Qui sont ces SDF qui vivent dans nos rues ?

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En 2017, ils sont près de 5 000 hommes, femmes et enfants à vivre et dormir dans les rues de la capitale, loin des clichés et de l’image d’Epinal du « clochard ». Comment finit-on dans la rue ? Comment y vit-on ?

Il est 19 heures, la nuit ne va pas tarder à tomber. Rue de Panama l’atmosphère est lourde, les gens s’agitent. Ça sent l’orage. A l’angle de la rue des poissonniers, dans le local de la Protection Civile du XVIIIème arrondissement s’affairent Martine et Thomas.

Comme avant chaque maraude, le mercredi, ils s’occupent méticuleusement des derniers détails. Ils vérifient le contenu des caisses. Il y a des produits d’hygiène, du thé, du café, beaucoup de soupes lyophilisées et aussi quelques vêtements. Des pulls et des t-shirts surtout. Ils préparent les papiers, ceux qui serviront au fil des rencontres à assurer un suivi, ils les relisent. Ce soir ils ne seront que deux. Combien de sans-abris croiseront-ils, ça ils ne le savent jamais vraiment.

Plus qu’une assistance immédiate, ils essayent chaque semaine d’apporter aux sans-abris qu’ils pourront croiser un peu de chaleur. Un peu comme s’ils essayaient d’entrer chez eux. Beaucoup ne veulent jamais ouvrir. Ils ont trop honte, trop peur. Parfois la folie s’est emparée d’eux et d’autres fois ils ne sont simplement plus là. S’ils sont finalement d’accord pour qu’on les aide ils se laissent faire, ils parlent. Viennent alors des conversations, la semaine d’après un suivi, puis des habitudes, une attache. Les maraudeurs les suivent parfois jusqu’à leur mort. Martine se souvient de Philippe, qu’elle a accompagné une partie des quinze années qu’il a passées dans la rue, jusqu’à son décès. Elle est allée à son enterrement, « en province ».

Il est 20 heures. La maraude se pose une première fois place Jules Joffrin, devant la mairie. Il pleut énormément, un déluge. Thomas retrouve Christelle. Elle est un peu serrée sous un abribus, en compagnie des passagers de la ligne 31, direction Porte de Versailles. Elle est toujours au même endroit. Il la connait bien. Son visage est marqué, mais elle est enjouée. Ses pommettes sont légèrement rougies par l’alcool et ses années dans la rue semblent avoir terni sa peau.

Près d’elle ce soir, deux nouveaux. Il y a Aziz, 32 ans, et Gino, assurément plus vieux. Il est posté à l’écart sous la pluie qui embue ses lunettes. Pour lui, tout semble avoir commencé par un divorce. Un simple t-shirt sur les épaules près d’un pack de bière bien entamé et une cigarette à la main, il se raconte : « J’ai habité dans le 94 [Val de Marne, NDLR], puis on s’est séparés. Ça fait quatre ans. J’ai quatre enfants, ils sont grands. » Il lève sa main droite et compte sur ses doigts : « un est ingénieur informatique, la première elle est conseillère à la banque, le troisième il est à Créteil, à Carrefour, et le dernier il va avoir 16 ans l’année prochaine. » Il n’en dit pas plus sur sa relation avec eux.

Et lui ? « Moi là je fais rien, parce que… C’est pas facile. Avec les dépressions, les séparations… Et puis j’ai pas le droit de travailler, parce que j’étais en HP [hôpital psychiatrique, NDLR], normalement je suis sous traitement. Quand j’ai pas de Valium, je bois de la bière. Ça aide. Mais parfois quand je vois que je suis pas bien, je vais à l’Armée du salut et je leur demande d’appeler les pompiers, parce que j’ai déjà fait plusieurs fois les tentatives de suicide (sic). Avant je travaillais dans la boucherie, j’étais bien. »

Thomas, membre de la Protection civile, distribue un café à un sans-abri
Thomas, membre de la Protection civile, distribue un café à un sans-abri

Gino dit toucher une pension d’invalidité pour des problèmes au dos. Il refuse la soupe et le café. Sous l’abribus Christelle ne dit pas non, mais elle n’a pas envie de se confier, et n’accepte pas la bouteille que lui offre Thomas, « de l’eau ? Qu’est-ce que je vais faire avec de l’eau ? Tu vois bien que je suis à la bière ? » se marre-t-elle. Ça fait rire Thomas. « À la semaine prochaine » dit-il en repartant vers la voiture.

A quelques centaines de mètres, avenue de Saint Ouen, la voiture freine de nouveau. Une vieille dame seule est allongée sous un abribus qui la protège du vent. Elle parait au moins soixante ans. Autour d’elle, des dizaines d’objets s’entassent, plus ou moins utiles : des duvets, des pots de yaourts entamés, des casseroles et pleins de petits sacs, des poches et d’autres boites remplies d’on ne sait quoi. Tout est disséminé sur plusieurs mètres.

Sous un parapluie, une passante s’arrête : « Cette dame est là depuis plus d’un an et demi. Elle a passé l’hiver dehors. Je la connais bien, ma fille habite l’immeuble en face donc je viens régulièrement et elle est toujours là, c’est terrible. » Thomas et Martine acquiescent puis expliquent qu’ils ne peuvent rien faire, « on ne peut pas les forcer, ni à parler ni à accepter notre aide » disent-ils navrés.

Ils racontent qu’elle n’a pas toujours été comme ça avec eux, que ça fait un moment qu’elle refuse le contact, que c’est comme ça, qu’ils ne comprennent pas. « Normalement elle demande toujours deux cafés, avec un sucre et demi dans chaque ». Juste à côté, accrochée à l’arbre « il y avait une tente avant » disent-ils, mais elle n’est plus là. La pluie tombe toujours à grosses gouttes. Les rues sont presque vides à présent.

Trois mois plus tard

La maraude s’arrête de nouveau vers 21 heures Place de Clichy. La pluie a cessé. Emmanuel « Manu » Leroy, 48 ans, fait la manche debout, abrité sous la petite arcade à l’entrée du lycée Jules Ferry. Il sourit en voyant les uniformes. Il lui manque quelques dents.

« J’étais dans les espaces verts, chez un patron, logé-nourri-blanchi, déclaré, et il a fermé l’entreprise : monsieur est parti à l’étranger parce que je pense qu’il devait avoir des soucis avec le fisc ou une connerie comme ça. Donc je me suis retrouvé le bec dans l’eau. Je ne pouvais plus rentrer chez moi, enfin chez lui, parce que c’était chez lui. Et voilà. Donc je suis arrivé sur Paris, » raconte-t-il calmement. Trois mois maintenant qu’il a découvert la rue. On sent que c’est dur, qu’il accuse le coup mais qu’il tient à donner le change.

« Au début je suis arrivé à Saint Lazare, j’avais pas un rond en poche, pas un téléphone. Dans un premier temps, j’ai fait appel au 115, et la seule fois où ils m’ont pris c’est une assistante sociale qui m’a guidé pour une domiciliation. Mais les hébergements étaient tous complets. Personne n’a voulu de moi. Puis la Croix Rouge est passée et ils m’ont dit : ‘’Allez dans le 4ème nous pouvons vous aider’’. Là j’ai réussi à avoir une domiciliation, quinze jours après mon arrivée dans la rue. Après je suis allé dans le 13ème pour faire une demande de dossier de RSA, et puis voilà. Mais là, elle est au point mort. »

Il raconte que la police lui a demandé de quitter la porte d’Auteuil ce matin, et d’emporter sa tente. « C’est bientôt Rolland Garros, faut faire le ménage » lâche-t-il goguenard. La police n’a pas été brusque et l’a même aidé à plier bagages. « J’ai mis ma tente dans un petit coin avec mon sac à dos. Je les ai cachés. » Demain, il a rendez-vous avec une assistance sociale, et il a bon espoir : un restaurant lui a proposé un travail de plongeur à partir du mois de juin. « Ça devrait bien se passer. »

Après dix minutes passés à l’écart sur son téléphone, Thomas lui annonce que, malgré ses efforts, il n’a pas trouvé de lit disponible pour ce soir. Manu s’y attendait. Alors que Martine et Thomas s’apprêtent à repartir, deux hommes visiblement éméchés viennent interrompre la fin des échanges pour réclamer de quoi manger. « On finit avec ce monsieur et on vient vous voir. Vous êtes où ? » L’un des hommes pointe son doigt plus bas sur l’avenue. Mais en quittant la place, Thomas se dirige dans la direction opposée. « Ils ont l’air bien éméchés. S’ils sont plusieurs dans cet état, c’est pas bon pour nous. »

Réfugiés dans la rue

Par mesure de sécurité, les brigades de la Protection Civile ont pour ordre d’éviter les groupes trop nombreux qui pourraient leur porter atteinte. « La PC {Protection Civile, NDLR} nous ordonne de ne pas trop aller vers les Roms et les migrants, trop souvent en groupe pour les seconds et souvent affiliés à des trafics pour les premiers » explique Thomas. Ils font encore plus attention depuis les attentats du 13 novembre à Paris.

Même en ce mois de mai, les vêtements supplémentaires sont les bienvenus
Même en ce mois de mai, les vêtements supplémentaires sont les bienvenus

Aurélie dit aussi « faire très attention, parce qu’on est très exposés ». Elle est coordinatrice pour Utopia 56, une des deux associations en charge du Centre Prioritaire d’Accueil de Porte de la Chapelle (CPA, dans le XVIIIème), le premier dédié exclusivement aux migrants. Elle craint autant les passeurs que les riverains. Seuls les hommes non-accompagnés sont accueillis au centre, question de sécurité là-aussi. « Souvent, les migrants et les populations de la rue ne se mélangent pas. Les populations précaires ne cohabitent pas sereinement Porte de la Chapelle. C’est à cause de cette violence qu’il n’y a ni familles ni femmes au centre. »

Le centre accueille des migrants d’un peu partout. « Ils viennent le plus souvent d’Afghanistan, du Soudan, de Somalie, d’Erythrée et d’Ethiopie, les pays de la corne de l’Afrique. Il y a aussi des Irakiens, et des ressortissants d’États plus stables comme la Guinée, la Côte d’Ivoire, l’Iran, l’Albanie et le Pakistan » liste Aurélie. En ce vendredi 19 mai, plusieurs dizaines d’entre eux, peut-être une centaine, attendent qu’une place se libère pour être pris en charge. Ils sont assis par petits groupes, parfois seuls, un peu partout et de manière complètement désordonnée. Il est bientôt midi et il n’y a pas un nuage dans le ciel. Parmi les rares qui ont réussi à rentrer ce matin, beaucoup devront repartir à 19 heures, à la fermeture du centre.

La capacité du CPA ne dépasse pas les 400 personnes. La durée de séjour varie entre cinq et dix jours. « Une fois ici, ils ne peuvent refuser leur orientation qu’une seule fois, et ils ne connaissent pas forcément la destination qu’on leur propose. Beaucoup espèrent rester en Ile-de-France ou à Paris. Or on les dirige plutôt en Province, vers des villes qu’ils ne connaissent pas. La majorité du temps, ils retournent dans la rue après le camp, ou dans d’autres villes. Ou alors ils tentent de revenir au centre sous un autre nom » explique Aurélie. Elle estime qu’ils sont « entre 200 et 300 dans le XVIIIème. Dans les autres quartiers on ne sait pas vraiment. »

Parmi ces personnes « il y en a aussi qui sont dans la rue parce qu’ils ont peur de rentrer dans le dispositif. En arrivant, ils doivent donner leurs empreintes. Ils peuvent être reconnus et être renvoyés dans un pays où ils sont déjà passés si la procédure Dublin est activée. » 

Ces dernières années, l’afflux sans précédent de migrants dans la capitale a bouleversé le visage de la ville. Certains sans-domicile fixes accueillent mal l’aide accordée aux migrants. D’autres s’en fichent, disent que ça ne change rien, que c’est pareil, qu’ils sont tous dans la même situation.

 

11 ans de rue commune

 

« J’ai rien contre les migrants, lâche Ludo. Mais comme ils arrivent en masse on s’en occupe en priorité, plutôt que de s’occuper des Français ». « Ça va mal finir », renchérit Isabelle. Pour autant, ce couple de sans-abris ne manifestent aucune rancœur, aucune jalousie. Chaque soir, ils dinent au Restaurant du Cœur, 29 rue du soleil (XXème). Ils se sont rencontrés « par hasard, sur une plage. 11 ans qu’elle arrive à me supporter, dit-il taquin. Aujourd’hui on a notre parking dans le XVème pour la nuit, et la journée ça dépend. Chaque jour est un jour nouveau pour nous. »

Ludo et Isabelle posent devant le Resto du coeur
Ludo et Isabelle posent devant le Resto du coeur, rue du Soleil (XXe)

Chacun à sa propre histoire. Lui a 42 ans. En tout, il en a passé quatorze en prison pour « des vols, des escroqueries, des cambriolages, un peu de tout… Parce que quand t’es dans la merde, faut bien trouver une solution. » En dehors des murs, il n’a presque connu que la rue.

« Je me suis barré d’un foyer à 12 ans. Le problème de la rue c’est pas tellement les gens, c’est plutôt la police. Ils sont sans pitié. Ils nous dégagent, nous contrôlent. Encore hier, sans motif, je me suis fait contrôler rue de Rivoli, alors que sur le trottoir d’en face un groupe était en train de se bourrer la gueule et de foutre le bordel. Moi j’avais juste une bouteille d’eau en verre. J’étais énervé à ce moment-là et je l’ai cassée. Ça leur a pas plu. » Sur sa famille, il en dit moins. Juste qu’il est papa, depuis 27 ans. Il sait que son fils est docker aujourd’hui. Ça fait vingt ans qu’il ne le voit plus. Ils ont fait ce choix avec sa mère, « pour qu’il suive pas mes pas ». 

Isabelle aussi est maman. « J’ai trois enfants, trois filles. Elles ont 31, 27 et 17 ans. Je ne les vois plus, elles font leur vie. J’aurais 51 ans lundi (le 22 mai). Je suis à la rue depuis longtemps, je compte plus. J’ai fait plusieurs stages de remise à niveau à la fin des années 1990-début 2000 je crois, on avait encore les francs à l’époque. Dans l’hôtellerie comme femme de chambre mais aussi comme auxiliaire de vie. On passait quinze jours chez l’employeur et quinze jours en cours. J’aurais bien voulu un emploi fixe. Mais on ne m’a jamais prise après les périodes d’essais. 

« C’est mieux d’être deux dans la rue, pour la sécurité bien sûr, et ça évite qu’on ne tombe pas dans la folie. On se soutient mutuellement » dit-il avec un regard pour elle. Comment voient-ils demain ? « Avec du soleil ! », tout simplement.

Il est 23 heures quand Thomas décide finalement de mettre fin à la maraude. « Avec la pluie on pourra pas faire mieux. Ils sont tous partis s’abriter. »

par Antoine Colombani et Maëlle Lafond

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Qui sont les Roms ?

es « Roms » originaires de Roumanie, Bulgarie, Grèce, Slovaquie, Serbie et Hongrie qui représentent 85% la communauté. (Crédit : AFP)

Les « Roms » originaires de Roumanie, Bulgarie, Grèce, Slovaquie, Serbie et Hongrie représentent 85% la communauté. (Crédit : AFP)

 

  • Gens du voyage, Manouches, Gitans, Tsiganes… Il existe de nombreux termes pour désigner les « Roms » dans le langage courant. En réalité, ils recouvrent diverses communautés qui tirent leur origine du nord-ouest de l’Inde. Ces populations ont émigré autour du Xème siècle vers l’Europe occidentale.

 

  • Le terme de « Rom » qui signifie « homme » en hindi est institué en 1971 par l’Union Romani Internationale qui représente les Roms auprès de l’ONU. Il désigne l’ensemble des communautés et groupes d’individus qui se définissent comme tel en opposition aux « Tsiganes ».  Employé durant la Seconde Guerre mondiale par les nazis, le terme « tsigane » a encore aujourd’hui une connotation péjorative.

 

  • L’Union romani internationale est présente dans plus de trente pays. Elle a pour but de défendre les droits des Roms et de préserver leurs traditions culturelles, leurs coutumes et la langue romani.

 

  • Parmi eux, on distingue les « Roms » originaires de Roumanie, Bulgarie, Grèce, Slovaquie, Serbie et Hongrie qui représentent 85% la communauté, selon l’association Romeurope. Ce sont eux qui ont émigré en France à partir de la fin des années quatre-vingt-dix. En novembre 2015, Romeurope en a recensé 15 600 répartis dans 500 bidonvilles. Parmi les autres communautés, les Gitans se sont installés durablement en Espagne, au Portugal et dans le sud de la France. Ils représentent environ 5% des Roms. Enfin les Manouches, sont originaires des pays germaniques.

 

  • Le Conseil de l’Europe estime à 6 millions le nombre total de Roms résidant dans les Etats membres de l’Union européenne. Ils sont majoritairement présents en Europe centrale et orientale.

 

La nuit Queer ne fait plus mauvais genre

Cindy au bar la Mutinerie, jeudi 18 mai.
Cindy au bar la Mutinerie, jeudi 18 mai.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Drag queens, travestissement, musique techno… Très présente dans le milieu de la nuit parisienne, la communauté LGBT met sa culture si unique au service de soirées populaires. Trop populaires, peut-être. Les soirées LGBT, victimes de leur succès, attirent un public très large, parfois même au détriment des membres de la communauté, qui recherchent alors une transgression plus forte encore.

« J’évite les soirées hétéro, il s’y passe rien. On s’amuse tellement plus dans les soirées gay ! » Ces mots, ce sont ceux d’Adèle Cano, habituée du bar le Mastroquet, dans le 12e arrondissement parisien. Autour d’elle, ce sont surtout des groupes de même sexe qui dansent, boivent et s’amusent. Sur la scène, deux drag queens se déhanchent au son d’une musique techno endiablée. Adèle est hétérosexuelle, mais elle se mêle aisément aux populations diverses habituées des lieux de sociabilité homosexuels. Pour elles, la fête l’emporte ; et c’est encore dans les lieux LGBT que l’on s’amuse le plus.

« Les soirées estampillées gay attirent un gros public, bien plus large que la simple communauté LGBT à Paris », explique Hugo Platière, collaborateur de la soirée House of Moda et habitué du milieu. Les principaux collectifs organisateurs de soirées LGBT à Paris sont au nombre de quatre. La Flash Cocotte est l’une des soirées parisiennes les plus connues, grâce à Anne-Claire Gallet qui est l’une des DJs les plus présentes du milieu. Il y a aussi la House of Moda, qui est l’archétype de la soirée queer, avec beaucoup de drag queens, de gens déguisés et un thème centré sur la culture queer. Il y a également la soirée Bizarre Love Triangle au Maxim’s et le Bal Con.

« Queer », c’est l’adjectif employé pour décrire ces bars, boîtes de nuits et clubs animés par et pour un public homosexuel, bisexuel, trans ou autre. Un seul mot d’ordre : échapper au modèle hétérosexuel et aux rôles de genre classiques. « Queer, c’est quelque chose de plus grand que la seule communauté LGBT », selon Hugo Platière. « C’est une volonté d’assumer l’individu tel qu’il est, d’assumer ses différences, d’assumer son anormalité supposée. C’est une culture qui entoure le monde de la nuit et la fête, propre à la communauté LGBT, et qui aujourd’hui séduit un public toujours plus large. »

 

Une originalité qui attire

Marginalisée pendant des siècles, la communauté LGBT a appris à se serrer les coudes. La population LGBT avait besoin de se retrouver, la nuit parisienne est finalement devenu son environnement naturel, et pas uniquement un lieu de détente occasionnel.

« Pour la communauté LGBT, le clubbing représente quelque chose d’important parce que c’est le lieu par excellence où les minorités n’ont pas à subir l’oppression ordinaire que l’on rencontre dans la vie quotidienne », analyse Hugo Platière. Et cela se ressent. « Pouvoir se lâcher sans avoir peur du regard d’autrui », c’est la réponse qui est sur toutes les lèvres lorsque l’on demande ce que ces lieux apportent d’unique. « La culture gay est une culture gaie », affirme Wilfried Auvigne, patron d’un bar gay.

Des divertissements de qualité, de la bonne musique, des activités créatives… Autant de raisons évoquées pour justifier la popularité des soirées queer. « La culture LGBT, c’est aussi une culture de la musique, de la fête, du déguisement, qui se ressent dans ces soirées-là. », dit Hugo Platière. « Ces soirées sont faites pour que personne ne se sente mal à l’aise ou pas à sa place dans cet environnement. »

Les soirées queer sont un royaume d’exubérance dont les drag queens sont les reines. Incontournables de la culture queer, ces individus sont adeptes du déguisement, de l’exagération et de la subversion. Tous les jeudis, la scène du bar gay Le Mastroquet est envahie par Cookie Kunty, une drag queen aux airs de vraie reine : diadème clinquant, maquillage coloré encadré par une large perruque blond platine, elle parade dans son manteau de fourrure encombrant. Manteau qu’elle n’hésite pas à délaisser pour une robe de soirée élégante lorsqu’elle envahit la scène. Et elle danse, se déhanche sans gène, ses lèvres remuant au rythme du playback. Elle n’hésite pas à marcher au milieu du public, aussi, à toucher, parler et plaisanter avec les clients, dans une ambiance à la fois envoûtante et détendue.

La drag queen Cookie Kunty au bar le Mastroquet, jeudi 18 mai.
La drag queen Cookie Kunty au bar le Mastroquet, jeudi 18 mai.

« Ce n’est pas dans des soirées hétéro que tu vas trouver de telles performances. Il va peut-être y avoir de bons DJs ou des danseurs, mais c’est très impersonnel et ils ne vont pas échanger avec toi », expose Eloise Gaspard, habituée du Mastroquet. Une heure après, la jeune femme discutait autour d’un verre avec Cookie Kunty.

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Un phénomène en pleine expansion

« Il n’y aurait pas de soirées techno hétéros si les pédés n’étaient pas passés par là. » Avec cette phrase lapidaire, Hugo Platière exprime quarante ans de culture LGBT souvent ignorés.

L’origine même des soirées techno se retrouve dans les milieux noir et gay américains des années 80. « Quand on va dans une soirée techno, c’est l’héritage d’une certaine culture gay, d’une certaine culture des minorités. On a tendance à l’oublier, mais la communauté LGBT a largement contribué à structurer ce qu’est la nuit aujourd’hui. Ce sont surtout des DJs LGBT, des DJs de minorités qui ont contribué à la culture du clubbing. Le clubbing est un outil d’émancipation. C’est un environnement parfait pour l’expression des minorités. »

Dans les années 90, la peur de la drogue donne lieu à une répression du clubbing, des raves et des soirées à ciel ouvert. Le milieu homosexuel français, particulièrement impliqué dans la culture des soirées subversives, est marginalisé du même coup. Dès la fin des années 2000, on voit un renouveau de la culture des soirées LGBT. Le Pulp, le plus grand club lesbien de Paris, ferme en 2007. En, réaction, les organisateurs de soirées queer s’attèlent alors à proposer un nouveau format de soirées plus moderne. « Cela fait une petite dizaine d’années que le clubbing techno et le clubbing LGBT ont prit leur envol et évoluent parallèlement », conclut Hugo Platière.

Les soirées LGBT sont donc un phénomène jeune, en pleine expansion, et qui séduit plus d’un public. Aujourd’hui, difficile d’aller dans une soirée queer sans croiser des fêtards hétéros, ou dans une soirée classique sans retrouver des éléments propres à la culture queer. Pour Hugo Platière, « c’est un gage de qualité, quand tu prends un petit peu de la culture queer, ça donne un cachet cool à la soirée. C’est très bien que ça se mélange, mais il ne faudrait pas pomper l’esthétique des soirées queer sans être plus tolérant avec les personnes LGBT. »

 

De la normalisation à la subversion

Les soirées queer sont extrêmement populaires. Confrontée à la normalisation de ses codes, valeurs et modes d’expression, une partie de la communauté LGBT amplifie la subversion.

Pour certains, cela passe par l’interdiction pour certaines populations d’accéder à des soirées. Une décision pour « se protéger contre l’homophobie » que Hugo Platière défend avec un certain agacement. Lui, comme de nombreuses autres personnes, a été victime d’actes homophobes ; ceux-ci ont connu une augmentation de 19,5% en 2016 selon SOS Homophobie. « Oui, aujourd’hui, il y a des soirées interdites aux hétéros, ou réservées aux femmes ou aux hommes. La convergence des luttes et la non mixité sont en train d’exploser au niveau politique. »

Maria, étudiante en sociologie, à la Mutinerie
Maria, présente à la Mutinerie lors d’une soirée lesbienne
Le bar la Mutinerie, dans le Marais
Le bar la Mutinerie, dans le Marais

D’autres franges de la communauté LGBT ont choisi de mettre sur pied des événements plus portés sur la sexualité pour marquer leur individualité. Dans le bar lesbien la Mutinerie, c’est priorité absolue aux femmes et aux transsexuels en cas de forte fréquentation. C’était le cas pendant le festival « Porn Yourself », qui avait lieu à Paris du 18 au 21 mai. Samedi 20 au soir, c’est l’artiste transsexuelle Emi Fem qui réalise une performance. Sur le titre Fever de Peggy Lee, et en marchant autour d’un vélo, elle enlève progressivement ses vêtements puis ses sous-vêtements, du bas vers le haut. Après s’être aspergée d’huile puis de champagne, elle entreprend de mimer un acte sexuel avec son vélo qu’elle couche par terre. A la fin de la performance, Emi Fem fend la foule sous les cris d’enthousiasme.

Les réactions du public à ces nouveaux modes d’expressions sont contrastées. Julien, co-gérant de la Mutinerie considère ces performances comme une facteur d’acceptation : « La culture queer a des codes qui lui sont propres et s’adresse à un public qui la connaît et la comprend. Le but de ces performances, c’est de dire : « Regardez comme on peut être sexy. Je suis désirable tel que je suis » ». Des films pornographiques à tendances sado-masochistes ont aussi été projetés pendant ce festival. L’un d’entre eux mettaient en scène une pianiste et sa professeure qui lui versaient de la cire rouge brûlante sur tous le corps avant de la fouetter. Ces projections n’ont pas fait l’unanimité dans l’assistance. « J’ai trouvé cela vraiment offusquant. Je suis sortie jusqu’à la fin de la projection. C’était assez hard et je trouve cela bizarre de regarder cela tous ensemble. Je viens assez souvent dans ce bar et c’est la première fois que je suis choquée. Je pense que l’objectif, c’est de montrer une différence par rapport aux hétérosexuels, mais le faire à ce point, cela n’a pas de sens », réagit Amina, 22 ans.

Tout l’enjeu de ce genre de manifestations est de conserver l’identité particulière des habitués sans être exclure qui que ce soit. «C’était original et courageux de projeter des films pornographiques. On a été étonnées mais pas choquées. On comprend que certaines personnes aient pu l’être. C’est sûr qu’il y a une culture spécifiquement queer mais elle doit aussi être ouverte à ceux qui veulent y entrer», témoignent Tiphaine, Charlotte et Eva, habituées de la Mutinerie.

Après 22 heures, la Mutinerie retrouve son visage habituel, tout le monde se retrouve au bar et sur la piste de danse, redevenant ainsi un lieu de sociabilité LGBT plus traditionnel, à la fois convivial et surprenant.

  • Jean-Gabriel Fernandez & Anaëlle De Araujo

Olivier Peyroux : « La durée moyenne de vie dans un bidonville est de cinq ans »

Olivier Peyroux

Olivier Peyroux est sociologue de formation spécialisé sur les Roms des Balkans et la traite des êtres humains. Il a travaillé six ans en Roumanie et mène des missions d’expertise pour l’OSCE, l’UE, le ministère des Affaires étrangères et des ONG internationales.

 

Comment se fait-il que le nombre de Roms habitants en bidonvilles soit stable ?

 

À partir du moment où le Rom qui habite un bidonville intègre un logement, il n’est plus comptabilisé comme « Rom » vu qu’il n’est plus en bidonville. Cela renforce cette idée qu’ils sont condamnés à vivre en marge des sociétés. On a l’impression que les 15 000 comptabilisés sont là depuis plus de vingt ans. En réalité la durée moyenne de vie dans un bidonville est de cinq ans. Il y a des gens qui rentrent dans les bidonvilles et des gens qui en sortent parce qu’ils ont trouvé un logement et un boulot.

 

Pensez-vous qu’il faut stabiliser les bidonvilles existants ?

 

Je ne suis pas du tout un défenseur du bidonville. Ce n’est pas viable sur le long terme et ce n’est pas souhaitable pour les gens, tant les conditions sont dures. Souvent, il n’y a pas l’accès à l’eau et il y a tout un business qui se met en place sur la migration. Il y a des marchands de sommeil, des droits d’entrée, des formes d’endettement qui sont très compliqués à gérer.

 

Quand est-ce que le problème des bidonvilles en France sera résolu ?

 

Lorsqu’il y aura une volonté politique pour le résoudre, ce qui suppose qu’on ait des services sociaux qui aillent au sein du bidonville, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut aussi élargir les dispositifs d’insertion par l’emploi auxquels ces populations accèdent pour le moment très peu.

 

 

Garance Feitama, Clothilde Bru