationaliser les trois principales banques du pays, dont Landsbanki. Sa filiale luxembourgeoise est placée en liquidation judiciaire et les propriétaires ayant hypothéqué leurs bien se voient alors réclamer le remboursement intégral de leur prêt, sous peine d’une assignation en justice et, évidemment, de la saisie de leurs biens.
L’avocat de plusieurs membres de la partie civile, Me Eric Morain, parle d’ « une escroquerie délibérée. Dès l’origine, ces contrats étaient frauduleux, on a trompé les souscripteurs. Ils ne pouvaient pas rembourser, c’était prévu comme ça (…) Le but était de s’accaparer quelque chose qui avait une vraie valeur, s’accaparer ces biens immobiliers. » Toujours selon Me Eric Morain, l’établissement islandais a agi délibérément afin d’ « éviter la faillite » en « vendant du vent dans l’objectif de mettre la main sur des biens immobiliers à forte valeur ajoutée ».
Un procédé qui en rappelle un autre
Ce procédé rappelle celui qui est à l’origine de la crise des subprimes aux États-Unis : les banques américaines avaient consenti des crédits immobiliers à des ménages peu ou pas solvables, d’un montant légèrement supérieur ou égal à la valeur hypothécaire de leur maison, le tout à des taux pouvant fortement variés. Pour pallier le risque de non remboursement, les établissements avaient alors titrisé les créances – sous forme de produits financiers complexes notés AAA mélangeant créances et divers titres plus ou moins risqués (les subprimes) – sur les marchés afin de transmettre le risque, et réaliser par la même des bénéfices substantiels.
Dans les deux cas, les biens immobiliers sont censés faire office de bouée de sauvetage : si le prêt ne peut pas être remboursé, ou que la valeur du produit financier s’effondre, les logement sont saisis. C’est ce qui garantit notamment le degré de liquidité du produit, à savoir sa capacité à être transformé plus ou moins rapidement en cash. Une aubaine pour assainir les comptes de la firme islandaise.
Dans le cas de la crise immobilière qui frappa les États-Unis en 2007, de nombreuses enquêtes ont cependant démontré que les banques américaines avaient prêté de l’argent tout en sachant pertinemment qu’il ne pourrait leur être remboursé. C’est aussi ce que reproche l’avocat de la partie civile dans l’affaire Landsbanki.
Pour l’avocat de Landsbanki, Me Olivier Baratelli, le procédé utilisé par son client n’est cependant rien d’autre qu’une technique bancaire multiséculaire qui consiste à « prêter de l’argent à des gens, contre une garantie sur leur maison. » La justice française fait preuve selon-lui d’ « une vision passéiste » ce dossier étant « une triste illustration d’une guerre idéologique contre des banquiers. »
Antoine Colombani