Violences conjugales : les débuts fébriles de la technologie au service des femmes

Pour lutter contre les violences conjugales, le ministère de la justice a annoncé ce vendredi la mise en place d’un casque à réalité virtuelle à destination des agresseurs. Une initiative qui suit le pas à de nouvelles innovations technologiques pour lutter contre ces violences, non sans difficulté.

©Mélodie Descoubes Les innovations technologiques en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes se multiplient, mais sont encore très méconnues.

Mettre la technologie au service des femmes battues. C’est l’objectif de la nouvelle innovation technologique mise en place par le ministre de la justice : un casque à réalité virtuelle destiné aux agresseurs pour se mettre à la place de leurs victimes.

A l’occasion des un an du bracelet anti-rapprochement, autre mesure initiée par le gouvernement, le ministre de la justice Éric Dupond-Moretti a annoncé ce vendredi ce dispositif destiné à éviter la récidive des violences conjugales.

Une initiative qui n’est pas isolée puisque ces dernières années, les innovations technologiques en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes se sont multipliées. Et le gouvernement n’est pas le seul.

Des applications française pour alerter 

En 2015, l’association Resonantes lance App-Elles, la première application française permettant d’alerter rapidement ses proches ou des secours en cas de violences. Trois contacts sont choisis en amont et un message d’alerte leur est instantanément envoyés. Ils peuvent alors entendre en direct ce qui se passe et suivre la position GPS en temps réel.

Autre application française, Hehop (Help For Hope), permet de faciliter la capture de preuves audio, vidéo et photo de faits de violence. Une aide qui peut, en théorie, s’avérer précieuse en cas de dépôt de plainte ou de procès.

Des innovations trop méconnues

Mais dans les faits, ces innovations technologiques initiées par des associations d’aide aux victimes ne sont pas efficaces contre les féminicides. On en dénombrait 144 en 2015, à la sortie de l’application App-Elles, contre 145 en 2019.

La faute à une méconnaissance : « On n’est qu’au stade du balbutiement, les victimes ne sont pas au courant de ces applications. Nous-même, avocats, ne sommes pas prévenus de ce qui existe, ni comment ça s’applique », explique Janine Bonaggiunta à CelsaLab, avocate spécialisée dans les violences conjugales.

« L’idéal serait que la victime porter un collier qui envoie un signal et qui enregistre pour avoir une preuve. Mais même avec ça, on ne peut pas savoir avec certitude si la voix de l’homme qui cri est bien celle de l’agresseur. »

Et même si certaines innovations technologiques sont médiatisées, elles ne sont pas forcément efficaces. L’avocate salue les initiatives du gouvernement mais rappelle que « rien n’arrête les auteurs de violences, même avec un bracelet ».

« Les victimes disparaissent des réseaux sociaux »

« Il faudrait que tout le monde ait accès à ces applications, à condition que l’auteur des violences ne supprime pas l’accès aux appareils électroniques », explique Janine Bonaggiunta. Car même si ces innovations se répandent et fleurissent, les femmes victimes de violences n’ont pas le réflexe de se tourner vers la technologie.

Au contraire, elles la fuient. « A partir du moment où les victimes sont traquées, elles disparaissent des réseaux sociaux. Parfois, elles n’ont même pas accès au téléphone parce que leur agresseur leur interdit », raconte l’association Léa solidarités femmes.

C’est là que l’innovation se confronte à un paradoxe : « Ces initiatives devraient être encouragées, mais dans la discrétion. Si c’est trop connu, que c’est identifiable par les agresseurs, ça ne fonctionnera pas. »

Le téléphone portable devient donc l’outil de prédilection des agresseurs pour traquer et harceler leurs victimes. Un couteau à double tranchant, devenu à la fois le support des agressions psychologiques et celui des aides technologiques, qui peinent encore à faire leurs marques.

Lise Cloix

Les alcooliers à la conquête du public féminin

Vins pamplemousses ou bières teintées de rose : les alcooliers ont multiplié les tentatives ces dernières années pour séduire un public féminin.

« L’intérêt de cibler les femmes est qu’elles ne “ boivent pas suffisamment ” par rapport aux hommes, en tout cas au regard des industriels de l’alcool », avance Karine Gallopel-Morvan, professeure des universités à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). 

Selon Franck Lecas, responsable du pôle loi Évin au sein de l’association Addictions France, la manoeuvre existe déjà depuis plusieurs décennies. « Les études montrent qu’à l’internationale, il y a un marketing qui se développe en direction des femmes dans les années 1990 avec ces notions de produits sucrés. on met en avant la femme qui travaille, réussit, consomme de l’alcool et fait l’apéro », explique-t-il.

Un affaiblissement de la loi Évin 

En France, la Loi Évin,votée en 1991, limite fortement les opérations de publicité comprenant de l’alcool. Elle est donc censée agir comme un pare-feu face aux évolutions récentes décrites par Franck Lecas. Or, ce n’est plus vraiment le cas, notamment depuis 2009. En effet, en vertu de la loi de modernisation de notre système de santé adoptée cette année là, les alcooliers ont la possibilité de faire de la publicité sur internet.

Et tout s’est accéléré, avec l’apparition par exemple d’influenceuses. « Elles sont payées par des marques d’alcool pour diffuser de l’information de manière très subtile et pas trop publicitaire envers leurs abonnés », décrypte Karine Gallopel-Morvan. Surtout, elles participent à l’émergence d’une offre destinée précisément aux femmes. Pour autant, ces influenceuses ne forment pas le seul volet du marketing des alcooliers.

« Des flacons de parfum, des étuis de rouge à lèvres »

En effet, il existe également tout un travail ciblé sur le packaging. « Il y a des flacons de parfum, des étuis de rouge à lèvre, des formes rappelant des chaussures ou des vêtements », énumère Karine Gallopel-Morvan. Pour Franck Lecas, il s’agit de reprendre des « stéréotypes de femmes, avec le rose, le girly, le sexy et le luxe aussi ». 

Il cite également le marketing à l’oeuvre sur les produits, prenant l’exemple des eaux alcoolisées dont l’atout serait d’être moins caloriques. « Ce qui est bien sûr faux mais ce sont ces arguments qui ciblent les femmes davantage sensibles à ces questions de santé et de poids », ajoute-t-il.

Autre élément, les alooliers cherchent à attirer des jeunes femmes. Karine Gallopel-Morvan évoque par exemple la bière Belzebuth proposant un « packaging rose, un goût à la framboise, et une boisson à trois degrés d’alcool […] ciblant très clairement les adolescentes ».

Quelle position pour les pouvoirs publics ? 

Face à ces stratégies de marketing, l’Etat marche sur des oeufs. Comme dans toutes ces problématiques liant alcool et santé, Il doit arbitrer selon des choix économiques ou sanitaires. Et il prend souvent le sujet avec des pincettes.

« L’Etat réagit dès que l’industrie de l’alcool bouge un petit doigt. Il y a par exemple le cas du Dry January : au départ Santé publique France, donc un organisme public, devait mener la campagne. Quand il a fallu la faire valider à un plus haut niveau, le Président de la République a refusé qu’elle soit portée par le gouvernement en raison de la pression des lobbys. », commente Karine Gallopel-Morvan. Face au jeu d’équilibriste mené par les pouvoirs publics, la conquête du public féminin est donc loin d’être terminée pour les alcooliers.

 

Lola Dhers et Baptiste Farge 

 

 

Des réunions d’Alcooliques Anonymes réservées aux femmes

« Le but de ces réunions est de pouvoir lâcher le paquet », lance Evelyne, 49 ans, abstinente depuis douze ans. « Pouvoir dire des choses qu’on ne peut pas partager en groupes mixtes : des choses qui touchent à l’intimité, à des expériences particulièrement dégradantes, des abus, des viols, de la maltraitance. Ces réunions libèrent la parole et apportent un soulagement », développe-t-elle.

L’idée lui est venue, à elle et à d’autres, de créer des réunions d’Alcooliques Anonymes non mixtes dès les débuts de la crise sanitaire. Confinement oblige, les séances de l’association ont désormais lieu dans une salle virtuelle. Très vite, Evelyne s’aperçoit que les femmes qui y assistent sont de plus en plus nombreuses : d’après elle, les tâches ménagères et la garde des enfants les empêchaient de se rendre physiquement aux réunions. Les visioconférences attireraient même davantage de femmes que d’hommes selon la quinquagénaire.

« Je ne peux déposer ça qu’ici »

Ce dimanche matin de mai, elles sont une vingtaine à se retrouver sur Zoom pour discuter de leur maladie et des difficultés qu’elles rencontrent pour ne pas reprendre « la première goutte du premier verre ». Si certaines ne montrent pas leur visage, Laetitia finit elle tranquillement son petit déjeuner devant la caméra tandis qu’Anne tire compulsivement sur sa cigarette électronique.

Lorsque Séverine finit de lire les douze étapes de rémission des Alcooliques Anonymes, vient le temps des témoignages. « Je ne savais pas qu’il y avait des réunions de femmes, c’est cool ! » s’extasie Gaëlle, nouvelle venue. D’une voix douce et posée, la jeune femme se met alors à partager ses astuces pour ne pas retomber dans ses travers de femme alcoolique. « Coucou les filles, ravie de vous retrouver », s’exclame Laetitia lorsque son tour arrive.

Si toutes participent également à des réunions mixtes, les femmes présentes ce jour-là expliquent apprécier la bienveillance de ce groupe qui leur est réservé. « Une affinité s’est créée, je m’y trouve bien » affirme Anne. Pour Irène, ces rendez-vous destinés aux femmes sont l’occasion de parler des problématiques qu’elle a vis-à-vis des hommes. « Je ne peux déposer ça qu’ici », raconte-t-elle.

 

« Les partages sont différents »

Josette, qui participe aux Alcooliques Anonymes depuis 1996, soutient qu’elle se sent « très à l’aise » lorsque seules des femmes sont présentes. Valérie explique qu’en réunions mixtes, « une barrière se crée ». « Les partages sont différents » ajoute-t-elle. Quant à Christine, qui se présente comme « lesbienne et féministe », « la présence des hommes [l’]agace ».

Au coeur de la parole de ces femmes, il y encore et toujours le tabou que constitue l’alcoolisme au féminin. Pour Anne, « on [les femmes, ndlr] se sent vachement plus honteuses. Le sentiment de culpabilité est très fort ». Et Valérie de conclure : « un homme qui boit, c’est un épicurien, tandis qu’une femme, c’est une pochtronne ».

 

Lola Dhers et Baptiste Farge